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Date : 20041019

Dossier : T-491-04

Référence : 2004 CF 1447

ENTRE :

LES INSTALLATIONS SPORTIVES DEFARGO INC.

demanderesse

et

FIELDTURF INC.

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

[1]                Il s'agit d'une requête de la défenderesse Fieldturf Inc. en vertu des alinéas 221(1) a), b) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) en vue d'obtenir une radiation de la déclaration d'action de la demanderesse aux motifs essentiels (suivant les représentations écrites de la défenderesse, et non suivant son avis de requête) que cette déclaration invite la Cour à intervenir dans un vide factuel, que tout jugement à intervenir ne servirait aucune fin pratique ou, enfin, que cette Cour et la Cour supérieure du Québec sont déjà saisies d'actions en contrefaçon reliées aux produits de la demanderesse.

[2]                Dans l'alternative, la défenderesse demande la suspension des procédures dans la présente action en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, telle qu'amendée,

CONTEXTE

[3]                Les parties oeuvrent toutes les deux dans le domaine de la vente et l'installation de gazon synthétique pour, entre autres, des terrains de soccer, football et baseball.

[4]                 On déduit que les produits des deux parties, soit leur gazon synthétique, ont chacun un espace entre les rangées de fibres de gazon, une hauteur de fibres et une hauteur de remplissage fait d'un matériau quelconque. Un des dirigeants de la défenderesse, M. John Gilman, décrit comme suit son produit à l'affidavit souscrit au soutien de la présente requête :

The synthetic turf surface developed by defendant Fieldturf Inc. is essentially comprised of a backing member from which parallel rows of artificial blades of grass project upwardly (the carpet) and one or many layers of particulate material (the infill) interspersed among and supporting the blades of grass in a relatively upright position.

[5]                 Le produit de la défenderesse semble couvert à un titre ou un autre par trois brevets canadiens.

[6]                 Quant à la demanderesse, elle a procédé à l'installation de son produit, entre autres, à l'Université Concordia à Montréal.


[7]                Le ou vers le 6 mars 2004, la défenderesse a fait parvenir à la demanderesse une copie d'une action éventuelle en Cour supérieure du Québec contre la demanderesse pour contrefaçon alléguée des brevets de la défenderesse, et ce, relativement à l'installation

du gazon synthétique de la demanderesse à l'Université Concordia.

[8]                 Face à cette menace de poursuite, la demanderesse a donc entrepris l'action en litige. Cette action vise à faire déclarer que les gazons synthétiques de marques AstroPlay®Plus et AstroPlay®N vendus et installés par la demanderesse ne contrefont pas les brevets de la défenderesse.

[9]                 La preuve révèle également que la menace de poursuite mentionnée ci-haut au paragraphe [7] n'est pas un fait isolé et que la défenderesse soulève régulièrement que les gazons de la demanderesse sont contrefaits.

[10]            Les spécifications des gazons synthétiques de la demanderesse sont précisées comme suit au paragraphe 4 de sa déclaration d'action :

La demanderesse vend plusieurs types de surfaces de gazon synthétique dont particulièrement les modèles suivants :

a)             Modèle AstroPlay®Plus dont l'espace entre les rangées de fibres de gazon synthétique est de 3/8 de pouce avec une hauteur de fibres de 55 millimètres et une hauteur de remplissage de caoutchouc d'environ 44 millimètres;


b)             Modèle AstroPlay®N dont l'espace entre les rangées de fibres de gazon synthétique est de 3/4 de pouce avec une hauteur de fibres de 61 ou de 64 millimètres et une hauteur de remplissage de caoutchouc d'approximativement 52 millimètres.

ANALYSE

[11]            La demanderesse a intenté son action sous le paragraphe 60(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, tel que modifiée (la Loi).

[12]            Ce paragraphe donne essentiellement le droit à une personne d'intenter une action devant notre Cour pour obtenir une déclaration de non contrefaçon contre un breveté lorsque ce dernier allègue la contrefaçon de son ou ses brevet(s).

[13]            Ce paragraphe 60(2) se lit comme suit :

Déclaration relative à la violation

(2) Si une personne a un motif raisonnable de croire qu'un procédé employé ou dont l'emploi est projeté, ou qu'un article fabriqué, employé ou vendu ou dont sont projetés la fabrication, l'emploi ou la vente par elle, pourrait, d'après l'allégation d'un breveté, constituer une violation d'un droit de propriété ou privilège exclusif accordé de ce chef, elle peut intenter une action devant la Cour fédérale contre le breveté afin d'obtenir une déclaration que ce procédé ou cet article ne constitue pas ou ne constituerait pas une violation de ce droit de propriété ou de ce privilège exclusif.

