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Date : 20000825

Dossier : T-992-92

ENTRE :

ALMECON INDUSTRIES LIMITED,

demanderesse,

- et -

ANCHORTEK LTD., EXPLOSIVES LIMITED,

ACE EXPLOSIVES ETI LTD.

et WESTERN EXPLOSIVES LTD.,

défenderesses.

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

[1]         La défenderesse Anchortek (Anchortek) et la demanderesse ont réglé directement un certain nombre de questions soulevées dans leurs requêtes respectives. Avec le consentement des parties, j'ai autorisé la demanderesse à demander immédiatement une conférence préparatoire, sans préjudice, toutefois, de la présente requête d'Anchortek tendant à modifier ses actes de procédure et à poursuivre l'interrogatoire préalable de la demanderesse. Depuis, la date de l'instruction a été fixée par la Cour au début de septembre 2001.


[2]         Les seules questions qui restent à trancher sont la requête d'Anchortek visant l'autorisation de modifier sa défense et demande reconventionnelle, déjà modifiées à trois reprises, l'obtention d'une ordonnance de communication de documents supplémentaires par la demanderesse et d'une ordonnance de poursuite de l'interrogatoire préalable de la demanderesse et de l'auteur de l'invention.

[3]         Si Anchortek obtient gain de cause à l'égard d'un redressement visé dans sa requête, la demanderesse demande par voie de requête de poursuivre l'interrogatoire des défenderesses. Les autres défenderesses à l'instance ne prennent pas parti sur les modifications proposées par Anchortek, mais s'opposent à toute nouvelle demande d'interrogatoire préalable faite par la demanderesse.

Le contexte

[4]         La présente affaire porte sur une allégation de contrefaçon, par les défenderesses, du brevet de la demanderesse concernant une cartouche de bourrage en usage dans le domaine de la prospection séismique. Les actes de contrefaçon allégués par la demanderesse comprennent la production et la vente par Anchortek d'une cartouche connue sous le nom d'Energy Plug.

[5]         Anchortek nie toute atteinte au brevet et attaque la validité du brevet de la demanderesse. Elle présente également une demande reconventionnelle visant à faire déclarer l'invalidité du brevet et à obtenir des dommages-intérêts pour les préjudices qu'elle a subis en raison d'allégations fausses ou trompeuses que les dirigeants et administrateurs de la demanderesse ont faites à des employés de clients d'Anchortek au cours de 1992, qui tendaient, selon elle, à discréditer l'entreprise et ses marchandises. Il aurait notamment été dit que la cartouche Energy Plug contrefaisait le brevet de la demanderesse.


[6]         Dans une affaire connexe entre la demanderesse et une autre société, Austin Powder Ltd. (Austin Powder), la demanderesse a allégué qu'Austin Powder a contrefait son brevet en achetant et en vendant des cartouches Energy Plug d'Anchortek (Cour fédérale, n ° T-609-96). La demanderesse et Austin Powder sont parvenues à un règlement en septembre 1999 et la poursuite a été abandonnée.

[7]         Bien qu'Anchortek n'ait pas été au courant des conditions du règlement intervenu entre la demanderesse et Austin Powder, son président, Frank Bodell, a obtenu l'essentiel de l'accord par ses contacts dans le secteur séismique albertain. Dans son affidavit déposé à l'appui de la requête d'Anchortek, M. Bodell déclare qu'on lui a dit (sans révéler ses sources) que pour régler la poursuite, Austin Powder avait convenu de payer un montant forfaitaire à la demanderesse. Il semble aussi qu'Austin Powder se serait engagée à cesser d'acheter les cartouches d'Anchortek et à commencer à acheter exclusivement les cartouches de la demanderesse. Enfin, les deux parties auraient convenu qu'Austin Powder ne serait plus tenue d'acheter la cartouche de la demanderesse dans le cas ou Anchortek aurait gain de cause dans la présente affaire.

[8]         M. Bodell a également appris que la demanderesse avait approché Western Explosives Ltd. (Western Explosives), co-défenderesse dans la présente instance et faisant partie de ses clients, en vue de lui faire une proposition de règlement semblable.

[9]         Anchortek souhaite maintenant modifier sa demande reconventionnelle pour y inclure des allégations que la demanderesse, de manière illicite et indue, a conclu un règlement avec Austin Powder et qu'elle est intervenue auprès d'un de ses clients. Anchortek cherche aussi à obtenir la production des documents du règlement intervenu entre la demanderesse et Austin Powder et la poursuite de l'interrogatoire préalable sur les nouvelles modifications et sur tout document dont la production a été ordonnée.


