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Date : 20030528

Dossier : IMM-3149-02

                                                                                                                   

                                                       Référence neutre : 2003 CFPI 662

ENTRE :

                              SUHAIB RAO MUSHARRAF

                                                                                                  demandeur

                                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

CONTEXTE

[1]    Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Suhaib Rao Musharraf (le demandeur), citoyen pakistanais âgé de vingt-neuf ans, conteste la décision rendue le 20 juin 2002 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal), rejetant sa revendication de statut de réfugié fondée sur la crainte d'être persécuté par des opposants politiques et par les autorités du fait de ses opinions politiques.


[2]    Dans son FRP et dans son témoignage, le demandeur a déclaré que, comme son père, il est un activiste politique. Il a joint les rangs de la Fédération étudiante musulmane (MSF) en 1991, pendant ses études collégiales, et en est devenu le secrétaire général en 1993. Il s'est ensuite inscrit à la Ligue musulmane pakistanaise - Nawaz Sharif (PML(n)) en 1996. Peu après, il a été nommé co-secrétaire de son district, puis il est devenu secrétaire général et président du district au mois d'octobre 1999 (le mois où le coup d'État militaire du général Musharraf a renversé le gouvernement du PML).

[3]    Selon son témoignage, son activisme politique se manifestait par des activités visibles. Il prononçait des discours, il organisait des rassemblements, il participait à des manifestations lors desquelles il pouvait porter des bannières ou écrire des slogans sur les murs.

[4]    Il était contre le coup d'État militaire d'octobre 1999 qui avait renversé le gouvernement démocratiquement élu. Il a témoigné avoir organisé plusieurs rassemblements pacifiques protestant contre le régime militaire et réclamant le rétablissement de la démocratie, rassemblements auxquels il a participé.

[5]    Des ordonnances militaires interdisaient de telles manifestations, et le tribunal a conclu que c'est pour cette raison que les activistes opposés au régime et les manifestants étaient arrêtés par la police.


[6]                 Le demandeur craint, s'il est renvoyé au Pakistan, d'être persécuté par l'armée et la police qui, selon lui, forment une seule et même organisation. Il craint principalement le parti politique connu sous le nom de Mouvement Mohajir Qaumi (MQM), mais il redoute aussi le Parti populaire pakistanais (PPP).

[7]                 Voici ce qui ressort du formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur au sujet de ce qu'il a vécu, de l'époque du MSF, en 1992, jusqu'à sa fuite au Canada :

(1)        il a subi cinq agression d'opposants politiques et il a dû être hospitalisé dans trois cas, mais la police n'a jamais donné suite à ses plaintes;

(2)        il a reçu trois fois des menaces de mort non accompagnées de violence;

(3)        une fois, il a été arrêté et torturé par la police (avril 1993);

(4)        après le coup d'État militaire, deux manifestations pacifiques auxquelles il participait ont été dispersées par la police sans qu'il soit arrêté.

[8]                 Suivant son témoignage, il était là quand l'armée et la police dispersaient des rassemblements politiques et arrêtaient et détenaient des manifestants et des activistes politiques. Il a témoigné que certaines des personnes arrêtées étaient placées en détention dans des lieux secrets.


[9]                 L'incident qui a précipité sa fuite est survenu le 19 mars 2001. La police s'est rendue chez lui pour l'arrêter parce qu'il préparait un grand rassemblement pour le 23 mars 2001 au cours duquel il était censé prendre la parole contre l'armée. Il n'était pas à la maison. La police a ordonné à son père de l'emmener au poste de police dès son retour. Le demandeur s'est caché chez un ami de son père où il est resté jusqu'à son départ du Pakistan le 6 juin 2001.

[10]            Il a dit au tribunal que son père lui avait rendu visite à l'endroit où il se cachait et lui avait dit qu'il était allé au poste de police et avait appris qu'un premier rapport de dénonciation (PRD) l'accusant faussement d'un crime grave avait été déposé par la police. Il a alors été décidé que le demandeur quitterait le pays, car l'avocat de la famille avait indiqué qu'il ne pouvait rien faire au sujet du faux PRD. Aidé par un agent, le demandeur s'est enfui le 6 juin 2001.

[11]            Il a indiqué dans son FRP que pendant la dernière semaine de mars 2001, l'armée et la police ont procédé à des arrestations massives d'activistes appartenant à l'Alliance pour le rétablissement de la démocratie (ARD), un groupe rassemblant les partis politiques opposés au gouvernement militaire, dont le PML(n).


