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     Date : 19981030

     Dossier : IMM-130-98

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

     ZAFAR IQBAL SABIR,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés, j'annule la décision de la SSR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision. Toutefois, je lui ordonne de rendre cette nouvelle décision en tenant compte du dossier qui a été produit à l'audience visée par la demande de contrôle judiciaire et de tenir pour avérée la conclusion non contestée de la SSR selon laquelle " il existe davantage qu'une simple possibilité que [le demandeur] soit persécuté s'il retourne maintenant à Dandi, où il a exercé ses activités politiques, ou à Lahore, où il a travaillé comme chauffeur de taxi ". En conséquence, j'ordonne que la nouvelle décision soit axée sur la question de savoir si Karachi constitue une possibilité de refuge intérieur en ce qui a trait tant à la persécution pour des motifs politiques qu'à la persécution ethnique.

     DOUGLAS R. CAMPBELL

                                     juge

OTTAWA (ONTARIO)

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19981030

     Dossier : IMM-130-98

ENTRE :

     ZAFAR IQBAL SABIR,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]      Dans sa décision du 23 décembre 1997, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce que, bien qu'il ait été prouvé qu'il existe davantage qu'une possibilité raisonnable qu'il soit persécuté s'il retourne à Dandi ou à Lahore, au Pakistan, tel ne serait pas le cas s'il vivait à Karachi. Le demandeur prétend que cette conclusion ne tient pas compte de la preuve versée au dossier du tribunal et qu'elle comporte donc une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[2]      La conclusion de la SSR selon laquelle Karachi offre une possibilité de refuge intérieur (PRI) au demandeur dépend manifestement d'une connaissance exacte de la situation politique au Pakistan en général, et à Karachi en particulier. Sur ce point, comme il incombe au revendicateur du statut de réfugié de prouver qu'il existe une possibilité réelle qu'il soit persécuté partout au Pakistan, y compris à Karachi, région qui lui offrirait censément une PRI1, l'avocat du demandeur, Me Birginder P.S. Mangat, a versé quelque 234 documents d'information au dossier du tribunal. Le principal argument de Me Mangat porte que la décision concernant la PRI a été rendue sans qu'il soit tenu compte de cette preuve2.

[3]      La brève décision de la SSR, citée intégralement ci-dessous, ne fait mention d'aucun élément de preuve documentaire à l'appui de la conclusion concernant la PRI, si ce n'est un document menant à sa conclusion qu'on peut circuler librement au Pakistan. Il n'est pas difficile de comprendre comment a pu surgir de ce fait la crainte que la SSR n'ait pas tenu compte de l'information déposée. Bien que je puisse en principe tenir pour acquis que la SSR a, de bonne foi, tenu compte de la preuve produite, en l'absence de renvois ou d'une analyse quelconque révélant comment la conclusion contestée a été tirée, je dois m'en remettre aux quelques mots de la conclusion même pour déterminer si, en fait, elle est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée sans qu'il soit tenu compte de la preuve.

[4]      Voici le texte intégral de la décision de la SSR :