[10]       La demanderesse s'oppose aux modifications proposées et à la production de tout document supplémentaire. Elle ne conteste pas, cependant, qu'Anchortek aurait droit de poursuivre l'interrogatoire préalable s'il était fait droit à sa requête de modifier ses actes de procédure et s'il était ordonné que des documents supplémentaires soient produits.

Modifications proposées à la demande reconventionnelle d'Anchortek

[11]       Je vais en premier lieu traiter des modifications proposées par Anchortek. Anchortek cherche à modifier sa demande reconventionnelle en ajoutant, notamment, les allégations figurant aux paragraphes 12 à 16 de la nouvelle demande reconventionnelle :

[TRADUCTION]12. Par voie de déclaration déposée auprès de la Cour fédérale dans le dossier T-609-96, la demanderesse a intenté une action contre Austin Powder Ltd. (désignée ci-dessous « Austin » ) pour contrefaçon du brevet canadien n º 1 220 134 au motif de la vente par Anchortek à Austin de cartouches Energy Plug et de la revente de ces cartouches par Austin à d'autres. En raison d'un accord entre les parties, la présente action et l'action T-609-96 devaient être jugées ensemble.

13. Anchortek a mis fin à la vente de sa cartouche Energy Plug en 1996. Depuis, au vu et au su de la demanderesse, Anchortek a produit et vendu des cartouches de forage d'un concept différent de l'Energy Plug à Austin et à d'autres. La demanderesse n'a jamais alléguéque ces autres cartouches produites et vendues par Anchortek contrefaisaient le brevet canadien n º 1 220 134.

14. La demanderesse est parvenue récemment à un règlement de l'affaire T-609-96 avec Austin. Comme élément du règlement, la demanderesse a demandéà Austin soit de mettre fin à ses achats, soit de les limiter aux cartouches d'Anchortek non mises en question dont il est fait mention au paragraphe 13 ci-dessus. Par conséquent, Austin a cesséou réduit de manière importante ses achats de cartouches d'Anchortek non mises en question.

15. La demanderesse s'est donc appuyée sur l'allégation fausse et trompeuse que les cartouches Energy Plug d'Anchortek contrefaisaient le brevet canadien n º 1 220 134, et sur la menace d'une poursuite à ce sujet, pour obtenir d'Austin un accord illicite et indu qui a réduit les ventes de cartouches non mises en question d'Anchortek à Austin.

16. La demanderesse a également cherché, en janvier 2000, à passer un accord semblable avec Western Explosives comme élément d'un règlement de la présente instance avec Western.


[12]       Anchortek cherche à préciser par de nouvelles modifications que les déclarations de la demanderesse ont contrevenu à l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce et à l'article 52 de la Loi sur la concurrence. En outre, Anchortek désire ajouter comme nouvelles allégations que la demanderesse s'est immiscée de manière illicite dans les intérêts économiques et les relations contractuelles d'Anchortek et a proféré des fausses déclarations préjudiciables à l'endroit d'Anchortek.

Position des parties à lgard des modifications proposées

[13]       Anchortek soutient que sa demande reconventionnelle contre la demanderesse se fonde en partie sur l'allégation que la demanderesse a fait des déclarations fausses et trompeuses à des clients d'Anchortek, notamment à Austin Powder. Elle plaide que les modifications proposées sont nécessaires pour protéger ses droits économiques. De plus, elle déclare que ces modifications, pour l'essentiel, ne font que compléter la demande reconventionnelle existante, en fournissant des exemples supplémentaires de déclarations fausses et trompeuses de la demanderesse.

[14]       La demanderesse s'oppose aux modifications proposées pour plusieurs motifs. En particulier, elle soutient que l'allégation du paragraphe 15 de la demande reconventionnelle proposée, « la demanderesse s'est appuyée sur l'allégation fausse et trompeuse que les cartouches Energy Plug d'Anchortek contrefaisaient le brevet canadien n º 1 220 134 » , semble être fondée sur des déclarations privilégiées faites par la demanderesse à Austin Powder dans le cadre d'une procédure judiciaire. À ce titre, ces déclarations sont protégées par le privilège et ne peuvent servir de fondement à une action en justice.


