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     Date : 19971223

     Dossier : IMM-5294-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MULDOON

ENTRE:


TEJINDER PAL SINGH,

requérant,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


intimé.


MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES ET ORDONNANCE

[1] Quelque temps après la décision sur le fond rendue en l'espèce - la demande de sursis d"exécution de la mesure d"expulsion, devenue inconditionnelle à la suite de l"avis du ministre donné en vertu du sous-alinéa 46.01 (1) e)(ii) de la Loi sur l"immigration- l"avocat du requérant a voulu persuader la Cour de certifier une question.

[2] La télécopie de la lettre de l"avocat, reçue par la Cour, énonce ainsi la question que le requérant demande à la Cour de certifier :

     Lorsqu"il existe une possibilité raisonnable qu"une personne subira des tortures, des persécutions ou la peine de mort dans le pays dont elle est un ressortissant, y a-t-il violation des droits de cette personne aux termes des articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés si cette personne est renvoyée du Canada conformément à un avis du ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration selon lequel il serait contraire à l"intérêt public que soit entendue la revendication du statut de réfugié présentée par cette personne?         

[3] En l"espèce, le ministre a rendu précisément un tel avis; et la Cour a confirmé la légalité et la régularité de l"avis et a refusé de surseoir à l"exécution de la mesure d"expulsion.

[4] Avant d"examiner cette dernière demande faite au nom du requérant, la Cour a prié l"intimé de saisir l"occasion, si il le souhaitait, pour présenter des arguments.

[5] Dans un écrit transmis par télécopieur, l"avocat de l"intimé s"oppose à la demande selon les termes suivants :

     [TRADUCTION]         
     Conformément à la décision de la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Liyanagamage, toute question certifiée doit être décisive pour l"affaire dont la Cour est saisie. En l"espèce, les points en litige n"ont pas été examinés au fond; les parties ont simplement débattu l"opportunité d"un sursis provisoire d"exécution de la mesure de renvoi. Par conséquent, la condition n"est pas remplie et la question ne peut être certifiée.         

[6] L"avocat de l"intimé se réfère à une décision de la Cour d"appel fédérale, l"arrêt Liyanagamage c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, ou Liyanagamage c. Canada, no du greffe A-703-93. À la page 2, M. le juge Décary tient les propos suivants :

     [4] Lorsqu"il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d"avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu"elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [voir l"excellente analyse de la notion d""importance" qui est faite par le juge Catzman dans la décision Rankin v. McLeod, Young, Weir Ltd. et al, (1986), 57 O.R. (2d) 569 (H.C. de l"Ontario)] et qu"elle est aussi déterminante quant à l"issue de l"appel. Le processus de certification qui est visé à l"article 83 de la Loi sur l"immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l"article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d"obtenir, de la Cour d"appel, des jugements déclaratoires à l"égard de questions subtiles qu"il n"est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.         

                 (non souligné dans l"original)

[7] La question posée ici est une question très ordinaire qui relève de l"ordre général des choses, eu égard aux circonstances de la présente affaire. Tout d"abord, elle présuppose que le requérant a réussi à prouver "qu"il existe une possibilité raisonnable qu"une personne subira des tortures, des persécutions ou la peine de mort dans le pays dont elle est un ressortissant". La vie est pleine de risques, à commencer par ceux que font peser des pirates de l"air sur les passagers d"un avion. Parfois, pénétrés de leur mission, des policiers deviennent furieux et s"en prennent à des prisonniers, même au Canada, un pays qui ne connaît pas encore le terrorisme érigé en système. L"État qui emploie ces policiers devrait sans pitié bannir la brutalité policière, mais elle se produit, même dans les sociétés où règne la paix. Les lois d"un pays en matière d"expulsion ou d"extradition seraient totalement inopérantes si ce risque constant, si déplorable soit-il, suffisait à empêcher leur application.

[8] Deuxièmement, il faut, en toute justice, fixer une norme plus élevée. La "possibilité raisonnable" d"une brutalité policière est malheureusement une constante, même dans des pays "qui ont bonne réputation" comme le Canada. Une norme adéquate, et logiquement nécessaire, serait la "probabilité démontrable" d"une telle brutalité. C"est en l"espèce une norme à laquelle M. Singh est loin d"avoir satisfait.

