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Date : 20060421

Dossier : T‑703‑05

Référence : 2006 CF 508

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EN CHEF

 

ENTRE :

VICTOR DASILVA

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

 

[1]        Le demandeur est un détenu sous responsabilité fédérale purgeant une peine à l’Établissement de Collins Bay, à Kingston (Ontario) (l’Établissement), sous la garde du Service correctionnel du Canada.

 

[2]        Le 26 octobre 2004, le demandeur a été accusé, en vertu de l’alinéa 40a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi), d’avoir désobéi « à l’ordre légitime d’un agent ».

 

[3]        Le 23 mars 2005, un président indépendant (le président indépendant) nommé en vertu du paragraphe 24(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (le Règlement) a tenu une audience à l’Établissement. Il a déclaré le demandeur coupable et lui a infligé une amende de 25 $.

 

[4]        C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

LES FAITS

 

[5]        Le 17 octobre 2004, un agent de correction a aperçu le demandeur alors qu’il se trouvait dans la cellule d’un autre détenu. Il a écrit le même jour la déclaration suivante :

[traduction] À la date et à l’heure mentionnées ci‑dessus, alors qu’il effectuait une ronde régulière, l’auteur de la présente déclaration a dû demander au détenu [texte supprimé] d’enlever l’écran qui obstruait la fenêtre de sa cellule. Lorsque l’écran a été enlevé, l’auteur de la présente déclaration a vu le détenu DaSilva […], [texte supprimé], dans la cellule du détenu [texte supprimé]. Les deux étaient debout et semblaient nerveux comme si j’avais interrompu quelque chose. L’auteur de la présente déclaration pense que les deux détenus mentionnés ci‑dessus participaient à une quelconque activité liée aux stupéfiants. Une analyse d’urine est recommandée.

 

(Ni l’une ni l’autre partie en l’espèce n’a expliqué pourquoi une version expurgée de la déclaration de l’agent de correction a été présentée à la Cour, alors que le président indépendant disposait apparemment d’une version non expurgée. Or, en l’absence d’une disposition d’un texte de loi ou d’une ordonnance de la Cour, le dossier du tribunal qui est communiqué à la Cour doit être dans la même forme que celui dont disposait le décideur.)

 

[6]        L’un des principaux documents en cause en l’espèce est l’Avis pour fournir un échantillon d’urine (l’Avis).

 

[7]        Deux employés de l’établissement ont inscrit des données sur l’Avis le 22 octobre 2004.

 

[8]        Le premier à le faire, le coordonnateur du programme de prises d’échantillons d’urine, a décrit les « motifs raisonnables » dans les termes suivants dans la section 1 de l’Avis intitulée « Motif » : [traduction] « Le 17 octobre, vous avez été aperçu dans une cellule dont la fenêtre était obstruée, avec un autre détenu ayant des antécédents en matière de consommation abusive d’alcools et d’autres drogues, ce qui me donne des motifs raisonnables d’exiger que vous fournissiez un échantillon d’urine. » Il a également attesté qu’il « autoris[ait] la prise d’échantillon d’urine compte tenu du motif décrit précédemment ».

 

[9]        Le coordonnateur du programme de prises d’échantillons d’urine exerçait ainsi, conformément au paragraphe 61(1) du Règlement, le pouvoir conféré au directeur du pénitencier d’accorder « l’autorisation préalable » à une prise d’échantillon d’urine prévu à l’alinéa 54a) de la Loi.

 

[10]      Dans la section 2 de l’Avis, sous le titre « Motifs raisonnables », il est écrit : « Lorsque l’autorisation est donnée, le(la) détenu(e) doit être informé(e) qu’il(elle) a jusqu’à 2 heures pour présenter ses objections quant à la demande de fournir un échantillon d’urine, au directeur ou au coordonnateur du Programme d’analyse d’urine. »

 

[11]      Le 22 octobre 2004 également, un deuxième agent de l’Établissement, un agent d’analyse, a inscrit des renseignements sur l’Avis. Dans la section 3, sous le titre « Refus du(de la) détenu », il a coché : « Le détenu A REFUSÉ de fournir l’échantillon » [en lettres majuscules et souligné dans l’original]. Dans l’espace réservé aux « Commentaires du collecteur », il a écrit à la main : [traduction] « Le délinquant a refusé de m’accompagner à la salle d’analyse afin qu’un échantillon d’urine soit pris. » [Non souligné dans l’original.]