[15]       La demanderesse prétend également que les modifications proposées soulèvent de nouvelles causes d'action qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Elle soutient que la Cour fédérale n'est pas compétente en matière de réparation pour immixtion illicite dans les intérêts économiques ou dans l'exécution d'un contrat, ces questions touchant directement la propriété et les droits contractuels. S'agissant de l'allégation de fausses déclarations préjudiciables, elle affirme qu'aucun fait substantiel n'est présenté à l'appui de l'allégation, à l'exception des déclarations privilégiées.

Principes généraux applicables en matière de modification des actes de procédure

[16]       Selon l'article 75 des Règles de la Cour fédérale (1998), la Cour peut à tout moment autoriser une partie à modifier ses actes de procédure, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties. Les parties s'entendent sur les principes généraux qui régissent les modifications des actes de procédure.

[17]       Bien que l'autorisation soit discrétionnaire, en règle générale la modification proposée devrait être autorisée pour autant qu'elle ne porte pas préjudice à la partie adverse. Le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, a résumé ce principe général dans l'affaire Canderel Ltd. c. Canada[1] en ces termes :... la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.

[18]       Dans une requête en modification d'un acte de procédure, la partie n'est pas tenue dtablir sa preuve selon la norme de preuve habituelle[2]. La Cour doit aussi présumer que les faits invoqués dans les modifications sont vrais[3].


[19]       En outre, les modifications proposées doivent comporter des faits substantiels adéquats sur lesquels la partie se fonde, sous peine de refus de l'autorisation[4].

Analyse des modifications proposées à la demande reconventionnelle

[20]       Anchortek allègue dans sa demande reconventionnelle actuelle que la demanderesse a approché des clients d'Anchortek, dont Austin Powder et Western Explosives, et fait des allégations fausses et trompeuses au sujet de la contrefaçon de son brevet par Anchortek. Ces allégations constituent le fondement de la cause d'action en vertu de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce[5], ainsi conçu :7. Nul ne peut :

   a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;

[21]       Au paragraphe 15 de la demande reconventionnelle modifiée, Anchortek cherche à ajouter que la demanderesse « s'est appuyée sur l'allégation fausse et trompeuse que la cartouche Energy Plug d'Anchortek contrefait le brevet canadien n º 1 220 134 » pour conclure un accord avec Austin Powder. La demanderesse soutient que cette « allégation » ne pouvait avoir été faite qu'au cours de l'action qu'elle avait intentée contre Austin Powder et que ces déclarations sont protégées par le privilège et ne peuvent donner lieu à des poursuites[6].


[22]       Anchortek déclare que les modifications proposées ne s'appuient sur aucune affirmation de la demanderesse dans sa déclaration dans l'action contre Austin Powder ou dans la présente instance. Elles se fondent plutôt sur les déclarations fausses et trompeuses de la demanderesse à Austin Powder avant l'introduction de l'action contre Austin Powder et sur les conditions du contrat entre la demanderesse et Austin Powder intéressant Anchortek et ses cartouches non mises en question. Compte tenu de la restriction faite par Anchortek au sujet de l'allégation du paragraphe 15, je suis d'avis que la question du privilège ne se pose pas.

[23]       La question que je dois trancher est de savoir si les modifications proposées à la demande reconventionnelle, telles qu'elles sont actuellement formulées, sont justifiées et si elles doivent être autorisées en vue de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties.

[24]       Les paragraphes 12, 13 et 14 de la demande reconventionnelle proposée forment le contexte de l'allégation du paragraphe 15, à savoir que la demanderesse « s'est donc appuyée sur l'allégation fausse et trompeuse que les cartouches Energy Plug d'Anchortek contrefaisaient le brevet canadien n º 1 220 134, et sur la menace d'une poursuite à ce sujet » pour obtenir un règlement avec Austin Powder. Je reconnais que ces paragraphes ne sont pas des modèles de clarté, mais si on les interprète généreusement, ils établissent effectivement les faits substantiels de base étayant une cause d'action basée sur l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce[7].


