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Date : 20000215


Dossier : IMM-3479-98


OTTAWA (Ontario), le mardi 15 février 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED


ENTRE :


XINQIU LIU


demandeur


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



ORDONNANCE




     VU l"audition de la demande de contrôle judiciaire qui a eu lieu à Toronto (Ontario), le jeudi 27 janvier 2000,


     ET pour les motifs d"ordonnance que j"ai exposés aujourd"hui,


     LA COUR ORDONNE :

     Que la demande soit rejetée.


" B. Reed "

                                         juge









Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.





Date : 20000215


Dossier : IMM-3479-98


ENTRE :


XINQIU LIU


demandeur


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE REED


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire contre la décision dans laquelle une agente des visas a refusé la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur avait présentée.

[2]      Le demandeur conteste la décision de l"agente des visas pour trois motifs : elle n"a pas convenablement apprécié le nombre de points qui auraient dû lui être attribués au titre du deuxième facteur, appelé " Études et formation ", de l"annexe I du Règlement sur l"immigration de 1978; elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon abusive lorsqu"elle a décidé de ne pas lui délivrer de visa en application du paragraphe 11(3) du Règlement sur l"immigration de 1978; elle a tenu compte de facteurs non pertinents lorsqu"elle a pris sa décision fondée sur le paragraphe 11(3), tel le fait qu"il ne s"était jamais rendu au Canada et n"y avait pas de parents.

[3]      En ce qui concerne le premier motif, voici ce que prévoit le deuxième facteur de l"annexe I :

Études et formation
(1) À évaluer suivant le programme d'études et la période de formation professionnelle, d'apprentissage, de formation en usine ou de formation en cours d'emploi précisés dans la Classification nationale des professions comme étant nécessaires pour acquérir les connaissances théoriques et pratiques et les compétences qu'exige la profession pour laquelle le requérant est apprécié selon l'article 4. Les points d'appréciation sont attribués selon le barème suivant :
[Non souligné dans l"original.]
. . .
d) lorsqu'un cours pratique, une formation, des ateliers ou de l'expérience reliés à la profession sont nécessaires, habituellement à la suite des études secondaires, sept points; [Non souligné dans l"original.]
e) lorsqu'un certificat ou un diplôme d'études collégiales ou techniques est nécessaire ou lorsqu'un programme de formation professionnelle, d'apprentissage ou de formation spécialisée est nécessaire, quinze points; [Non souligné dans l"original.]
. . .
(2) Lorsque plus d'un indicateur d'études et de formation est établi dans la Classification nationale des professions pour une profession donnée, l'indicateur minimal est retenu pour l'évaluation du facteur études et formation. [Non souligné dans l"original.]

[4]      Voici comment la Classification nationale des professions (la CNP) décrit les compétences que doit posséder un chef :

"      Un diplôme d"études secondaires est habituellement exigé.
"      Un programme d"apprentissage de trois ans en art culinaire
     ou
     une formation officielle à l"étranger
     ou
     une formation et une expérience équivalentes sont exigés.
     [Non souligné dans l"original.]

[5]      L"avocat du demandeur soutient que les compétences décrites dans la CNP équivalent à celles que prévoit l"alinéa (1)e ) du deuxième facteur de l"annexe I et que son client aurait donc dû recevoir 15 points à ce titre, et non 7.

[6]      Les deux avocats ont renvoyé aux paragraphes 36 à 39 de la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (IMM-2225-98, 16 avril 1999), dans lesquels M. le juge Evans a décrit la structure du processus d"appréciation de ce facteur. Les deux avocats sont d"accord que le dossier dont je dispose ne contient pas tous les documents pertinents pour étayer une analyse semblable à celle de M. le juge Evans. Ils sont cependant d"accord que l"indicateur d"études et de formation vaut " 4+ " pour ce qui est des chefs, ce qui équivaut à 7 points au titre du facteur " Études et formation ", et qu"un indicateur d"études et de formation de 5 équivaut à 15 points au titre de ce facteur.

