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                                                                                                                                           T-1927-95

 

 

 

                                           OTTAWA, LE LUNDI 27 JANVIER 1997

 

                                      EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

 

 

 

ENTRE :

 

 

 

                                          PHARMACIA INC. et PHARMACIA SpA,

 

                                                                                                                                         requérantes,

 

                                                                          - et -

 

                                           BEN VENUE LABORATORIES, INC. et

              LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

 

                                                                                                                                                intimés.

 

 

 

                                                                ORDONNANCE

 

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

 

            APRÈS avoir entendu la demande présentée par Pharmacia Inc. en vertu de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, afin d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Ben Venue Laboratories, Inc. à l'égard du médicament chlorydrate de doxorubicine, lecture faite de la preuve produite, après avoir entendu les avocats de toutes les parties à Toronto (Ontario) le 4 juin 1996, au moyen d'un appel-conférence le 26 septembre 1996, et à nouveau le 23 octobre 1996, après que des observations écrites eurent été déposées, et pour les motifs ci-joints,

 

            IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ que la demande soit rejetée avec dépens.

 

 

 

 

                                                                                                           «James A. Jerome»        

                                                                                                              Juge en chef adjoint

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                            

                                                                                                        Christiane Bélanger, LL.L.


                                                                                                                                           T-1927-95

 

 

 

ENTRE :

 

 

 

                                          PHARMACIA INC. et PHARMACIA SpA,

 

                                                                                                                                         requérantes,

 

                                                                          - et -

 

                                           BEN VENUE LABORATORIES, INC. et

              LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

 

                                                                                                                                                intimés.

 

 

 

                                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

 

            Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, par laquelle la requérante Pharmacia Inc. veut interdire au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Ben Venue Laboratories, Inc. à l'égard du médicament chlorydrate de doxorubicine.  J'ai entendu la présente cause pour la première fois le 4 juin 1996 à Toronto (Ontario).  J'ai ensuite convoqué, le 26 septembre 1996, une conférence téléphonique au cours de laquelle j'ai ordonné aux parties de déposer des observations écrites.  Par la suite, j'ai de nouveau entendu l'affaire le 23 octobre 1996.  À la clôture de l'audience, j'ai indiqué que j'examinerais les observations et que je prononcerais des motifs écrits.

 

CONTEXTE

 

            La requérante Pharmacia SpA est titulaire du brevet canadien 1,291,037 qui renferme une revendication pour le médicament chlorydrate de doxorubicine en soi et une revendication pour l'utilisation du médicament.  Le 31 juillet 1995, les requérantes ont reçu un avis d'allégation dans lequel l'intimée Ben Venue Laboratories, Inc. déclare notamment ce qui suit :

 

[TRADUCTION] Nous vous signifions par les présentes une déclaration suivant le formulaire V et un énoncé du droit et des faits au soutien de l'allégation qui y est faite, puisqu'un avis d'allégation est requis en vertu de l'al. 5(3)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le «Règlement»).

 

Conformément à l'al. 5(3)a) du Règlement, vous trouverez ci-après un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels la seconde personne, Ben Venue Laboratories, Inc., fonde son opinion.

 

La seconde personne est autorisée en vertu d'une licence accordée par la brevetée à fabriquer, faire fabriquer, utiliser et vendre au Canada le chlorydrate de doxorubicine qui est visé par les revendications du brevet canadien 1,291,037 et a donc le droit de faire une allégation semblable.

 

En gros, l'intimée déclare qu'elle ne contrefera pas le brevet de la requérante parce que la requérante lui a accordé une licence qui l'autorise à utiliser le médicament visé par le brevet.  Après avoir reçu l'avis d'allégation, les requérantes ont intenté la présente poursuite en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Ben Venue Laboratories, Inc. avant l'expiration du brevet.

 

            Les dispositions pertinentes du Règlement qui régit la délivrance d'un avis de conformité sont les suivantes :

5. (1)       Lorsqu'une personne dépose ou, avant la date d'entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d'avis de conformité à l'égard d'une drogue et souhaite comparer cette drogue à une drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard duquel une liste de brevets a été soumise ou qu'elle souhaite faire un renvoi à la drogue citée en second lieu, elle doit indiquer sur sa demande, à l'égard de chaque brevet énuméré dans la liste :

 

                a)soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

 

                b)soit une allégation portant que, selon le cas :

 

                                (i)la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)b) est fausse,

 

                                (ii)le brevet est expiré,

 

                                (iii)le brevet n'est pas valide,

 

                                (iv)aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

 

(2)           Lorsque, après le dépôt par la seconde personne d'une demande d'avis de conformité mais avant la délivrance de cet avis, une liste de brevets est soumise ou modifiée aux termes du paragraphe 4(5) à l'égard d'un brevet, la seconde personne doit modifier la demande pour y inclure, à l'égard de ce brevet, la déclaration ou l'allégation exigée par le paragraphe (1).

