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Date : 20200224


Dossier : T‑491‑17

Référence : 2020 CF 290

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 24 février 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

TAMBA THOMAS

demandeur

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE (MSPPC)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Tamba Thomas (le demandeur) est un marchand de diamants qui vit en Australie. Il cherche à faire infirmer une décision concernant les conditions selon lesquelles le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le défendeur) restituera des diamants d’une valeur de 19 800 $ qui lui ont été saisis à la frontière canadienne. Il affirme qu’il a été acquitté de toutes les accusations criminelles relatives à sa tentative de faire entrer les diamants au Canada, et que le juge a ordonné que les diamants lui soient restitués. Il prétend que le défendeur ne respecte pas cette ordonnance en imposant des conditions supplémentaires qu’il n’est pas en mesure de respecter.

[2]  Le défendeur a indiqué qu’il est tout à fait disposé à lui restituer les diamants, mais que, comme ils ont été saisis à la frontière et que le demandeur n’avait pas les documents nécessaires pour les importer légalement au Canada, le demandeur doit les sortir directement du pays. Le défendeur déclare toutefois qu’il n’a pas le pouvoir de délivrer au demandeur les documents nécessaires à l’exportation des diamants, qui sont assujettis à un régime législatif particulier, puisque le demandeur n’a pas importé légalement les diamants au Canada.

[3]  Le demandeur fait valoir que cela le place dans une situation impossible. Il ne peut pas importer les diamants au Canada, et il craint que, sans les documents nécessaires, ses diamants soient saisis s’il les exporte.

[4]  Le demandeur croit qu’il a été soumis à des procédures administratives et criminelles sans aucune raison valable, et il fait valoir que ses diamants devraient lui être restitués sans condition. Il a apporté les diamants avec lui par erreur lorsqu’il est venu au Canada pour récupérer d’autres diamants qu’il avait importés légalement. Il a immédiatement reconnu son erreur, mais, au lieu de traiter l’affaire comme une question administrative mineure, le défendeur a procédé à une saisie administrative officielle.

[5]  De plus, le demandeur a été accusé d’avoir enfreint la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl) [la Loi], ainsi que la Loi sur l’exportation et l’importation des diamants bruts, LC 2002, c 25 [la Loi sur les diamants]. Le juge a accepté le fait que le demandeur avait commis une erreur de bonne foi, et il a été acquitté de toutes ces accusations. Le juge a ordonné que les diamants lui soient restitués. Le demandeur soutient que le défendeur ne se conforme pas à cette ordonnance et ne facilite pas la restitution des diamants d’une manière qui lui permettrait de les traiter légalement, soit en les important au Canada, soit en les exportant ailleurs, parce que le défendeur ne lui délivrera pas le certificat nécessaire.

[6]  Le défendeur prétend qu’il suit simplement la Loi et la Loi sur les diamants. Le demandeur est responsable de la situation dans laquelle il se trouve, parce qu’il n’a pas respecté la loi lorsqu’il a apporté les diamants bruts des États‑Unis au Canada.

[7]  La présente affaire a un long historique procédural, quoique la séquence sous‑jacente des faits soit relativement simple. Afin de comprendre le fondement des plaintes du demandeur, il est nécessaire d’examiner l’historique de l’affaire ainsi que le cadre juridique et stratégique, y compris le Processus de Kimberley, un accord international dont l’objet est d’empêcher le commerce des « diamants de conflits ». Cet examen fournira le fondement nécessaire à l’analyse des principaux arguments du demandeur.

[8]  Contrairement à la situation qui prévaut dans la plupart des demandes de contrôle judiciaire, pour bien apprécier la plainte principale du demandeur, il faut examiner la décision contestée dans le contexte des faits qui l’ont précédée (ce qui est habituel) et des faits subséquents (ce qui ne l’est pas). Dans les circonstances particulières de la présente affaire, et étant donné que le demandeur agit pour son propre compte et que l’affaire a été plaidée sur cette base par les deux parties, il est dans l’intérêt de la justice de tenir compte de certains faits essentiels qui se sont produits après la décision contestée.

[9]  Le demandeur a agi pour son propre compte dans la présente instance. Il convient de souligner dès le départ que le défendeur s’est opposé à certains passages de l’affidavit déposé par le demandeur à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, parce qu’ils contiennent des opinions et des arguments plutôt que de simplement rapporter des faits dont le demandeur a une connaissance personnelle. Dans la mesure où certains paragraphes de l’affidavit allaient au‑delà de ce qui est permis par les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], ou cherchaient à présenter de nouveaux éléments de preuve, je conclus qu’ils sont inadmissibles (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22). Ce point est examiné plus en détail ci‑dessous.

[10]  De plus, le demandeur a présenté une requête pour obtenir une ordonnance de confidentialité permettant de protéger son identité et ses renseignements confidentiels figurant au dossier. Cette question sera traitée à la fin des présents motifs.

[11]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La demande d’ordonnance de mise sous scellés est également rejetée, mais certains des documents déposés par le demandeur seront retirés du dossier de la Cour, parce qu’ils sont inadmissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

II.  Le contexte

[12]  Le demandeur est un marchand de diamants, et il est résident de l’Australie. Il voulait développer son entreprise en Amérique du Nord, et il a apporté des diamants au Canada et aux États‑Unis, muni des documents appropriés. Il a également pris des dispositions pour expédier d’autres diamants aux deux pays, encore une fois muni des documents nécessaires. Le demandeur a rapidement découvert que le marché canadien ne semblait pas aussi prometteur que celui des États‑Unis, et il a donc décidé de concentrer ses efforts sur ce dernier marché. Il a décidé d’exporter aux États‑Unis une partie des diamants qu’il avait au Canada. Le demandeur a obtenu les permis d’exportation nécessaires, connus comme étant des certificats du Processus de Kimberley (CPK), puis il a pris des dispositions pour venir au Canada et récupérer les diamants.

[13]  Le Processus de Kimberley est un accord international impliquant des gouvernements, l’industrie et la société civile et qui vise à empêcher la circulation des diamants de conflits, parfois appelés diamants de sang. Il s’agit de diamants que certains groupes ont vendus pour financer la violence, notamment des conflits visant à déstabiliser des gouvernements légitimes. Pour empêcher une telle situation, le Processus de Kimberley cherche à contrôler la circulation des diamants et de faire en sorte que tous les diamants achetés et vendus dans les États membres proviennent de sources légitimes. Le Canada est membre de l’initiative, tout comme l’Australie, la Sierra Leone et les États‑Unis, les pays en cause en l’espèce. (La genèse du Processus et la législation canadienne sont décrites dans l’affidavit de M. Schatz, du Bureau du Processus de Kimberley du Canada, à Ressources naturelles Canada; voir aussi le résumé législatif pour le projet de loi C‑14 : Loi sur l’exportation et l’importation des diamants bruts, par Jay Sinha, Bibliothèque du Parlement, 28 octobre 2002, révisé le 8 janvier 2003.)

[14]  Au Canada, l’initiative est administrée par le Bureau du Processus de Kimberley du Canada (le BPKC) à Ressources naturelles Canada. L’initiative comporte deux éléments fondamentaux. Des CPK certifiant que les diamants ne sont pas des « diamants de conflits » doivent être obtenus d’un pays participant pour tous les chargements de diamants bruts entrant dans un pays ou en sortant. De plus, les diamants doivent être transportés dans des contenants inviolables. Au Canada, ces exigences sont intégrées à la Loi sur les diamants et au Règlement sur l’exportation et l’importation des diamants bruts, DORS/2003‑15 [le Règlement sur les diamants].

[15]  Le 11 novembre 2009, le demandeur est entré au Canada au poste frontalier de Lacolle, au Québec, à bord d’un autobus Greyhound, en provenance des États‑Unis. Il a indiqué à l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qu’il était un marchand de diamants. Lorsque l’agent lui a demandé s’il transportait des biens de valeur ou des diamants, il a répondu par la négative. Les agents ont décidé de fouiller son sac à dos, et ils ont découvert un petit sac en plastique contenant quatre diamants non taillés, ou bruts, pour un total de 28,13 carats. Les diamants ont été saisis, parce qu’ils n’avaient pas été déclarés, en contravention de l’article 12 de la Loi, et un certain nombre d’autres documents que le demandeur avait en sa possession, y compris trois CPK, ont été conservés pour une enquête plus approfondie. Les diamants ont par la suite été évalués par une gemmologue, qui a déterminé qu’ils valaient 19 800 $ CAN.

