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Date : 19980818

Dossier : T-873-93

ENTRE

                HAYDEN MANUFACTURING CO. LTD.,

                                                 demanderesse,

                              et

                   CANPLAS INDUSTRIES LTD.,

                                                 défenderesse.

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

[1] La demanderesse désire obtenir des réponses aux questions posées à Paul Henderson lors de l'interrogatoire préalable tenu les 16 et 17 janvier 1995, ainsi qu'aux questions complémentaires écrites découlant des réponses données à des questions orales qui ont été fournies sous forme écrite par la suite. Le coeur du litige porte sur la présumée contrefaçon d'un brevet relatif à une soupape d'admission ou d'aspiration pour un aspirateur central, la soupape étant conçue pour fournir une source d'électricité rendant possible le fonctionnement d'équipements de nettoyage motorisés. La demande de brevet a été présentée le 17 février 1986 par la demanderesse, mais le brevet n'a été délivré qu'environ quatre ans plus tard, soit le 17 mars 1990.   

QUELQUES PRINCIPES JURIDIQUES RÉGISSANT L'INTERROGATOIRE PRÉALABLE

[2] Les principes généraux régissant l'interrogatoire préalable et les demandes d'obtention de documents ne sont pas contestés. L'interrogatoire est généralement large, et la pertinence en est le facteur déterminant. Toutefois, il est assujetti à certaines restrictions sur lesquelles se fonde la défenderesse.

[3] En ce qui concerne la portée de l'interrogatoire préalable, la règle 240a) prévoit :         

. . . La personne soumise à un interrogatoire préalable répond, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, à toute question qui :

a)     soit se rapporte à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure déposé par la partie soumise à l'interrogatoire préalable ou par la partie qui interroge; . . .

Ainsi, de façon générale, les questions portant sur des sujets qui sont pertinents entre les parties aux fins de prouver ou de réfuter des allégations de faits non admis sont légitimes. Quant aux documents qui peuvent être demandés lors d'un interrogatoire préalable, ils se limitent à ceux qui sont susceptibles, directement ou indirectement, de permettre à une partie de faire valoir ses arguments ou de réfuter ceux de la partie adverse. Fait autorité en la matière la décision rendue dans Reading & Bates Construction Co. v. Baker Energy Resources Co., (1988) 25 F.T.R. 226 (1re inst.), à la page 230. Le problème posé par les propositions générales de ce genre réside dans le nombre de distinctions subtiles qui ont été établies relativement aux questions permises et à la nature des documents devant être produits à l'occasion des interrogatoires préalables.

[4] Dans la présente affaire, la demanderesse a avancé un certain nombre d'arguments relatifs au droit applicable, invoquant notamment la tendance canadienne à permettre un interrogatoire exhaustif afin d'éliminer la possibilité de surprise : Irish Shipping Ltd. c. La Reine, [1974], C.F. 445 (1re inst.), à la page 449. Elle aussi prétendu que, bien que les renseignements demandés lors d'un interrogatoire puissent n'être que très peu pertinents, les questions à leur sujet devraient être permises, même au risque d'étendre la portée de l'affaire, le juge du procès ayant le rôle d'évaluer la pertinence de ces éléments de preuve : Sperry Corporation v. John Deere Ltd. (1982), 64 C.P.R. (2d) 217 (C.F. 1re inst.), à la page 221. Enfin, elle a fait valoir que le succès commercial constituait un domaine propice à l'interrogatoire dans le contexte du caractère évident : James River Corporation of Virginia v. Hallmark Cards Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 157, aux pages 163 et 164 (C.F. 1re inst.) et Procter and Gamble v. Kimberly-Clark of Canada Ltd. (1991), 35 C.P.R. (2d) 321, à la page 325 (C.F. 1re inst.).