 

[12]      L’agent d’analyse a dit ce qui suit, à l’audience en établissement, au sujet de ce qu’il a fait le 22 octobre 2004 :

[traduction] Le 22 octobre 2004, j’ai reçu une demande fondée sur des motifs raisonnables […] que je devais signifier à Victor Da Silva. Je suis donc descendu dans sa cellule avec les documents […] Je lui ai expliqué quels étaient les motifs raisonnables et lui ai demandé s’il acceptait de me fournir un échantillon. Il a répondu non. Je lui ai alors donné la possibilité de réfuter ces motifs. Je lui ai dit qu’il en avait le droit et lui ai demandé s’il souhaitait le faire. Il a repoussé cette offre. Je lui ai dit que son refus entraînerait une accusation en vertu de l’article 40 de la [Loi], et il a continué de refuser. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

En agissant ainsi, l’agent d’analyse « oblig[eait] un détenu à lui fournir un échantillon d’urine » conformément à l’alinéa 54a) de la Loi. La prise d’échantillon d’urine dont il est question dans cette disposition est la même qu’à l’article 56.

 

[13]      L’agent d’analyse a aussi affirmé dans son témoignage qu’il est ensuite [traduction] « retourné à [son] bureau et [a] rédigé l’accusation visant le refus de fournir un échantillon d’urine ».

 

[14]      En ce qui concerne le fait qu’il n’a pas voulu réfuter les motifs raisonnables comme l’agent d’analyse le lui proposait, le demandeur a affirmé à l’audience en établissement : [traduction] « Pour être honnête avec vous, je n’étais pas vraiment au courant du processus, de son fonctionnement. Et je, j’avais comme – une partie de moi pensait qu’il s’agissait d’une perte de temps de toute façon. »

 

[15]      L’agent d’analyse a apposé sa signature dans la section 4 de l’Avis intitulée « Avis au (à la) détenu(e) », pour confirmer la remise de l’Avis au demandeur.

 

[16]      Il est écrit dans la section 5 de l’Avis intitulée « Certification du (de la) détenu(e) – Lire avant de signer », au‑dessus des espaces réservés à la « Signature du détenu » et au cas où « Le détenu a refusé de signer » :

Je, le(la) soussigné(e), déclare que j’ai été informé(e) des motifs pour lesquels un échantillon d’urine est requis et je comprends les conséquences du non‑respect de cette demande. Je comprends qu’un(e) détenu(e) qui refuse ou omet de fournir un échantillon d’urine commet la sanction disciplinaire aux termes des alinéas 40l) ou 40a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Cette section de l’Avis n’est signée ni par le demandeur ni par l’agent d’analyse pour attester le refus du demandeur de signer l’Avis.

 

[17]      Le 22 octobre 2004, l’agent d’analyse a écrit ce qui suit à la machine sur un formulaire intitulé « Rapport de l’infraction d’un détenu et avis de l’accusation » :

[traduction] Le délinquant mentionné ci‑dessus a refusé d’obéir à un ordre légitime de m’accompagner à la salle d’analyse afin qu’un échantillon d’urine soit pris. Il a été informé du fait qu’il serait accusé en vertu de l’article 40 de la [Loi].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[18]      Le 26 octobre 2004, un autre agent de correction a écrit sur le même formulaire qu’une accusation était justifiée en vertu de l’alinéa 40a) de la Loi, une accusation disciplinaire grave devant, selon le Règlement, être examinée par un président indépendant.

 

[19]      Le 23 mars 2005, au début de l’audience en établissement, le président indépendant a déclaré : [traduction] « M. Da Silva, vous êtes accusé d’avoir refusé de fournir un échantillon d’urine. » [Non souligné dans l’original.]

 

[20]      L’avocat du demandeur a prétendu à l’audience en établissement que [traduction] « M. Da Silva aurait dû être accusé de l’infraction prévue à l’alinéa 40l) : “refuse ou omet de fournir l’échantillon d’urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55” ».

