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Date : 20200316


Dossier : IMM‑4406‑19

Référence : 2020 CF 382

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2020

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

HAMZA JOGEZAI

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande déposée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] visant à faire annuler une décision de la Section d’appel de l’immigration [la SAI]  de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[2]  La SAI a accueilli l’appel interjeté par Hamza Jogezai à l’encontre d’une décision par laquelle un agent des visas a rejeté la demande de visa présentée au titre du regroupement familial pour sa femme pakistanaise [la demandeure], concluant que le mariage n’était pas authentique. Le ministre soutient que la décision de la SAI était déraisonnable parce qu’elle était fondée sur des conclusions de fait erronées relativement à la validité du certificat de mariage pakistanais (un Nikkah Namah). Selon le ministre, les documents de mariage contenaient, à première vue, plusieurs incohérences importantes et étaient manifestement frauduleux. Il fait valoir que l’authenticité des documents de mariage était un élément essentiel à la détermination de l’authenticité du mariage et que les motifs de la SAI justifiant les incohérences évidentes n’étaient ni convaincants ni intelligibles.

[3]  Il ne fait aucun doute que les documents de mariage suscitaient des questions qui ont incité l’agent à conclure que le mariage n’était pas authentique. La question que doit trancher la Cour est celle de savoir si le raisonnement sur lequel la SAI s’est fondée pour excuser ces problèmes était raisonnable : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 125, [2019] SCJ No 65 (QL).

[4]  Les préoccupations du ministre découlent des problèmes suivants :

  • a) Les deux copies « originales » du certificat de mariage présentées par les parties étaient rédigées d’une main différente et seulement une comportait un sceau d’attestation.

  • b) Le certificat de mariage n’était pas enregistré au lieu de résidence de la mariée.

  • c) Lorsque des recherches ont initialement été effectuées auprès du greffier au lieu allégué d’enregistrement, aucun certificat de mariage n’a été trouvé.

  • d) Lorsque les parties ont produit une preuve de vérification d’enregistrement, le nom de l’imam ayant célébré le mariage qui y figurait n’était pas le bon.

  • e) Aucune des copies du certificat de mariage ne comportait de numéro de série, comme on aurait pu s’y attendre.

[5]  La SAI a abordé et excusé tous les problèmes susmentionnés, se fondant en grande partie sur son appréciation de la crédibilité. Elle a décrit les parties comme ayant « témoigné avec franchise et sans hésitation » et comme étant « tout à fait crédibles ». Elle a donc commencé son évaluation du dossier documentaire en acceptant leurs explications concernant ce qui ressemblait, à première vue, à des irrégularités.

[6]  Le ministre accorde une grande importance au contenu du rapport de vérification contre la fraude de l’Agence des services frontaliers du Canada [le rapport de vérification de l’ASFC] qui signalait tous les problèmes qui inquiétaient le ministre. En effet, le ministre soutient que, selon le rapport de vérification de l’ASFC, [traduction« le Nikkah Nama était frauduleux ». Se fondant sur ce même rapport, l’agent des visas a conclu que le certificat de mariage était un [traduction« faux ». Le ministre soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI d’adopter un point de vue plus indulgent.

[7]  La faiblesse fondamentale de l’argument du ministre est que le rapport de vérification de l’ASFC ne concluait pas que les documents de mariage étaient des faux ou étaient frauduleux. Il ne faisait que conclure qu’il existait des « préoccupations » relativement à l’authenticité des documents, en fonction d’observations tout aussi peu concluantes.

[8]  Le rapport de vérification de l’ASFC indiquait qu’il s’agissait d’une [traduction« pratique normale » que d’enregistrer un certificat de mariage au lieu de résidence de la mariée. Il n’indiquait pas que l’enregistrement ne pouvait être fait ailleurs. Il y était aussi mentionné qu’il était d’usage d’inscrire un numéro de série sur le certificat de mariage, mais rien n’était précisé sur l’importance de ce point. De même, le rapport indiquait qu’au départ, le greffier n’a pas trouvé de copie de l’enregistrement du mariage et qu’il était [traduction« inhabituel et questionnable » que les deux copies présentées soient rédigées par une main différente. Contrairement à ce que laissent entendre les arguments du ministre et les conclusions de l’agent des visas, ces observations sont loin d’être une preuve de fraude ou de falsification.

[9]  La SAI, de son côté, n’a pas accordé d’importance indue au rapport de vérification de l’ASFC. Elle a plutôt écouté et accepté les explications fournies par les parties concernant les documents de mariage et les a jugées authentiques.

[10]  La SAI a accordé peu d’importance aux incohérences de la preuve concernant l’identité de l’imam qui a célébré le mariage en raison du témoignage de la sœur de l’appelant, qui identifiait l’imam comme étant Ameer Mohammad et le greffier comme étant Azziz Ullah. Le témoignage de la sœur a été jugé crédible et, puisqu’elles sont défavorables, les incohérences documentaires ont été attribuées à une simple erreur. Pour en arriver à cette conclusion, la SAI a soupesé la preuve dans un contexte où elle a eu l’avantage d’entendre les témoins.  Cette conclusion ne peut pas être modifiée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[11]  La SAI a abordé de manière détaillée la question des deux certificats de mariage rédigés d’une main différente, quoiqu’autrement identiques :