[7]      L"avocat du demandeur soutient que la démarche qu"il convient d"adopter lorsqu"un demandeur a un indicateur d"études et de formation de 4+ consiste à examiner la description des compétences que la CNP fournit à l"égard du poste en question et à comparer cette description au texte du deuxième facteur de l"annexe I, vu que l"indicateur d"études et de formation est supérieur à 4. De plus, il fait valoir qu"en l"espèce, il ressort clairement d"une telle démarche que le facteur 2(1)e ) constitue la catégorie pertinente. La CNP mentionne qu"un programme d"apprentissage de trois ans ou une formation et une expérience équivalentes sont exigés pour ce qui est de la profession de chef, et le facteur 2(1)e ) du Règlement prévoit que 15 points doivent être attribués lorsqu"un programme de formation professionnelle est nécessaire relativement à un métier ou une profession.

[8]      L"avocate du défendeur soutient que la bonne démarche est celle que M. le juge Evans a adoptée dans la décision Chen , précitée, mais même si elle ne l"était pas et si c"était l"analyse que l"avocat du demandeur a proposée qui était la bonne, le résultat serait le même. L"argument de l"avocate du défendeur est que les alinéas (1)d ) et e) du deuxième facteur de l"annexe I du Règlement sur l"immigration concordent avec les exigences professionnelles que la NGC prévoit à l"égard de la profession de chef. La description de la NGC des compétences d"un chef n"exige pas qu"un programme de formation professionnelle ait été suivi; de par une expérience et une formation équivalentes, on peut également être un chef compétent. Le facteur 2(1)e ) décrit le nombre de points qui doivent être attribués lorsque le fait d"avoir suivi un programme de formation professionnelle est exigé . Le facteur 2(1)d) décrit le nombre de points qui doivent être attribués lorsqu"un " cours pratique, une formation, des ateliers ou de l'expérience reliés à la profession sont nécessaires ". En conséquence, même si l"alinéa (1)e ) englobait effectivement les compétences requises pour exercer la profession de chef, l"alinéa (1)d ) s"applique également. Le deuxième paragraphe du facteur no 2 prévoit que lorsque deux descriptions s"appliquent à un métier ou une profession, on tient compte du plus petit nombre de points attribués.

[9]      J"accepte cette analyse. La description de la NGC n"exige pas qu"un programme de formation professionnelle ait été suivi. Il s"agit de l"une des façons de devenir un chef compétent. On peut également devenir un chef compétent de par sa formation et son expérience, sans avoir suivi un programme de formation professionnelle en bonne et due forme. Lorsque deux descriptions de compétences s"appliquent, on tient compte du plus petit nombre de points attribués. En conséquence, même si la démarche que l"avocat du demandeur a adoptée est convenable, le nombre de points qu"il convient d"attribuer à son client est sept, et non quinze.

[10]      Le deuxième argument de l"avocat veut que l"agente des visas aurait dû, en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement , délivrer un visa au demandeur, même si ce dernier n"avait pas obtenu un nombre de points suffisant. L"appréciation du demandeur, qui a été faite sur la base des documents qu"il avait soumis, sans qu"une entrevue personnelle n"ait lieu, a mené à l"attribution de 52 points. Pour obtenir une entrevue personnelle, le demandeur doit normalement avoir obtenu 60 points sur papier. Pour qu"un visa lui soit délivré, le demandeur doit avoir obtenu au moins 70 points, que ce soit avant ou après l"entrevue.

[11]      Le paragraphe 11(3) du Règlement sur l"immigration de 1978 confère à l"agent des visas le pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa dans les cas où il a été déterminé que les points d"appréciation ne reflètent pas fidèlement les chances du demandeur de s"établir avec succès au Canada. Voici le paragraphe 11(3) :

A visa officer may

(a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

(b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,



L'agent des visas peut

a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.


[12]      La Cour suprême a approuvé l"idée que le paragraphe 11(3) du Règlement sur l"immigration de 1978 doit être interprété en fonction de considérations économiques liées à l"établissement au Canada. Dans l"arrêt Chen c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration, [1995] 1 R.C.S. 725, la Cour suprême a adopté le point de vue qu"ont exposé M. le juge Strayer dans [1991] 3 C.F. 350, et M. le juge Robertson de la Cour d"appel, qui a exposé des motifs dissidents dans [1994] 1 C.F. 369.