[16]  En fonction de cette évaluation, l’agent de l’ASFC a fixé les conditions de dédouanement des diamants bruts saisis à 7 920,00 $ CAN, soit 40 p. 100 de leur valeur. Un avis à cet effet a été communiqué au demandeur le 26 décembre 2009.

[17]  Le demandeur a contesté la saisie dans le cadre d’un processus d’examen administratif ministériel, prétendant qu’il avait simplement oublié les diamants dans son sac à dos et qu’il n’avait pas l’intention de les apporter au Canada. Il a dit qu’il était une personne honnête et respectueuse des lois, et il a souligné le fait qu’il avait obtenu les CPK appropriés pour importer ses autres diamants au Canada et qu’il était ensuite venu au Canada pour exporter ces diamants aux États‑Unis, encore une fois avec les CPK appropriés. Le 24 novembre 2011, un délégué du ministre a jugé, en vertu des articles 131 et 133 de la Loi, qu’une infraction à la Loi avait été commise et que les diamants pouvaient être restitués au demandeur à la réception d’une somme de 4 950,00 $ à être confisquée.

[18]  Toutefois, comme les diamants étaient alors conservés à titre de preuve pendant l’enquête criminelle, ils ne pouvaient pas être restitués au demandeur.

[19]  Le demandeur a intenté une action en vertu de l’article 135 de la Loi, contestant la saisie des diamants, l’imposition de la pénalité et le défaut du ministre de dédouaner les diamants. Le 28 août 2013, la Cour a rejeté l’action, au motif qu’une contestation des conditions fixées pour le dédouanement des marchandises saisies au titre de la Loi devait être présentée au moyen d’une demande de contrôle judiciaire au titre de l’article 133 de la Loi (dossier de la Cour no T‑655‑12). La décision n’a pas fait l’objet d’un appel, et aucune procédure de contrôle judiciaire n’a alors été introduite.

[20]  Parallèlement au processus administratif, le 10 mai 2011, des poursuites criminelles ont été intentées contre le demandeur pour avoir omis de déclarer les diamants bruts à son entrée au Canada, en violation des dispositions 153a), 159 et 161 de la Loi. De plus, il a été accusé d’avoir enfreint le paragraphe 14(1) de la Loi sur les diamants, parce que les diamants n’étaient pas dans un contenant inviolable au sens de l’article 9 du Règlement sur les diamants et n’étaient pas accompagnés d’un CPK.

[21]  Le 2 septembre 2016, le demandeur a été acquitté de tous les chefs d’accusation. Le juge qui a entendu l’affaire criminelle a conclu, conformément à la doctrine des infractions de responsabilité stricte établie dans R c Sault Ste. Marie, [1978] 2 RCS 1299, que le demandeur avait soulevé un doute raisonnable quant à sa culpabilité, parce qu’il croyait raisonnablement à une série de faits erronés. À la suite d’une discussion avec les avocats et avec M. Thomas au sujet des conditions de restitution des diamants, y compris une discussion sur les exigences de la Loi sur les diamants, le juge a ordonné que les diamants et les autres documents saisis soient restitués au demandeur.

[22]  Le 19 octobre 2016, le demandeur a communiqué avec l’agent de l’ASFC qui avait effectué la saisie pour demander que les diamants lui soient restitués. L’agent a indiqué qu’il vérifierait les exigences relatives au dédouanement des diamants. Dans une lettre non datée jointe à un courriel du 22 octobre 2016, l’agent a informé le demandeur que les diamants étaient [traduction« prêts à être dédouanés pour exportation ». La lettre se poursuivait ainsi :

[traduction]

Comme vous n’avez pas de certificat d’exportation Kimberly [sic] américain, j’ai consulté la Division des recours, et les conditions de dédouanement pour l’exportation ont été fixées à 4 950 $ canadiens. Les marchandises sont actuellement au point d’entrée de Saint‑Bernard‑de‑Lacolle (Québec) et elles devront être exportées immédiatement après avoir été dédouanées [...]

Vous êtes responsable de l’exportation des marchandises vers les États‑Unis d’Amérique; l’Agence des services frontaliers du Canada n’assume aucune responsabilité une fois les marchandises dédouanées.

[23]  Il s’agit de la décision que conteste le demandeur dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Toutefois, comme il a été mentionné précédemment, il est nécessaire d’examiner certains faits qui ont suivi cette décision, afin de pouvoir saisir l’essentiel de la plainte du demandeur.

[24]  Après avoir reçu le courriel du 22 octobre 2016 et la lettre, le demandeur a eu une série d’échanges avec des représentants de l’ASFC. Pour les besoins du présent compte rendu, il suffit d’indiquer que ces échanges ont permis d’éclaircir les points suivants :

  • a) Les représentants de l’ASFC ont mentionné que les diamants n’avaient jamais été importés légalement au Canada, parce qu’ils avaient été saisis à la frontière et que le demandeur n’avait pas le certificat CPK nécessaire pour les importer;

  • b) Le demandeur a prétendu qu’un représentant de l’ASFC lui a dit, au cours d’une conversation téléphonique, qu’il pouvait choisir de garder ses marchandises au Canada ou de faire n’importe quoi d’autre, à son gré. Le représentant a nié avoir dit cela;

  • c) Le demandeur a demandé la restitution de ses diamants et l’exonération de la pénalité, étant donné qu’il avait été acquitté de toutes les accusations criminelles et qu’il avait été soumis à un long processus administratif.

[25]  Le demandeur a demandé l’aide du BPKC, qui, le 23 décembre 2016, a répondu à la demande par lettre. Voici un résumé des points essentiels de la lettre :

  • a) Le BPKC a convenu avec l’ASFC que les diamants bruts n’avaient jamais été importés légalement au Canada, parce qu’ils avaient été saisis à la frontière et qu’ils n’étaient pas accompagnés d’un CPK valide;

  • b) Le BPKC ne pouvait pas délivrer un CPK canadien pour les diamants bruts, parce qu’ils n’étaient pas entrés légalement au Canada;

  • c) Par conséquent, au moment où les diamants bruts seront dédouanés par l’ASFC, ils ne pourront pas être exportés et devront être retournés aux États‑Unis, le pays d’où ils proviennent;

  • d) Le BPKC avait communiqué avec des représentants américains, qui ont indiqué que les diamants bruts ne pourraient pas être acceptés sur leur territoire, parce qu’ils avaient quitté les États‑Unis sans l’autorisation nécessaire — aucun CPK américain n’avait été délivré pour leur exportation. Le BPKC a mentionné que les autorités américaines avaient déclaré que les diamants seraient confisqués s’ils étaient retournés aux États‑Unis.

[26]  Pour le demandeur, cela résume le dilemme dans lequel il se trouve. La demande de contrôle judiciaire constitue techniquement une contestation de la décision que l’agent de l’ASFC a communiquée dans le courriel du 22 octobre 2016, qui établit les conditions du dédouanement des diamants saisis. Devant la Cour, le demandeur soutient que la décision est déraisonnable et qu’elle a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part de l’agent de l’ASFC, et il demande que les diamants soient dédouanés sans condition. Le demandeur a sollicité un certain nombre d’ordonnances relativement à ces allégations. Le cœur de sa plainte, cependant, c’est qu’il a été acquitté de toutes les accusations criminelles pour violation de la Loi et de la Loi sur les diamants, et qu’il se trouve maintenant dans une situation où il ne peut obtenir les documents dont il a besoin pour importer les diamants au Canada ou les exporter; essentiellement, ce qu’il veut, c’est la restitution de ses diamants avec les CPK nécessaires pour qu’il puisse les vendre au Canada ou les exporter ailleurs.