[5] Toujours en ce qui concerne le droit applicable, et plus particulièrement les actions sur contrefaçon de brevet, il n'existe clairement aucune obligation de répondre aux questions visant à obtenir un avis d'expert, mais, par contre, les questions nécessitant des réponses factuelles sont légitimes dans la mesure où les renseignements recherchés portent sur les faits et font partie de la connaissance générale de la partie interrogée. Cela est établi dans l'une des conclusions tirée par madame le juge Reed dans Foseco Trading A.G. v. Canadian Ferro Hot Metals Specialties Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35, à la page 52 :

La Cour d'appel fédérale a clairement dit que lorsque la preuve sollicitée est de la nature de l'avis d'un expert, cette preuve doit être communiquée conformément à la règle 482, et les réponses aux questions s'y rapportant n'ont pas à être fournies lors de l'interrogatoire préalable. Elle a aussi précisé que lorsque la question vise incontestablement à obtenir l'avis du témoin, il n'y a pas lieu d'y répondre. Il m'a toutefois été impossible de trouver une énonciation du principe qu'il convient d'appliquer dans une cause comme celle qui nous occupe, où les renseignements demandés ont un caractère technique (et pourraient, pour cette raison, être fournis dans l'affidavit d'un témoin expert), mais sont connus de la partie demanderesse et lorsque la question a un caractère factuel, bien qu'on puisse dire qu'elle oblige le témoin à exprimer un avis, dans la mesure où de nombreuses affirmations de « fait » nécessitent l'expression d'une « opinion » . Je suis donc d'avis que dans de tels cas, le principe qui doit s'appliquer est que le caractère factuel de la question a la préséance, et qu'une réponse doit être fournie à la question. Par conséquent, je conclus que le protonotaire s'est fondé sur un principe erroné et que la question devrait obtenir une réponse.

[6] Bien entendu, une certaine limite doit être apportée aux principes généraux permettant les interrogatoires exhaustifs car, compte tenu des ressources des tribunaux et des préoccupations relatives aux coûts, à l'encombrement, et aux délais, accorder aux parties le droit de procéder à des interrogatoires longs et détaillés sur des éléments d'une pertinence minime constituerait un luxe qu'on ne peut se permettre. Abordant de nouveau la décision Reading & Bates (précitée), à la page 230, j'en tire six principes généraux qui restreignent de façon raisonnable l'étendue des interrogatoires en général et dont je m'inspire en l'espèce :

1.Les documents auxquels les parties ont droit sont ceux qui sont pertinents. La pertinence est une question de droit et non de pouvoir discrétionnaire. Pour trancher la question de la pertinence, le critère à appliquer est de savoir si les renseignements obtenus peuvent permettre directement ou indirectement à une partie de faire valoir ses arguments ou de réfuter ceux de son adversaire.

2.Le témoin n'est pas tenu de répondre aux questions qui sont trop générales ou sollicitent un avis, ou qui ne font pas l'objet de l'instance.

3.L'interrogatoire préalable ne peut porter que sur les questions qui sont pertinentes par rapport aux faits allégués plutôt que par rapport aux faits qu'une partie a l'intention d'établir, de sorte que la pertinence, dans le cadre de l'interrogatoire préalable, limite les questions posées à celles qui tendent à démontrer ou à réfuter des allégations de fait non admis.

4.La Cour ne devrait pas obliger la partie interrogée à répondre aux questions qui, bien qu'elles puissent être pertinentes, ne sont pas susceptibles de bénéficier à la cause de la partie qui procède à l'interrogatoire.   

5.Avant d'obliger une personne à répondre à une question à un interrogatoire préalable, la Cour doit apprécier la probabilité de l'utilité de la réponse en fonction du temps, du mal et des frais que nécessite son obtention, ainsi que de la difficulté qu'elle comporte : « La décision doit être raisonnable et équitable, vu les circonstances : . . . » (loc.cit.).

6.Il faut décourager les recherches à l'aveuglette faites au moyen de questions vagues, d'une grande portée ou non pertinentes.

Ces restrictions imposent des limites raisonnables aux interrogatoires préalables. De plus, je n'ai pas omis de tenir compte de la jurisprudence particulière invoquée par l'avocat de la défenderesse à l'encontre de la demande, mais j'y reviendrai en temps opportun.

