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Date : 20020227

Dossier : IMM-6036-00

Référence neutre : 2002 CFPI 223

ENTRE :

                                                                     ABDUL MALIK

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, contre la décision du 23 octobre 2000 par laquelle un tribunal constitué d'un seul membre de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Le demandeur sollicite, en application des paragraphes 18(1) et (3) de la Loi sur la Cour fédérale, un jugement déclaratoire concluant qu'il est un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite une ordonnance de type certiorari en vue d'obtenir l'annulation de la décision susmentionnée de la Commission. Subsidiairement au jugement déclaratoire, le demandeur sollicite une ordonnance de type mandamus enjoignant à la Commission de réexaminer l'affaire à la lumière du dossier actuel conformément aux motifs exposés par la Cour, et ce, en vertu de l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale. Subsidiairement au jugement déclaratoire ou au mandamus, le demandeur requiert que l'affaire soit renvoyée pour nouvelle audience à un tribunal différemment constitué.

[3]                 Le demandeur sollicite les dépens de la demande.

Les faits

[4]                 Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il vivait dans le district de Kotli au Cachemire, à la frontière entre le Pakistan et l'Inde.

[5]                 Le demandeur prétend avoir une crainte fondée de persécution de la part du Sipah-i-Sahaba parce qu'il appartient à la confession chiite musulmane du Pakistan, qui constitue une minorité religieuse. Il soutient également avoir peur de l'armée indienne en raison du conflit du Cachemire et allègue ne pas pouvoir bénéficier de la protection de l'État.

[6]                 Le demandeur a une épouse, quatre fils et une fille, qui sont tous des citoyens pakistanais vivant à Azad Cachemire, au Pakistan.


[7]                 La Commission a tenu l'audience relative au demandeur le 12 septembre 2000. Elle a rendu sa décision le 23 octobre 2000.

[8]                 La Commission n'était pas convaincue que le demandeur avait une crainte fondée de persécution s'appuyant sur les motifs énumérés s'il devait retourner au Pakistan.

Les arguments du demandeur

[9]                 Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle aurait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu'elle aurait tirées de manière abusive et/ou arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve qui lui ont été régulièrement présentés.

[10]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit en tirant des conclusions ne reposant sur aucun élément de preuve ou reposant sur des éléments de preuve qui ne lui ont pas été régulièrement présentés. Le demandeur avance que la Commission a commis une erreur de droit en exposant mal et/ou en interprétant mal la preuve.

[11]            Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que le demandeur pouvait bénéficier d'une protection adéquate de la part de l'État au Pakistan.

[12]            D'après le demandeur, la Commission a omis à tort de fournir au demandeur un avis indiquant qu'elle déterminerait si Kotli était une possibilité de refuge intérieur (PRI).

[13]            Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en concluant que Kotli était une PRI valable.

Les arguments du défendeur

[14]            Selon le défendeur, la Commission a conclu que le demandeur n'aurait pas été privé de la protection de l'État en raison de sa confession chiite. Le défendeur prétend que la preuve documentaire démontre que les chiites sont bien intégrés à la société pakistanaise et qu'ils ne font pas l'objet de discrimination systématique.

[15]            Le défendeur soutient que le demandeur n'a pas réussi à démontrer que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la preuve dont elle était saisie.

[16]            Le défendeur avance que le demandeur n'a pas réussi à prouver que la Commission a tiré ses conclusions relatives à la possibilité de protection adéquate de la part de l'État d'une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle était saisie.

[17]            Le défendeur fait valoir que le demandeur a reçu un avis adéquat à l'audience quant à la question de la possibilité de refuge intérieur.


[18]            D'après le défendeur, le demandeur n'a pas réussi à démontrer que la Commission a tiré sa conclusion relative à la viabilité d'une PRI d'une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle était saisie.

[19]            Les questions en litige

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le demandeur bénéficiait d'une protection adéquate de la part de l'État au Pakistan?

2.          Le demandeur a-t-il été avisé suffisamment à l'avance que la « possibilité de refuge intérieur » serait une question en litige?

3.          Le demandeur peut-il présenter des arguments sur la question de la « possibilité de refuge intérieur » ?

4.          Si le demandeur peut présenter des arguments sur la question de la « possibilité de refuge intérieur » , la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait une « possibilité de refuge intérieur » au Pakistan?