[27]  Deux faits subséquents complètent l’exposé. Premièrement, comme le défendeur n’a pas interjeté appel de l’acquittement du demandeur, il a indiqué qu’il n’imposera plus la sanction pécuniaire découlant de la saisie administrative. Le demandeur peut donc obtenir ses diamants sans avoir à payer de pénalité. Deuxièmement, le défendeur a informé le demandeur le 12 juin 2017 qu’il pouvait apporter les diamants dans n’importe quel pays (il n’a pas à les rapporter aux États‑Unis), dans la mesure où il satisfaisait aux exigences juridiques pour le faire.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[28]  Les questions en litige peuvent être regroupées en trois questions :

  1. La décision du 22 octobre 2016 est‑elle raisonnable? Cette question couvrirait à la fois les conditions de dédouanement et la question connexe de la délivrance du CPK.
  2. Le demandeur a‑t‑il démontré une crainte raisonnable de partialité de la part de l’agent de l’ASFC?
  3. La Cour a‑t‑elle compétence pour rendre les autres ordonnances connexes demandées par le demandeur?

[29]  La norme de contrôle applicable à la première question est la décision raisonnable. Cette approche a été établie dans des affaires antérieures (Gagliano c Goodale, 2018 CF 820, au par. 70; Chen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 477, au par. 19), qui appliquent l’approche établie dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. L’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], met à jour et clarifie le droit en matière de norme de contrôle, et il confirme la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. Aucune des exceptions ne s’applique en l’espèce. Je vais appliquer le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov à la première question.

[30]  Il n’était pas nécessaire en l’espèce de demander aux parties de présenter d’autres observations sur la norme de contrôle ou son application. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au par. 24, il n’en résulte aucune injustice, « car la norme de contrôle applicable et le résultat auraient été les mêmes selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunsmuir ».

[31]  La deuxième question concerne une allégation selon laquelle l’agent de l’ASFC avait un parti pris contre le demandeur. Il s’agit d’une question d’équité procédurale qui est analysée en fonction d’une norme qui correspond le plus étroitement à la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54; Ramos c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 844, au par. 19).

[32]  Comme il le sera expliqué ci‑dessous, il n’est pas nécessaire d’examiner la troisième question.

IV.  Analyse

A.  La décision du 22 octobre 2016 est‑elle raisonnable?

[33]  Le demandeur soutient que la décision du 22 octobre 2016 établissant les conditions du dédouanement de ses diamants bruts est déraisonnable. Il a initialement contesté la décision pour quatre motifs : (i) l’imposition de la pénalité de 4 950 $; (ii) l’« outrage » du défendeur à l’ordonnance du juge Godri de la Cour provinciale du Québec, qui a acquitté le demandeur des accusations et a ordonné le dédouanement des diamants ainsi que des documents; (iii) la décision selon laquelle les marchandises n’ont pas été importées au Canada, parce qu’elles ont été saisies à la frontière; (iv) la décision selon laquelle les diamants ne peuvent être exportés qu’aux États‑Unis. Comme il a été mentionné précédemment, les premier et quatrième motifs ne sont plus en litige, puisque le défendeur a renoncé à la pénalité et a indiqué que le demandeur pouvait exporter les diamants vers n’importe quel pays.

[34]  L’analyse des autres motifs nécessite un examen du cadre juridique applicable aux décisions, ainsi qu’une appréciation des motifs donnés pour la décision.

(1)  Le cadre législatif

[35]  Le point de départ est le paragraphe 12(1) de la Loi, qui prévoit que « toutes les marchandises importées doivent être déclarées au bureau de douane le plus proche, doté des attributions prévues à cet effet, qui soit ouvert ». Selon le paragraphe 110(1) de la Loi, « [l]’agent peut, s’il croit, pour des motifs raisonnables, à une infraction à la présente loi ou à ses règlements du fait de marchandises, saisir à titre de confiscation : [...] les marchandises [...] ». Il s’agit du fondement juridique sur lequel reposait la saisie initiale des marchandises à la frontière, y compris les diamants bruts et les autres éléments matériels.

[36]  Conformément au paragraphe 117(1) de la Loi, à la suite d’une évaluation des diamants bruts saisis, les conditions initiales de dédouanement ont été fixées à 7 920,00 $ CAN, ce qui représentait 40 p. 100 de la valeur établie à la suite de l’évaluation. Le demandeur a interjeté appel de cette décision en vertu du paragraphe 129(1) de la Loi, et, le 25 octobre 2011, un arbitre a conclu que, aux termes de l’article 131 de la Loi, il y avait eu infraction à la Loi relativement aux marchandises saisies. En vertu de l’article 133, les conditions de dédouanement ont été fixées à la somme de 4 950,00 $ à être confisquée. La pénalité n’est plus en litige.

[37]  De plus, comme la saisie impliquait des diamants et plusieurs CPK qui étaient en possession du demandeur lorsqu’il a traversé la frontière, le fonctionnaire de l’ASFC a communiqué avec le BPKC. Voici les dispositions applicables de la Loi sur les diamants :

Exportation de diamants bruts

Exporting Rough Diamonds

Obligations

Requirements for exporting rough diamonds

8 (1) L’exportateur de diamants bruts doit veiller à ce que, lors de l’exportation, ceux‑ci soient accompagnés d’un certificat canadien et soient dans un contenant conforme aux normes réglementaires.

8 (1) Every person who exports rough diamonds must ensure that, on export, they are in a container that meets the requirements of the regulations and are accompanied by a Canadian Certificate.

[...]

...

Diamants bruts importés

Importing Rough Diamonds

Obligation relative à l’importation de diamants bruts

Requirements for importing rough diamonds

14 (1) L’importateur de diamants bruts doit veiller à ce que, lors de l’importation, ceux‑ci soient dans un contenant conforme aux normes réglementaires et soient accompagnés d’un certificat du Processus de Kimberley qui remplit les conditions suivantes :

14 (1) Every person who imports rough diamonds must ensure that, on import, they are in a container that meets the requirements of the regulations and are accompanied by a Kimberley Process Certificate that

a) le certificat a été délivré par un participant;

(a) was issued by a participant;

b) il n’a pas été invalidé par le participant l’ayant délivré;

(b) has not been invalidated by the participant; and

c) les renseignements qu’il contient sont exacts.

(c) contains accurate information.

[...]

...

Durée de la rétention

Duration of detention

27 (1) Sous réserve du paragraphe (3), les diamants bruts ou les autres objets saisis ne peuvent être retenus soit après la constatation, par l’enquêteur, de leur conformité à la présente loi, soit après l’expiration d’un délai de cent quatre‑vingts jours à compter de la date de la saisie.

 

27 (1) Subject to subsection (3), rough diamonds or other things seized may not be detained after

(a) an investigator determines that they meet the requirements of this Act; or

(b) the expiry of a period of 180 days after the day of their seizure.

Restitution

Return of rough diamonds if no proceedings

(2) Si, à l’expiration du délai de cent quatre‑vingts jours, aucune poursuite pénale n’a été engagée sous le régime de la présente loi, les diamants bruts ou les autres objets saisis doivent être restitués à leur propriétaire ou à la dernière personne à en avoir eu la possession ou la garde.

(2) If no prosecution under this Act has been instituted on the expiry of the 180‑day period, the rough diamonds or other things seized must be returned to their owner or the person having the possession, care or control of them at the time of their seizure.

Cas de poursuite

Exception

(3) En cas de poursuite pénale engagée sous le régime de la présente loi, la rétention des diamants bruts ou des autres objets saisis peut se prolonger jusqu’à l’issue définitive de l’affaire.

(3) If a prosecution under this Act is instituted, the rough diamonds and other things seized may be detained until the proceedings are concluded.

Demande de restitution

Application for return

(4) Si les diamants bruts ou les autres objets saisis n’ont pas été confisqués, leur restitution peut être demandée au tribunal saisi de l’affaire par leur propriétaire ou par la dernière personne à en avoir eu la possession ou la garde.