EXAMEN         

L'évidence et l'étude de marché

[7] Dans le premier groupe de questions de la demanderesse, soit les questions 167, 168, 175, 182 à 185, 434 à 438, 441 et 442, 543, 913 et 914, les points litigieux concernaient la perception de la défenderesse à l'égard du besoin d'une soupape d'aspiration contenant des contacts électriques et les études de marché faites par la défenderesse en 1991. Au départ, la demanderesse avait qualifié ces questions comme se rapportant à la contrefaçon (voir la page 35 de la transcription de l'interrogatoire préalable de M. Henderson). La demanderesse a ensuite affirmé qu'elles se rapportaient au caractère évident. Le changement de cheval de bataille à l'improviste donne à penser qu'elle se livre à une partie de pêche. Toutefois, ce n'est pas pour ce motif que je refuse de permettre les questions.

[8] L'avocat de la défenderesse a soutenu que le critère de l'évidence est objectif, l'antériorité et la connaissance générale commune se prouvant uniquement par expert et toute connaissance particulière de la défenderesse sur l'état actuel de la technique n'ayant aucune pertinence : Westinghouse Electric Corporation v. Babcock & Wilcox Industries Ltd. (1987), 15 C.P.R. (3d) 447, à la page 449, décision rendue par le juge Strayer, alors juge à la Section de première instance. Par contre, l'avocat de la demanderesse a fait valoir que ces questions ne relevaient pas de l'avis d'expert, mais plutôt de renseignements factuels d'ordre technique connus par le témoin, rendant ainsi applicable à leur égard l'affaire Foseco Trading A.G., dont j'ai déjà fait état. Même en donnant le bénéfice du doute à la demanderesse et en supposant qu'elle aie raison, la question n'en est pas pour autant réglée.

[9] La date à laquelle on doit se placer pour décider s'il y a évidence est celle de l'invention de l'appareil breveté (Hughes and Woodley on Patents, Butterworths, numéro 36-7/98, à la page 349). Dans Risi Stone Ltd. v. Groupe Permacon Inc. (1994), 56 C.P.R. (3d) 381, aux pages 386 et 378, le juge Nadon a souligné que, sauf dans certains cas inapplicables en l'espèce, la mise au point d'un produit présumément contrefait n'est pas pertinent : voir également Kun Shoulder Rest Inc. v. Joseph Kun Violin and Bow Maker (1998), 76 C.P.R. (3d) 488, à la page 492. La mise au point ultérieure d'un produit présumément contrefait n'a aucune importance si elle a eu lieu après l'époque pertinente pour évaluer l'évidence. En l'espèce, la demande de brevet a été présentée en 1986 par la demanderesse et le brevet a été délivré en mars 1990. Toutefois, l'étude de marché de la défenderesse n'a été faite qu'en 1991, soit environ cinq ans après la demande de brevet. La défenderesse n'est pas tenue de répondre aux questions du groupe susmentionné ni de produire des documents en plus de ceux qu'elle a déjà produit de son gré.

Le devoir de s'informer

[10]La question 288 portait sur la fonction d'une certaine composante apparemment munie d'une prise électrique adjacente à une entrée d'air. Le témoin de la défenderesse a affirmé que cette dernière avait communiqué tout ce qu'elle savait à l'égard de la nature apparente de la composante, soit une prise électrique, et, à la page 60 de la transcription, il a accepté de vérifier si elle possédait des renseignements supplémentaires. Cela est légitime puisqu'un témoin interrogé au nom d'une société a l'obligation de se renseigner sur les faits. Cette obligation peut même comporter la cueillette de renseignements auprès des cadres, employés et mandataires de l'entreprise : voir, par exemple, Sperry Corporation v. John Deere Ltd. (1984), 82 C.P.R. (2d) 1, à la page 12. Dans cette affaire, le juge McNair de la Cour fédérale a restreint le devoir de s'informer en faisant remarquer que diverses personnes n'y étaient pas soumises, dont les anciens employés et les tiers qui n'étaient ni sous le contrôle de la société ni facilement disponibles :               

Ce devoir de s'informer ne s'étend pas aux anciens employés, aux témoins dans des procédures antérieures, ou à d'autres tiers qui ne sont pas, au moment de l'interrogatoire, sous le contrôle de la société et facilement disponibles pour fournir les renseignements recherchés. (loc. cit.)