Les dispositions législatives pertinentes

[20]            L'article pertinent de la Loi sur l'immigration, précitée, prévoit :


19(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui_:

[...]

d) soit ne se conforment pas aux conditions prévues à la présente loi et à ses règlements ou aux mesures ou instructions qui en procèdent, soit ne peuvent le faire.

19.(2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes:

. . .

(d) persons who cannot or do not fulfil or comply with any of the conditions or requirements of this Act or the regulations or any orders or directions lawfully made or given under this Act or the regulations.

Analyse

[21]            La norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[22]            Question 1

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le demandeur bénéficiait d'une protection adéquate de la part de l'État au Pakistan?

Dans sa décision, la Commission a fait les déclarations suivantes :

À la page 1 :

En mars 1999, cinq théologiens chiites ont tenu une rencontre dans une mosquée chiite située dans le village où vivait le revendicateur. Ils ont été victimes d'une attaque par balle et deux d'entre eux ont été tués. Le revendicateur et d'autres personnes se sont empressés d'amener les victimes à l'hôpital le plus près. Ils ont signalé l'attentat à la police. Une semaine plus tard, le revendicateur a reçu une lettre anonyme lui annonçant qu'il était le prochain sur la liste. Il est allé montrer cette lettre au poste militaire le plus

près. Le commandant a accueilli sa demande avec sympathie, mais ne pouvait assurer sa protection contre la violence confessionnelle.

Le 15 mai 1999, le commerce du revendicateur a été attaqué par deux hommes armés et une innocente victime a été tuée dans l'incident. Cette attaque a été signalée à la police, mais comme l'a expliqué le revendicateur dans son exposé des faits, les autorités ne pouvaient rien faire.


À la page 2 :

Les réponses que le revendicateur a obtenues de l'armée et de la police au moment où ses concitoyens et lui ont signalé les actes de violence perpétrés contre la petite communauté chiite de son village correspondent à l'information figurant dans la documentation que nous avons en main, à savoir que les autorités sont souvent incapables de contrer la violence confessionnelle.

[...]

À l'instar de nombreux autres documents, un magazine d'actualités relate que le pays est aux prises avec des actes de violence politique, confessionnelle et criminelle à une échelle quasi incontrôlable. La ville de Karachi, plus particulièrement, y est décrite comme un milieu propice aux crimes économiques et aux actes de vengeance personnelle, la ligne de démarcation entre les actes de violence politique, confessionnelle et criminelle étant de plus en plus floue, dans un contexte où il est facile de se procurer des armes et où la police - corrompue, démoralisée et à court de personnel - a elle-même recours aux méthodes terroristes. L'article précise que les citoyens ordinaires font de leur mieux pour survivre.

[23]            À la lumière des extraits qui précèdent, j'estime que n'était pas raisonnable la décision de la Commission selon laquelle le demandeur pouvait bénéficier de la protection de l'État.

[24]            Question 2

Le demandeur a-t-il été avisé suffisamment à l'avance que la « possibilité de refuge intérieur » serait une question en litige?

Dans l'arrêt Balasubramaniam c. Canada (Secrétaire d'État) [1994] A.C.F. no 64 (C.A.F.), aux paragraphes 3 à 5, la Cour d'appel a déclaré que :

À l'ouverture de l'audience qui s'est déroulée devant la Commission, le président de l'audience a déclaré que la Commission voulait aborder la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. L'appelant a été interrogé par l'agent d'audience et a exprimé les craintes qu'il ressentait s'il devait retourner dans les régions de Jaffna, de Colombo et de Kandy. Le président de l'audience a demandé des éclaircissements au sujet de Colombo.


L'appelant plaide devant nous que l'avis que lui a donné la Commission était insuffisant en ce qu'il ne lui permettait pas de répondre suffisamment à la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, ce qui expliquerait la pénurie d'éléments de preuve constatée par la Commission.