[13]      L"argument de l"avocat veut que le demandeur a démontré qu"il pouvait s"établir dans un milieu économique et social comparable au Canada, soit les États-Unis, et qu"il s"agit-là d"un facteur très important dont l"agent des visas doit tenir compte en se demandant s"il doit exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3). Le demandeur est arrivé aux États-Unis en 1992. Il n"a pas de statut dans ce pays, mais il y a néanmoins maintenu un emploi depuis le mois qui a suivi son arrivée. Il a prospéré. Voici une partie de l"argumentation de M. Leahy :

     [TRADUCTION] Les faits non contestés de la présente affaire étaient que M. Liu avait, au cours du mois pendant lequel il était arrivé aux États-Unis, trouvé un emploi dans la profession qu"il entendait exercer, et qu"à l"époque où Mme Egan l"a rejeté, il avait occupé cet emploi depuis 5 ans et demi, il touchait un revenu équivalant à 150% du revenu que l"Immigration a fixé pour une famille de trois personnes comme la sienne, et il possédait des biens dont la valeur était douze fois supérieure à la valeur des biens que l"Immigration a fixée pour une famille comme la sienne; pourtant, Mme Egan a soutenu que M. Liu ne méritait pas qu"elle exerce favorablement son pouvoir discrétionnaire.

[14]      Monsieur Leahy soutient que la raison d"être des agents des visas est de choisir des immigrants susceptibles de s"établir au Canada, qui contribueront à l"économie et au développement du pays. Il fait donc valoir qu"il est absurde de rejeter la demande d"immigration d"une personne ayant les antécédents du demandeur, en particulier vu que ce dernier exerce une profession pour laquelle il existe une demande considérable.

[15]      Je suis d"accord que la capacité de s"établir est un facteur très important. Par ailleurs, je trouve convaincante l"analyse que M. le juge Evans a faite dans Chen c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (IMM-2225-98, 16 avril 1999) en ce qui concerne le lien réciproque qui existe entre le processus d"appréciation du nombre de points à allouer et le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 11(3) confère aux agents des visas :

[14]      Le demandeur plaide que l'agent des visas a agi de façon déraisonnable en n'utilisant pas son pouvoir discrétionnaire à son avantage, compte tenu du fait que la preuve documentaire qu'on lui avait soumise faisait ressortir que le demandeur pouvait réussir son installation au Canada du fait qu'il était autonome financièrement. L'avocat du demandeur a notamment rappelé que ce dernier travaille aux États-Unis dans la profession visée depuis 1991, qu'il gagne 49 000 $ par an et qu'il a 31 000 $ d'épargnes, en plus d'être propriétaire d'un bien immobilier en Chine valant 52 000 $.
[15]      M. Leahy a convenu que la preuve de l'autonomie financière du demandeur dans son pays d'origine n'est pas suffisante pour qu'il se voie accorder le bénéfice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3). Il a toutefois plaidé que lorsqu'un demandeur a quitté son pays d'origine et démontré qu'il pouvait être autonome financièrement en pratiquant la profession visée dans un environnement économique et social semblable à celui du Canada, ce fait devrait être un facteur important pour la délivrance d'un visa même si par ailleurs ce demandeur n'a pas le nombre de points d'appréciation qui justifierait une décision en sa faveur.
. . .
[20]      À mon avis, le fait que le demandeur soit financièrement autonome aux États-Unis en pratiquant la profession à laquelle il aspire au Canada est un facteur pertinent dont l'agent des visas devait tenir compte pour déterminer si la capacité d'un demandeur de réussir son installation au Canada est adéquatement reflétée dans le nombre de points d'appréciation qu'il a reçu sur la base des facteurs prévus à l'Annexe I.
[21]      Ce n'est toutefois pas à la Cour de juger si l'agent des visas a accordé un poids suffisant à cet aspect. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire est confié à l'agent des visas qui doit en décider au vu de tout le dossier, y compris le plus ou moins grand nombre de points d'appréciation qui font défaut au demandeur. C'est seulement si l'agent des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon abusive, arbitraire ou déraisonnable que la Cour doit intervenir.
. . .
[23]      ... Sans m'ingérer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 11(3) accorde aux agents des visas, je crois que le pouvoir en question est de nature résiduelle et qu'il ne peut être exercé pour emporter une décision que lorsque les faits d'une affaire sont très particuliers ou lorsque le demandeur a presque atteint les 70 points d'appréciation.
[24]      L'outil principal permettant de décider de la délivrance de visas aux immigrants indépendants est l'évaluation des facteurs prévus à l'Annexe I, facteurs dont les agents des visas doivent tenir compte en vertu du paragraphe 8(1) du Règlement lorsqu'ils décident si un demandeur peut vraisemblablement réussir son installation au Canada. Un des objectifs de la législation mise en place pour l'évaluation des demandes de visas est de promouvoir la cohérence du processus décisionnel et d'éviter autant que possible l'exercice par les agents des visas d'un pouvoir discrétionnaire peu structuré et potentiellement arbitraire, situation qui se produirait vraisemblablement si ces derniers pouvaient évaluer les chances qu'un demandeur réussisse son installation sans faire référence à un cadre juridique précis.