 

[21]      Dans la décision qu’il a rendue de vive voix à la fin de l’audience en établissement, le président indépendant a dit :

[traduction] […] Il ne fait aucun doute, avec tout le respect pour l’opinion contraire, que l’accusation fondée sur l’alinéa 40a) (« désobéit à l’ordre légitime d’un agent ») est bien celle qu’il fallait déposer. M. Da Silva a choisi de refuser catégoriquement dès le début. Il a désobéi à l’ordre de [l’agent d’analyse]. […] Il semble maintenant bouleversé, peut‑être se sent‑il comme un quart‑arrière le lendemain de la partie. En d’autres termes, il pense à ce qui s’est passé en se disant qu’il aurait peut‑être dû tenter de réfuter les motifs invoqués contre lui comme le lui proposait l’agent d’analyse. Comme il ne l’a pas fait, il ne peut pas dire maintenant : « Il n’existait pas de motifs raisonnables et je m’oppose à certains aspects de l’accusation. » Il a eu la possibilité de le faire. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[22]      La question déterminante en l’espèce consiste à décider si le demandeur aurait dû être accusé en vertu de l’alinéa 40l) de la Loi plutôt qu’en vertu de l’alinéa 40a).

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES ET RÉGLEMENTAIRES

 

[23]      L’objet du régime disciplinaire de l’Établissement est énoncé à l’article 38 de la Loi :

 

38. Le régime disciplinaire établi par les articles 40 à 44 et les règlements vise à encourager chez les détenus un comportement favorisant l’ordre et la bonne marche du pénitencier, tout en contribuant à leur réadaptation et à leur réinsertion sociale.

 

38. The purpose of the disciplinary system established by sections 40 to 44 and the regulations is to encourage inmates to conduct themselves in a manner that promotes the good order of the penitentiary, through a process that contributes to the inmates’ rehabilitation and successful reintegration into the community.

 

 

 

 

[24]      Les dispositions pertinentes concernant les infractions disciplinaires sont les suivantes :

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

40. An inmate commits a disciplinary offence who

a) désobéit à l’ordre légitime d’un agent;

(a) disobeys a justifiable order of a staff member;

 

 

[…]

[…]

 

 

k) introduit dans son corps une substance intoxicante;

(k) takes an intoxicant into the inmate’s body;

 

 

l) refuse ou omet de fournir l’échantillon d’urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55;

(l) fails or refuses to provide a urine sample when demanded pursuant to section 54 or 55;

 

 

[…]

[…]

 

 

41. (1) L’agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu’un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.

41. (1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.

 

 

(2) À défaut de règlement informel, le directeur peut porter une accusation d’infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute et l’existence de circonstances atténuantes ou aggravantes.

(2) Where an informal resolution is not achieved, the institutional head may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, issue a charge of a minor disciplinary offence or a serious disciplinary offence.

 

 

42. Le détenu accusé se voit remettre, conformément aux règlements, un avis d’accusation qui mentionne s’il s’agit d’une infraction disciplinaire mineure ou grave.

 

42. An inmate charged with a disciplinary offence shall be given a written notice of the charge in accordance with the regulations, and the notice must state whether the charge is minor or serious.

 

[25]      La Loi prévoit en outre les exigences qui s’appliquent lorsqu’on demande à un détenu à fournir un échantillon d’urine à des fins d’analyse :

54. L’agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d’urine dans l’un ou l’autre des cas suivants :

54. Subject to section 56 and subsection 57(1), a staff member may demand that an inmate submit to urinalysis

 

 

a) il a obtenu l’autorisation du directeur et a des motifs raisonnables de croire que le détenu commet ou a commis l’infraction visée à l’alinéa 40k) et qu’un échantillon d’urine est nécessaire afin d’en prouver la perpétration;

(a) where the staff member believes on reasonable grounds that the inmate has committed or is committing the disciplinary offence referred to in paragraph 40(k) and that a urine sample is necessary to provide evidence of the offence, and the staff member obtains the prior authorization of the institutional head;

 

 

[…]

[…]

 

 

56. La prise d’échantillon d’urine fait obligatoirement l’objet d’un avis à l’intéressé la justifiant et exposant les conséquences éventuelles d’un refus.

56. Where a demand is made of an offender to submit to urinalysis pursuant to section 54 or 55, the person making the demand shall forthwith inform the offender of the basis of the demand and the consequences of non‑compliance.

 

 

57. (1) Lorsque la prise est faite au titre de l’alinéa 54a), l’intéressé doit, auparavant, avoir la possibilité de présenter ses observations au directeur.

57. (1) An inmate who is required to submit to urinalysis pursuant to paragraph 54(a) shall be given an opportunity to make representations to the institutional head before submitting the urine sample.