 

(3)           Lorsqu'une personne fait une allégation visée à l'alinéa (1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :

 

                a)fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

 

                b)signifier un avis d'allégation à la première personne et une preuve de cette signification au ministre.

 

                DROITS D'ACTION

 

6. (1)       La première personne peut, dans les 45 jours suivant la signification d'un avis d'allégation aux termes de l'alinéa 5(3)b), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration de un ou plusieurs des brevets visés par une allégation.

 

(2)           Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle [sic] conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.

 

(3)           La première personne signifie au ministre, dans la période de 45 jours visée au paragraphe (1), la preuve que la demande visée à ce paragraphe a été faite.

 

(4)           Lorsque la première personne n'est pas le propriétaire de chaque brevet visé dans la demande mentionnée au paragraphe (1), le propriétaire de chaque brevet est une partie à la demande.

 

ANALYSE

 

            Dans l'affaire Eli Lilly & Co. et al. c. Nu-Pharm Inc. et al. (1996), 199 N.R. 185 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a fait un examen approfondi de la jurisprudence qui interprète le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et s'est prononcée sur le fardeau de preuve approprié en vertu de l'article 6.  Le juge Stone, J.C.A., a déclaré au nom de la Cour :

Selon moi, le droit tel qu'il est énoncé dans la jurisprudence de la Cour fait, à l'évidence, reposer sur les intimées [Eli Lilly] le fardeau ultime de prouver que les allégations de fait contenues dans l'avis d'allégation sont fausses [Merck Frosst Canada Inc. et autre c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et autre (1994), 169 N.R. 342 (C.A.F.)]. [...] L'énoncé détaillé doit être signifié au breveté et au ministre appelé à décider s'il y a lieu de délivrer un avis de conformité.  Grâce à la signification de l'énoncé, le breveté sait qu'une demande a été présentée au ministre.  Il doit alors décider s'il s'oppose à la délivrance de l'avis de conformité sous le régime de l'article 6 du Règlement.  Cette décision est cruciale. [...] Cet énoncé détaillé doit permettre d'assurer que la première personne est pleinement instruite des motifs sur lesquels se fonde la seconde personne pour faire son allégation de non-contrefaçon. (à la p. 17)

 

Si le breveté ne s'oppose pas à la demande en engageant les procédures visées à l'article 6, le ministre peut trancher sans autre formalité.  En revanche, si des procédures fondées sur l'article 6 sont intentées, le breveté doit se conformer aux exigences que lui impose le paragraphe 6(2) du Règlement. [...] [Les fardeaux de preuve] doivent être appliqués conformément à l'économie et à l'esprit du Règlement.  Par conséquent, bien que les intimées [Eli Lilly] doivent s'acquitter du fardeau ultime de la preuve, elles n'y sont tenues que si l'appelante elle-même a satisfait aux exigences du Règlement, notamment à l'obligation de fournir un «énoncé détaillé».  (à la p. 18)

 

Par conséquent, la requérante dans une demande fondée sur l'article 6 a le fardeau de prouver ou de réfuter l'allégation, mais l'allégation doit être accompagnée d'un énoncé du droit et des faits suffisamment détaillé pour révéler les motifs qui la sous-tendent.

 

            Dans l'affaire Eli Lilly, la requérante a plaidé l'existence d'une présomption de common law qui transférait à l'intimée la charge de la preuve qui incombe à la requérante dans une demande fondée sur l'article 6.  La Cour d'appel a traité cette prétention comme suit :