[16]      J"accepte que l"un des objectifs du système de points législatif vise à promouvoir la cohérence des décisions des agents des visas. Sans ce système de retenue et de directives législatives, l"exercice du pouvoir discrétionnaire dans chaque cas ne serait pas structuré et pourrait éventuellement devenir arbitraire. J"accepte que le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) est de nature résiduelle et que, de façon générale, il sert à trancher les cas inhabituels, ou encore il s"applique dans les cas où le nombre de points que le demandeur a obtenus est près du minimum requis de 70 points (je dis de façon générale, pas nécessairement toujours).

[17]      L"établissement du demandeur aux États-Unis ne mène pas automatiquement à la conclusion qu"il doit être admis au Canada. Le demandeur n"est pas visé par le paramètre d"affaires telles So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1995), 28 Imm. L.R. (2d) 153 (C.F. 1re inst.); Chand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1998), 41 Imm. L.R. (2d) 165 (C.F. 1re inst.); Mui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1998) 146 F.T.R. 51 (C.F. 1re inst.). Ces affaires portaient toutes sur des appréciations de la " personnalité ", le facteur no 9 de l"annexe du Règlement , et non sur le paragraphe 11(3). Elles portaient toutes sur des demandeurs qui s"étaient établis au Canada, de sorte qu"il était clairement abusif que des agents des visas attribuent à de tels candidats un nombre de points inférieur à la moyenne dans le cadre d"une appréciation devant " déterminer si lui et les personnes à sa charge sont en mesure de réussir leur installation au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables ". De plus, le nombre de points supplémentaires pouvant être attribués du fait que la personne visée est déjà établie au Canada n"était pas supérieur à 10 vu qu"il s"agit du nombre total de points pouvant être attribués au titre de la personnalité (en fait, dans ni l"un ni l"autre de ces trois cas le nombre de points supplémentaires ne pouvait dépasser six). Le demandeur en l"espèce cherche à se servir du fait qu"il s"est établi aux États-Unis pour obtenir 18 points de plus que ceux qui lui ont été attribués.

[18]      L"avocate du défendeur souligne que la Cour doit faire preuve d"une retenue considérable à l"égard de la décision d"un agent des visas qui fait l"objet d"une demande de contrôle judiciaire. La Cour d"appel fédérale a conclu, dans l"arrêt Chiu Chee To c. M.E.I. , (A-172-93, 23 mai 1996), que la norme de contrôle qu"il convient d"appliquer aux décisions discrétionnaires des agents des visas en ce qui concerne les demandes d"immigrants est la même que celle que la Cour suprême du Canada a énoncée dans l"arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada , [1982] 2 R.C.S. 2, où le M. le juge McIntyre a dit, aux pages 7 et 8 :

C"est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s"ingérer dans l"exercice qu"un organisme désigné par la loi fait d"un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s"est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l"objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[19]      L"avocat du demandeur fait remarquer que ces décisions ont été rendues avant l"arrêt Baker c. Canada (M.C.I.) , 174 D.L.R. (4th) 193, (C.S.C.), à l"instar de la décision de M. le juge Evans dans l"affaire Chen , précitée. Il soutient que ces affaires doivent maintenant être appréciées compte tenu de l"arrêt Baker .

