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Date : 20041018

Dossier : T-1598-03

Référence : 2004 CF 1438

ENTRE :

                                                                PERRY ACORN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                M. Acorn, un détenu, a fait l'objet d'un transfèrement imposé de l'établissement de Warkworth, un pénitencier à sécurité moyenne, au pénitencier de Kingston, un établissement à sécurité maximale. Il a contesté le transfèrement, sans succès, à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs. Il me demande d'annuler la décision du 25 juillet 2003 du commissaire, le troisième palier de la procédure, et d'ordonner son retour à l'établissement de Warkworth.


[2]                M. Acorn est un délinquant primaire âgé de 23 ans qui a été condamné à une peine d'emprisonnement de sept ans pour vol à main armée, séquestration et tentative d'entrave à la justice. Le 15 avril 2003, à l'établissement de Warkworth, il s'est bagarré avec un autre détenu. Les deux témoins présents - un agent et un autre détenu - ont tous deux dit que M. Acorn n'était pas l'instigateur de la dispute. L'autre détenu avait essayé de frapper M. Acorn, mais il avait manqué son coup. M. Acorn avait réagi en envoyant l'autre détenu au sol et en lui assénant un coup de pied à la tête. Il a donc été accusé de manquement à la discipline, c'est-à-dire refus d'obéir à un ordre et bagarre, voies de fait et menaces.

[3]                Après l'incident, l'équipe de gestion des cas de M. Acorn a conclu que le comportement de ce dernier était devenu plus inquiétant et violent et l'équipe a recommandé que son classement de sécurité soit porté à maximal. Un avis de recommandation de transfèrement imposé (recommandation de transfèrement), daté du 13 mai 2003, recommandait le transfèrement du détenu au pénitencier de Kingston.

[4]                La recommandation de transfèrement décrit plusieurs incidents concernant M. Acorn qui ont eu lieu avant la bagarre :

-          le 27 février 2003          On l'a trouvé dans la cellule d'un autre détenu alors qu'il était en possession de marijuana et d'une pipe à eau. Il a dit que ces objets lui appartenaient et il a été accusé de possession et de contrebande. Les accusations étaient en instance lors de la décision du commissaire. Le 12 août 2003, il a été déclaré non coupable des accusations;


-          le 2 mars 2003             M. Acorn a été trouvé dans sa cellule en possession d'un pot de beurre d'arachide contenant une substance qui ressemblait à de la bière. À cause d'une altération de la preuve, aucune accusation disciplinaire n'a été portée;

-          le 1er avril 2003 M. Acorn a été placé en isolement pour la nuit. On soupçonnait qu'il participait à la culture de la drogue à l'établissement à cause des conversations téléphoniques entre M. Acorn et sa copine concernant l'introduction de drogues dans l'établissement. Dans l'attente de l'enquête, la petite amie de M. Acorn a perdu son droit de visite et le droit d'avoir accès à un téléphone a été révoqué.

[5]                L'évaluation en vue d'une décision dit notamment que pendant toute sa détention à l'établissement de Warkworth, M. Acorn n'a jamais été capable de conserver un emploi très longtemps sans faire l'objet d'une suspension, d'un congédiement ou des deux.

[6]                Lorsque le grief a été entendu au troisième palier, le commissaire était saisi notamment du grief de M. Acorn, de la recommandation de transfèrement, de l'évaluation en vue d'une décision, des formulaires de décision concernant le changement de la cote de sécurité et le transfèrement imposé, la réponse à la réfutation de M. Acorn concernant l'avis et la réponse donnée au grief de M. Acorn au deuxième palier de règlement des griefs.

[7]                Les parties conviennent que la décision de transférer un détenu d'un établissement à un autre est une décision essentiellement administrative au sujet de laquelle il faut faire preuve de retenue. L'intervention judiciaire n'est pas opportune sauf si on peut démontrer que la décision est injustifiée : Faulkner c. Canada (Solliciteur général) (1992), 62 F.T.R. 19 (1re inst.); Hay c. Commission nationale des libérations conditionnelles (1985), 13 Admin. L.R. 17 (C.F. 1re inst.); Hutton c. Établissement Fenbrook (2002), 48 Admin. L.R. (3d) 167 (C.F. 1re inst.). Les parties conviennent également que, compte tenu de ces principes, la norme applicable, en matière de contrôle, est celle de la décision qu'on appelle maintenant la décision manifestement déraisonnable.

[8]                M. Acorn soutient que la décision du commissaire était fondée sur des renseignements erronés et inexacts et qu'elle est donc manifestement déraisonnable. Elle est à ce point arbitraire et injuste qu'elle viole les principes de justice fondamentale et, par voie de conséquence, ses droits protégés par l'article 7 de la Charte. Cet argument est principalement fondé sur le fait que le 8 octobre 2003, le président de l'extérieur a rejeté les accusations disciplinaires (découlant de la bagarre) contre M. Acorn. M. Acorn fait valoir qu'il peut être démontré qu'il serait déraisonnable de maintenir le transfèrement, qui a eu lieu à cause de la bagarre, alors qu'il a été exonéré de tout blâme.


