Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19980403

     Dossier : IMM-1946-97

OTTAWA (Ontario), le 3 avril 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY



ENTRE :



     FADUMO SAID AHM MUKHTAR

     SULEKHA SAID AHM MUKHTAR

     BURHAN SAID AHM MUKHTAR

     SHAMSUDIN SAID MUKHTAR,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     SUR PRÉSENTATION par les requérants d'une demande en vue du contrôle judiciaire de la décision en date du 2 avril 1997 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué que les requérants ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, et en vue du prononcé d'une ordonnance annulant cette décision;

     APRÈS avoir entendu les avocats des parties à Toronto le 4 mars 1998, après avoir sursis au prononcé de l'ordonnance, et après avoir examiné les moyens invoqués à l'audience et le dossier;

     ORDONNANCE

     LA COUR ORDONNE QUE la demande soit rejetée.



                                 W. Andrew MacKay

                                     Juge




Traduction certifiée conforme


Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19980403

     Dossier : IMM-1946-97



ENTRE :



     FADUMO SAID AHM MUKHTAR

     SULEKHA SAID AHM MUKHTAR

     BURHAN SAID AHM MUKHTAR

     SHAMSUDIN SAID MUKHTAR,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire en date du 13 mai 1997 en vue du contrôle de la décision en date du 2 avril 1997 par laquelle la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (CISR) a déclaré que les requérants ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Mme Fadumo Said Ahm Mukhtar, la femme adulte requérante, est la représentante désignée des trois autres requérants, tous mineurs, et est ci-après appelée la requérante. Les trois mineurs sont une soeur et deux frères de la requérante. Les requérants prétendent être des ressortissants somaliens et fondent leurs revendications sur une crainte fondée de persécution en raison de leur appartenance à un groupe social, leur clan, lequel serait le clan Reer Hamar. Un tribunal de la CISR a statué qu"ils n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention après avoir conclu que la preuve des requérants n"était pas digne de foi pour établir selon la prépondérance des probabilités qu"ils sont des membres du clan auquel ils affirment appartenir. Ainsi, ils n"ont pas fourni de preuves démontrant qu"il y a une possibilité raisonnable ou plus qu"une simple possibilité de persécution pour une raison prévue par la Convention s"ils devaient retourner en Somalie.

Les faits

[3]      Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) daté du 3 novembre 1996, la requérante affirme avoir vécu dans la région de Mogadiscio avec sa mère et ses frères et soeurs. Son père y aurait exploité une grosse bijouterie et aurait été victime d"extorsion de la part du gouvernement de Siad Barre à cause de son appartenance au clan Reer Hamar. En 1987, le père de la requérante, apparemment incapable de payer les sommes demandées, a été arrêté et incarcéré. Sa famille a finalement appris qu"il avait été torturé et tué. Comme nous le verrons, la description que fait la requérante des activités et de la mort de son père a été modifiée dans un autre exposé narratif fourni par l"entremise de son avocat avant l"audience.

[4]      La famille a continué à exploiter l"entreprise jusqu'en 1990, moment auquel il lui est devenu financièrement impossible de payer les sommes que réclamaient ses extorqueurs. Pendant la guerre qui a éclaté en 1990, la famille aurait été forcée de payer une des factions en bijoux et, à la suite de cet incident, elle est allée vivre à Merca, au sud de Mogadiscio. En 1993, un autre clan est arrivé à Merca et ses membres auraient commencé à harceler, voler et tuer les Reer Hamar. Finalement, une fois la mission de l"ONU en Somalie terminée, la famille se serait enfuie en Éthiopie et s"est finalement retrouvée à Addis Abeba. Un oncle vivant en Arabie saoudite, a conseillé à la mère de la requérante d"envoyer sa fille et ses trois frères et soeurs mineurs au Canada, où trois de leurs frères se seraient déjà enfuis. Les requérants sont arrivés au Canada en décembre 1995.

[5]      Dans sa décision, le tribunal a conclu qu"il n"avait pas été saisi de preuves dignes de foi que les requérants appartenaient au clan des Reer Hamar. La requérante aurait eu de graves lacunes dans sa connaissance de la Somalie et de Mogadiscio, et en ce qui a trait aux détails de son propre vécu en Somalie.

[6]      Le tribunal a relevé de nombreuses contradictions entre le FRP de la requérante et les notes prises au point d"entrée, et celle-ci n"a fourni aucune explication satisfaisante, bien que la possibilité de le faire lui ait été donnée. Par exemple, au point d"entrée, la requérante a déclaré que son père était décédé en 1991, tandis que dans son FRP, elle a affirmé que sa mort remontait à 1987. Dans son premier exposé narratif accompagnant son FRP, elle a indiqué que son père était un riche bijoutier, alors que dans son deuxième exposé et dans son témoignage, elle a affirmé qu"il était un juge du tribunal de la famille et que son frère gérait la bijouterie. Dans son premier exposé, la requérante a mentionné que son père avait été arrêté en juillet 1987 parce qu"il n"avait pas payé les sommes qu"on lui réclamait, tandis que dans son deuxième exposé, elle a déclaré que son père avait été tué près du palais de justice en 1987. Son père, son grand-père et son arrière-grand-père portaient tous le nom de Mukhtar, même si cela est contraire à la coutume en Somalie. La requérante était incapable de se rappeler le nom complet de son père. Elle ne se souvenait de rien d"autre au sujet de Mogadiscio que le nom des quartiers de la ville où elle et son frère avaient habité. Elle n"a pu nommer d"autres clans que le sien, ni se rappeler le nom du clan auquel Siad Barre appartenait.