         [Traduction] Zafar Iqbal SABIR (le revendicateur) est un chauffeur de taxi pakistanais âgé de 37 ans, qui revendique le statut de réfugié en raison de son opinion politique.         
         ALLÉGATIONS         
         Le revendicateur a commencé à faire du bénévolat pour le Parti du peuple pakistanais (PPP) en 1990. En 1993, il a travaillé pour le candidat du PPP dans sa circonscription locale et il a commencé à recevoir des menaces de la part de la Ligue musulmane du Pakistan (PML). En 1994, des brigands du PML l'ont interpellé et ont tenté de le convaincre de se joindre au PML. Ils l'ont giflé, lui ont assené des coups de pied et lui ont fait des menaces. Un autobus loué par le revendicateur pour transporter des personnes à un rassemblement du PPP à Lalamusa a été arrêté par des brigands du PML en septembre 1995, des coups de feu ont été tirés en l'air et l'autobus a été contraint de faire demi-tour. Le revendicateur a commencé a recevoir des menaces continuelles. Le candidat du PML à l'assemblée nationale l'a menacé en lui envoyant un message portant qu'il devait se joindre au PML, sans quoi il serait tué. En octobre, le revendicateur s'est fait dire qu'on lui laissait une dernière chance de se joindre au PML. Craignant que le PPP soit défait, le revendicateur s'est enfui du Pakistan.         
         QUESTION EN LITIGE         
         Le revendicateur a-t-il une possibilité de refuge intérieur viable?         
         DÉCISION         
         La Section du statut de réfugié conclut que le revendicateur n'est pas un réfugié au sens de la Convention pour les motifs qui suivent. Le revendicateur peut s'installer à Karachi en toute sécurité et il est raisonnable qu'il le fasse compte tenu des circonstances.         
         ANALYSE         
         Le tribunal a noté que le revendicateur n'attirait pas l'attention comme membre actif du PPP, et qu'il n'a jamais occupé de charge au sein de ce parti. Le revendicateur craint d'être persécuté par les brigands du PML qui l'ont malmené à différentes occasions depuis qu'il a commencé à faire du bénévolat pour le PPP à Dandi. Le revendicateur craint d'être persécuté par les brigands du PML dirigés par Mansoor Shah, qui a été élu au Parlement à titre de représentant local lors des récentes élections. Le PML a également été élu au niveau provincial dans la circonscription du revendicateur. Le tribunal a conclu que, compte tenu de la situation de force actuelle du PML dans la région du revendicateur, il existe davantage qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté s'il retourne maintenant à Dandi, où il a exercé ses activités politiques, ou à Lahore, où il a travaillé comme chauffeur de taxi.         
         Le tribunal a conclu que le risque que le revendicateur soit persécuté par les brigands de Mansoor Shah n'existe que localement. Aucun élément de preuve n'a été produit pour établir que l'influence de M. Shah s'étend au-delà de son district électoral local ou que ses brigands errent comme bon leur semble pour malmener les personnes qui n'attirent pas l'attention sur le plan politique, comme le revendicateur, à l'extérieur de leur région immédiate. Le tribunal a noté que le revendicateur n'attirait pas l'attention et conclu qu'il n'existe pas de risque raisonnable que Mansoor Shah donne à ses brigands la directive de malmener le revendicateur s'il s'installe à Karachi.         
         Le revendicateur a affirmé dans son témoignage craindre les policiers de Karachi. Le tribunal a noté qu'aucune allégation n'a été faite selon laquelle une accusation pèserait contre le revendicateur au Pakistan. Le tribunal conclut donc qu'il n'existe pas de risque raisonnable que le revendicateur soit persécuté par les policiers s'il s'installe à Karachi.         
         Les Reports on Human practices du Department of State des États-Unis révèlent qu'il est possible de circuler librement au Pakistan [Pièce R-1(3), article 1.1, à la page 19]. Le revendicateur a reconnu dans son témoignage que des Punjabis vivent à Sindh.         
         Le revendicateur a travaillé pendant de nombreuses années comme chauffeur de taxi à Lahore et, de l'avis du tribunal, rien ne l'empêche de faire la même chose à Karachi. Il a une connaissance moyenne de l'ourdou. Le tribunal conclut que, compte tenu des circonstances dans lesquelles se trouve le revendicateur, il est raisonnable qu'il s'installe à Karachi.         
         Le tribunal reconnaît que de la violence endémique existe à Karachi, mais il note que de la violence endémique existe partout au Pakistan.         
         Pour ces motifs, le tribunal conclut que Zafar Iqbal Sabir n'est pas un réfugié au sens de la Convention.         

[5]      L'une des conclusions importantes de la SSR porte que le demandeur n'attire pas l'attention comme membre actif du PPP dans sa collectivité d'origine à Dandi. Bien que la transcription du témoignage du demandeur lors de l'audience devant la SSR établisse que l'une de ses fonctions principales consistait à faire campagne auprès des membres de la collectivité locale et à chanter les louanges du PPP, il est important de souligner que, de son propre avis, le revendicateur attirait beaucoup l'attention. C'est ce qui ressort de ses propos :

         [Traduction] ...         
         Le parti d'opposition était jaloux des raisons pour lesquelles ce travail était effectué parce qu'il ne voulait pas des pauvres, ils doivent recevoir une certaine éducation et apprendre -- ils doivent étudier et devenir savants. Pour cette raison je suis devenu très connu dans mon milieu pour mon travail actif. Et pour cette raison, la Ligue musulmane en avait contre moi. Et tous ces problèmes et ces difficultés sont -- que j'ai eus étaient dus à ça.3         

[6]      Compte tenu de cette preuve, je partage l'opinion du demandeur selon laquelle il est juste de qualifier le demandeur de " militant ". Je conclus que la description que la SSR a faite du demandeur est contraire à la preuve.

[7] La conclusion de la SSR portant que " [l]e revendicateur a travaillé pendant de nombreuses années comme chauffeur de taxi à Lahore et, de l'avis du tribunal, rien ne l'empêche de faire la même chose à Karachi " crée l'impression que le demandeur se fondra simplement dans la population de Karachi et deviendra invisible au yeux de ceux qui le persécutent pour des motifs politiques.

[8]      L'avocat du demandeur a soutenu, à juste titre, qu'on ne peut tenir pour acquis que le demandeur mettra fin à ses activités politiques ou mettra son image politique en veilleuse simplement parce qu'il s'installe à Karachi. Selon moi, en l'absence d'une preuve émanant du demandeur selon laquelle il a l'intention de modifier ses activités politiques, la SSR aurait dû évaluer la possibilité qu'il soit persécuté à Karachi en se fondant sur le moyen établi, soit qu'il est persécuté pour des motifs politiques parce qu'il est un militant du PPP.