Declaration as to infringement

(2) Where any person has reasonable cause to believe that any process used or proposed to be used or any article made, used or sold or proposed to be made, used or sold by him might be alleged by any patentee to constitute an infringement of an exclusive property or privilege granted thereby, he may bring an action in the Federal Court against the patentee for a declaration that the process or article does not or would not constitute an infringement of the exclusive property or privilege.


[14]            Pour la demanderesse, les menaces de poursuite par la défenderesse pour contrefaçon de ses brevets donne ouverture à l'utilisation par la demanderesse d'une action déclaratoire sous le paragraphe 60(2) de la Loi. Cette condition d'ouverture du paragraphe 60(2) de la Loi n'est pas en soi en litige ici.

[15]            Suivant la défenderesse, toutefois, l'action de la demanderesse porte sur des produits théoriques puisqu'un gazon synthétique ne devient véritablement tel que lorsqu'il est installé définitivement par, entre autres, l'ajout sur place du matériel de remplissage. Voici comment la défenderesse soutient sa thèse aux paragraphes 43 à 48 de ses représentations écrites :

43.           Plaintiff in this case is using Section 60(2) of the Patent Act to have a declaration of non-infringment with respect to a product that is called AstroPlay®N and another that is called AstroPlay®Plus.

44.           Defendant respectfully submits that this recourse is groundless and improper because it is asking this Honourable Court to decide in a vacuum, without a comprehensive set of facts to form the basis of the declaration sought. Plaintiff's action refers to theoretical products and therefore any judgement to be rendered in the present case will have no purpose whatsoever.

45.           As appears from John Gilman's Affidavit, it is the nature of an artificial turf system to be custom made on site. An installer, such as plaintiff in this case, will purchase the base material (the carpet) and the particulate material (the infill) from one or many suppliers and will create the field on site by laying the carpet and interspersing a specific infill, on location, to a certain depth.

46.           The depth of the infill is an important feature of any artificial turf system. It influences the many qualities, including the shock absorption qualities of the field and its playability. Fieldturf's patent 2 218 314 established for the first time the relationship between the gauge, the length of the ribbons and the thickness of the infill, such that the length of the ribbons is at least twice the gauge and the infill has a thickness of substantially 2/3 the length of the ribbons.


47.           The infill composition also change from one field to another; typically from an all-rubber composition to a mix of sand and rubber or from a single homogeneous layer to a field with discrete layers of diffenrent composition (e.g. rubber or sand).

48.           In other words, an artificial turf system does not become a product (or an "article" to use the term of section 60(2) of the Patent Act), until it is fully installed because a key component, the infill, is missing as long as the installation is not completed.

[16]            Au soutien de sa thèse, la défenderesse réfère la Cour à l'arrêt Kirin-Amgen Inc. v. Hoffman-Laroche Ltd (2000), 11 C.P.R. (4th) 78 où la Cour d'appel fédérale a refusé à l'appelante une déclaration de non contrefaçon sur la foi d'une simple allégation générale de l'appelante à l'effet qu'un produit qu'elle a ou pourrait posséder ne contreviendrait pas à une revendication du brevet alors en litige. La Cour s'est exprimée comme suit en page 91 :

"In any event, the appellant is seeking by requested declaration relief in a vacuum, such that would save from infringement any product that the appellant merely claims to have the same or lower molecular weight than human urinary EPO. The respondents accept that theoretically a product having such a weight on the side by side comparison required by the STS-PAGE test would not infringe Claim 1. Obviously, however, the Court is not in a position in the present case to declare that any product that the appellant may now or hereafter possess, other than the one in issue, would not infringe Claim 1 merely on a broad assertion that a product having the same or a lower molecular weight than human urinary EPO cannot infringe that Claim. That a specific product did not infringe Claim 1 is something that would have to be either agreed to by the respondents or determined by a Court in the context of an infringement action."

(Mes soulignés)

[17]            On peut comprendre que dans l'arrêt Kirin, la Cour d'appel fédérale faisait face à un produit purement théorique et qu'elle se serait trouvée à adjuger finalement dans un véritable vide factuel qui n'aurait servi aucune fin utile.

[18]            Je pense toutefois que la situation de la demanderesse est ici différente et est suffisamment concrète pour permettre le recours au paragraphe 60(2) de la Loi.