[12]            La situation s'est empirée au cours de la dernière semaine d'avril 2001. Des employés du PML(n) ont été arrêtés. La police a effectué des descentes chez des gens et, si elle ne trouvait pas les personnes qu'elle cherchait, elle arrêtait des membres de leur famille. C'est ce qui est arrivé au père du demandeur lorsque la police s'est rendue chez lui à la fin d'avril. La police a continué de rechercher le demandeur, même après son départ. Son père a été arrêté trois fois pour cette raison.

[13]            Le demandeur a témoigné que deux collègues de son district avaient été arrêtés à la fin du mois d'avril 2001 et qu'on ignorait où ils se trouvaient. Selon le demandeur, beaucoup de gens qui occupaient des fonctions analogues aux siennes avaient été arrêtés et étaient détenus dans des lieux inconnus (transcription, p. 464). Il a affirmé qu'il ne serait en sécurité nulle part au Pakistan parce qu'il était un activiste et qu'il ne cesserait pas son action , ce qui ne manquerait pas d'attirer sur lui l'attention de la police et de l'armée et d'entraîner son arrestation ou sa détention, mettant par là sa vie en danger.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[14]            Après avoir énuméré les incidents relatés par le demandeur dans son FRP, le tribunal a exposé sa conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur disposait, selon le tribunal, d'une possibilité viable de refuge intérieur à Lahore ou à Islamabad.

[15]            La tribunal a fourni l'analyse sous-jacente à sa décision, dont je résume les principales conclusions. Le tribunal a indiqué :

(1)        qu'il avait des doutes quant à la crédibilité;


(2)        qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi établissant que le demandeur était recherché par la police;

(3)        qu'il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI).

(1)        Les doutes quant à la crédibilité

[16]                         Premièrement, le tribunal a indiqué qu'il éprouvait [traduction] « des doutes quant à la crédibilité » . Ces doutes ne découlaient pas d'incohérences ou de contradictions dans le témoignage du demandeur ni d'omissions ou d'ajouts par rapport au FRP

[17]                         Ils se rapportaient plutôt à la crainte subjective du demandeur, de deux façons :

(1)        le tribunal a accepté le témoignage selon lequel le demandeur aurait décidé de se cacher après la descente de la police le 19 mars 2001, mais il a estimé que les deux mois et demi que le demandeur a mis à quitter le Pakistan ne correspondaient pas à ce que ferait une personne dont la vie serait en grave péril ou qui éprouverait une crainte subjective, même si cette personne vit cachée;

(2)        le tribunal a conclu que le défaut de revendiquer le statut de réfugié au Royaume-Uni, où il a passé presque une journée entière, ou aux États-Unis, où il a passé deux jours, était incompatible avec l'existence d'une crainte subjective. Le tribunal a jugé invraisemblable le témoignage du demandeur selon lequel il croyait que sa vie serait en danger au Royaume-Uni.


(2)        L'insuffisance d'éléments de preuve crédibles établissant que le demandeur était recherché

[18]            Le tribunal a déterminé que le demandeur n'avait pas présenté [traduction] « suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi établissant qu'il était recherché par les autorités » . Cette appréciation de la preuve découlait de ce que le demandeur avait déclaré dans FRP qu'un PRD avait été déposé contre lui et avait dit, dans son témoignage, avoir appris de sa famille qu'un mandat d'arrestation avait été lancé contre lui, mais n'avait produit aucun de ces documents à l'audience. Le tribunal a indiqué qu'il tirait une conclusion négative du fait que [traduction] « le demandeur ne s'était pas efforcé avec diligence de corroborer certains éléments de sa revendication » . Le tribunal a estimé que le demandeur avait eu suffisamment de temps pour retracer ces documents.

(3)        La PRI

[19]            Le tribunal a jugé, en s'appuyant sur l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), que le demandeur disposait d'une PRI et a ajouté que, vu cette conclusion, il [traduction] « ne s'est pas prononcé sur le bien-fondé de sa crainte d'être persécuté à Karachi, dans la province du Sindh.

[20]            Le tribunal s'est demandé en premier lieu s'il existait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à Islamabad, à Lahore ou dans tout autre grand centre urbain d'une autre province que le Sindh et il a répondu par la négative.