[25]       Dans l'arrêt S. & S. Industries Inc. c. Rowell[8], la Cour suprême du Canada a établi que la menace d'une poursuite pouvait donner lieu à une action, dans une affaire dont les faits ressemblent de manière frappante à la présente instance. Renvoyant à l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce[9], dont le libellén'a pas changé, le juge Spence a déclaré :[TRADUCTION] De plus, la personne cherchant à protéger son brevet peut ou bien intenter immédiatement une action en contrefaçon et demander une injonction qui interdirait au contrefacteur de continuer de porter préjudice à ses droits de brevet, ou bien intenter une action en dommages-intérêts contre ceux qui utilisent, dans leur entreprise, les marchandises fabriquées par le contrefacteur présumé. Dans le premier cas, elle peut mettre en cause comme parties défenderesses, tous ceux qui achètent des marchandises au contrefacteur présumépour les utiliser dans leur entreprise. L'injonction ayant étéaccordée uniquement parce qu'elle stait engagée à payer les dommages-intérêts qui en découleraient si elle n'obtenait pas gain de cause, elle agit à ses propres risques. Il semblerait qu'il n'y ait aucune raison valable pour laquelle, plutôt que de choisir cette action directe, elle devrait pouvoir menacer les clients du contrefacteur présumésans se rendre passible de dommages-intérêts à moins que sa mauvaise foi ne puisse être prouvée.

[26]       Le juge Walsh est arrivé à la même conclusion dans Diamond Shamrock Corp. c. Hooker Chemicals & Plastics[10] :Si, en fait, des déclarations équivalant à des menaces ont étéfaites à des tiers faisant le commerce ou faisant usage du produit de la défenderesse Hooker Chemicals & Plastics Corp., et si, en fin de compte, le brevet de la demanderesse était déclaréinvalide par suite de la demande reconventionnelle, ladite défenderesse pourrait alors demander des dommages-intérêts.

[27]       Je conclus que les paragraphes 12 à 16 de la demande reconventionnelle proposée sont suffisamment étayés pour justifier une demande au titre de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. De plus, il n'est pas clair et évident à mes yeux qu'une demande fondée sur l'article 52 de la Loi sur la concurrence serait nécessairement refusée, même si Anchortek n'a pas allégué que la déclaration a été faite « au public » . Par conséquent, je suis d'avis d'autoriser les modifications.

[28]       S'agissant des modifications proposées par Anchortek relatives à l'ajout de nouvelles causes d'action, je ne suis pas persuadé qu'il y ait lieu dans ce cas de donner l'autorisation. Il ne fait aucun doute que la Cour fédérale a compétence sur des questions qui pourraient autrement relever de la compétence des Cours supérieures des provinces, dans la mesure où l'objet de l'action porte principalement sur un brevet, une marque de commerce ou le droit d'auteur. Néanmoins, la nouvelle formulation proposée par Anchortek ntablit pas adéquatement des prétentions suffisantes au titre des trois chefs distincts de délits.


[29]       Pour établir le délit d'immixtion illicite dans les relations contractuelles et les intérêts économiques, Anchortek devrait faire la preuve que la demanderesse avait l'intention de causer un préjudice à la demanderesse[11]. De plus, pour étayer une demande pour immixtion dans l'exécution d'un contrat, Anchortek devrait établir qu'elle avait un contrat avec Austin Powder. S'agissant du délit de fausses déclarations préjudiciables, la malice est un élément essentiel et doit être alléguée.

[30]       Au stade avancé où se trouve la procédure, il ne serait pas approprié d'accorder à Anchortek l'autorisation de mieux articuler ses allégations pour corriger les lacunes de ses actes de procédure. De plus, j'estime que la demande d'Anchortek pour les préjudices qu'elle allègue avoir subis de la part de la demanderesse peut être pleinement traitée selon l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce ou selon l'article 52 de la Loi sur la concurrence.

Production de l'accord de règlement entre la demanderesse et Austin Powder

[31]       J'aborde maintenant la demande d'Anchortek visant la production des documents du règlement intervenu entre la demanderesse et Austin Powder. Anchortek prétend que l'accord et les documents afférents sont pertinents non seulement eu égard aux modifications proposées, mais également par rapport à l'allégation d'Anchortek au paragraphe 12 de la demande reconventionnelle actuelle, selon laquelle elle aurait subi un dommage par suite des affirmations fausses et mensongères de la demanderesse à ses clients, notamment à Austin Powder. La demanderesse s'oppose à la production de ces documents au motif qu'ils sont privilégiés et, au demeurant, sans rapport avec l'action ou la demande reconventionnelle.


[32]       À titre de contestation préliminaire, la demanderesse fait valoir que l'affidavit de M. Bodell déposé à l'appui de la requête en production est irrégulier parce qu'il est fondé sur des renseignements et des opinions. Elle plaide que le déposant ne décrit pas suffisamment la source de ses renseignements. À cet égard, la demanderesse prétend que la Cour ne dispose pas dléments de preuve suffisants et que l'affidavit devrait être radié.