Le juge en chef Isaac a étudié cette question avec soin dans Crestbrook Forest Industries Ltd. v. Minister of National Revenue (1993), 153 N.R. 122, à partir de la page 130. Le juge en chef, s'exprimant au nom de la Cour d'appel, était d'avis que la Cour pouvait ordonner à une partie interrogée de recueillir des renseignements d'un tiers si ceux-ci étaient pertinents et si la compagnie était en mesure de les obtenir. Si je comprends bien Crestbrook Forest Industries, le témoin doit faire de son mieux pour recueillir les renseignements des tiers, mais, outre les cas exceptionnels, la Cour ne doit pas rendre une ordonnance péremptoire prévoyant que le défaut de répondre entraînera la radiation de la déclaration ou de la défense, selon le cas. Dans la présente affaire, le témoin de la défenderesse devra faire de son mieux pour obtenir les renseignements relatifs à la nature du raccord en cause et devra rendre compte du résultat ainsi que des efforts faits. Exiger davantage de ce témoin irait non seulement à l'encontre des principes énoncés dans Crestbrook Forest Industries, mais pourrait causer des délais, du mal, des frais et des difficultés disproportionnés par rapport à l'utilité d'une réponse sur la question de savoir si la pièce d'équipement a une fonction autre que celle dictée par son apparence.

Les questions supplémentaires en interrogatoire préalable

[11]Le dernier groupe de questions découlait des réponses fournies, par lettre datée du 22 juillet 1997, à des questions restées en suspens lors de l'interrogatoire. Ce groupe général de questions se divise en trois groupes distincts : en premier lieu, il y a les questions relatives à l'évidence et à l'antériorité, soit les questions 263, 269, 334 et 342; en deuxième lieu, il y a la question 871, qui porte sur les ventes de la défenderesse et sur la contrefaçon; en troisième lieu, il y a la question 939, qui concerne la validité du brevet.

[12]La prétention générale de la défenderesse est qu'une partie ne peut, en vertu de la règle 234(1), procéder à un interrogatoire préalable en partie oralement et en partie par écrit sans l'autorisation de la Cour ou le consentement de la partie adverse. La défenderesse a invoqué l'affaire Satellite Earth Station Technology Inc. v. The Queen, [1994] 2 C.T.C. 61, dans laquelle un interrogatoire préalable par écrit avait eu lieu en vertu de l'ancienne règle 466.1, qui prévoyait « . . . une liste de questions concises et numérotées séparément auxquelles la partie adverse devra répondre » . Il a été décidé que la demanderesse n'avait pas le droit de produire des questions écrites supplémentaires ni des questions écrites complémentaires. Bien que la règle 234(1) actuelle soit claire, c.-à-d. que, sans autorisation ou consentement, l'interrogatoire préalable ne peut être qu'oral ou écrit, ni cette règle ni l'affaire Satellite Earth Station Technology ne sont d'une quelconque utilité. Si je comprends bien la présente affaire, la défenderesse a fourni des réponses écrites à des questions orales posées lors de l'interrogatoire préalable, ce qui est parfois une approche sensée, au lieu de fixer une deuxième ronde d'interrogatoires. La demanderesse souhaite maintenant que des réponses soient apportées à des questions complémentaires écrites. Cela est très différent d'un interrogatoire préalable mené oralement. En effet, la possibilité de fournir des réponses écrites supplémentaires existait en vertu de l'ancienne règle 465.2(2) et existe encore en vertu de la règle 244(2) actuelle. La question litigieuse est donc de savoir si, en l'espèce, les réponses écrites découlant de l'interrogatoire préalable mené en vertu des règles 244(2) et (3) peuvent donner lieu à des questions supplémentaires :

(2)    La personne contrainte de mieux se renseigner fournit les renseignements demandés par la partie en se soumettant à nouveau à l'interrogatoire préalable oral ou, avec le consentement des parties, en fournissant les renseignements par écrit.

(3)    Les renseignements donnés aux termes du paragraphe (2) sont réputés faire partie de l'interrogatoire préalable.                        