(4) If a prosecution under this Act is instituted and rough diamonds or other things have been seized but not forfeited, their owner or the person having the possession, care or control of them at the time of their seizure may apply to the court before which the proceedings are being held for an order that the rough diamonds or other things be returned.

Ordonnance de restitution

Order

(5) Le tribunal peut faire droit à la demande s’il est convaincu qu’il existe ou peuvent être obtenus suffisamment d’éléments de preuve pour rendre inutile la rétention des diamants bruts ou des autres objets saisis.

(5) After hearing the application, the court may order the rough diamonds or other things seized to be returned if the court is satisfied that sufficient evidence exists or may reasonably be obtained without further detaining them.

Restitution

Return of rough diamonds on acquittal

(6) Si l’accusé est acquitté, le tribunal peut ordonner que les diamants bruts ou les autres objets saisis soient restitués à leur propriétaire ou à la dernière personne à en avoir eu la possession ou la garde.

(6) If the accused is acquitted, the court may order that the rough diamonds or other things seized be returned to their owner or the person having the possession, care or control of them at the time of their seizure.

[38]  Le Règlement sur les diamants prévoit les exigences relatives aux contenants inviolables pour l’importation ou l’exportation de diamants bruts :

Contenants

Containers

9 (1) Tout contenant destiné à l’exportation ou l’importation de diamants bruts doit être fabriqué de manière que, une fois scellé, il ne puisse être ouvert sans que cela soit apparent.

9 (1) A container to be used for the export or import of rough diamonds must be so constructed that the container, when sealed, cannot be opened without showing evidence of having been opened.

(2) Tout contenant utilisé pour l’exportation de diamants bruts :

(2) A container in which rough diamonds are exported must

a) est scellé au moyen d’un sceau dont le numéro figure sur le certificat canadien;

(a) be sealed with a seal that bears a seal number listed on the accompanying Canadian Certificate; and

b) porte le numéro de série du certificat canadien.

(b) bear the serial number of the accompanying Canadian Certificate.

(2)  Les motifs de la décision

[39]  En l’espèce, la décision faisant l’objet du contrôle reposait notamment sur les motifs suivants : la lettre non datée jointe au courriel du 22 octobre 2016, les échanges subséquents avec les représentants de l’ASFC et du BPKC, qui ont permis de confirmer et de clarifier certains aspects de la décision, ainsi que les décisions selon lesquelles la pénalité ne serait plus imposée et le demandeur pourrait apporter les diamants dans n’importe quel pays, et pas seulement aux États‑Unis. Ces motifs constituent le fondement de la contestation de la décision par le demandeur.

[40]  Les éléments essentiels de la décision, fondés sur les documents mentionnés précédemment, sont les suivants :

  • a) Les marchandises saisies sous le régime de la Loi sont prêtes à être dédouanées pour l’exportation;

  • b) Elles sont détenues au poste frontalier de Saint‑Bernard‑de‑Lacolle, au Québec;

  • c) Les marchandises devront être exportées du Canada immédiatement après leur dédouanement;

  • d) Elles peuvent être apportées dans n’importe lequel autre pays, mais ne peuvent pas entrer au Canada;

  • e) Étant donné que le demandeur n’avait pas de CPK américain valide lorsqu’il est arrivé avec les diamants à la frontière, et qu’il n’a donc pas importé les diamants légalement au Canada, le BPKC ne peut pas délivrer de CPK canadiens pour accompagner les diamants lorsqu’ils seront exportés.

(3)  La position du demandeur

[41]  Le demandeur prétend que la décision est contraire à l’ordonnance rendue par le juge Godri dans les procédures criminelles et, aussi, qu’elle est déraisonnable. Il fait valoir que le juge qui l’a acquitté de toutes les accusations avait le pouvoir d’ordonner le dédouanement des diamants en vertu de l’article 27 de la Loi sur les diamants. Comme l’ordonnance n’a pas fait l’objet d’un d’appel, elle est définitive et doit être respectée. Le demandeur soutient que l’article 27 constitue une directive claire selon laquelle les diamants peuvent lui être restitués si un juge l’ordonne, peu importe qu’ils aient été importés conformément à la Loi sur les diamants ou non.

[42]  Pour appuyer cette proposition, le demandeur fait valoir que les dispositions de la Loi sur les diamants doivent être interprétées conformément aux obligations du Canada prévues par le Processus de Kimberley. Il fait remarquer que, selon l’alinéa V(f) du Régime de certification du Processus de Kimberley, les participants doivent [traduction] : « collaborer avec les autres participants pour tenter de résoudre les problèmes qui peuvent découler de circonstances non intentionnelles et qui pourraient mener à l’inobservation des exigences minimales pour la délivrance ou l’acceptation des certificats [...] ».

[43]  Il soutient que sa situation correspond exactement à cette catégorie. Il a été acquitté des accusations criminelles, parce que le juge a reconnu que son inobservation n’était pas intentionnelle. Le juge a ordonné que les diamants lui soient restitués. Comme le demandeur le déclare dans ses observations écrites : [TRADUCTION« Le refus de Revenu national Canada [sic] de délivrer un certificat de conformité au demandeur est contraire aux exigences de base de la philosophie première du processus même des CPK. Une inobservation non intentionnelle ne devrait pas entraîner les mêmes conséquences qu’une inobservation intentionnelle. »

[44]  Pour ce qui est d’établir si les diamants ont effectivement été importés au Canada, le demandeur prétend que le juge a déjà répondu à cette question dans le cadre des procédures criminelles et qu’il a déclaré ceci : [TRADUCTION« Il est également accusé d’avoir importé au Canada quatre diamants bruts [...] »

[45]  Enfin, à cet égard, le demandeur a fait initialement valoir que l’exigence que les diamants doivent être dédouanés au point de passage frontalier et que le demandeur doit ensuite les rapporter aux États‑Unis est incompatible avec les dispositions de la Loi sur les diamants et avec l’ordonnance du juge Godri. Il a soutenu que le défendeur l’incitait à enfreindre la loi américaine en imposant de telles exigences rigoureuses et inutiles. À la lumière du changement de position du défendeur sur ce point, la plainte du demandeur tient toujours — sans le CPK nécessaire, le demandeur contreviendrait à la loi en apportant les diamants dans un État participant.

[46]  Le demandeur fait valoir que la Loi sur les diamants devrait être interprétée d’une manière cohérente et sensée. Par exemple, les rédacteurs se seraient rendu compte que, dans tous les cas où des diamants sont saisis et qu’une poursuite criminelle est intentée, un CPK valide pour ces diamants expirerait avant la fin de l’instance, puisque les CPK ne sont valides que pour six mois. L’intention du Parlement ne pouvait pas être que, une fois acquitté, le propriétaire des diamants saisis se retrouve dans la situation impossible de se voir refuser un nouveau CPK pour les marchandises saisies. C’est la situation dans laquelle le demandeur a été placé, et la décision du défendeur est donc déraisonnable.

(4)  La position du défendeur

[47]  Le défendeur fait valoir que le demandeur est l’auteur de son propre malheur et que la décision est raisonnable pour les raisons suivantes : (i) les sanctions administratives civiles imposées au demandeur sont distinctes des procédures criminelles; (ii) l’ordonnance du juge Godri selon laquelle les diamants doivent être restitués au demandeur ne dispense pas ce dernier de son obligation de se conformer aux exigences de la Loi sur les diamants; (iii) l’interprétation par le demandeur des exigences relatives au dédouanement des marchandises saisies au titre de la Loi sur les diamants est contraire au bon sens et n’est pas conforme à l’intention de la disposition.

[48]  Le défendeur soutient que la décision est conforme à la Loi, à la Loi sur les diamants et au Règlement sur les diamants. Il est tout à fait disposé à restituer les diamants au demandeur, et il n’impose plus de pénalité financière. Il suffit que le demandeur se conforme aux dispositions de la Loi sur les diamants, parce que les marchandises qu’il a tenté de faire entrer au Canada sont des diamants bruts. Les conditions qui lui sont imposées ne sont pas des conditions de dédouanement; elles résultent simplement de l’application de la Loi sur les diamants. Le défendeur fait valoir que la situation est semblable à celle du dédouanement d’une automobile qui a été saisie. Les conditions de dédouanement n’exonèrent pas le propriétaire du respect des lois concernant l’immatriculation ou l’assurance du véhicule.

