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Date : 20000719


Dossier : IMM-4333-99


Ottawa (Ontario), le mercredi 19 juillet 2000

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson


ENTRE :


     MI SOOK LIM, JIN WOO PARK ET AH RUM PARK

     demandeurs


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur




     JUGEMENT



     LA COUR ORDONNE QUE :

     La demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

     La décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 11 août 1999 est annulée et l'affaire renvoyée à une autre formation pour nouvel examen.

                                 « Eleanor R. Dawson »

     Juge


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.






Date : 20000719


Dossier : IMM-4333-99






ENTRE :

     MI SOOK LIM, JIN WOO PARK ET AH RUM PARK

     demandeurs


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE DAWSON


[1]          Mi Sook Lim, la demanderesse principale en l'espèce, est une divorcée de 40 ans originaire de la République de Corée qui a revendiqué le statut de réfugié à titre de membre d'un groupe social, les Coréennes victimes de violence conjugale. Les autres demandeurs sont Jin Woo Park, son fils de 17 ans, et Ah Rum Park, sa fille de 23 ans.

[2]          Dans une décision qu'elle a prise le 11 août 1999, la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a jugé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[3]          Dans la présente demande de contrôle judiciaire qu'ils ont présentée aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, les demandeurs demandent à la Cour de rendre une ordonnance annulant la décision de la SSR et renvoyant l'affaire pour nouvel examen devant une autre formation de la SSR.

LES FAITS

[4]          Madame Lim a déclaré, dans son témoignage, qu'elle avait été violée en 1976, à l'âge de 16 ans, par un soldat de l'armée de la République de Corée et qu'elle en avait conçu sa fille. En raison des pressions sociales exercées en Corée, Mme Lim n'a eu d'autre choix que d'épouser cet homme, ce qu'elle fit. Par la suite, en 1982, elle a donné naissance à son second enfant.

[5]          Madame Lim a également déclaré qu'un an environ après son mariage, son mari s'est mis à boire. Elle a appris qu'il avait une relation adultérine et a affirmé qu'après cette découverte, son mariage s'est dégradé progressivement.

[6]          Madame Lim a témoigné que son mari est devenu très agressif, tant verbalement que physiquement, mais qu'elle ne pouvait le quitter parce qu'en Corée, à cette époque, cela ne se faisait pas. Elle affirme avoir fait une dépression, souffert de problèmes gastriques, eu des insomnies, et tenté de se suicider à plusieurs reprises.

[7]          Elle a décrit deux incidents violents. Le premier s'est produit au début de l'été 1990. Elle a déclaré que son mari est rentré ivre à la maison un soir. Après l'avoir agressée verbalement et qu'elle se soit plainte de son ivresse, il l'a frappée avec sa tête et lui a cassé le nez. Elle a déclaré qu'elle a dû subir une chirurgie esthétique à la suite de cette blessure. Le second incident s'est produit à l'automne de l'année 1994. Son mari, dans un accès de « rage éthylique » (c'est ainsi que l'a qualifié Mme Lim), l'a poussée violemment contre un horloge de parquet. Elle a étendu le bras pour se protéger mais son mari l'avait poussée si violemment qu'elle a brisé la vitre de l'horloge. Elle s'est coupée la main et a dû recevoir 14 points de suture.

[8]          Madame Lim a déclaré qu'en 1996, son médecin de famille lui avait conseillé de divorcer et de quitter la Corée. Elle a témoigné qu'en décembre 1996, elle a obtenu le divorce avec l'aide de la police. Quelques jours après avoir obtenu le divorce, elle a quitté la Corée avec ses enfants.

LA DÉCISION DE LA SSR

[9]          La SSR a jugé que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'il existait une possibilité raisonnable qu'ils soient persécutés si l'un d'entre eux retournait en Corée.