[20]      À mon avis, l"arrêt Baker n"apporte pas de modification fondamentale pour ce qui est de la norme de contrôle applicable. Les juges majoritaires dans cet arrêt ont conclu qu"il convient d"adopter une démarche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable dans un cas donné, une démarche qui a été décrite dans plusieurs arrêts antérieurs de la Cour suprême. Cette démarche mène à soupeser un certain nombre de facteurs. Au paragraphe 55 (à la page 225) des motifs des juges majoritaires, on trouve l"explication suivante :

La démarche pragmatique et fonctionnelle tient compte de considérations comme l"expertise du tribunal, la nature de la décision qui est prise, et le libellé de la disposition et des lois qui s"y rapportent. Elle comprend des facteurs comme le caractère "polycentrique" d"une décision et l"intention exprimée par le langage employé par la loi. La latitude que laisse le Parlement au décideur administratif et la nature de la décision qui est prise sont également d"importantes considérations dans l"analyse.

Au paragraphe 56 (à la page 226) des motifs des juges majoritaires, on trouve le passage suivant :

La démarche pragmatique et fonctionnelle peut tenir compte du fait que plus le pouvoir discrétionnaire accordé à un décideur est grand, plus les tribunaux devraient hésiter à intervenir dans la manière dont les décideurs ont choisi entre diverses options. Toutefois, même si, en général, il sera accordé un grand respect aux décisions discrétionnaires, il faut que le pouvoir discrétionnaire soit exercé conformément aux limites imposées dans la loi, aux principes de la primauté du droit, aux principes du droit administratif, aux valeurs fondamentales de la société canadienne, et aux principes de la Charte.

[21]      L"arrêt Baker mentionne plusieurs fois que la décision de l"agent d"immigration doit être raisonnable et que ce dernier doit exercer son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable, en tenant compte des circonstances particulières de l"affaire. La décision examinée dans l"arrêt Baker , qui avait été prise par un agent d"immigration conformément au paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration, portait sur la question de savoir s"il y avait des motifs d"ordre humanitaire en vertu desquels il pouvait être permis au demandeur de présenter une demande de droit d"établissement sans devoir quitter le Canada. L"arrêt Baker a conclu que la décision était déraisonnable vu que l"agent des visas avait omis de tenir compte d"un facteur pertinent, soit une disposition d"une convention internationale en matière de droits de la personne, dont le Canada était signataire.

[22]      L"avocat du demandeur fait remarquer que les juges majoritaires de la Cour suprême mentionnent, dans l"arrêt Baker , que les " valeurs fondamentales de la société canadienne " font partie des facteurs pertinents en ce qui concerne un examen fondé sur des motifs d"ordre humanitaire. En l"espèce, aucune preuve (par exemple la disposition d"un traité international) ne fait état de la valeur particulière dont l"agente des visas n"aurait pas tenu compte. J"accepte que les Canadiennes et Canadiens souhaitent que les individus admis au pays en tant qu"immigrants soient en mesure de s"y établir sur le plan économique et de contribuer à la vie économique du pays, et qu"ils ne soient pas obligés de dépendre de services sociaux et de bien-être. J"estime, cependant, que la population canadienne souhaite également que les exigences en matière d"immigration, voire toutes les règles juridiques, soient appliquées de la façon la plus égalitaire possible à l"égard de l"ensemble des demandeurs - le resquillage, ou encore l"octroi d"avantages particuliers à certaines personnes au détriment d"autres personnes, n"est pas acceptable.

[23]      Il se pourrait bien que le demandeur en l"espèce serait un immigrant acceptable, mais, comme il a déjà été souligné, il est loin d"obtenir le nombre de points requis. L"élimination d"individus qui pourraient être des immigrants acceptables est le prix qu"une société paye pour avoir adopté des règles juridiques destinées à encadrer l"exercice du pouvoir discrétionnaire par des fonctionnaires et à établir un cadre dans lequel l"ensemble des individus en cause sont traités de la façon la plus égalitaire possible. Cet établissement de distinctions susceptibles de mener, à l"occasion, à des résultats inconvenants est une caractéristique non seulement de la législation en matière d"immigration, mais de toute règle de droit.