[21]            Le tribunal est arrivé à cette conclusion après avoir examiné, premièrement, le profil politique du demandeur :

[traduction] Le tribunal est d'avis que même si le revendicateur est un membre dirigeant de son unité et travaille activement dans son district, des milliers d'autres personnes occupent les mêmes fonctions que lui au Pakistan, et il estime que même si le demandeur peut avoir un certain profil politique, il ne dépasse pas les limites de la région de Karachi dans la province du Sindh. [Non souligné dans l'original]

[22]            Le tribunal a écarté le témoignage du demandeur selon lequel il avait décidé de se cacher pour éviter d'autres démêlés avec des opposants ou avec les autorités. Il a tenu le raisonnement suivant :

[traduction] Le tribunal constate que le revendicateur a été capable de vivre à Karachi, même si c'était « dans la clandestinité » , et de recevoir la visite de son père [...] pendant plus de deux mois et demi sans être découvert par des opposants politiques ou par les autorités. Le tribunal estime que si le revendicateur avait présenté un réel intérêt pour les opposants ou les autorités, il aurait été découvert. Le tribunal conclut que le profil et les activités du revendicateur dans sa région de Karachi ne présentaient pas un intérêt sérieux pour les opposants et les autorités et qu'ils ne justifiaient pas le temps, la main-d'oeuvre et les dépenses nécessaires pour le poursuivre en dehors de cette région. [Non souligné dans l'original]

[23]            Le tribunal a fait état du témoignage du demandeur selon lequel il continuerait son activité politique s'il retournait au Pakistan. Il a examiné un article récent traitant des activités du PML(n) à Islamabad, dans lequel on pouvait lire que le parti poursuivrait sa lutte pour la démocratie et ferait tout en son pouvoir pour aider ceux qui voulaient sincèrement travailler à la réorganisation du parti. Le tribunal en a inféré que le demandeur pourrait sans problème continuer son action politique.


[24]            Le tribunal a minimisé l'importance d'articles récents produits en preuve par le demandeur signalant l'arrestation et la détention d'activistes de l'opposition et faisant état, en particulier, de l'arrestation le 27 avril 2001 de plusieurs centaines de membres de l'ARD. Les arrestations ont eu lieu à Lahore lors d'un rassemblement dénonçant le fait que le gouvernement n'organisait pas d'élections générales. Les détentions ont été effectuées sous le régime de la Maintenance of Public Order Ordinance, qui interdit tout discours [traduction] « suscitant ou susceptible de susciter la crainte ou l'inquiétude dans la population » .

[25]            Le tribunal, signalant que [traduction] « la plupart des personnes arrêtées ont été relâchées quelques heures ou quelques jours plus tard » , a formulé la conclusion suivante :

[traduction] Le tribunal ne met pas en doute l'exactitude de cet élément de preuve documentaire concernant l'arrestation et la détention par la police d'activistes de l'opposition et de manifestants, mais il conclut que cette action policière constituait une tentative du gouvernement pakistanais et de la police de maintenir l'ordre public sous l'autorité d'une loi d'application générale et qu'il ne s'agit donc pas de persécution. [Non souligné dans l'original]

Le tribunal a déclaré :

[traduction] Il existe des éléments de preuve établissant que les chefs politiques en vue du PML et du PPP, à l'échelle nationale ou même provinciale, sont arrêtés et harcelés, mais un militant local comme le revendicateur ne devrait pas éprouver plus de difficultés que n'importe quel autre travailleur politique subalterne. Une récente réponse à une demande d'information indique que bien que les simples membres du PML peuvent être l'objet d'un peu plus de harcèlement que ceux du PPP, leur bien-être n'est pas gravement menacé.


[26]            Le tribunal a conclu que non seulement le demandeur aurait la possibilité de continuer à travailler pour le PML mais qu'il ne courrait pas plus de risque que les autres travailleurs politiques subalternes dans la région de la PRI.

[27]            Le tribunal a ensuite examiné si le PPP constituait une menace pour le demandeur, et a répondu par la négative parce que le demandeur n'avait témoigné que d'un seul incident de démêlés avec le PPP et que les circonstances avaient changé depuis l'alliance conclue entre le PPP et le PML, en octobre 1999, sous les auspices de l'ARD.

[28]            Puis le tribunal s'est penché sur la question du risque de préjudice présenté par le MQM et il a conclu, encore une fois, qu'il n'existait pas de possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté par le MQM hors de la province du Sindh puisqu'il ressortait de la preuve documentaire que le MQM pouvait être décrit comme un parti politique urbain de la province du Sindh dont les activités se limitaient à cette province.