[7]      En l"espèce, la requérante déclare dans son affidavit qu"elle était très confuse à son arrivée au Canada et qu"elle a menti au sujet d"événements concernant sa famille. Elle a toutefois raconté des faits véridiques à son avocat quelques mois après son arrivée. Elle aurait confirmé cet état de fait à l"audience. Par contre, il y avait des lacunes et des contradictions importantes entre la preuve documentaire qu"elle a fournie et son témoignage, et le tribunal a suspendu l"audience pour permettre à son avocat de faire le nécessaire pour que la requérante subisse une évaluation psychiatrique plus particulièrement axée sur son incapacité de se souvenir de nombreux faits. Le tribunal a trouvé que l"évaluation du psychiatre ne lui avait guère été utile pour expliquer les problèmes de mémoire de la requérante. Le psychiatre s"est particulièrement intéressé à la névrose traumatique, mais il n"a pas indiqué dans son rapport que la requérante en souffrait, et il a noté que l"orientation spatio-temporelle, la lucidité et le jugement de la requérante étaient normaux. Le tribunal a conclu que la requérante n"avait aucun problème de santé particulier pouvant expliquer ses trous de mémoire et les contradictions dans son témoignage. Même si la requérante a allégué avoir entendu dans sa tête des bruits de combat qui ont troublé son esprit, et même si le tribunal a tenu compte des tensions possibles associées au fait de témoigner et à la situation interculturelle, celui-ci a conclu qu"il n"avait été saisi d"aucune preuve digne de foi quant à l"élément central de la revendication de la requérante, c"est-à-dire son appartenance au clan des Reer Hamar.

[8]      Le tribunal a aussi conclu que le témoin des requérants, qui serait leur frère et qui a été parrainé au Canada par son épouse, avait peu de connaissances du clan. On n"a trouvé aucun renseignement dans les banques de données de la Section du statut de réfugié sur d"autres frères qui seraient venus au Canada et qui y auraient demandé le statut de réfugié. On n"a trouvé aucun FRP de ces autres frères dans les dossiers de la S.S.R., et aucune copie d"aucun dossier n"a été fournie au tribunal, excepté un document relatif au droit d"établissement du frère qui a comparu comme témoin. Un des autres frères de la requérante, avec qui les requérants affirmaient vivre au Canada, n"a pu se présenter pour témoigner puisqu"il était censément à l"extérieur du pays.

[9]      Puisque les requérants n"ont pu prouver leur appartenance au groupe social dont ils se réclamaient, le tribunal a conclu que les requérants n"avaient pas démontré qu"il existait une possibilité raisonnable ou plus qu"une simple possibilité de persécution pour une raison prévue par la Convention s"ils retournaient en Somalie.

[10]      La requérante soutient en l"espèce que, vu son témoignage et celui du témoin, le tribunal aurait pu déclarer que les requérants étaient des réfugiés. Elle maintient qu"une fois que le lien frère-soeur entre la requérante et le témoin était prouvé et que l"appartenance du témoin au clan des Reer Hamar était démontrée, dans les deux cas au moyen de témoignages sous serment qui n"ont pas été contredits, le tribunal aurait dû conclure que les requérants étaient aussi des Reer Hamar.

[11]      La requérante n"admet pas que le témoin n"a pas donné de renseignements détaillés sur son clan. En effet, elle soutient qu"il a pu nommer plusieurs branches des Reer Hamar et qu"il a pu affirmer, justement, que les Reer Hamar étaient reconnus pour leur aptitude au commerce et qu"ils vivaient dans des régions côtières. Il a aussi décrit le teint moyen des Reer Hamar et émis des hypothèses sur les origines arabes du clan. Le témoin a en outre souligné que les Reer Hamar sont perçus comme des gens riches et sont visés par d"autres Somaliens pour cette raison.