[49]  Pour ce qui est de la conformité à l’ordonnance du juge Godri après l’acquittement du demandeur à l’égard des accusations criminelles, le défendeur soutient que les conclusions tirées dans les procédures criminelles ne sont pas exécutoires en ce qui concerne les sanctions administratives civiles distinctes. Le demandeur n’a pas respecté l’obligation de déclaration volontaire imposée par la Loi. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Martineau c MRN, 2004 CSC 81, le Canada a le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans son territoire et, pour atteindre ces objectifs, le législateur a intégré à la Loi des mécanismes civils et pénaux permettant de faire respecter le système de déclaration volontaire.

[50]  Le défendeur prétend que la jurisprudence confirme que les conclusions tirées dans les procédures criminelles ne sont pas exécutoires dans les procédures administratives. Par conséquent, l’acquittement du demandeur à l’égard des accusations criminelles n’a pas d’incidence sur les exigences énoncées dans la Loi sur les diamants. Une interprétation des dispositions relatives au dédouanement des marchandises saisies qui ont donné effet à une telle approche serait contraire au bon sens et à l’intention du législateur. Le texte, le contexte et l’objet de la Loi sur les diamants et du Règlement sont cohérents et exigent tous le respect strict des exigences en matière de documentation par l’entremise du CPK, et le transport des diamants bruts dans des contenants inviolables. Ces obligations sont au cœur du Processus de Kimberley, et toute interprétation qui créerait une exemption pour quiconque est acquitté d’une accusation criminelle au titre de la Loi ou de la Loi sur les diamants est contraire au bon sens et n’est pas compatible avec l’intention clairement exprimée du législateur.

[51]  Le défendeur soutient que la décision est raisonnable; elle reflète simplement l’obligation continue du demandeur et du défendeur de se conformer aux exigences de la Loi sur les diamants. Si le demandeur se trouve dans une situation difficile concernant les diamants, il ne peut pas se plaindre, parce qu’il est l’auteur de son propre malheur.

(5)  Analyse

[52]  Les arguments du demandeur à cet égard découlent tous de la décision du juge Godri de l’acquitter des accusations criminelles et d’ordonner que les diamants ainsi que les documents lui soient restitués. À la lumière de cette décision, le demandeur soutient que les conditions que le défendeur a imposées pour le dédouanement des diamants sont déraisonnables, parce qu’elles sont incompatibles avec les modalités de l’ordonnance et qu’elles ne sont pas requises selon une interprétation logique et pratique de la Loi sur les diamants.

[53]  Je ne suis pas convaincu par ces arguments.

[54]  Premièrement, des jugements de la Cour et de la Cour d’appel fédérale ont confirmé que les sanctions administratives civiles étaient distinctes des procédures criminelles intentées au titre de la Loi. Dans Time Data Recorder International Ltd c Canada (Ministre du Revenu national) (1997), 211 NR 229, [1997] ACF no 475 (QL) (CAF), l’affaire comportait des procédures civiles et criminelles relativement au défaut de déclarer des marchandises qui étaient importées au Canada. Les accusations criminelles portées contre l’entreprise ont été rejetées, et celle‑ci a fait valoir que la pénalité civile imposée devait être annulée, parce que le ministre était lié par les conclusions du tribunal criminel. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument, soulignant que la saisie et la confiscation effectuées au titre de la Loi étaient des procédures et des pénalités civiles, et que les décisions rendues par les tribunaux criminels ne pouvaient pas s’appliquer aux procès civils subséquents, en fonction du principe de la chose jugée, car les parties ne sont généralement pas les mêmes, et les questions à trancher ainsi que le fardeau de la preuve sont différents dans les deux instances.

[55]  Ce jugement a été cité avec approbation par la juge Anne Mactavish dans Kennedy c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 1196 [Kennedy], qui portait sur des accusations criminelles et des pénalités administratives civiles relatives au défaut de déclarer un véhicule acheté aux États‑Unis, que le demandeur faisait entrer au Canada. M. Kennedy a été accusé de plusieurs infractions criminelles liées à ces faits, mais il a été acquitté de toutes ces accusations. Invoquant les principes de la question irrecevable parce que déjà tranchée, de la chose jugée et de l’abus de procédure, il a fait valoir que la pénalité civile ne devrait donc pas être imposée. M. Kennedy a soutenu que les conclusions de fait tirées dans le cadre de la procédure criminelle avaient force exécutoire dans une procédure subséquente portant sur les mêmes faits.

[56]  La juge Mactavish a rejeté cet argument :

[65] D’abord, en ce qui concerne ce dernier argument, il est indéniable que les affaires relatives à une infraction à l’article 12 de la Loi sur les douanes s’inscrivent dans le cadre d’une procédure civile fort différente de celle qui s’applique dans le cas d’une accusation d’importation illégale portée en vertu du Code criminel. Les parties ne sont pas les mêmes et les questions qui se posent diffèrent, tout comme la partie à qui incombe la charge de la preuve et la norme de preuve applicable (en l’espèce, la preuve est faite par prépondérance des probabilités alors que dans un cadre pénal, la preuve doit être établie hors de tout doute raisonnable). Par ailleurs, en ce qui touche la question de l’intention, les conditions à remplir ne sont pas les mêmes. Enfin, le juge de la cour provinciale disposait peut‑être d’éléments de preuve différents de ceux dont j’ai été saisie.

[66] Par conséquent, je ne suis pas convaincue d’être liée par les conclusions de fait tirées par le juge ayant présidé le procès pénal de M. Kennedy : voir Time Data Recorder International Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), (1997), 211 N.R. 229, 2 T.T.R. (2d) 122 (C.A.F.), aux paragraphes 10 à 15.

[57]  Ces précédents sont à la fois directement pertinents et convaincants. En l’espèce, de plus, la décision du juge Godri d’acquitter le demandeur des accusations et d’ordonner le dédouanement des marchandises saisies n’établissait aucunement si le demandeur s’était autrement conformé aux exigences de la Loi sur les diamants ou du Règlement. Par exemple, le juge n’a pas conclu que le demandeur était en possession d’un CPK valide pour les diamants ni que les diamants avaient été transportés dans un contenant inviolable.

[58]  Il importe de se rappeler qu’à son arrivée à la frontière canadienne le demandeur a été trouvé en possession de quatre diamants bruts d’une valeur de 19 800 $ qui étaient dans un sac en plastique, et qu’il n’a pas été en mesure de produire un CPK valide pour ces diamants. Il a expliqué qu’il n’avait pas l’intention d’apporter ces diamants avec lui, mais qu’il avait plutôt l’intention de les laisser aux États‑Unis. Il a ajouté qu’il s’était conformé aux exigences juridiques pour les faire entrer aux États‑Unis.

[59]  Le demandeur semble avoir d’abord prétendu que l’un des CPK saisis concernait les diamants trouvés dans son sac, mais il a ensuite affirmé que le certificat pour ces diamants était un CPK délivré par la Sierra Leone et portant le numéro SL003031. Le problème pour le demandeur, c’est que ce CPK en particulier ne l’autorisait pas à exporter les diamants aux États‑Unis; il autorisait plutôt l’exportation des diamants en Australie. Le demandeur prétend qu’il s’agit d’une simple erreur administrative commise par les autorités de la Sierra Leone, mais rien dans le dossier n’indique que le demandeur a fait des efforts pour obtenir un document corrigé des autorités compétentes de la Sierra Leone.

[60]  Cela met en évidence la raison pour laquelle les conclusions tirées dans les procédures criminelles ne sont pas exécutoires ou ne font pas autorité à l’égard des procédures administratives civiles subséquentes et distinctes. L’ordonnance du juge Godri selon laquelle les diamants et les documents saisis devaient être restitués au demandeur a été rendue en vertu du paragraphe 27(6) de la Loi sur les diamants, et la décision du 22 octobre 2016 est conforme à cette ordonnance, dans la mesure où elle indique clairement que le défendeur est disposé à restituer les diamants au demandeur. En cela, le défendeur se conforme à l’ordonnance du juge Godri.