[29]            Compte tenu de l'ensemble des circonstances, le tribunal a jugé que ce ne serait pas une épreuve indue pour le demandeur de déménager dans la région offrant une PRI.

[30]            Le tribunal a ensuite indiqué qu'avait été déposée, après l'audience, une lettre de la mère du demandeur au sujet du PRD et du mandat d'arrêt ainsi que des rapports médicaux concernant le père du demandeur, accompagnée d'une liasses d'articles de journaux. Relativement à cette lettre, le tribunal s'est exprimé ainsi :

[traduction] Après comparaison avec une autre lettre au dossier, émanant de la mère du revendicateur, le tribunal met en doute la validité de la lettre. La teneur de celle-ci, toutefois, n'influe pas sur la conclusion du tribunal au sujet des documents corroborants concernant l'intérêt que la police portait au revendicateur. Le tribunal sympathise avec le revendicateur et sa famille pour ce qui est de l'état de santé de son père, mais sa conclusion au sujet de la possibilité de refuge intérieur n'en est pas modifiée pour autant. Les articles n'ont pas d'incidence sur la conclusion du tribunal au sujet de l'intention du revendicateur de continuer ses activités politiques s'il retourne au Pakistan. [Non souligné dans l'original]

[31]            Le tribunal a tiré la conclusion générale suivante

Après avoir examiné l'ensemble de la preuve qui lui a été présentée, le tribunal est d'avis qu'il n'existe pas de possibilité raisonnable que le revendicateur soit exposé, s'il retourne au Pakistan, à un risque provenant des opposants politiques ou des autorités, du fait de ses opinions politiques.

ANALYSE ET CONCLUSIONS

[32]            J'aborde l'analyse des conclusions du tribunal en gardant à l'esprit qu'il n'a pas écarté le témoignage du demandeur pour cause de non-crédibilité.

[33]            Voici, selon moi, les principaux éléments de la revendication que le tribunal a acceptés :

(1)        l'activisme politique du demandeur en tant que membre du PML(n);

(2)        sa progression au sein du parti qui l'a mené à un poste de dirigeant dans son district;

(3)        la preuve documentaire établissant qu'après le coup d'État militaire d'octobre 1999, les autorités ont arrêté et détenu des opposants et des manifestants;


(4)        l'incident qui a incité le revendicateur à se cacher et à fuir le Pakistan, soit la venue de la police chez lui pour l'arrêter parce qu'il s'apprêtait à participer à un rassemblement où il aurait pris la parole pour protester contre le régime militaire.

[34]            En dépit de son acceptation générale de la relation des faits du demandeur, le tribunal a formulé les conclusions suivantes qui l'ont amené à déterminer qu'il n'existait pas de possibilité raisonnable que le demandeur coure un risque aux mains d'opposants politiques ou des autorités du fait de ses opinions politiques :

(1)        l'absence de crainte subjective démontrée par le temps qu'il a pris à quitter le Pakistan, même s'il vivait caché, de même que son omission de demander asile au Royaume-Uni ou aux ´États-Unis;

(2)        l'absence de preuve qu'il était recherché par la police;

(3)        l'existence d'une PRI viable hors de Karachi, une conclusion que le tribunal a tirée sans se prononcer sur l'existence d'une crainte justifiée de persécution dans cette ville.

La PRI

[35]            J'analyserai d'abord la question de la PRI, parce que c'est, selon moi, la principale conclusion tirée par le tribunal.


[36]            Pour déterminer qu'il existait une PRI viable, le tribunal devait être convaincu suivant la prépondérance des probabilités qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la partie du pays jugée propice au refuge (voir Rasaratnam c. Canada, précité).

[37]            J'estime que le tribunal a commis des erreurs, des erreurs de fait essentiellement, qui l'ont amené à tirer une conclusion manifestement déraisonnable.

[38]            Premièrement, le tribunal, après avoir accepté la preuve selon laquelle le demandeur était un activiste politique qui prenait la parole contre l'armée lors de rassemblements, n'a pas tenu compte du fait que l'un des agents de persécution que craignait le demandeur était l'armée, laquelle avait mainmise sur tout le territoire pakistanais.