[9]      La SSR n'a aucunement mentionné la volumineuse compilation de documents que le demandeur a produite afin de faire la preuve de la persécution pour des motifs politiques qui a cours au Pakistan, et en particulier à Karachi, et qui contient beaucoup d'éléments de preuve crédibles selon lesquels les membres et les militants du PPP étaient persécutés à Karachi en 19974. En rendant la décision qu'elle a rendue, sans commenter cette preuve, la SSR risque qu'il soit conclu qu'elle l'a bel et bien rendue sans tenir compte de la preuve. Et c'est effectivement la conclusion à laquelle je suis arrivé, compte tenu de la crédibilité de la preuve et des remarques laconiques formulées dans la décision sur cette question.

[10]      Avant l'audience de la SSR, au moment de la sélection préliminaire du dossier du demandeur, la possibilité de refuge intérieur a été identifiée comme une question à trancher, alors que celle de l'origine ethnique du demandeur ne l'a pas été. Toutefois, lorsque la SSR a concentré son attention sur Karachi, comme PRI éventuelle, le demandeur a fait valoir que cette possibilité n'existait pas en raison de la persécution pour des motifs politiques et d'origine ethnique. Voici l'argumentation présentée à cet égard par l'avocat du demandeur devant la SSR :

         [Traduction] Le revendicateur est - le tribunal est expert en la matière, il a examiné tellement de dossiers du MPM et il est au courant de la nature de la violence interethnique qui a cours à Karachi.         
         Les Mohajirs ont commis de actes de violence contre d'autres groupes ethniques à Karachi et c'est pourquoi une opération de nettoyage se poursuit depuis cinq ans et l'armée y est présente.         
         Monsieur, je soutiens que Karachi et Sindh n'offrent pas de PRI raisonnable.         
         Le revendicateur y a réfléchi et a écarté la PRI.5         

[11]      À l'appui de ses arguments, Me Mangat s'est reporté aux documents d'information qui établissent qu'il y a de la persécution ethnique à Karachi, ce qui toucherait probablement le demandeur s'il s'installait là6.

[12]      La décision de la SSR ne fait pas mention de la persécution ethnique. Étant donné que la SSR a identifié Karachi comme PRI éventuelle et que le demandeur a répondu en soulevant la question de la persécution ethnique, je suis d'avis que le demandeur a droit à une conclusion sur ce point important. Selon moi c'était une erreur que de ne pas lui en fournir une.

[13]      Je suis d'avis que les erreurs constatées donnent ouverture au contrôle judiciaire; en conséquence, j'annule la décision de la SSR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision. Toutefois, je lui ordonne de rendre cette nouvelle décision en tenant compte du dossier qui a été produit à l'audience visée par la demande de contrôle judiciaire et de tenir pour avérée la conclusion non contestée de la SSR selon laquelle " il existe davantage qu'une simple possibilité que [le demandeur] soit persécuté s'il retourne maintenant à Dandi, où il a exercé ses activités politiques, ou à Lahore, où il a travaillé comme chauffeur de taxi "7. En conséquence, j'ordonne que la nouvelle décision soit axée sur la question de savoir si Karachi constitue une possibilité de refuge intérieur en ce qui a trait tant à la persécution pour des motifs politiques qu'à la persécution ethnique.

     DOUGLAS R. CAMPBELL

                                         juge

OTTAWA (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-130-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Zafar Iqbal Sabir c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :          21 octobre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :          30 octobre 1998

ONT COMPARU :

Birjinder P. S. Mangat

Calgary (Alberta)                  POUR LE DEMANDEUR

Randy Benson

Edmonton (Alberta)                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Birjinder P. S. Mangat

Calgary (Alberta)                  POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          POUR LE DÉFENDEUR

__________________

     1      Rasaratnam c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.) et Thirunavukkarasu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.).

     2      Au cours de l'audience, Me Mangat a expliqué que, compte tenu du grand nombre de revendications du statut de réfugié émanant du Pakistan au moment où la SSR a rendu sa décision, il avait pour pratique afin de prouver efficacement dans chaque dossier la situation existant au pays, de déposer un original des documents d'information auprès de la SSR afin qu'elle les utilise dans tous les dossiers, et de déposer, dans chaque dossier, un index renvoyant à ces documents. Cette pratique a été acceptée par la SSR en l'espèce. En l'occurrence, l'index figurait à la page 31 du dossier du tribunal.

     3      Dossier du tribunal, à la page 252.

     4      Les documents cités dans l'index déposé devant la SSR et contenus dans le dossier du demandeur aux pages indiquées sont : " PPP report flays PML govt for "poor" performance ", Document 2.53, p.39; " Opposition stages walkout against Manzhar"s abduction ", Document 2.39, p.45; " Four killed in Karachi violence ", Document 2.16, p.59; " Police arrest over 300 political activists ", Document 2.15, p.60; " Over 500 arrested in city crackdown ", Document 2.13, p.65; " Karachi: 400 more held as crackdown continues ", Document 2.10, p.67; " Pakistan: law and order concerns must not override citizen"s fundamental rights ", Document 7.33, p.85.

     5      Dossier du tribunal, p. 280.

     6      " PPP report flays PML govt for poor performance ", Document 2.53, Dossier du demandeur, p. 39; " President asked to proclaim emergency ", Document 7.25, Dossier du demandeur, p. 78.

     7      Dossier du tribunal, p. 5.

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