[19]            À sa déclaration d'action et dans la preuve qui est ressortie des interrogatoires sur affidavits tenus dans le cadre de la présente requête, la demanderesse a établi qu'elle a posé et qu'elle posera possiblement des gazons synthétiques suivant des caractéristiques bien précises.

[20]            Il est vrai, tel que l'affirme la défenderesse à ses représentations écrites que :

Even if the relief sought is granted, for each specific field, there will always remain an argument as to the specific characteristics of the carpet and the infill (depth and composition) at a specific location.

[21]            Toutefois, il ne restera aux parties dans un cas spécifique ou un autre, que ce cas soit par rapport à des installations passées ou futures, qu'à se constituer sur le terrain une preuve quant aux caractéristiques précises du site et, si une mésentente subsiste toujours entre elles, à recourir rapidement à l'institution du jugement sommaire pour comparer une situation donnée et réelle au résultat sur l'adjudication au mérite de la déclaration de la demanderesse en l'espèce. En ce sens, la déclaration d'action actuelle de la demanderesse permet d'avancer passablement et suffisamment le débat.


[22]            S'il faut le rappeler, le paragraphe 60(2) de la Loi, supra paragraphe [13], réfère à un article fabriqué « ou dont [est] projetée la fabrication » . Si l'on devait suivre le raisonnement de la défenderesse, cette possibilité de recourir au paragraphe 60(2) dans le cas d'un article dont la fabrication est projetée serait virtuellement inexistante et l'on devrait dans tous les cas attendre qu'un article soit effectivement fabriqué pour se servir dudit paragraphe 60(2).

[23]            D'autre part, un des brevets de la défenderesse, soit le '484 vise un gazon synthétique dont le matériel de remplissage est composé de couches différentes de granules élastiques (caoutchouc) et de mélanges de granules élastiques et dures (caoutchouc et sable). Comme dans la déclaration d'action de la demanderesse il est indiqué que les gazons de cette partie comportent un matériel de remplissage composé uniquement de caoutchouc et que ce fait semble reconnu par le représentant de la défenderesse, la Cour devrait être en mesure de conclure quant à la non contrefaçon du brevet '484.

[24]            On ne saurait donc pour les motifs qui précèdent radier la déclaration d'action de la demanderesse ou suspendre cette dernière aux motifs que cette action arbore un vide factuel ou ne saurait servir aucune fin utile.


[25]            Par ailleurs, dans sa requête la défenderesse fait état de deux dossiers devant cette Cour et d'un dossier en Cour supérieure du Québec où les brevets de la défenderesse sont soulevés à l'encontre des gazons de la demanderesse déjà installés. La défenderesse soulève donc que dans le cadre de ces cas concrets déjà en marche, les questions soulevées en l'espèce par la déclaration d'action de la demanderesse seront assurément abordées. De là, afin d'éviter des jugements contradictoires et au nom de l'économie judiciaire, la défenderesse réclame la radiation de la déclaration d'action de la demanderesse ou la suspension de son action.

[26]            Je ne pense pas que cela soit là des remèdes appropriés. S'il s'avère que la présente action présente des aspects similaires aux autres dossiers, le recours possible à la règle 105 devra alors être envisagé.

[27]            Pour l'ensemble des motifs qui précèdent, la requête de la défenderesse sera rejetée, le tout frais à suivre. Enfin, tel que convenu en fin d'audition, les conclusions A et B que l'on retrouve à la déclaration d'action de la demanderesse se liront dorénavant comme suit :

A.              Déclarer qu'aucune des revendications des brevets canadiens no 2 095 158, no 2 218 314 et no 2 247 484 ne couvre les Produits;

B.             Déclarer que la demanderesse ne contrefait pas les brevets canadiens no 2 095 158, no 2 218 314 et no 2 247 484 en utilisant, distribuant, vendant ou en disposant autrement les Produits;

[28]            Une ordonnance sera émise en conséquence.

« Richard Morneau »

protonotaire

Montréal (Québec)

le 19 octobre 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :               T-491-04

INTITULÉ:              

LES INSTALLATIONS SPORTIVES DEFARGO INC.

demanderesse

et

FIELDTURF INC.

défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 30 septembre 2004

MOTIFSDE L'ORDONNANCE: Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                                   le 19 octobre 2004

COMPARUTIONS:

Me Pascale Lauzon                               POUR LE DEMANDEUR

Me Éric Ouimet                                     POUR LE DEMANDEUR

Me François Demers                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Brouillette Charpentier Fortin                             POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)


Spiegel Sohmer                                     POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)


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