Il n'y a pas de doute que l'avis donné par la Commission satisfait aux exigences formulées par notre Cour que le juge Mahoney a exposées dans l'arrêt Rasaratman c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [Note omise] et qui a été par la suite confirmée par le juge Linden dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration). (non souligné dans l'original)

[25]            J'ai examiné la transcription et la Commission a fait savoir à l'avocat qui représentait le demandeur à ce moment-là que la PRI constituerait une question en litige dans l'affaire. Plus tard dans le cours de l'audience, le membre de la Commission a posé au demandeur la question de savoir si la ville de Kotli serait une PRI pour lui. À la lumière de l'état du droit exposé dans l'arrêt Balasubramaniam, précité, j'estime que le demandeur a été avisé suffisamment à l'avance que la PRI constituerait une question en litige. Je souligne également que le demandeur n'a fait aucune demande d'ajournement à la Commission en vue de préparer d'autres documents relativement à la PRI.

[26]            Question 3

Le demandeur peut-il présenter des arguments sur la question de la « possibilité de refuge intérieur » ?

Il faut souligner que l'avocat qui représentait le demandeur à l'époque n'a pas soulevé la question de la PRI dans son mémoire des faits et du droit tandis que, dans son mémoire supplémentaire, le défendeur a beaucoup élaboré sur cette question. Je ne vois donc pas en quoi le défendeur subirait un préjudice. Par conséquent, je permets au demandeur de présenter des arguments sur la question de la PRI.


[27]            Question 4

Si le demandeur peut présenter des arguments sur la question de la « possibilité de refuge intérieur » , la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait une « possibilité de refuge intérieur » au Pakistan?

La transcription figurant à la page 105 du dossier du tribunal indique ce qui suit :

[Traduction]

HOMSI                 Oui, j'en suis conscient. Mais il s'agissait d'une très petite place et il n'y avait que cinq ou six autres familles chiites. Donc, vous me dites maintenant que la ville de Kotli a une grande population chiite. Donc, disons qu'il s'agissait de considérations d'ordre financier, parce que votre famille était là, votre entreprise était là et votre maison était dans cet autre village. S'agit-il de la seule raison pour laquelle vous n'auriez pas déménagé, par exemple, à la ville de Kotli?

DEMANDEUR J'aurais déraciné mon entreprise et déménagé à la plus grande ville, mais, même dans une grande ville, les chiites ont les mêmes problèmes. Ils sont certes plus nombreux, mais ils font face à des problèmes.

La Commission a déclaré à la page 2 de sa décision que :

Dans le cadre de ce document, on estime que la population chiite représente environ de 15 à 20 % de la population et que l'escalade de la violence a commencé au milieu des années 1980, suite à la vendetta entre les chefs des partis politiques chiites et sunnites. Au début, les deux groupes avaient principalement comme cible les tireurs de la faction adverse, mais ils ont par la suite modifié leur stratégie pour s'en prendre à des personnalités des deux communautés - médecins, avocats, gens d'affaires, intellectuels et représentants du gouvernement. Plus récemment, les mesures de représailles exercées par ces groupes ont pris la forme de meurtres sans discrimination, par exemple des attaques contre des mosquées, toute personne ayant des liens même éloignés avec l'autre faction étant devenue une cible potentielle.


[28]            Je suis d'avis que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la PRI à Kotli. La transcription révèle que le demandeur a témoigné qu'il rencontrerait les mêmes problèmes dans cette ville plus grande. Si c'est vrai, Kotli ne constituerait pas une PRI pour le demandeur. La Commission n'a pas semblé aborder dans sa décision le fait que le demandeur ferait face aux mêmes problèmes dans la ville plus grande. Les observations se trouvant à la page 2 de la décision mentionnée précédemment semblent appuyer le témoignage du demandeur. Je conclus donc que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle relativement à la question de la PRI.

[29]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue sur elle.

[30]            Les parties disposent d'une semaine de la date des présents motifs pour déposer tout projet de question grave de portée générale afin que je l'examine.

« John A. O'Keefe »             Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 27 février 2002

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-6036-00

INTITULÉ :                                        ABDUL MALIK

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le jeudi 15 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE

EN DATE DU :                                   mercredi, 27 février 2002

ONT COMPARU :                           M. Daniel Kleiman

POUR LE DEMANDEUR

M. Steven Jarvis            

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Kleiman

637, rue College, suite 203

Toronto (Ontario)

M6G 1B5

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

130, rue King Ouest

Suite 3400, Exchange Tower, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

POUR LE DÉFENDEUR

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