 

[26]      Il est également utile de reproduire les dispositions suivantes du Règlement afin de mieux comprendre le régime disciplinaire et la norme de contrôle applicable aux décisions des présidents indépendants :

24. (1) Le ministre doit nommer :

24. (1) The Minister shall appoint

a) à titre de président indépendant chargé de procéder à l’audition des accusations d’infraction disciplinaire grave, une personne qui connaît le processus de prise de décisions administratives et qui n’est pas un agent ou un délinquant;

(a) a person, other than a staff member or an offender, who has knowledge of the administrative decision‑making process to be an independent chairperson for the purpose of conducting hearings of serious disciplinary offences;

 

 

[…]

[…]

 

 

24. (2) Le premier président régional doit :

24. (2) A senior independent chairperson shall

a) conseiller les présidents indépendants de sa région et, de concert avec le Service, voir à leur formation;

(a) advise and, in conjunction with the Service, train the independent chairpersons in the senior independent chairperson’s region;

 

 

[…]

[…]

 

 

24. (3) Les personnes nommées conformément au paragraphe (1) occupent leur poste à titre inamovible pour un mandat qui ne dépasse pas cinq ans et qui peut être reconduit par le ministre.

24. (3) A person appointed pursuant to subsection (1) shall hold office during good behaviour for a period of not more than five years, which period may be renewed by the Minister.

 

 

[…]

[…]

 

 

27. (2) L’audition relative à une infraction disciplinaire grave doit être tenue par un président indépendant sauf que, dans les cas exceptionnels où le président indépendant ne peut tenir l’audition et ne peut être remplacé par un autre président indépendant dans un délai raisonnable, le directeur du pénitencier peut la tenir à sa place.

27. (2) A hearing of a serious disciplinary offence shall be conducted by an independent chairperson, except in extraordinary circumstances where the independent chairperson or another independent chairperson is not available within a reasonable period of time, in which case the institutional head may conduct the hearing.

 

 

[…]

[…]

 

 

33. (1) Le Service doit veiller à ce que toutes les auditions disciplinaires soient enregistrées de manière qu’elles puissent faire l’objet d’une révision complète.

33. (1) The Service shall ensure that all hearings of disciplinary offences are recorded in such a manner as to make a full review of any hearing possible.

 

 

[…]

[…]

 

 

61. (1) Le coordonnateur du programme de prises d’échantillons d’urine peut exercer le pouvoir conféré au directeur du pénitencier, aux termes de l’article 54 de la Loi, d’accorder l’autorisation préalable à une prise d’échantillon d’urine.

61. (1) The power of the institutional head, pursuant to section 54 of the Act, to grant prior authorization for urinalysis may be exercised by the urinalysis program coordinator.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[27]      La Cour suprême du Canada exige que la Cour fasse une analyse en quatre points pour déterminer la norme de contrôle qu’elle doit appliquer à une décision : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, et Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20.

 

[28]      En ce qui concerne le premier facteur, la décision du président indépendant n’est pas protégée par une disposition privative et n’est pas non plus susceptible d’appel. Toutefois, le contrôle judiciaire est envisagé au paragraphe 33(1) du Règlement et, de toute façon, peut être demandé de plein droit en vertu de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[29]      Pour ce qui est de l’expertise, l’article 24 du Règlement exige seulement que le président indépendant soit « une personne qui connaît le processus de prise de décisions administratives et qui n’est pas un agent ou un délinquant ». Le premier président régional doit conseiller les présidents indépendants de sa région et, de concert avec l’Établissement, voir à leur formation. Le président indépendant « occup[e] [son] poste à titre inamovible pour un mandat qui ne dépasse pas cinq ans et qui peut être reconduit par le ministre ». Aucune preuve n’a été produite relativement à l’expérience des présidents indépendants ou au nombre d’affaires qu’ils entendent en général. J’admets d’office cependant que le président indépendant concerné en l’espèce est membre du Barreau du Haut‑Canada depuis 1984. L’ensemble de ces facteurs relatifs à l’expertise ne justifie pas que l’on fasse preuve de retenue judiciaire.

 

[30]      Le troisième facteur exige un examen de l’objet de la disposition légale. En l’espèce, l’article 38 de la Loi parle d’un régime disciplinaire qui favorise l’ordre et la bonne marche du pénitencier, tout en contribuant à la réadaptation et à la réinsertion sociale du détenu.