[10]          Voici la partie pertinente des motifs de la SSR :

     [TRADUCTION]

         La rupture a finalement eu lieu en décembre 1996; et elle s'est déroulée de façon rapide et sûre. La police a joué un rôle essentiel, aidant la demandeure [sic] principale. C'est la seule et unique fois qu'elle a demandé la protection de l'État.
         La demandeure [sic] principale n'a pas cherché d'avocat et n'en avait pas besoin. En fait, elle a tout simplement « fait une demande de divorce au poste de police » . Ensuite, la police a arrêté son époux et l'a incarcéré, selon elle, jusqu'à ce qu'elle ait fini de négocier son divorce. Il était détenu en compagnie d'une petite amie et, d'après la demandeure [sic] principale, il est possible qu'il ait cédé à certaines demandes matérielles pour protéger la petite amie en question.
         La demandeure [sic] principale s'est faite accompagner par un parent au poste de police pour négocier ses revendications. Son époux a accepté de lui donner la maison, qu'elle a ensuite vendue. On ne sait pas vraiment, au vu de la preuve présentée, si elle a dû aller dans la maison de transition et d'hébergement qu'elle et son médecin avaient trouvée, si jamais elle en avait eu besoin.
         Elle a obtenu le divorce le 16 et « était partie le 23 » . Cela semble bien illustrer la protection accordée par l'État.
         Il existe très peu de documents sur la violence familiale en Corée. Le tribunal reconnaît que certaines traditions anciennes créaient, il y a peu encore, d'énormes stigmates sociaux, tels que ceux qui ont joué un rôle important dans le malheur de la demandeure [sic] principale.6 [notes de bas de page supprimées]

[11]          Après avoir examiné les éléments de preuve documentaire fournis ainsi que le témoignage de la demanderesse principale, la SSR a poursuivi ainsi :

     [TRADUCTION]
         De toute évidence, il existe une protection de l'État dans ce cas et cette protection continuerait si la demandeure [sic] principale retournait en Corée, et ce, selon des normes supérieures à celles auxquelles on s'attend dans la définition du statut de réfugié au sens de la Convention.13
         Le tribunal conclut donc que la demandeure [sic] principale n'est pas une réfugiée au sens de la Convention. [note de bas de page supprimée]

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]          Les demandeurs affirment que la SSR a commis quatre erreurs, dont chacune justifierait l'annulation de la décision. Les quatre erreurs invoquées sont les suivantes :

     1.      Lorsque la SSR a examiné l'aide apportée par la police à la demanderesse principale pour que celle-ci obtienne son divorce, le tribunal a déclaré avoir conclu que « selon toute probabilité, la police a[vait] pu agir ainsi en raison des termes de la Loi sur la prévention de la violence familiale et la protection des victimes, dont il est question plus haut » . Cela constitue une erreur puisque la demanderesse principale a divorcé en décembre 1996, date à laquelle la Loi sur la prévention de la violence familiale et la protection des victimes n'avait pas encore été adoptée;
     2.      La SSR a commis une erreur en concluant que la police avait aidé la demanderesse principale à obtenir son divorce alors que celle-ci était en fait intervenue en raison de l'adultère commis par le mari et non pas des mauvais traitements infligés;
     3.      Il n'y avait pas assez d'éléments de preuve pour conclure que la protection accordée par l'État était suffisante. Le rapport du Département d'État cité par la SSR pour appuyer sa conclusion au sujet de la protection accordée par l'État affirme plus loin que la violence contre les femmes demeure un problème en Corée;
     4.      La SSR a fondé sa décision sur une modification de la situation du pays et a commis une erreur en ne tenant pas compte de la portée du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi).

L'ANALYSE

[13]          Pour ce qui est de la conclusion de la SSR selon laquelle la police avait probablement pu intervenir dans ce cas en raison des dispositions de la Loi sur la prévention de la violence familiale et la protection des victimes, le tribunal a effectivement commis une erreur en déduisant que la police a pu intervenir de cette façon en raison de ce texte législatif. Il n'est pas contesté qu'au moment du divorce, cette Loi n'était pas encore en vigueur.

[14]          Quant à l'effet qu'a pu avoir cette erreur, on a soutenu pour le compte du ministre que cette erreur n'était pas déterminante car, quelle qu'ait pu être la source des pouvoirs de la police en cette matière, il est clair que celle-ci a aidé Mme Lim.

[15]          Je ne peux conclure que cette erreur n'a pas influé sur la conclusion définitive du tribunal.