[9] La Charte canadienne des droits et libertés ne s"impose d"ailleurs qu"au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux du Canada, et aux institutions qui relèvent d"eux. Les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 n"ont jamais voulu lui donner, et ne lui ont pas donné, une quelconque portée extraterritoriale. Dans l"application des lois canadiennes, il n"appartient pas au Canada de veiller à ce que les gouvernements des autres pays éradiquent la brutalité policière sur leur propre territoire. Le Canada bien sûr est partie à la Convention des Nations Unies sur les réfugiés, cependant, il ne faut pas l"oublier, la Convention des Nations Unies elle-même (citée dans les motifs antérieurs de la Cour) prévoit qu"un terroriste ne peut par définition être un réfugié. Les diverses dispositions de la Loi sur l"immigration mentionnées plus haut ne font que confirmer le principe de la Convention selon lequel un terroriste ne peut prétendre au statut de réfugié au sens de la Convention.

[10] Qu"arrive-t-il alors si l"on peut prouver que, dans un pays où la peine de mort est appliquée, un criminel extradé risque "probablement" (et non "peut-être") la peine capitale? Il est vrai que l"extradition n"est pas le renvoi d"un terroriste dont la présence est illégale, mais l"analogie est instructive, d"autant que l"avocat de M. Singh a invoqué les articles 7 et 12 de la Charte.

[11] Comme la Cour ne bénéficie pas d"un temps considérable pour répondre aux points soulevés après que la décision sur le fond a été rendue le 22 décembre 1997, elle se limitera à mentionner les sommaires de deux décisions de la Cour suprême du Canada, toutes deux rendues le 26 septembre 1991.

[12] Il y a d"abord l"arrêt Kindler c. Crosbie, Ministre de la Justice, et Amnistie internationale (intervenante), ou tout simplement Kindler c. Canada (1992) 6 C.R.R. (2d) 193 :

         [TRADUCTION]

Kindler c. Crosbie, Ministre de la Justice

et Procureur général du Canada,

et Amnistie internationale (intervenante)


Répertorié : Kindler c. Canada (Ministre de la Justice)