[39]            Dans des circonstances analogues, le juge MacKay a annulé la décision du tribunal selon laquelle il existait une PRI valide, dans Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 837 :

Le demandeur a présenté des éléments de preuve tendant à démontrer qu'il craignait l'armée pakistanaise et, à mon avis, la SSR a commis une erreur en n'examinant pas la possibilité que le demandeur soit persécuté par l'armée pakistanaise. La revendication du demandeur dépendait de la question de la PRI et, comme la Cour d'appel l'a statué, la question de la persécution par les autorités nationales est essentielle au règlement de cette question. À mon avis, il s'agissait d'une erreur susceptible de révision et la SSR a omis d'examiner cet aspect de la revendication.


[40]            À mon avis, la conclusion du tribunal reposait en outre sur sa position selon laquelle les mesures de répression de la police étaient fondées sur une loi d'application générale et ne constituaient donc pas de la persécution.

[41]            Deux éléments font défaut dans la conclusion du tribunal relativement à la PRI :

(1)        suivant la façon dont elle est appliquée, une loi d'application générale peut être persécutante;

(2)        une loi d'application générale ou un décret d'urgence ne peuvent justifier les arrestations et détentions arbitraires.

[42]            Je signale que la Cour s'est récemment penchée sur ces principes dans l'affaire Ranjah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] CFPI 637, en particulier aux paragraphes 24 à 28.

[43]            Sur la question des arrestations et détentions arbitraires après la dispersion de rassemblements, je suis d'avis que le tribunal n'a pas pris en considération la preuve présentée par le demandeur, indiquant que des personnes dans la même situation que lui étaient détenues dans des endroits inconnus.


[44]            La deuxième conclusion importante du tribunal a trait à l'insuffisance d'éléments de preuve crédibles établissant que le demandeur était recherché par la police. Il a tiré cette conclusion principalement parce que le demandeur n'a déposé en preuve ni le mandat d'arrêt lancé conte lui après la visite de la police chez lui le 19 mars 2001 et d'autres visites au domicile familial ni le PRD, dont son père a découvert l'existence lorsqu'il s'est rendu au poste de police et qui a mené à la fuite du demandeur.

[45]            Après l'audience, a été déposée devant le tribunal une lettre de la mère du demandeur en date du 10 juin 2002, où elle explique que des copies du PRD et du mandat d'arrêt ont été envoyées au demandeur mais qu'elles ont été saisies à l'aéroport de Karachi et remises à la police qui a alors interrogé les parents du demandeur sur l'endroit où se trouvait leur fils.

[46]            Le tribunal n'a pas mentionné cet élément de preuve dans ses motifs. Compte tenu de son importance et de son lien avec la conclusion du tribunal selon laquelle il n'y avait pas d'éléments de preuve suffisants établissant que le demandeur était recherché, le tribunal avait, selon moi, l'obligation de le faire compte tenu du principe formulé par le juge Evans lorsqu'il siégeait à la Section de première instance, dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35.

[47]            La conclusion du tribunal quant à l'absence de crainte subjective me paraît également erronée, et j'en traiterai brièvement. Relativement au fait qu'il n'a pas demandé asile au Royaume-Uni, il appert que le demandeur était en transit. Il a en outre expliqué pourquoi il ne se sentait pas en sécurité en Angleterre : un dirigeant du MQMM y résidait. Pour ce qui est des États-Unis, le tribunal a conclu à tort que le demandeur y avait passé deux jours. La preuve établit que le demandeur y était également en transit et qu'il n'y est resté qu'un jour.


[48]            Le tribunal a vu d'un oeil critique le fait que le demandeur n'a pas quitté le Pakistan plus tôt quand il s'est caché. Je rattache cette critique à la conclusion du tribunal que le demandeur avait évité toute détection pendant deux mois et demi et que [traduction] « si le revendicateur avait présenté un réel intérêt pour les opposants ou les autorités, il aurait été découvert » . Cette conclusion a été formulée alors qu'aucune preuve au dossier ne permettait une telle inférence. Autrement dit, elle était purement conjecturale.

[49]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et la revendication de statut de réfugié du demandeur est renvoyée à une formation différente du tribunal. Aucune question n'a été soumise pour certification.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                               

                                                                                                       J U G E             

OTTAWA (ONTARIO)

28 MAI 2003


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                     AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS

DOSSIER :     IMM-3149-02

INTITULÉ :                 SUHAIB RAO MUSHARRAF c. M.C.I.

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :      Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :    10 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :           28 mai 2003

COMPARUTIONS :

M. Birjinder P.S. Mangat                        POUR LE DEMANDEUR

Mme Kerry A. Franklin (Min. Justice - Edmonton)          POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Birjinder P.S. Mangat

Avocat et procureur                                              POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                     POUR LE DÉFENDEUR

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