La règle 244(2) permet clairement à un témoin qui ignore la réponse à une question de faire des vérifications supplémentaires et, si les parties y consentent, de fournir des réponses écrites. Ces réponses font alors partie de l'interrogatoire préalable. Il s'ensuit logiquement que ces réponses peuvent être remises en doute au moyen de questions légitimes en découlant. Or, la règle 244 ne prévoit aucunement la possibilité d'un échange de questions et réponses écrites à la suite des réponses écrites originales, à moins que les parties n'y consentent ou que la Cour ne l'ordonne. Il s'agit peut-être d'un effet pervers de la pratique informelle des avocats qui consiste à fournir des réponses écrites aux questions orales auxquelles le témoin était incapable de répondre au départ. Cependant, la règle peut aussi être interprétée comme reconnaissant que l'interrogatoire préalable doit avoir une fin car il n'est « . . . pas une procédure indéfinie et illimitée » : John Labbatt Ltd. v. Molson Breweries, A Partnership (1997), 69 C.P.R. (3d) 126, à la page 128.

[13]Dans l'affaire John Labbatt, le juge Rouleau s'est penché sur une requête visant à enjoindre à la demanderesse de se soumettre de nouveau à un interrogatoire préalable afin de répondre à des questions découlant des réponses écrites et des documents fournis à la suite du premier interrogatoire. La même situation se présente en l'espèce, la demanderesse, Hayden Manufacturing Co. Ltd., cherchant à obtenir des réponses aux questions découlant des réponses écrites du 22 juillet 1997. Dans l'affaire John Labbatt, à l'occasion de laquelle, à mon avis, se présente la même situation qu'en l'espèce, les interrogatoires préalables n'étaient pas officiellement terminés, mais bien remis. La différence réside dans le fait que dans John Labbatt, la partie interrogée a donné avis qu'elle se soumettrait de nouveau à l'interrogatoire pour un nombre limité de jours. La partie adverse connaissait et acceptait ce fait. C'est cela qui a été l'élément décisif de la décision du juge Rouleau d'empêcher la tenue d'un interrogatoire supplémentaire en interdisant les questions complémentaires, mais en permettant à la défenderesse de donner suite à quinze questions auxquelles le témoin avait été incapable de répondre, et non pas du droit procédural restreignant les questions découlant de réponses écrites subséquentes à des questions orales posées lors de l'interrogatoire.

[14]En l'espèce, sous réserve que les questions soient légitimes, élément que j'aborde sous peu, la demanderesse peut interroger de nouveau la défenderesse, mais il doit s'agir d'un interrogatoire oral car il ne servirait à rien de permettre un échange de questions supplémentaires et de réponses écrites qui ouvriraient la porte à d'autres questions supplémentaires.

(i)L'évidence et l'antériorité

[15]Le critère de l'invalidité au motif de l'évidence implique l'habileté perspicace d'un technicien compétent mais complètement dépourvu d'esprit inventif : un tel technicien constitue la norme par laquelle l'évidence est évaluée. Cela est résumé de façon digne de mention par le juge Hugessen, de la Cour d'appel, dans Beloit Canada Ltd. v. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294 :

      Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[16]En ce qui concerne l'antériorité, une invention ne doit pas avoir été couverte par un autre brevet ou une autre publication car, dans un tel cas, elle ne jouirait pas de la nouveauté requise pour faire l'objet d'un brevet. Lorsqu'une partie conteste la nouveauté ou invoque l'antériorité, la partie adverse a le droit de savoir sur quelles parties des brevets antérieurs ou des publications elle se fonde, et ces renseignements doivent être précis : voir, par exemple, Dek-Block Ontario Ltd. c. Béton Bolduc (1982) Inc., une décision non publiée rendue le 20 mai 1998 par le juge Richard dans le dossier T-1334-97, aux pages 4 et 5. Le juge Richard a souligné, à cette occasion, que les questions de cette nature n'exigeaient pas l'interprétation d'un brevet et qu'elles étaient donc légitimes dans le cadre d'un interrogatoire préalable. J'ai examiné les questions de la présente catégorie à la lumière de la définition de l'évidence, en tenant compte du droit de la demanderesse en vertu de l'affaire Dek-Block et en me demandant s'il s'agissait de véritables questions complémentaires.