 

[31]      Le processus disciplinaire offre « diverses réparations ou mesures administratives », notamment un avertissement ou une réprimande, la perte de privilèges, une amende, l’exécution de travail supplémentaire ou l’isolement. De plus, le régime favorise un règlement informel lorsque cela est possible; dans les autres cas, l’audience « se rapproche d’un paradigme judiciaire conventionnel » : Dr Q, précité, aux paragraphes 31 et 32. L’objet de la Loi ne favorise pas un examen judiciaire plus poussé.

 

[32]      Finalement, la principale question qu’il faut trancher dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si le président indépendant a commis une erreur en déclarant le demandeur coupable de l’infraction prévue à l’alinéa 40a) de la Loi car, selon le demandeur, il aurait dû être accusé de l’infraction prévue à l’alinéa 40l). La détermination de la disposition légale applicable peut souvent être une pure question de droit. En l’espèce, la question est de savoir si le président indépendant a commis une erreur dans son appréciation de la preuve compte tenu du régime prévu par la Loi. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit.

 

[33]      À la lumière de cette analyse, je conclus que la norme de contrôle qui devrait s’appliquer est la décision raisonnable : le président indépendant a‑t‑il commis une « erreur manifeste » en déclarant le demandeur coupable de l’infraction prévue à l’alinéa 40a) de la Loi, compte tenu du régime prévu par la Loi et de la preuve produite?

ANALYSE

 

[34]      Les remarques suivantes formulées par le juge Robert Décary au nom de la Cour d’appel fédérale dans Royer c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 53 (QL), 2003 CAF 25, sont instructives :

 13      Bref, en ce qui concerne un détenu qui ne sort pas de l’établissement, il n’y a d’obligation de fournir un échantillon d’urine que dans les trois cas prévus à l’article 54.

[…]

 15      L’alinéa 40l) de la Loi rend expressément coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui « refuse ou omet de fournir l’échantillon d’urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55 ». Aucune sanction n’est imposée par cet alinéa au détenu qui refuse de fournir un échantillon qui pourrait être exigé en vertu d’une autre disposition de la Loi, ce qui laisse entendre qu’il n’y a aucune autre telle disposition.

[…]

 23       […]

              […] Il serait de toute façon curieux que le Parlement ait voulu que le refus de fournir l’échantillon demandé en vertu des articles 54 et 55 constitue une infraction particulière (l’alinéa 40l)) et qu’il ait permis au gouverneur en conseil, implicitement, de faire d’un autre type de refus une infraction non pas de refus, mais de désobéissance.

[Non souligné dans l’original.]

 

[35]      L’avocat du défendeur a reconnu que l’« autorisation préalable » avait été obtenue, conformément à l’alinéa 54a) de la Loi et au paragraphe 61(1) du Règlement. Il a aussi reconnu que, lorsque l’agent d’analyse a donné au demandeur [traduction] « la possibilité de réfuter » les motifs raisonnables allégués dans l’Avis, il l’a fait en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi, qui s’applique dans les cas où « la prise est faite au titre de l’alinéa 54a) ».

 

[36]      Le défendeur fait cependant valoir que l’agent d’analyse n’a pas demandé que le demandeur subisse une analyse d’urine. Selon lui, l’agent d’analyse a simplement ordonné au demandeur de l’accompagner à la salle d’analyse afin qu’un échantillon d’urine soit pris. Il soutient par conséquent que le président indépendant a eu raison de déclarer le demandeur coupable de l’infraction prévue à l’alinéa 40a) de la Loi puisque le demandeur a désobéi à l’ordre de l’agent d’analyse. Selon le défendeur, cet « ordre » doit être réputé légitime parce que le demandeur n’a pas présenté d’observations en application du paragraphe 57(1). Le défendeur estime en outre que le président indépendant a conclu à juste titre que le demandeur ne pouvait pas soulever la question des « motifs raisonnables » à l’audience disciplinaire étant donné qu’il avait choisi de ne pas le faire le 22 octobre 2004.