[61]  L’argument du demandeur selon lequel l’ordonnance a préséance sur les exigences de la Loi sur les diamants ou du Règlement n’est pas non plus convaincant. Encore une fois, le contexte factuel jette les bases de l’analyse. Le demandeur a été acquitté des accusations criminelles et a obtenu une ordonnance selon laquelle ses diamants et certains documents devraient lui être retournés. Il fait maintenant valoir que toute exigence supplémentaire n’est ni juridiquement nécessaire ni conforme aux termes de cette ordonnance. Je ne suis pas d’accord.

[62]  Il n’est pas nécessaire de répéter l’analyse de la portée de l’ordonnance. En ce qui concerne les exigences de la Loi, de la Loi sur les diamants et du Règlement sur les diamants, il est nécessaire d’interpréter les dispositions conformément à l’approche acceptée en matière d’interprétation des lois, qui consiste à examiner le texte, le contexte et l’objet des dispositions.

[63]  Le texte intégral des dispositions applicables est cité ci‑dessus. Les dispositions applicables sont simples, claires et obligatoires; elles ne laissent pas de latitude. Plus précisément, le paragraphe 14(1) de la Loi sur les diamants prévoit ce qui suit : « L’importateur de diamants bruts doit veiller à ce que, lors de l’importation, ceux‑ci soient dans un contenant conforme aux normes réglementaires et soient accompagnés d’un certificat du Processus de Kimberley qui remplit les conditions suivantes : [...] c) les renseignements qu’il contient sont exacts. » L’article 9 du Règlement établit en termes tout aussi clairs les exigences relatives aux contenants inviolables. De même, aux termes de la Loi, toute personne arrivant à la frontière canadienne « est tenue de répondre véridiquement aux questions que lui pose l’agent dans l’exercice des fonctions que lui confère la présente loi ou une autre loi fédérale » (paragraphe 11(1)) et doit déclarer « toutes les marchandises importées » (paragraphe 12(1)). Les textes sont clairs.

[64]  Chose importante, la restitution des marchandises lors de l’acquittement est expressément abordée dans la législation, au paragraphe 27(6) de la Loi sur les diamants, cité ci‑dessus. Cette disposition stipule qu’en cas d’acquittement « le tribunal peut ordonner que les diamants bruts ou les autres objets saisis soient restitués à leur propriétaire [...] », mais elle ne vise pas, directement ou indirectement, à modifier les exigences établies par d’autres dispositions de la même loi. Il est bien connu en droit que les dispositions connexes d’une même loi doivent être interprétées de manière cohérente et harmonieuse (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e édition, Lexis Nexis 2014), chapitre 13).

[65]  En outre, je conviens avec le défendeur que les dispositions concernant les exigences relatives à l’importation ou à l’exportation de diamants bruts énoncées dans la Loi sur les diamants et le Règlement sont juridiquement contraignantes et distinctes de la disposition concernant la restitution des marchandises saisies après l’acquittement.

[66]  Le contexte et l’objet de ces dispositions renforcent cette conclusion. La genèse de la Loi sur les diamants a été décrite plus tôt. La Loi sur les diamants et le Règlement incorporent et rendent exécutoires les exigences du Processus de Kimberley au Canada. Le document de base qui a cristallisé l’accord international à l’origine de cette initiative, le Régime de certification du Processus de Kimberley, qui a été cité par le demandeur à l’appui de son argument, indique clairement que deux éléments clés assurent l’observation stricte du processus de délivrance des CPK et l’utilisation de contenants inviolables pour l’exportation ou l’importation de diamants bruts. Le contexte général renforce l’importance de ces contrôles en tant que mécanisme pour endiguer la circulation des diamants de conflits et assurer que le commerce des diamants entre les pays participants ne vise que des diamants non liés à des conflits. En tant que pays producteur important de diamants, le Canada a un intérêt particulier dans l’application efficace de ces éléments du Processus de Kimberley, comme en témoignent ses lois et règlements.

[67]  En ce qui concerne les principales dispositions applicables dans la présente affaire, il est important de souligner qu’une accusation criminelle pour violation de la loi peut être portée dans de nombreuses circonstances différentes. Ainsi, la restitution de marchandises saisies après l’acquittement peut ou non être liée d’une façon ou d’une autre à l’intention du propriétaire d’importer ou d’exporter les diamants bruts. Compte tenu de cela, l’objet du paragraphe 27(6) est simplement de permettre à un juge de rendre une ordonnance, à la suite d’un acquittement, de rendre les biens saisis au propriétaire. L’intention est simplement de remettre la personne dans la même position qu’avant la saisie.

[68]  Je ne suis pas convaincu par l’interprétation que le demandeur propose des dispositions applicables. En particulier, la loi ne permet pas une interprétation qui fait abstraction du sens ordinaire des mots, fondée sur une affirmation de ce que le « bon sens » exige, lorsque la lecture suggérée du texte va à l’encontre du texte, du contexte et de l’objet de la loi. Je conviens avec le défendeur que les dispositions concernant l’importation et l’exportation de diamants bruts sont distinctes de l’article qui autorise un juge à ordonner la restitution des marchandises saisies à leur propriétaire après un acquittement. De plus, rien dans le texte n’appuie l’affirmation selon laquelle une telle ordonnance modifierait les autres dispositions de la loi ou aurait pour effet d’exempter une personne des exigences juridiques généralement applicables. L’interprétation proposée par le demandeur est incompatible avec le texte, et elle n’est pas appuyée par le contexte ou l’objet des dispositions.

[69]  Je ne fais aucun commentaire sur la situation soulevée par le demandeur, où une personne qui avait un CPK valide pour les diamants au moment de la saisie s’est vu refuser un certificat mis à jour après l’acquittement des accusations criminelles et une ordonnance de restitution des marchandises saisies après l’expiration de ce CPK. Ce n’est tout simplement pas le cas ici, et il n’est donc ni nécessaire ni approprié de faire des commentaires à ce sujet.

[70]  Enfin, la décision selon laquelle les diamants bruts n’ont jamais été importés légalement au Canada est à la fois fondée sur les faits et sur la loi, malgré le fait que les diamants se trouvent en fait en sol canadien depuis leur saisie. Il n’est pas contesté que les marchandises ont été saisies au poste frontalier. Il n’est pas contesté non plus que le demandeur a omis de déclarer les marchandises lorsqu’il est arrivé à la frontière et qu’elles n’étaient pas dans un contenant inviolable ou accompagnées d’un CPK valide délivré par les États‑Unis. Le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences relatives à l’importation légale de ces marchandises au Canada, aux termes de la Loi ou de la Loi sur les diamants et du Règlement. En fait, et en droit, cette décision est raisonnable dans les circonstances de la présente affaire.

[71]  Le défendeur est maintenant prêt à retourner les diamants saisis au demandeur, et c’est précisément ce qu’exigeait l’ordonnance du juge Godri. Ce faisant, le défendeur et le demandeur demeurent liés par les exigences de la Loi sur les diamants et du Règlement. Dans la mesure où la lettre du 22 octobre 2016 et les échanges subséquents le reconnaissent, la décision n’est pas déraisonnable.

[72]  Pour ces motifs, je rejette les arguments du demandeur sur cette question et je conclus que la décision contestée est raisonnable.

B.  Le demandeur a‑t‑il démontré une crainte raisonnable de partialité de la part de l’agent de l’ASFC?

[73]  Le demandeur a fait un certain nombre d’allégations graves contre l’agent de l’ASFC qui était principalement impliqué dans la présente affaire, allégations qui portent toutes sur une prétention selon laquelle les actes de l’agent ont entaché le processus décisionnel et donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[74]  Le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité a été énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’Énergie), [1978] 1 RCS 369, à la p. 394 :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [Le] critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. [...] »

[75]  Ce critère a été appliqué en rapport avec les allégations de partialité contre des juges, des membres de commissions et de tribunaux administratifs et des décideurs administratifs (voir Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, au par. 21 [Commission scolaire francophone du Yukon]). Dans tous les cas, il est reconnu que les allégations de partialité ou une crainte de partialité sont graves et devraient reposer sur un solide fondement probatoire (R c S (RD), [1997] 3 RCS 484, aux par. 112 à 114; Commission scolaire francophone du Yukon, aux par. 25 et 26).