[17]La question 263 portait sur la marque de commerce d'une autre compagnie et a fait l'objet d'une réponse. L'avocat procédant à l'interrogatoire a alors poursuivi en demandant si la défenderesse se fonderait sur un document particulier. La réponse étant affirmative, cette dernière s'est engagée à informer la partie adverse qu'elle se fonderait sur [TRADUCTION] « . . . l'utilisation et la vente publiques d'une soupape d'admission (4940) comportant une prise interne adjacente à l'entrée d'air » . Pour décider si une question est légitime ou si des questions complémentaires doivent être permises, je peux examiner d'autres questions posées dans le même contexte. En réponse aux questions 265 à 267, le témoin de la défenderesse a affirmé qu'à sa connaissance, il avait dévoilé l'ensemble des renseignements que celle-ci possédait sur le raccord en cause. Un engagement selon lequel la compagnie vérifierait l'existence de renseignements supplémentaires a été pris. En conséquence, les questions supplémentaires qui découlent de la question 263 et qui portent sur l'utilisation d'une prise interne située dans la soupape d'admission, sont légitimes.     

[18]La question 269 portait sur la date de la vente ou sur celle de la connaissance publique de cette soupape d'admission. En réponse à l'engagement de dévoiler la date la plus ancienne, la défenderesse a dit que la soupape avait été conçue au début des années 1970 et mise sur le marché au moins aussi tôt que l'objet du document no 41. Les questions complémentaires à l'égard des faits fondant la croyance que la soupape avait été conçue au début des années 1970, ainsi qu'une demande de renseignements relatifs à la vente de la soupape au Canada, sont légitimes.

[19]La question 334 a donné lieu à un engagement de vérifier si la compagnie disposait de renseignements supplémentaires sur une conduite de 110 volts pour des têtes motorisées. En réponse, la compagnie a fait part du fait qu'il s'agissait d'un tuyau d'aspirateur contenant un conducteur de 110 volts se rendant de la sortie à la tête motorisée. La première partie de la question supplémentaire, c.-à-d., savoir si la sortie à laquelle la défenderesse a fait référence est située dans une soupape d'admission donnée, est légitime. La deuxième partie de la question, savoir s'il [TRADUCTION] « s'agissait d'une sortie d'alimentation pour une tête motorisée » , est superflue car la réponse ressortait clairement de l'engagement.

[20]La question 341 concernait le branchement d'un tuyau d'aspirateur dans une soupape d'admission, par lequel le contrôle électrique passe d'un commutateur de soupape à un commutateur situé sur la poignée du tuyau. La demanderesse voulait savoir si la défenderesse avait [TRADUCTION] « des renseignements sur ce qu'est un commutateur de soupape? » , question qui a donné lieu à une réponse négative mais qui a fait l'objet d'un engagement de vérifier de nouveau. La défenderesse a alors réagi à l'engagement en disant que [TRADUCTION] « le commutateur de soupape se trouve dans la pièce « B » de l'interrogatoire de W. Westman » . La demanderesse désire maintenant que ce commutateur soit identifié et que des renseignements soient fournis sur la façon dont le contrôle électrique est détourné du commutateur de soupape lorsque le tuyau est branché dans la soupape d'admission et sur la question de savoir si le commutateur alimente une tête motorisée. La défenderesse devra identifier le commutateur de soupape sur une copie de la pièce, mais, à moins que le mode d'opération et de fonctionnement du commutateur ne constituent des renseignements techniques de nature factuelle connus du témoin, la défenderesse n'a pas l'obligation de répondre à la deuxième et à la troisième partie de la question complémentaire 342.                               

(ii)Ventes par la défenderesse et contrefaçon

[21]Dans ses arguments écrits, la demanderesse a souligné que la vente d'articles contrefaits était pertinente dans le contexte de la responsabilité, s'appuyant sur Domco Industries Ltd. v. Mannington Mills Inc. (1990), 29 C.P.R. (3d) 481 (C.A.F.) et Béloit Canada Ltd. v. Valmet-Dominion Inc. (1997), 73 C.P.R. (3d) 321 (C.A.F.).

[22]La déclaration allègue la contrefaçon au moyen de la fabrication et de la vente de soupapes d'aspiration au Canada. La Loi sur les brevets ne définit pas la contrefaçon, mais celle-ci comprend la contravention au monopole de fabrication et de vente de l'appareil breveté, dont la vente doit avoir lieu au Canada. La mise en marché et l'activité génératrice de ventes sont pertinentes.