 

[37]      Les faits exposés par le défendeur devant la Cour reprennent ceux figurant dans son mémoire du droit :

[traduction]

14.       [L’agent d’analyse] n’a pas demandé au demandeur de lui fournir un échantillon d’urine dans sa cellule. [Il] lui a demandé de l’accompagner à la salle d’analyse. Le demandeur a refusé. S’il avait accompagné [l’agent d’analyse] à la salle d’analyse, il aurait dû fournir un échantillon d’urine. […]

 

[…]

 

18.       Compte tenu de la preuve dont il disposait et du fait que le demandeur ne pouvait faire l’objet que d’une seule accusation d’infraction disciplinaire, il était raisonnable pour le président indépendant de conclure que le demandeur avait désobéi à l’ordre légitime de [l’agent d’analyse] de l’accompagner à la salle d’analyse.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[38]      La thèse du défendeur doit être rejetée pour trois raisons. D’abord, sa description des faits n’est pas étayée par la preuve. L’agent d’analyse a fait trois déclarations importantes, toutes en réponse à la même question lors de l’audience en établissement, au sujet de son rôle concernant la prise d’un échantillon d’urine du demandeur :

[traduction]

·        J’ai […] donc dit à M. Da Silva qu’il devait fournir des motifs raisonnables concernant la prise d’un échantillon d’urine. Je lui ai expliqué quels étaient les motifs raisonnables et lui ai demandé s’il acceptait de me fournir un échantillon. Il a répondu non.

 

·        Je lui ai dit qu’il […] avait le droit [de réfuter les motifs raisonnables] et lui ai demandé s’il souhaitait le faire. Il a repoussé cette offre.

 

·        Je suis retourné à mon bureau et ai rédigé l’accusation visant le refus de fournir un échantillon d’urine. [Non souligné dans l’original.]

 

 

De plus, l’agent d’analyse a mentionné ultérieurement dans son témoignage que le détenu avait refusé de [traduction] « nous fournir un flacon ».

 

[39]      Ces déclarations ont trait au refus du détenu de fournir un échantillon en réponse à une [traduction] « demande ». Or, selon moi, une [traduction] « demande » d’échantillon d’urine à des fins d’analyse n’équivaut pas à un « ordre légitime » de se rendre à la salle d’analyse. Il s’agit de deux situations factuelles différentes. De plus, je ne suis pas convaincu que la [traduction] « demande » visée à l’article 54 de la Loi est la même chose qu’un « ordre légitime » dont il est question à l’alinéa 40a).

 

[40]      Dans l’Avis, le coordonnateur du programme de prises d’échantillons d’urine a donné l’« autorisation préalable » requise pour qu’un agent puisse « obliger un détenu à lui fournir un échantillon d’urine » suivant l’alinéa 54a) de la Loi.

 

[41]      Pour ce qui est du rôle qu’il a admis avoir joué dans cet incident, l’agent d’analyse était l’« agent » qui a « obligé » le détenu à fournir un échantillon d’urine en vertu de l’alinéa 54a) et celui qui devait aviser l’intéressé conformément à l’article 56. Il a, en effet, comme cette dernière disposition l’exige, donné au demandeur un avis « justifiant [la prise d’échantillon d’urine] et exposant les conséquences éventuelles d’un refus ».

 

[42]      Ensuite, le défendeur fait une distinction entre le cas où un agent oblige un détenu à subir une analyse d’urine et le cas où il ordonne à un détenu de l’accompagner à la salle d’analyse pour qu’un échantillon d’urine soit pris. À mon avis, il s’agit d’une distinction qui ne porte sur rien : dans les deux cas, le détenu, s’il refuse, « refuse ou omet de fournir l’échantillon d’urine qui peut être exigé au titre [de l’article] 54 » et commet l’infraction prévue à l’alinéa 40l) de la Loi.

 

[43]      Avec respect pour l’opinion contraire, j’estime que la distinction faite par le défendeur n’est pas fondée. Les propos formulés par le juge Décary dans Royer, précité, au paragraphe 17, s’appliquent dans tous les cas où on oblige un détenu à fournir un échantillon d’urine à des fins d’analyse :

Il ressort de cet exposé que le législateur, puis le gouverneur en conseil, ont pris grand soin à encadrer de façon rigoureuse la prise d’échantillons d’urine. Cette prudence s’explique. Un prélèvement d’urine est une « fouille » au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et, pour qu’une fouille ne soit pas déclarée abusive, la Cour suprême du Canada exige, notamment, qu’elle soit autorisée par la Loi et que la fouille elle‑même ne soit pas effectuée d’une manière abusive […] Bien qu’il soit exact de dire qu’en milieu carcéral les attentes de respect de la vie privée sont réduites au minimum […], il n’en reste pas moins que la prise d’échantillons doit être autorisée par une loi et que le législateur doit s’assurer que la prise d’échantillons ne soit pas abusive.