[33]       Anchortek réplique qu'elle n'a pas une connaissance directe des conditions du règlement intervenu entre la demanderesse et Austin Power. Elle allègue que la demanderesse aurait facilement pu déposer un affidavit comportant de meilleurs éléments de preuve à l'encontre des allégations ou contre-interroger M. Bodell. Dans les circonstances, Anchortek soutient que l'affidavit de M. Bodell ne devrait pas être radié.

[34]       À mes yeux, la contestation de la demanderesse doit être rejetée. Bien qu'il ait été préférable que M. Bodell identifie ses sources, cette lacune n'a pas causé un véritable préjudice à la demanderesse. Les faits substantiels dans la présente requête sont de savoir si la demanderesse et Austin Power ont conclu un accord et, le cas échéant, si cet accord a bien été conclu aux conditions que M. Bodell a comprises. La véracité de ces déclarations est certainement connue de la demanderesse[12]. La divulgation des sources d'information d'Anchortek n'aurait rien ajouté. Dans les circonstances, j'estime que les renseignements recueillis par M. Bodell sont dignes de foi, particulièrement en l'absence de toute preuve du contraire.


[35]       Passons maintenant à la question de la pertinence. Le critère à appliquer en vue de la communication de documents est de savoir si le document visé peut raisonnablement mener à une enquête qui pourrait permettre à la partie, directement ou indirectement, de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire. Je conviens avec l'avocat d'Anchortek que les conditions de l'accord entre la demanderesse et Austin Powder sont pertinentes par rapport aux questions soulevées dans l'instance, en particulier par rapport aux dommages-intérêts. Pour établir la responsabilité des dommages, Anchortek devrait faire la preuve qu'elle a subi une perte quelconque du fait de l'acte fautif de la demanderesse. Si la demanderesse a effectivement conclu avec Austin Powder un accord préjudiciable aux ventes d'Anchortek, ces faits sont incontestablement pertinents.

[36]       S'agissant de la contestation de la demanderesse fondée sur le privilège, il est bien établi que la règle d'exclusion ou le privilège est applicable à la protection des éléments de preuve touchant des négociations menant à un règlement[13]. Cependant, Anchortek ne cherche pas à obtenir la divulgation des négociations d'un règlement, mais bien du règlement lui-même. De plus, Anchortek ne vise pas la divulgation des documents du règlement pour prouver une faiblesse dans l'argumentation de la demanderesse ni pour établir la responsabilité de la demanderesse à lgard d'agissements qui ont fait l'objet du règlement.

[37]       En cherchant à garder un équilibre entre les droits concurrents de la demanderesse et d'Anchortek, je garde à l'esprit la déclaration suivante du juge d'appel Hugessen (tel était son titre à lpoque) dans Bertram c. Ministre du Revenu national[14] :...la mesure d'intérêt public qui sous-tend la règle d'exclusion exige que cette dernière ne serve pas à protéger une preuve de déclaration inexacte ou d'agissements malhonnêtes.


[38]       Je comprends difficilement le préjudice que subirait la défenderesse à révéler les conditions du règlement avec Austin Powder. Je ne dispose d'aucun élément de preuve suggérant que l'accord de règlement devait demeurer confidentiel. En réalité, la preuve va même dans le sens contraire. Par conséquent, je conclus que le privilège de non-divulgation, même si on pouvait l'invoquer contre un tiers touché, ce dont je doute, ne s'applique pas et ne devrait pas s'appliquer en l'espèce.

Continuation de l'interrogatoire préalable des parties

[39]       Anchortek a droit de poursuivre l'interrogatoire préalable de la demanderesse en ce qui concerne les questions soulevées par les modifications de la demande reconventionnelle et les documents de règlement dont la communication est ordonnée. La demanderesse peut également poursuivre l'interrogatoire préalable d'Anchortek sur les mêmes questions.

[40]       Anchortek n'est pas parvenue à justifier la poursuite de l'interrogatoire préalable de l'auteur de l'invention. En outre, je ne vois pas sur quel fondement la demanderesse devrait être autorisée à reprendre l'interrogatoire préalable des autres défenderesses. Par conséquent, la poursuite de l'interrogatoire des autres parties est refusée sous réserve que la Cour l'autorise sur la base de meilleurs éléments de preuve.

Conclusion

[41]       Pour les motifs mentionnés ci-dessus, la défenderesse Anchortek est autorisée à modifier sa demande reconventionnelle, à l'exception des alinéas 10d) et f) et des alinéas 17 iii), iv) et v).

[42]       La demanderesse doit produire dans les moindres délais une copie du document ou des documents reflétant le règlement intervenu avec Austin Powder.