Le 26 septembre 1991

     Cour suprême du Canada         
     Le juge en chef Lamer et les juges La Forest,         
     L"Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory         
     et McLachlin         
     Justice fondamentale - Extradition - Peine de mort - Le ministre de la Justice ordonne l"extradition d"un fugitif vers les États-Unis conformément à l"article 25 de la Loi sur l"extradition, sans d"abord obtenir, conformément au Traité d"extradition, l"assurance que la peine de mort ne sera pas imposée ou appliquée - Ni l"article 25 de la Loi ni les décisions du ministre ne contreviennent à l"article 7 de la Charte - Loi sur l"extradition, L.R.C. (1985), ch. E-23, art. 25 -Charte canadienne des droits et libertés, art. 7.         
     Traitements ou peines cruels et inusités - Extradition - Peine de mort - Le ministre de la Justice ordonne l"extradition d"un fugitif vers les États-Unis conformément à l"article 25 de la Loi sur l"extradition, sans d"abord obtenir, conformément au Traité d"extradition, l"assurance que la peine de mort ne sera pas imposée ou appliquée - La garantie prévue par l"article 12 de la Charte contre les peines cruelles et inusitées ne s"applique pas à l"art. 25 de la Loi sur l"extradition ni aux décisions ministérielles prises conformément à cet article - La décision de remettre le fugitif ne constitue pas une peine cruelle et inusitée de la part du gouvernement canadien - Loi sur l"extradition, L.R.C. (1985), ch. E-23, art. 25 - Charte canadienne des droits et libertés, art. 12.         
     L"appelant a été déclaré coupable de meurtre au premier degré, de complot en vue de commettre un meurtre et d"enlèvement en Pennsylvanie. Le jury qui l"a déclaré coupable a recommandé la peine de mort. Avant le prononcé de sa sentence, l"appelant s"est évadé de prison et s"est enfui au Canada, où il a été arrêté, puis emprisonné en vue de son extradition. L"article 6 du Traité d"extradition entre le Canada et les États-Unis prévoit que le pays à qui est adressée une demande d"extradition d"un fugitif peut demander au pays qui sollicite l"extradition l"assurance que la peine de mort ne sera pas infligée lorsque les infractions concernées sont punissables de la peine capitale, mais le ministre de la Justice a finalement ordonné l"extradition, conformément à l"article 25 de la Loi sur l"extradition, sans demander une telle garantie. Une demande de contrôle formée contre la décision du ministre a été rejetée par la Section de première instance de la Cour fédérale, et un appel à la Cour d"appel fédérale contre la décision de la Section de première instance a lui aussi été rejeté. L"appelant a de nouveau interjeté appel. Les questions constitutionnelles soumises à la Cour étaient les suivantes : (1) l"article 25 de la Loi sur l"extradition, dans la mesure où il permet au ministre de la Justice d"ordonner la remise d"un fugitif sans d"abord demander l"assurance que la peine de mort ne sera pas infligée, contrevient-il à l"art. 7 ou à l"art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés? et (2) dans l"affirmative, l"art. 25 de la Loi constitue-t-il une limite raisonnable aux droits d"un fugitif en vertu de l"art. 1 de la Charte?         
     Arrêt : le pourvoi est rejeté.         
     ...         
     Le juge McLachlin (aux motifs de laquelle souscrivent les juges L"Heureux-Dubé et Gonthier) :         
     Le processus d"extradition diffère du processus criminel, non seulement par son objet et sa procédure, mais surtout par les facteurs qui le rendent équitables. Contrairement à la procédure criminelle, la procédure d"extradition est fondée sur les notions de réciprocité, de courtoisie et de respect des différences dans d"autres ressorts. Par conséquent, le processus canadien d"extradition n"exige pas le respect des normes canadiennes. Le système judiciaire étranger ne sera pas nécessairement considéré comme foncièrement injuste parce qu"il n"applique pas certaines des garanties juridiques qui font partie intégrante de notre système de justice pénale. Il faut se garder de donner une portée extraterritoriale aux garanties prévues par la Charte, sous le couvert d"une déclaration d"inconstitutionnalité des procédures d"extradition.         

(non souligné dans l"original)

[13] L"arrêt concomitant rendu par la Cour suprême, Renvoi relatif à l"extradition de Ng (Can.), [1991) 2 R.C.S. 858, pose le même principe.

[14] Il faut se rappeler que l"arrêt initial Singh et al c. La Reine [1985] 1 R.C.S. 177 a laissé voir que la Cour suprême du Canada s"intéressait à la bonne application de la Charte et de la Déclaration canadienne des droits à l"intérieur du Canada, pour autant que fût concernée l"application extraterritoriale de la Loi sur l"immigration alors en vigueur. La Cour suprême ne prétendait pas faire obstacle aux prolongements que cette loi pouvait avoir à l"étranger, mais voulait rendre plus équitable l"application au Canada d"une loi du Canada.

[15] Pour ces motifs, la Cour refuse de certifier la question posée par l"avocat du requérant.


[16] La Cour ordonne que la question reproduite précédemment, qui a été formulée et posée par l"avocat du requérant, ne soit pas certifiée.


F.C. Muldoon

___________________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-5294-97
INTITULÉ :                  TEJINDER PAL SINGH. c. M.C.I.
LIEU DE L"AUDIENCE :          Ottawa et Vancouver
DATE DE L"AUDIENCE :          le 20 décembre 1997

MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES ET ORDONNANCE DE M. LE JUGE MULDOON

EN DATE DU              23 décembre 1997

COMPARUTIONS ET ARGUMENTS ÉCRITS

M. Paul Sandhu                      POUR LE REQUÉRANT
Mme Leigh Taylor et Mme Brenda Carbonell      POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Kang & Company                      POUR LE REQUÉRANT

North Delta (C.-B.)

M. George Thomson

Sous-procureur général du Canada              POUR L"INTIMÉ
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