[Renvois omis.]

[44]      Finalement, le demandeur pouvait refuser de présenter des observations dans le délai de deux heures prévu dans les documents de l’Établissement. Ce refus n’a eu aucune incidence sur l’obligation de l’Établissement de faire la preuve des motifs raisonnables ou sur le droit du demandeur de contester ces motifs dans des instances subséquentes. Le détenu peut choisir de ne pas exercer le droit de « présenter ses observations au directeur » qui est conféré au paragraphe 57(1) de la Loi. Ce choix ne libère pas l’Établissement de son obligation de démontrer qu’il avait au départ des motifs raisonnables d’exiger un échantillon d’urine.

 

[45]      Dans la même veine, le paragraphe 41(1) de la Loi donne à penser que, bien qu’il s’agisse d’un contexte de règlement informel, que l’agent doit avoir des motifs raisonnables de croire qu’un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire. Les avocats ne se sont pas étendus sur cette question à l’audience devant moi. À mon avis cependant, des motifs raisonnables de croire qu’un détenu a désobéi à un ordre légitime de se rendre à la salle d’analyse pour qu’un échantillon d’urine soit pris n’équivalent pas à des motifs raisonnables de demander un échantillon d’urine.

 

[46]      Selon la section de l’Avis qui n’a pas été remplie, « un(e) détenu(e) qui refuse ou omet de fournir un échantillon d’urine commet [une infraction] disciplinaire aux termes des alinéas 40l) ou 40a) de la [Loi] ». Cet énoncé est problématique. Lorsqu’un détenu ne quitte pas l’établissement, il ne peut être tenu de fournir un échantillon d’urine qu’en conformité avec l’article 54 de la Loi : Royer, précité, au paragraphe 13. L’alinéa 40l) de la Loi prévoit qu’un détenu qui « refuse ou omet de fournir l’échantillon d’urine qui peut être exigé au titre [de l’article] 54 » commet une infraction disciplinaire. Par conséquent, un détenu qui refuse ou omet de fournir un échantillon d’urine ne peut, à mon avis, être accusé qu’en vertu de l’alinéa 40l) de la Loi. Pour reprendre les propos du juge Décary dans Royer, précité, au paragraphe 23, « [i]l serait […] curieux » que le Parlement ait voulu que le refus de fournir l’échantillon demandé en vertu de l’article 54 constitue une infraction particulière (l’alinéa 40l)) et qu’il ait permis à l’établissement concerné de déposer un autre type d’accusation, « non pas de refus, mais de désobéissance ».

 

[47]      La présente affaire ne concerne tout simplement pas un détenu resté dans sa cellule contrairement à l’ordre d’un agent, « légitime » ou non, mais elle a plutôt trait, comme l’agent d’analyse l’a répété dans son témoignage, au [traduction] « refus [d’un détenu] de fournir un échantillon d’urine » (paragraphe 13 ci‑dessus). C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé le président indépendant lorsqu’il a dit, au début de l’audience : [traduction] « […] vous êtes accusé d’avoir refusé de fournir un échantillon d’urine. »

 

[48]      Le président indépendant a donc commis une « erreur manifeste » en concluant que le demandeur avait pu être accusé valablement en vertu de l’alinéa 40a) de la Loi. Sa décision ne peut résister à un « examen assez poussé » compte tenu des faits. C’est l’alinéa 40l) qui s’appliquait. Une ordonnance annulant l’accusation et l’amende afférente sera rendue. Si les parties ne peuvent s’entendre sur les dépens devant être payés par le défendeur, des observations écrites seront signifiées et déposées dans un délai de quatorze jours.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La déclaration de culpabilité du demandeur fondée sur l’alinéa 40a) de la Loi et l’amende de 25 $ afférente sont annulées.

3.         La Cour demeure saisie de la présente affaire quant à la question des dépens, s’il y a lieu.

 

 

 

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             T‑703‑05

 

 

INTITULÉ :                                                            VICTOR DASILVA

                                                                                 c.

                                                                                 PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 8 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                       LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 21 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Dillon                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

Richard Casanova                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Dillon                                                                POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Kingston (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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