Il n’est pas nécessaire d’examiner bien attentivement les deux documents pour constater qu’ils sont effectivement écrits par deux personnes différentes. Comme l’explique le rapport de vérification, tous les nikah namas sont rédigés en quatre exemplaires, habituellement par une seule et même personne. Il ne m’appartient pas d’avancer des hypothèses sur les raisons pour lesquelles un imam, dans une région du Baloutchistan, où il est peut‑être difficile de trouver une photocopieuse, déléguerait la rédaction manuscrite du troisième ou du quatrième nikah nama à une autre personne. Toutefois, à l’examen des deux manuscrits du nikah nama, les quatre éléments suivants ressortent clairement : 1) les deux copies manuscrites ont été signées par les mêmes témoins – les signatures ne sont pas simplement recopiées d’un document à l’autre; il s’agit de signatures individuelles apposées sur des documents distincts (chacune présentant ses particularités propres); 2) les manuscrits sont tous deux datés du 20 avril 2013; 3) le contenu des deux manuscrits est identique; et 4) la signature de l’imam Ameer Mohammad figure clairement sur les deux manuscrits. Pour ce qui est de la question de savoir à quoi ressemble la signature de l’imam Ameer Muhammed, celle‑ci apparaît sur la traduction en anglais et le certificat de mariage datant de la même époque (page 68 du dossier), dans le coin inférieur droit, sous la rubrique [traduction] « Signature du célébrant ». La même signature, en arabe, apparaît sur la deuxième page du nikah nama figurant à la page 70 du dossier (troisième signature à partir du bas à gauche) et sur la deuxième page du nikah nama figurant à la page 15 de la pièce A‑2. La seule différence est que le nikah nama figurant à la page 16 de la pièce A‑2 contient le verso de la page 2, lequel porte un sceau d’attestation, tandis que le manuscrit de la page 70 n’inclut pas le verso de la page 2. Il est donc impossible de savoir s’il comporte ou non un sceau d’attestation. Je conclus donc que, même si les deux nikah namas sont effectivement rédigés à la main par deux personnes différentes, ils sont tous deux valides puisqu’ils ont été signés simultanément par les témoins, dont les signatures sont identiques sur les deux copies, et par l’imam qui a célébré le mariage, Ameer Muhammed, dont la signature est également uniforme sur les deux copies. Il s’agit donc là d’un facteur favorable dans l’évaluation de l’authenticité de ce mariage.

[12]  L’analyse de la preuve qui précède est inattaquable et ne peut, elle non plus, être modifiée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[13]  La SAI a rejeté la préoccupation du ministre concernant le lieu de l’enregistrement du certificat de mariage puisqu’elle a accepté les témoignages de la demandeure, de l’appelant et de la sœur de celui‑ci, selon lesquels aucun mariage ne peut être enregistré au lieu de résidence de la demandeure. Il n’était pas déraisonnable d’accepter cet élément de preuve compte tenu de l’énoncé moins que convaincant du rapport de vérification de l’ASFC selon lequel il ne s’agissait pas d’une [traduction« pratique normale ». Même si le certificat de mariage aurait pu être enregistré au lieu de résidence de la demandeure, le simple fait qu’il a été enregistré dans un autre lieu autorisé ne soulève aucun soupçon raisonnable. La préoccupation du ministre à cet égard était, comme la SAI l’a conclu, non fondée.

[14]  La SAI a traité la question de l’absence d’un numéro de série sur le certificat de mariage en acceptant la possibilité que ce numéro ait été apposé sur l’une des deux autres copies qui n’ont pas été présentées en preuve. Il ne s’agissait pas d’une inférence déraisonnable.

[15]  La SAI n’a abordé qu’indirectement la question de l’incapacité initiale du greffier de trouver l’enregistrement du mariage. Il est du moins implicite que la SAI a accepté le témoignage de la demandeure selon lequel l’enregistrement avait bel et bien eu lieu, mais après un long délai.

[16]  Les arguments du ministre concernant l’authenticité des documents ne sont qu’une simple invitation à la Cour de soupeser à nouveau la preuve. Comme le ministre le sait très bien, ce n’est pas là le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire. La SAI s’est fondée sur une base solide pour accepter les déclarations des témoins plutôt que sur les propos vagues et non concluants contenus dans le rapport de vérification de l’ASFC. Dans bien des endroits dans le monde, les pratiques documentaires ne ressemblent pas à celles qui sont courantes ici – un fait que l’ASFC et l’agent des visas ont apparemment omis de prendre en considération.

[17]  Le ministre se plaint également du fait que, même si elle a conclu que le mariage était authentique, la SAI n’a pas évalué la question de savoir si le mariage avait été contracté principalement à des fins d’immigration. Bien qu’il soit techniquement vrai qu’il s’agit là de facteurs de nature disjonctive à prendre en considération, ils sont presque toujours liés aux mêmes faits. Lorsqu’un mariage est authentique, il est rare que l’on puisse dire qu’il a été contracté principalement à des fins d’immigration.

[18]  Cela dit, il est évident que la SAI a examiné attentivement les éléments de preuve sur les motifs et la conduite des parties et, à au moins quatre endroits dans sa décision, elle a conclu que le mariage n’avait pas été contracté principalement à des fins d’immigration : voir la décision de la SAI aux par. 27, 29, 31 et 34. Cet argument n’est pas fondé.

[19]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[20]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4406‑19

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour d’avril 2020.

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4406‑19

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c HAMZA JOGEZAI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 MARS 2020

 

COMPARUTIONS :

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Edward Corrigan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ed Corrigan Law

Avocat

London (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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