[23]À la suite de la question 871, il a été demandé à la défenderesse de produire des copies de l'ensemble des listes de prix relatives à la soupape, ce qui a donné lieu à un litige. Or, les questions et réponses entourant la question litigieuse sont aussi pertinentes, car il est clair selon le témoin que, bien que des listes de prix soient fournies à des clients, il ne s'agit pas de clients situés au Canada, et que la défenderesse n'a jamais contracté avec des clients au Canada. La preuve est contradictoire sur ce point, car la réponse écrite découlant de la demande de fournir les listes de prix mentionne qu'il n'existe aucune liste de prix publiée.

[24]Les questions complémentaires que désire poser la demanderesse mettent en lumière la contradiction qui existe entre l'affirmation du témoin selon laquelle il existe des listes de prix et la réponse écrite ultérieure selon laquelle il n'en existe pas, et j'estime que des questions complémentaires à ce sujet sont légitimes, comme le sont les questions portant sur les modalités de livraison et de transfert de propriété. Bien entendu, celui qui vend à l'étranger l'invention brevetée ne contrevient pas à la législation canadienne en matière de brevets, mais la demanderesse a le droit de chercher à savoir, lors de l'interrogatoire préalable, à quel endroit ont lieu la vente et le transfert de propriété de ces articles fabriqués au Canada. Les questions complémentaires sont donc légitimes.

(iii) Validité du brevet

[25]La question litigieuse en l'espèce est la prétention de la défenderesse que la réclamation de la demanderesse relativement à une plaque murale pour la soupape d'admission, dont il est question aux revendications 3 et 10 du brevet, a été volontairement exagérée. Elle soutient que cette plaque faisait partie du domaine public, étant vendue au Canada par la demanderesse sous le modèle T-31 au moins depuis 1982.

[26]À la question 939 de l'interrogatoire préalable de M. Henderson, l'avocat de la demanderesse a voulu savoir si la défenderesse établissait un lien entre, d'une part, les revendications 3 et 10 du brevet et, d'autre part, la plaque murale T-31. La réponse écrite fournie à cette question a été que le lien a été établi au cours des recherches relatives à la présente poursuite. Cela est manifeste, étant donné que le plaidoyer de réclamation volontairement exagérée n'a été ajoutée à la défense et demande reconventionnelle que cinq mois plus tard, au moyen d'une modification.

[27]Dans le cadre des questions supplémentaires écrites, il a d'abord été demandé à la défenderesse d'identifier la plaque murale, que cette dernière croyait visée par les revendications 3 et 10, avant de faire un lien entre celles-ci et la plaque murale T-31 de la demanderesse et, ensuite, il lui a été demandé si, avant de faire ce lien, elle croyait que les revendications 3 et 10 avaient pour objet la plaque murale qui était utilisée avec la soupape électrifiée de la demanderesse.

[28]Ces questions supplémentaires ne sont pas légitimes, et je ne les permets pas car la demanderesse a reçu une réponse écrite appropriée à sa question 939. Les nouvelles questions ne découlent pas de cette réponse.

CONCLUSION

[29]Il est permis à la demanderesse de tenir un nouvel interrogatoire préalable oral, dans le cadre des restrictions énoncées dans les présents motifs et dans l'ordonnance jointe, et de poser toute question légitime découlant des réponses fournies.

[30]Le sort de la présente demande étant mitigé, les dépens suivront l'issue de l'affaire.

                                           « John A. Hargrave »

                                               Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 20 août 1998.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE :                   le 20 août 1998

NO DU GREFFE :           T-873-93

INTITULÉ DE LA CAUSE : HAYDEN MANUFACTURING CO. LTD.

                        c.

                        CANPLAS INDUSTRIES LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :     Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

en date du 20 août 1998

COMPARUTIONS :

M. Timothy Lo            pour la demanderesse

M. Stephen Shoshan       pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar           pour la demanderesse

Vancouver, (C.-B.)

Piasetzky and Nenniter pour la défenderesse

Toronto (Ont.)

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