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Date : 20060615

Dossier : IMM-7198-05

Référence : 2006 CF 766

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 JUIN 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

FENGYING REN

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 8 novembre 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger.

 

[2]               La demanderesse, Fengying Ren, est une citoyenne de la République populaire de Chine. Sa demande d'asile est fondée sur ses opinions politiques et sa religion et sur son appartenance à un groupe social déterminé, en l'occurrence son statut d'adepte du Falun Gong. Elle est arrivée au Canada le 20 août 2004 et a déposé sa demande d'asile le 1er septembre 2004. 

[3]               La demanderesse a été entendue par la Commission le 14 juillet 2005. À l'ouverture de l'audience, le commissaire a précisé qu'il n'accepterait pas certains des éléments de preuve documentaires que l'avocat avait déposé en preuve parce qu'il estimait que ces éléments ne se rapportaient pas à la demande et qu'ils n'avaient aucune valeur probante. Ces éléments de preuve concernaient les restrictions frappant la diffusion de l'information en Chine. Après avoir entendu les objections de l'avocat de la demanderesse, le commissaire a finalement admis en preuve deux des quatre liasses de documents en litige. La demanderesse s'est formellement opposée au refus du commissaire d'admettre la totalité des documents en faisant valoir que cette mesure limiterait sa capacité de faire valoir son point de vue.

 

[4]               À la suite de cet échange, l'avocat de la demanderesse a présenté une requête visant à contraindre le commissaire à se récuser au motif que le droit de la demanderesse à une instruction impartiale était compromis en raison des opinions défavorables que le commissaire avait déjà exprimées. Le commissaire a refusé de se récuser en affirmant qu'une personne raisonnable ne conclurait pas à une apparence de partialité.

 

[5]               La transcription révèle qu'à la fin de l'audience, alors que l'avocat de la demanderesse formulait ses observations finales, le commissaire l'a interrompu et lui a coupé la parole à plusieurs reprises alors qu'il tentait de présenter ses arguments au sujet des pièces que le commissaire avait refusé d'admettre en preuve. Le commissaire a prévenu l'avocat que, s'il continuait à faire allusion à ces éléments, il l'empêcherait de formuler d'autres observations.

 

[6]               Le commissaire a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger parce que la preuve ne l'avait pas convaincu que la demanderesse avait déjà pratiqué le Falun Gong en Chine ou qu'elle s'était attirée contre son gré l'attention du Bureau de la sécurité publique. Tout en admettant que la demanderesse pratiquait peut-être le Falun Gong au Canada, le commissaire a conclu que c'était par opportunisme qu'elle s'y adonnait. 

 

[7]               La question sur laquelle porte le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la Commission a manqué à l'équité procédurale en refusant à l'avocat de la demanderesse la possibilité de déposer certains éléments de preuve documentaires.

 

[8]               Il n'est pas nécessaire de recourir à l'analyse pragmatique et fonctionnelle lorsque la Cour examine des allégations de déni de justice naturelle ou de manquement à l'équité procédurale (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29). Le rôle de la juridiction saisie d'une demande de contrôle judiciaire consiste à examiner les faits de l'affaire pour déterminer si le tribunal administratif en question a respecté l'obligation d'agir équitablement à laquelle il était soumis. Si la Cour arrive à la conclusion que, par ses agissements, le tribunal administratif a manqué à la justice naturelle ou à l'équité procédurale, elle n'est pas tenue de faire montre de déférence et elle doit annuler sa décision.

 

[9]               Il est de jurisprudence constante que les tribunaux administratifs comme la Section de la protection des réfugiés sont maîtres de leur procédure et qu'ils décident souverainement de toute question se rapportant à l'admissibilité de la preuve (Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, 57 D.L.R. (4th) 663). Le refus du commissaire de se récuser ne constitue pas en soi un manquement à l'équité procédurale. Il était loisible au commissaire de conclure que la preuve présentée par la demanderesse n'était pas pertinente ou admissible ou, si elle était admissible, qu'elle avait peu de poids. Mais il devait d'abord accorder à la demanderesse la possibilité raisonnable de démontrer la pertinence des éléments de preuve en question. Or, la transcription révèle que cette possibilité ne lui a pas été accordée.

 

[10]           Je suis convaincu que le commissaire a manqué à son obligation d'agir avec équité en refusant de permettre à l'avocat de formuler des observations sur la question à l'ouverture de l'audience et en mettant fin de façon péremptoire aux débats. Les agissements du commissaire susciteraient une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit de l'observateur raisonnable et renseigné (Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Bd. of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, 89 D.L.R. (4th) 289).

 

[11]            En conséquence, la décision devrait être annulée et l'affaire devrait être renvoyée pour être jugée de nouveau par un autre commissaire de la SPR.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que la demande d'asile soit renvoyée pour être jugée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7198-05

 

INTITULÉ :                                       FENGYING REN

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 13 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin Moses

 

POUR LA DEMANDERESSE

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MARVIN MOSES

Cabinet de Me Marvin Moses

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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