En toute déférence, je conviens toutefois qu'avant de donner effet à la présomption, la Cour devra être convaincue que les renseignements nécessaires ne se trouvent pas en la possession des intimées et qu'ils relèvent tout particulièrement de la connaissance de l'appelante.  Il faudra aussi que les intimées établissent que les renseignements nécessaires n'ont pas été produits en preuve par l'appelante et qu'elles ne pouvaient les obtenir d'aucune autre façon.  L'appelante a affirmé dans sa lettre du 5 mai 1993 que son procédé ne porterait pas atteinte au brevet mais elle n'a fourni aucune preuve hormis cette simple affirmation.  Les intimées ne pouvaient savoir, faute de renseignements supplémentaires, que cette affirmation était véridique.  À l'évidence, les éléments de preuve permettant d'établir que le procédé ne porterait pas atteinte au brevet relèvent tout particulièrement de la connaissance de l'appelante. (aux p. 20 et 21)

 

            La Cour d'appel a rendu sa décision dans l'affaire Eli Lilly le 27 juin 1996.  Au cours d'une téléconférence qui a eu lieu à Ottawa (Ontario) le 26 septembre 1996 et à l'audience que j'ai présidée à Toronto (Ontario) le 23 octobre 1996, j'ai donné aux parties la possibilité de présenter des observations de vive voix ou par écrit sur l'effet de la décision de la Cour d'appel sur la présente cause.

 

            Les requérantes affirment que la décision rendue dans l'affaire Eli Lilly se rapporte directement au règlement de la présente cause puisque la Cour d'appel a statué qu'un fabricant de médicaments génériques doit fournir un énoncé détaillé du droit et des faits qui sous-tendent son allégation, qu'en présence d'une simple déclaration de non-contrefaçon, le fabricant de médicaments génériques a la charge de présenter des éléments de preuve au soutien de cette allégation, et que si cette preuve n'est pas produite, la Cour peut appliquer une présomption de common law et tirer une conclusion défavorable.  Les requérantes affirment que l'application de ces principes à la présente cause devrait amener la Cour à conclure qu'il convient d'accorder l'ordonnance demandée vu qu'aucun énoncé détaillé n'a été fourni et qu'aucune preuve n'a été produite sur la nature ou les conditions de la licence.

 

            L'intimée Ben Venue Laboratories, Inc. soutient qu'il ressort clairement de l'arrêt Eli Lilly que les requérantes ont le fardeau ultime de prouver que les allégations sont inexactes et que la présomption de common law s'applique uniquement lorsque la Cour est convaincue que :

1.les renseignements nécessaires n'étaient pas en la possession de la partie adverse.

 

2.les renseignements nécessaires relevaient tout particulièrement de la connaissance de la partie; et

 

3.la partie adverse ne peut obtenir ces renseignements d'aucune autre façon.

 

L'intimée fait valoir que la présomption de common law ne devrait pas s'appliquer dans la présente cause parce que les requérantes n'ont pas rempli ces trois conditions.  Les requérantes n'ont pas nié l'existence de la licence et les conditions de cette licence relèvent de leur connaissance.

 

            L'arrêt Eli Lilly me paraît instructif sur les questions qui m'ont été soumises et les observations de l'intimée m'ont convaincu.  Dans la présente espèce, les requérantes sont aussi bien renseignées que l'intimée sur le contrat de licence, et rien n'empêche les requérantes de s'acquitter de la charge de la preuve qui leur incombe.  Comme les requérantes n'ont pas tenté de prouver que l'allégation de non-contrefaçon n'est pas fondée, elles ne se sont pas acquittées du fardeau ultime de la preuve.  De plus, il n'y a pas lieu d'appliquer une présomption de common law en faveur des requérantes puisque je conclus que les requérantes n'ont pas rempli les conditions préalables énoncées dans l'arrêt Eli Lilly.

 

            Pour ces motifs, la demande en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité est rejetée avec dépens.

 

 

 

OTTAWA

 

Le 27 janvier 1997                                                                            «James A. Jerome »        

                                                                                                              Juge en chef adjoint

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                            

                                                                                                       Christiane Bélanger, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

NO DU GREFFE :                                          T-1927-95

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Pharmacia Inc. et autre c. Ben Venue Laboratories, Inc. et autre

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 4 juin 1996

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

 

 

EN DATE DU 27 janvier 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

M. Gunars Gaikis                                            POUR LA REQUÉRANTE

M. Sheldon Hamilton

 

 

M. Donald Plumley, c.r.                                  POUR L'INTIMÉE

M. Mark Mitchell

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Smart & Biggar                                               POUR LA REQUÉRANTE

Toronto (Ontario)

 

 

Ridout & Maybee                                           POUR L'INTIMÉE

Toronto (Ontario)

 

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