[76]  En l’espèce, le demandeur fait état d’un certain nombre d’interactions avec l’agent, mais je n’aborderai que les principaux exemples. D’entrée de jeu, je dirai que je conclus que les graves allégations faites par le demandeur ne sont aucunement fondées sur la preuve, et je les rejette dans leur intégralité.

[77]  Premièrement, le demandeur mentionne les évaluations des diamants. Il fait remarquer que la première évaluation, datée du 19 novembre 2009, indiquait la valeur marchande des diamants et mentionnait ceci : [traduction« La quantité d’articles correspond, en tout, à ce qu’indiquent les documents décrivant les marchandises saisies se trouvant dans une enveloppe scellée par l’agent ayant procédé à la saisie. » Dans une lettre subséquente, datée du 30 novembre 2019, que la gemmologue décrit comme un [traduction« addenda » au rapport précédent, elle indique qu’elle a examiné les CPK saisis avec les diamants et déclare qu’à son avis, les diamants saisis ne correspondaient pas à ceux décrits dans les CPK.

[78]  Le demandeur fait valoir qu’il s’agit d’une indication que l’agent a incité la gemmologue à falsifier son rapport, parce qu’il voulait empêcher la restitution des diamants.

[79]  La preuve n’appuie tout simplement pas une telle proposition. Le premier rapport fait une déclaration générale, mais n’indique pas qu’un examen détaillé ou spécifique des CPK a été effectué. Aux fins de l’application de la Loi sur les diamants, et compte tenu de la nature technique des exigences, les raisons pour lesquelles l’agent a demandé un rapport supplémentaire sur cette question précise ressortent à l’évidence. Il n’y a aucun motif raisonnable d’inférer qu’il s’agit d’une indication de partialité de la part de l’agent, compte tenu tout particulièrement de la possibilité que l’examen approfondi aurait pu confirmer que les diamants correspondaient à l’un des CPK. Si cette conclusion avait été tirée par l’experte technique, elle aurait constitué une preuve convaincante à l’appui de l’explication du demandeur quant à son défaut de déclarer les marchandises. Ce n’est pas le type de preuve qui, aux yeux d’une personne raisonnablement informée, étaierait une allégation de crainte raisonnable de partialité.

[80]  De même, je conclus que l’allégation du demandeur selon laquelle la décision de l’agent de traiter l’affaire comme une infraction plus grave de niveau II, plutôt que comme un simple défaut involontaire de déclarer de niveau I, n’indique pas une crainte raisonnable de partialité. Cela doit être interprété dans son contexte. Le demandeur a omis de déclarer qu’il avait, dans un sac en plastique, des diamants bruts d’une valeur de 19 800 $. Il est bien connu en droit que le motif du défaut de déclaration ou la bonne foi de l’importateur n’est pas pertinent au titre de la Loi (voir Kennedy, au par. 61). De plus, l’importation et l’exportation de diamants bruts sont assujetties à un régime législatif particulier qui impose des exigences strictes, conformément aux obligations internationales du Canada.

[81]  Rien dans le dossier n’appuie la prétention du demandeur selon laquelle la décision de l’agent de traiter la présente affaire comme une affaire plus grave est une indication de partialité ou une indication suffisante pour étayer une crainte raisonnable de partialité. Le demandeur s’appuie sur la décision rendue dans l’affaire Shin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1106, mais je conclus que cette affaire n’est pas une source convaincante à l’appui de la prétention du demandeur selon laquelle il existe une crainte raisonnable de partialité. Il a été conclu dans cette affaire que l’absence d’explication de la raison pour laquelle une saisie avait été traitée comme une saisie de niveau II, plutôt que de niveau I, n’était pas raisonnable. Cela n’appuie pas la prétention selon laquelle une décision similaire est une indication de fermeture d’esprit ou qu’elle justifie une crainte de partialité.

[82]  J’ai examiné les autres arguments avancés par le demandeur ainsi que l’important dossier documentaire qu’il avait présenté à l’appui de sa demande. Je ne suis pas convaincu que l’une ou l’autre de ces prétentions réponde au critère de la crainte raisonnable de partialité. Bien qu’une personne raisonnablement informée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, puisse avoir une certaine sympathie pour la situation dans laquelle se trouve le demandeur, je ne suis pas convaincu qu’une telle personne attribuerait cela à une crainte de partialité de la part de l’agent.

C.  La Cour a‑t‑elle compétence pour rendre les autres ordonnances connexes demandées par le demandeur?

[83]  Comme je n’ai pas trouvé la décision déraisonnable et que j’ai rejeté l’allégation de crainte de partialité, il n’est pas nécessaire d’aborder la question des autres ordonnances connexes sollicitées par le demandeur.

V.  L’ordonnance de confidentialité

[84]  Le demandeur a indiqué à l’audience qu’il demandait une ordonnance afin de protéger son identité et de sceller les dossiers du tribunal. Il a fait valoir que les dossiers contenaient des renseignements très personnels qui exposeraient sa famille et lui à de graves risques. Comme cela n’avait pas été inclus dans les observations écrites, les parties se sont vu accorder du temps pour déposer d’autres observations sur la question. Celles‑ci ont été prises en compte dans l’analyse relative à cette question.

[85]  Le demandeur a sollicité deux ordonnances. La première visait à protéger son identité, en le désignant par [traduction« M. X. » ou simplement par son nom de famille, [traduction] « Thomas ». De plus, il a demandé une ordonnance au titre des articles 151 et 152 des Règles, scellant le dossier de la Cour et obligeant les parties à le traiter comme confidentiel.

[86]  La demande du demandeur est fondée sur le fait que le dossier comprend une quantité importante de renseignements très personnels, y compris son nom, son adresse domiciliaire, des renseignements sur son passeport, une photographie de sa famille, ainsi que des renseignements sur ses services bancaires personnels et d’affaires. Il soutient que si ces renseignements tombaient entre de mauvaises mains, sa famille et lui seraient exposés à de sérieux risques, y compris à de possibles risques en matière de cybersécurité. Il déclare qu’il a déposé les renseignements qu’il croyait nécessaires pour fournir une divulgation complète à la Cour, mais qu’il ne s’était pas rendu compte qu’ils deviendraient ainsi accessibles dans le dossier de la Cour. Le demandeur fait remarquer que, plus tôt dans sa vie, il a été victime de violence et de menaces, parce que sa famille possédait des terres diamantifères et que, en tant que marchand de diamants, il demeure en danger.

[87]  Le demandeur soutient que l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 [Sierra Club], établit que des ordonnances de confidentialité peuvent être accordées, et il soutient que la protection de ses renseignements personnels est nécessaire pour écarter un risque sérieux d’atteinte à ses droits à la vie privée, lesquels sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11, ainsi que par la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21. Il fait remarquer que l’article 45 de la Loi sur la protection des renseignements personnels exige que la Cour prenne toutes les mesures raisonnables pour éviter la divulgation de renseignements personnels qui seraient autrement soustraits à la divulgation. Il fait état son expérience personnelle, lorsqu’il était enfant, quand sa famille a été ciblée du fait qu’elle possédait des terres riches en diamants, et il affirme que cela satisfait aux critères énoncés dans Dagenais c Société Radio‑Canada, [1994] 3 RCS 835.

[88]  Le demandeur a identifié des parties importantes du dossier dans la présente instance, y compris des documents qui font référence à son nom, à son adresse et au nom de son entreprise, de même que d’autres documents qui comprennent ces détails, plus des renseignements concernant son passeport, les détails de l’enregistrement de l’entreprise et son adresse courriel, ainsi que certains autres qui comprennent des instructions pour le transfert électronique de fonds. En outre, le demandeur sollicite une ordonnance semblable relativement au dossier de la Cour T‑655‑12, soit celui de l’action qu’il a déposée pour contester la saisie et la pénalité.