[24]      L"agente des visas en l"espèce ayant examiné la question de savoir si elle devait exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3), on ne peut soutenir qu"elle n"a pas envisagé cette éventualité. Elle disposait des observations du demandeur, qui comprenaient une description de l"établissement de celui-ci aux États-Unis. Elle a tenu compte de cette preuve. Je ne peux conclure que sa décision de refuser d"exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) était déraisonnable.

[25]      En résumé, le demandeur n"a pas obtenu le nombre de points requis pour se voir délivrer un visa. La présente affaire n"est pas inhabituelle. Je ne peux conclure que l"agente des visas a agi de façon déraisonnable parce qu"elle n"a pas accordé plus d"importance au fait que le demandeur s"était établi aux États-Unis. Les faits que le demandeur a mentionnés ne mènent pas à la conclusion que cette décision était déraisonnable, sous réserve d"un examen de l"argument que l"agente des visas a tenu compte d"une considération non pertinente.

[26]      J"aborde maintenant l"argument que l"agente des visas aurait tenu compte de considérations non pertinentes. Cet argument est fondé sur les notes CAIPS de l"agente des visas, dans lesquelles elle a écrit :

[TRADUCTION] Cependant, l"intéressé ne satisfait pas aux critères de sélection si on l"apprécie en fonction de cette profession, vu qu"il n"obtient pas suffisamment de points. Les points attribués paraissent refléter fidèlement les chances de l"intéressé de réussir son établissement au Canada - n"avait jamais visité le Canada, n"y a pas de famille, ne semble pas y avoir de perspectives d"emploi. Comme le nombre de points attribués paraissent refléter fidèlement les chances de l"intéressé de réussir son établissement au Canada, l"exercice du pouvoir du par. 11(3) n"est pas justifié.

[27]      L"avocat du demandeur a raison de dire qu"en examinant la personnalité, ce qui se fait dans le cadre d"une entrevue personnelle, l"agent des visas doit principalement se demander si l"intéressé est en mesure de s"établir au Canada, sur le plan économique. Dans ce contexte, on commet une erreur si on se fonde sur le fait que l"intéressé n"a pas de famille au Canada (un facteur expressément apprécié à une étape antérieure du processus d"évaluation), ou sur le fait qu"il n"a pas obtenu d"offre d"emploi (un autre facteur apprécié à une étape antérieure du processus d"évaluation).

[28]      Je souscris également à l"avis de l"avocat que le poids qu"il convient d"accorder à ces deux facteurs doit être apprécié compte tenu du fait que le demandeur ne s"était jamais rendu aux États-Unis avant de réussir à s"y établir, et qu"il n"est pas juste de dire qu"il n"a pas de famille au pays, si l"on tient compte de la famille élargie. En effet, un cousin de sa femme vit au Canada. Cette affirmation n"est exacte que si l"on tient compte des membres de la famille énumérés dans la définition de " parent aidé " que contient le paragraphe 2(1) du Règlement sur l"immigration. Je n"estime pas que l"agente des visas a mal compris la preuve. À mon avis, elle renvoyait à la définition plus restrictive du terme " famille ".

[29]      De toute façon, je ne suis pas convaincue que les remarques que contiennent les notes CAIPS ne sont pas pertinentes aux fins du paragraphe 11(3). Contrairement à une appréciation de la personnalité, qui fait l"objet, à l"annexe I, d"un facteur distinct des autres facteurs dont il faut tenir compte, le paragraphe 11(3) exige que l"on fasse un examen des points qui ont été attribués afin de déterminer si ils reflètent une sous-estimation ou une sur-estimation. Je crois comprendre qu"il s"agit-là de l"exercice auquel l"agente des visas s"adonnait. Il est faux de dire que les facteurs dont il a été tenu compte dans les notes CAIPS ne sont pas pertinents dans ce contexte.

[30]      Pour ces motifs, je doit rejeter la présente demande.

                    

     " B. Reed "

                                         juge



OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 février 2000.










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                  IMM-3479-998

INTITULÉ DE LA CAUSE :              XINQIU LIU c. MCI


LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 27 JANVIER 2000

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :                  15 FÉVRIER 2000


ONT COMPARU :


M. Timothy Leahy                          POUR LE DEMANDEUR

Mme Marianne Zoric                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. Timothy Leahy                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto


M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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