[12]      En ce qui concerne le lien frère-soeur, la requérante fait valoir que le témoin et elle-même ont correctement indiqué le nombre d"enfants du témoin, soulignant que deux d"entre eux sont jumeaux et que l"un des jumeaux est malade. La requérante soutient que le témoin n"aurait pas pris la peine d"inventer le fait qu"un des jumeaux était malade si c"était seulement un stratagème. Le témoin et la requérante ont tous deux dit dans leur témoignage que le témoin avait déjà habité à Mogadiscio et que deux de leurs jeunes frères, qui sont des requérants en l"espèce, avaient vécu pendant un certain temps avec le témoin après la mort de leur père. Le témoin et la requérante ont aussi tous deux affirmé dans leur témoignage que leur père était juge. La requérante affirme donc qu"il existait des témoignages sous serment et non contredits indiquant que le témoin et la requérante sont frère et soeur et que le témoin est un Reer Hamar.

[13]      La requérante soutient qu"en concluant que le témoin et la requérante n"étaient pas crédibles, le tribunal n"a tenu aucun compte d"éléments de preuve pertinents et a donc commis une erreur de droit. L"ensemble de la preuve mènerait à la conclusion que le témoin et la requérante sont frère et soeur et qu"ils appartiennent au clan des Reer Hamar.

[14]      L"intimé soutient que lorsque le tribunal se prononce sur la crédibilité d"un témoin, la Cour ne devrait pas modifier les conclusions qu"il tire, puisque le tribunal a eu la possibilité de jauger le témoin pendant qu"il témoignait. Vu les motifs sur lesquels s"est fondé le tribunal pour statuer que les requérants n"étaient pas crédibles, l"intimé fait valoir que cette conclusion n"était pas déraisonnable et, partant, malgré le témoignage du témoin, il n"était pas déraisonnable de conclure que les requérants n"étaient pas des réfugiés au sens la Convention. L"intimé soutient que les requérants n"ont pas établi l"existence d"un motif justifiant l"intervention de la Cour.

Analyse

[15]      Dans l"arrêt Aguebor c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration1, le juge Décary a dit, au nom de la Cour d"appel :

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu"est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d"un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d"un récit et de tirer les inférences qui s"imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d"attirer notre intervention, ses conclusions sont à l"abri du contrôle judiciaire.

[16]      Dans l"affaire Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)2, j"ai écrit :

         Il appartient à la formation de jugement de la section du statut d"apprécier la crédibilité et la force probante des preuves et témoignages, dans son instruction des revendications du statut de réfugié. C"est ainsi qu"elle peut rejeter des preuves non réfutées si elles ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l"affaire prise dans son ensemble, si elle relève des contradictions dans le témoignage ou si elle juge celui-ci invraisemblable. Dans le cas où il y a eu une audience de vive voix et que l"appréciation de la formation de jugement est, comme en l"espèce, clairement subordonnée, du moins en partie, au fait qu"elle voit et entend le témoin, la Cour n"interviendra pas à moins de conclure que la formation de jugement fonde sa décision sur des considérations étrangères à l"affaire ou ignore des preuves dignes d"attention. En bref, la Cour n"interviendra que si elle juge la décision manifestement déraisonnable au regard des éléments de preuve produits.
         Dans le cas où la décision de la formation de jugement est centrée en dernière analyse sur son appréciation de la crédibilité, la charge de la preuve qui incombe à celui qui se pourvoit en contrôle judiciaire est bien lourde, puisque la Cour doit être persuadée que la décision de la formation de jugement est abusive ou arbitraire, ou rendue au mépris des éléments de preuve dont elle dispose. Ainsi donc, dans le cas même où la Cour pourrait tirer une conclusion différente des preuves produites, elle n"interviendra pas à moins que le requérant n"arrive à prouver que la décision de la formation de jugement n"est fondée sur aucune preuve.

[17]      Peut-être bien que si le témoin avait réussi à convaincre le tribunal qu"il était le frère des requérants et qu"il appartenait au clan des Reer Hamar, l"inférence que les requérants étaient eux aussi des Reer Hamar irait de soi, mais c"est au tribunal qu"il appartient de déterminer si ces faits ont été prouvés. Après avoir entendu leurs témoignages, le tribunal a conclu que la requérante et le témoin n"étaient pas crédibles. La requérante n"a fourni aucune preuve digne d"attention dont le tribunal n"aurait pas tenu compte, mais conteste simplement l"appréciation de la preuve soumise au tribunal. À mon sens, il n"est pas possible de considérer que le tribunal a apprécié la preuve et rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuves dont il disposait.

[18]      Pour ces motifs, la présente demande est rejetée.


                                 W. Andrew MacKay

                                         Juge





OTTAWA (Ontario)

Le 3 avril 1998





Traduction certifiée conforme


Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :          IMM-1946-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  Fadumo Said Ahm Mukhtar et autres c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 4 mars 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY

EN DATE DU :                          3 avril 1998



COMPARUTIONS :

M. Hart A. Kaminker                      pour la requérante

M. Jeremiah A. Eastman                  pour l"intimé



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Kranc                          pour la requérante

Toronto (Ontario)


M. George Thomson                      pour l"intimé

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      (1993) 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317 (C.A.F.).

2      (14 mars 1997) dossier de la Cour no IMM-551-96, [1997] A.C.F. no 296 (C.F. 1re inst.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.