[16]          Dans ses motifs, après avoir exposé le témoignage de la demanderesse principale qu'elle avait obtenu le divorce pour le motif d'adultère et qu'après avoir présenté une demande de divorce au poste de police, la police avait réagi en arrêtant le mari et sa petite amie, le tribunal a déclaré ceci :

     [TRADUCTION]
         Je parle de nouveau de cette preuve, car le conseil de la demandeure [sic] a fait valoir que « cette mesure de la part de la police n'avait absolument rien à voir avec le fait que l'ex-époux s'était montré brutal et abusif envers la demandeure [sic] principale » .
         Le tribunal en conclut autrement. Il estime pour sa part que la police a, en fait, joué un rôle très pro-actif et aidé la demandeure [sic] principale à obtenir de son époux un divorce qu'il lui avait auparavant refusé et à l'obtenir dans de très bonnes conditions. Le tribunal conclut que, selon toute probabilité, la police a pu agir ainsi en raison des termes de la Loi sur la prévention de la violence familiale et la protection des victimes, dont il est question plus haut.

[17]          Il ressort clairement d'un examen attentif de la transcription de l'audience devant la SSR que la demanderesse principale a déclaré dans son témoignage que même s'il existait en Corée des lois qui, à l'époque, incriminaient l'adultère, la police ne protégeait pas les victimes de violence.

[18]          Le tribunal a rejeté l'argument selon lequel les mesures prises par la police n'avaient rien à voir avec les agressions, mais qu'elles étaient plutôt fondées sur l'adultère, en s'appuyant sur une conclusion erronée à savoir que « selon toute probabilité, la police a pu agir ainsi en raison des termes de la Loi sur la prévention de la violence familiale et la protection des victimes » . Cette erreur a eu, d'après moi, pour conséquence d'amener la SSR à ne pas convenablement examiner la question de savoir si la demanderesse pouvait obtenir l'intervention de l'État, élément qu'elle a trouvé très convaincant, en cas de mauvais traitements physiques comme elle l'avait obtenu pour l'adultère.

[19]          J'en conclus donc qu'en rejetant l'argument selon lequel l'intervention de la police ne découlait pas de la violence et des mauvais traitements infligés par le mari, le tribunal a rendu une décision qui ne tenait pas compte des éléments de preuve présentés et a donc commis une erreur.

[20]          J'ai examiné la question de savoir si la SSR a, pour en arriver à sa conclusion définitive, conclu que la situation du pays avait changé à un point tel que la crainte de persécution qu'éprouvait la demanderesse principale n'était plus fondée. Cependant, si la SSR était convaincue que celle-ci n'était plus justifiée de revendiquer le statut de réfugiée vu le changement intervenu dans la situation dans ce pays, et donc de donner lieu à l'application de l'alinéa 2(2)e) de La Loi, la SSR était alors tenue d'examiner l'applicabilité du paragraphe 2(3) de la Loi. Voir l'arrêt Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 457 (C.A.F.).

[21]          Comme la SSR n'a pas examiné l'applicabilité du paragraphe 2(3) de la Loi, je ne peux en conclure que sa décision peut être confirmée pour le motif qu'il y a eu un changement dans la situation de ce pays.

[22]          Vu que la SSR n'a pas abordé cette question, je ne suis pas disposée à accepter l'argument avancé pour le compte du ministre selon lequel les éléments de preuve qui m'ont été présentés me permettent de conclure que Mme Lim ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombe en vertu du paragraphe 2(3) de la Loi. Cette question relève de la SSR.

[23]          La SSR ayant commis une erreur, sa décision doit être annulée et l'affaire renvoyée à un autre tribunal pour nouvelle décision. Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument des demandeurs selon lequel les preuves présentées ne permettaient pas de conclure que l'État avait fourni une protection suffisante dans les circonstances.

[24]          L'affaire ne soulève aucune question grave qui mérite d'être certifiée.

                                 « Eleanor R. Dawson »

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 19 juillet 2000


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-4333-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          MI SOOK LIM ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 5 JUIN 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :              19 JUILLET 2000

ONT COMPARU :             
J. DAVIS                  POUR LE DEMANDEUR
M. LAROUCHE              POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

J. DAVIS, TORONTO          POUR LE DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERG          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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