[9]                M. Acorn prétend que la description de la bagarre qui se trouve dans la recommandation de transfèrement a été contredite à l'audience disciplinaire par l'agent qui avait été témoin de l'altercation. En outre, le président de l'extérieur a mentionné qu'aucune preuve dont il était saisi n'indiquait que M. Acorn avait continué d'attaquer son adversaire après avoir été sommé de s'arrêter. Il allègue que le commissaire a pris une décision sans tenir compte de la preuve et il affirme que le commissaire était tenu d'ouvrir une enquête. Plus précisément, il soutient que le commissaire aurait dû interviewer le détenu, témoin de l'incident.

[10]            Avec égards, je ne saurais accepter l'argument de M. Acorn. La question qui doit se poser, en matière de révision du transfèrement d'un détenu, est de savoir si l'information dont disposait le service correctionnel était telle qu'elle justifiait un transfert : Cartier c. Canada (1998), 165 F.T.R. 209 (1re inst.). Il faut une croyance raisonnable que le prisonnier doit être transféré pour assurer l'administration régulière et ordonnée de l'établissement : Camphaug c. Canada (1990), 34 F.T.R. 165 (1re inst.).

[11]            L'argument de M. Acorn est foncièrement entaché à deux égards. Premièrement, il s'appuie sur le fait que la décision du commissaire était fondée uniquement sur l'altercation. Il n'en est rien. Il est dit, dans la décision, que [traduction] « l'incident du 15 avril 2003 démontre clairement qu'il est impossible d'exercer un contrôle sur vous dans un établissement à sécurité moyenne » , mais aussi que la décision est fondée sur [traduction] « des renseignements qui vous ont déjà été présentés » ainsi que sur la Directive du commissaire 006, Classification des établissements.

[12]            Les renseignements « déjà présentés » comprennent la recommandation de transfèrement et l'évaluation en vue d'une décision, deux documents qui décrivent notamment les incidents susmentionnés qui se sont produits entre le 27 février et le 15 avril 2003. L'évaluation en vue d'une décision mentionne les difficultés d'emploi de M. Acorn. Les renseignements « déjà présentés » comprennent également la réponse du deuxième palier de grief dans laquelle il est mentionné que la victime était inconsciente, qu'elle avait dû recevoir des soins médicaux à l'extérieur de l'établissement et qu'elle souffrait notamment de pertes de mémoire, de bégaiement et de troubles d'élocution.

[13]            Deuxièmement, M. Acorn accorde naturellement beaucoup d'importance au résultat de l'audience disciplinaire. Le problème, c'est que l'audience a eu lieu plus de deux mois après la décision du commissaire. La décision du commissaire était fondée sur les renseignements dont il disposait à l'époque. Lors d'un contrôle judiciaire, le tribunal doit examiner la décision en cause compte tenu du dossier dont le décideur était saisi. Il n'appartient pas à la Cour de supputer sur les raisons pour lesquelles M. Acorn a été déclaré non coupable des accusations disciplinaires. M. Acorn insiste pour dire qu'il a été exonéré à cause principalement du témoignage de l'agent témoin de l'incident. Toutefois, l'interprétation faite par M. Acorn (dans son affidavit) des renseignements donnés par l'agent est contredite par la déclaration de l'agent en cause dont l'affidavit a été préparé en réponse à celui de M. Acorn.

[14]            Quant à l'argument selon lequel le commissaire aurait dû ouvrir une enquête sur la question et parler au détenu témoin, aucune jurisprudence susceptible d'étayer cette opinion n'a été présentée. Il existe une jurisprudence qui établit l'argument contraire. Dans l'affaire Camphaug, précitée, le juge Strayer, aujourd'hui juge de la Cour d'appel, a dit qu'il n'appartenait pas au commissaire de reprendre toutes les allégations présentées contre un détenu en se fondant sur tous les éléments de preuve. Il suffit qu'il se forme une opinion raisonnable selon laquelle le détenu doit être transféré lorsque le détenu a eu tout le temps qu'il fallait pour s'exprimer sur cette question. M. Acorn a eu l'occasion de s'exprimer et il s'en est prévalu.

[15]            Quant à l'allégation selon laquelle le commissaire n'aurait pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents, quand on lui a demandé de préciser les éléments en cause, l'avocat de M. Acorn n'en a trouvé qu'un seul, le témoignage de M. Acorn. En fait, l'avocat me demande d'apprécier de nouveau la preuve et de remplacer l'opinion du commissaire par la mienne. Cela n'est pas de mon ressort. Dans la mesure où le demandeur prétend que le commissaire n'aurait pas dû tenir compte d'incidents qui n'ont fait l'objet d'aucune accusation disciplinaire, je n'ai pas besoin de me pencher sur cette question puisque le commissaire était saisi de suffisamment de renseignements (à l'exclusion des incidents à l'égard desquels aucune accusation n'a été portée) pour justifier le transfèrement imposé et, par voie de conséquence, de rejeter le grief de M. Acorn.

[16]            La demande sera rejetée mais, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je n'accorderai pas les dépens.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

                                                                                                             « Carolyn Layden-Stevenson »       

                                                                                                                                                     Juge                           

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

le 18 octobre 2004                   

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-1598-03

INTITULÉ :                                                          PERRY ACORN

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    KINGSTON (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 12 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                         LE 18 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Philip Casey                                                            POUR LE DEMANDEUR

Alex Kaufman                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Philip Casey                                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Kingston (Ontario)

Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)


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