[89]  Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas fourni de fondement juridique ou factuel à l’appui des ordonnances de confidentialité ou de mise sous scellé, et il fait remarquer que le demandeur cherche à retirer du dossier public des documents qui font partie du dossier de la Cour depuis sept ans, dans le cas de l’action contestant la saisie et la pénalité. Les documents que le demandeur cherche à protéger comprennent les documents qu’il a personnellement déposés, les documents déposés dans le cadre de diverses requêtes de nature procédurale présentées par les deux parties et la quasi‑totalité du dossier certifié du tribunal.

[90]  Le défendeur fait valoir que certains des documents inclus dans la demande du demandeur devraient être retirés du dossier de la Cour en raison du fait qu’ils sont inadmissibles, notamment les documents qu’il a déposés et dont ne disposait pas le décideur. Toutefois, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas satisfait au critère rigoureux pour justifier la confidentialité ou les ordonnances de mise sous scellé établi au paragraphe 53 de l’arrêt Sierra Club, qui prévoit qu’une ordonnance au titre de l’article 151 des Règles ne devrait être rendue que dans les cas suivants :

[...]

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[91]  Le défendeur affirme que le demandeur n’a fourni aucune preuve d’un risque objectif, réel et sérieux pour sa propre sécurité ou celle de sa famille. Compte tenu du fait que les renseignements qu’il cherche à protéger en l’espèce sont du domaine public depuis plusieurs années, le demandeur n’a pas fourni d’explication raisonnable pour justifier son retard à demander une telle ordonnance. Il n’a pas non plus indiqué que la disponibilité de ces renseignements a donné lieu à des menaces ou à des conséquences négatives pour lui‑même ou sa famille. Les préoccupations qu’il exprime sont fondées sur des hypothèses plutôt que sur la preuve. Enfin, le défendeur soutient que l’article 45 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique pas et que la divulgation des renseignements dans le dossier de la Cour relève plutôt des alinéas 8(2)c) et d) de cette loi, qui permettent la communication de renseignements personnels à des fins judiciaires et pour assurer le respect des règles du tribunal en matière de production de renseignements.

[92]  Je ne suis pas convaincu que les ordonnances recherchées par le demandeur devraient être accordées en l’espèce. Le point de départ est l’important intérêt public pour des procédures judiciaires ouvertes et accessibles, ainsi que la reconnaissance que les ordonnances de confidentialité sont des exceptions à cette règle, lesquelles devraient être réservées aux circonstances exceptionnelles fondées sur une preuve solide permettant de tirer des conclusions appropriées quant au risque de préjudice (Sierra Club, aux par. 53 et 54). Il est également impératif de déterminer s’il existe d’autres mesures de rechange raisonnables pour protéger la confidentialité des renseignements (Sierra Club, aux par. 53 à 57).

[93]  Le demandeur sollicite une ordonnance qui protégerait son identité contre la divulgation (en remplaçant son nom dans l’intitulé et les motifs par [traduction« M. X. ») et qui scellerait le dossier relativement à une partie importante des documents qui ont été déposés devant la Cour. Il se fonde sur un certain nombre d’arguments : qu’il est nécessaire de se protéger et de protéger sa famille, et qu’en tant que marchand de diamants, il est particulièrement vulnérable; que, si ses renseignements personnels tombent entre de mauvaises mains, il s’exposera à un risque de cyberattaque ou de vol d’identité; que, si les allégations avancées contre lui deviennent connues, ses [traduction« réalisations de toute une vie seront entachées ».

[94]  À l’appui de ces arguments, il a déposé un affidavit personnel attestant ces préoccupations, ainsi qu’un certain nombre d’articles de journaux décrivant des attaques contre des marchands de diamants, principalement aux États‑Unis. Je conclus que ce n’est pas le type de preuve qui permet de tirer une inférence raisonnable quant à une menace sérieuse de préjudice réel. Entre autres choses, le demandeur n’a pas démontré qu’il avait pris des mesures pour empêcher la divulgation de ces renseignements en Australie, par exemple en évitant de divulguer son lien avec son entreprise ou en ayant un numéro de téléphone non inscrit. Je ne doute pas que quiconque fait le commerce du diamant ait un intérêt légitime à protéger sa sécurité personnelle, compte tenu de la valeur de la marchandise. Toutefois, en l’absence d’éléments de preuve plus précis et plus convaincants, cela ne justifie pas une ordonnance de confidentialité au titre de l’article 151 des Règles.

[95]  Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles l’article 45 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique pas en l’espèce.

[96]  Je suis également convaincu par l’observation du défendeur selon laquelle une partie importante des documents que le demandeur cherche à protéger devrait être retirée du dossier de la Cour, parce qu’elle est inadmissible, et j’accorderai cette ordonnance. Toutefois, compte tenu de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincu que toute autre ordonnance de confidentialité ou ordonnance visant à anonymiser l’intitulé de la cause soit justifiée.

[97]  Par conséquent, j’ordonne que les documents mentionnés à l’annexe A des présents motifs soient retirés du dossier de la Cour. Aucune autre ordonnance de confidentialité n’est accordée.

VI.  Conclusion

[98]  Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et la requête en ordonnance de confidentialité est rejetée. Les documents mentionnés à l’annexe A doivent être retirés du dossier de la Cour, parce qu’ils sont inadmissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[99]  Le demandeur et le défendeur ont tous deux demandé l’adjudication des dépens en leur faveur. Règle générale, les dépens suivront l’issue de la cause, et le défendeur a présenté un projet de mémoire des dépens, lesquels sont calculés conformément à la colonne III du tarif et totalisent 3 700 $. Le défendeur fait remarquer que les deux parties ont présenté un certain nombre de requêtes de nature procédurale dans la présente affaire et qu’il serait dans l’intérêt de la justice de simplement ordonner un montant précis de dépens, plutôt que de les faire taxer.

[100]  La Cour dispose d’un très grand pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 400 des Règles en ce qui concerne les dépens. En l’espèce, j’ai examiné un certain nombre de facteurs, notamment le résultat, l’importance et la complexité de l’affaire, la conduite des deux parties, y compris le nombre de requêtes de nature procédurale qui ont été présentées, notamment les requêtes visant à empêcher l’audition de l’affaire, déposées par le défendeur, qui ont eu pour effet d’allonger l’instance, le fait que le demandeur a agi pour son propre compte, de même que le fait que le demandeur a avancé un certain nombre d’allégations graves contre l’agent en cause dans la présente affaire, allégations qui n’étaient pas étayées par la preuve et qui ont été rejetées dans leur intégralité.

[101]  En appréciant tous ces facteurs, j’ai décidé de ne pas adjuger de dépens dans la présente affaire. Chaque partie doit assumer ses propres frais.


JUGEMENT dans le dossier T‑491‑17

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. que la requête visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité au titre de l’article 151 des Règles est rejetée;

  3. que les documents mentionnés à l’annexe A des présents motifs doivent être retirés du dossier de la Cour;

  4. qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de mai 2020

C. Laroche, traducteur


ANNEXE A

Affidavit du demandeur, daté du 26 avril 2017 :

paragraphes 37 à 45, 55, 57, 58, 60, 61, 64, 65, 68 à 75, 78 à 80, 89, 91, 93 à 104, 107, 108 ainsi que 110 à 112.

Dossier du demandeur, daté du 22 juillet 2018, constitué de pièces jointes à l’affidavit du demandeur :

pages J7 à J12, J50, K3 à K14, K21 à K41, K54 à K60 ainsi que K88 à K94.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑491‑17

INTITULÉ :

TAMBA THOMAS c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE (MSPPC)

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 AVRIL 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Pentney

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 24 février 2020

COMPARUTIONS :

Tamba Thomas

POUR SON PROPRE COMPTE

Émilie Tremblay

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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