[43]       Anchortek et la demanderesse sont autorisées à poursuivre leur interrogatoire préalable respectif au sujet des modifications autorisées et des documents produits.


[44]       Considérant que chaque partie a eu partiellement gain de cause, les dépens des deux requêtes sont à suivre.

[45]       Dans un délai de 10 jours à compter de la date des motifs de l'ordonnance, les parties doivent présenter un projet d'ordonnance traduisant la décision rendue sur leur requête respective ainsi qu'une proposition dchéancier pour les étapes ultérieures de la procédure d'ici à la conférence préparatoire qui doit reprendre le 13 septembre 2000.

Roger R. Lafrenière

                                                                                       Protonotaire                      

Toronto (Ontario)

Le 25 août 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                  Avocats et avocats inscrits au dossier

N º DU GREFFE :                               T-992-92

INTITULÉ DE LA CAUSE : ALMECON INDUSTRIES LIMITED

- et -

ANCHORTEK LTD., EXPLOSIVES LIMITED,

ACE EXPLOSIVES ETI LTD.

et WESTERN EXPLOSIVES LTD.

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE LUNDI 17 AVRIL 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE :                                                LE VENDREDI 25 AOÛT 2000

ONT COMPARU :                                                    M. Bruce W. Stratton

et M. Henry Lue

Pour la demanderesse

M. Steven B. Garland

Pour la défenderesse, Anchortek Ltd.

A COMPARU PAR TÉLÉCONFÉRENCE :         Mme Brenda M. Leeds

Pour les défenderesses, Explosives Limited, Ace Explosives ETI Ltd.

et Western Explosives Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                 Dimock Stratton Clarizio

Barristers & Solicitors

3202-20 Queen Street West

Box 102

Toronto (Ontario)

M5H 3R3

Pour la demanderesse

Smart & Biggar

Barristers & Solicitors

900-55, rue Metcalfe

C.P 2999, Succursale D

Ottawa (Ontario)

K1P 5Y6


Pour la défenderesse, Anchortek Ltd.

Burnet, Duckworth & Palmer

Barristers & Solicitors

First Canadian Centre

1400, 350 - 7th Avenue SW

Calgary (Alberta)

T2P 3N9

Pour les défenderesse, Explosives Limited, Ace Explosives ETI Ltd.

et Western Explosives Ltd.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20000825

                                                               Dossier : T-992-92

ENTRE :

ALMECON INDUSTRIES LIMITED,

demanderesse,

- et -

ANCHORTEK LTD., EXPLOSIVES LIMITED,

ACE EXPLOSIVES ETI LTD.

et WESTERN EXPLOSIVES LTD.,

défenderesses.

                                                     

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                            



     [1] ©1994ª 1 C.F. 3 (C.A.F.) à la p. 9.

     [2] Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd. (1999), 85 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.) à la p. 218.

     [3] Visx Inc. c. Nidek Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19 (C.A.F.) à la p. 24.

     [4] Visx Inc. c. Nidek Co., supra..

     [5] L.R.C. (1985), ch. T-13.

     [6] Fleming, Law of Torts, 9th ed., p. 617-618; Chase Manhattan Corp. c. 3133559 Canada Inc. (1999), dossier T-1754-96, non publié, juge Dubé, 22 juin 1999; Diamond Shamrock Corp. c. Hooker Chemicals & Plastics Corp. et al (1981), 60 C.P.R. (2d) 166 (C.F.1re inst.) à la p. 171.   

    [7] Les déclarations fausses et trompeuses peuvent donner lieu à une action sous le régime de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce dans la mesure où elles tendent « à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent » et entraînent un préjudice.

     [8] ©1966ª R.C.S. 419.

     [9] Ch. 49, Lois du Canada 1952-1953.

   [10] (1981), 60 C.P.R. (2d) 166 à la p. 171.

     [11] Lewis N. Lar et al, Remedies in Tort (Toronto: Carswell, 1987) Volume 3, Chapter 24, Š 50; Daishowa Inc. c. Friends of the Lubicon (1996), 27 O.R. (3d) 215 à la p. 230

     [12] Weatherill c. Canada (Procureur général) et al., (1999), 168 F.T.R. 161 (1re inst.)

     [13] John Sopinka, Sideney N. Lederman, Q.C. & Alan W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (Toronto and Vancouver, Butterworths, 1992) à la p. 719.

     [14] (1995) 191 N.R. 218 (C.A.F.) à la p. 224.

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