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Date : 20200320


Dossier : IMM-1969-19

Référence : 2020 CF 396

Ottawa, Ontario, le 20 mars 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

JORGE LUIS ANAYA MORENO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le demandeur demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Cette dernière décision était fondée sur la conclusion que le demandeur avait une possibilité de refuge interne [PRI] viable dans le pays dont il a la citoyenneté.

[2]  Le demandeur prétend que la décision de la SAR fait fi de plusieurs éléments de preuve documentaire au dossier. Le défendeur soutient que la SAR a tenu compte de tous les éléments de preuve et a rendu une décision raisonnable sur la PRI.

[3]  Je suis d’accord avec le défendeur. La demande est rejetée.

II.  Faits

[4]  Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il est mécanicien et propriétaire d’un garage à Isla dans l’État de Veracruz, au Mexique.

[5]  Le demandeur allègue craindre, en raison d’une série d’incidents menaçants, de retourner dans son pays parce qu’il serait la cible d’extorsion par le cartel de Los Zetas [les Zetas].

[6]  En avril 2009, certains membres des Zetas ont approché le demandeur pour exiger le paiement d’une rente hebdomadaire de 5 000 pesos (environ 310 $) pour une assurance protection. Ils ont menacé d’enlever l’épouse du demandeur et de prendre possession d’un camion appartenant à un de ses clients. Puisqu’il n’avait pas les moyens de payer cette somme, le demandeur a décidé de fermer son commerce et de quitter Isla.

[7]  Le demandeur s’est alors installé à Coatzacoalcos et a trouvé un emploi dans le domaine de la construction pour la société ASMA. En 2012, des individus représentant les Zetas se sont présentés à son lieu de travail, mais ils cherchaient le patron du demandeur, pas le demandeur.

[8]  En avril 2016, le demandeur a reçu un appel de menaces exigeant encore le paiement de 5 000 pesos. Le demandeur n’a pas fait de paiement. Après cet appel, il a changé de numéro de téléphone et a fait une plainte à la police. Aucune suite n’a été donnée à la plainte.

[9]  En mai 2017, le demandeur a reçu un appel de menaces d’un membre des Zetas qui le convoquait à une rencontre à un commerce à proximité. Le demandeur a raccroché et a décidé de ne pas se présenter au commerce.

[10]  Le demandeur et sa famille ont déménagé à l’extérieur de Coatzacoalcos pour s’installer à la ferme de la famille de son épouse dans la région de Veracruz.

[11]  Finalement, le demandeur a décidé de quitter le Mexique le 11 juin 2017 pour demander l’asile au Canada. Dans la déclaration jointe à son formulaire de demande d’asile, il a relaté la série d’incidents menaçants (d’avril 2009 à mai 2017) et a affirmé avoir peur de se faire retrouver par les Zetas advenant un retour au Mexique.

[12]  La SPR a déclaré que la question déterminante devant elle était celle de l’existence d’une PRI viable et a proposé les villes de Cancún et Guadalajara comme possibilités. Compte tenu des documents produits par le demandeur concernant la présence récente des Zetas dans la zone autour de Cancún en janvier 2017, la SPR a concentré son analyse uniquement sur Guadalajara en tant que PRI possible.

[13]  Quant aux documents fournis par le demandeur montrant une activité des Zetas dans la zone autour de Guadalajara, la SPR a noté que ces documents dataient de 2011 et 2012 et que la documentation plus récente du cartable national de documentation [CND] concernant la présence et l’activité des Zetas indiquait qu’ils n’étaient plus sérieusement en activité à Guadalajara.

[14]  Le 27 août 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. Elle a conclu :

i.  qu’il n’existait aucun lien entre les allégations de risque du demandeur et l’un des motifs énumérés dans la Convention. En fait, aucune observation n’a été faite en ce qui concerne une demande au titre de l’article 96 de la LIPR. Par conséquent, la demande du demandeur a été analysée uniquement en vertu de l’article 97(1) de la LIPR;

ii.  que les récits du demandeur concernant l’extorsion de fonds par les Zetas étaient crédibles;

iii.  que le demandeur avait une PRI au Mexique dans la ville de Guadalajara;

iv.  que le profil du demandeur n’amènerait pas le Zetas à le rechercher à Guadalajara;

v.   le fait que les Zetas n’aient pas communiqué avec sa famille depuis son départ du Mexique démontre qu’ils ne chercheraient pas à retrouver le demandeur ni à s’en prendre à lui à Guadalajara.

[15]  La SPR a constaté que les documents et les rapports produits par le demandeur pour montrer l’activité des Zetas à Guadalajara datent de 2011 et 2012. Sur la base des éléments de preuve et des témoignages au dossier, la SPR a constaté que les documents ne démontraient pas une présence actuelle ou relativement récente des Zetas à Guadalajara et que les documents plus récents du CND indiquaient que les Zetas ne sont pas, selon la prépondérance des probabilités, actuellement présents à Guadalajara. La SPR a constaté que les documents fournis concernant les Zetas à Guadalajara sont obsolètes dans le contexte de l’évolution de la situation des cartels de la drogue au Mexique et qu’en tant que tels, ils n’indiquent pas un risque prospectif visé au paragraphe 97(1) de la LIPR.

[16]  Le demandeur a porté cette décision en appel devant la SAR. Devant la SAR, le demandeur a soutenu que la SPR avait commis une erreur dans son évaluation de la PRI et n’avait pas tenu compte de tous les éléments de preuve au dossier.

III.  Décision

[17]  Dans une décision rendue le 11 février 2019, la SAR a confirmé la décision de la SPR. L’analyse de la PRI était la seule question déterminante.

[18]  Essentiellement, la SAR a conclu que les Zetas n’avaient aucun intérêt à pourchasser le demandeur parce qu’il était un simple salarié et que les Zetas n’ont jamais questionné son épouse qui demeure toujours au Mexique.

[19]  La SAR a constaté que, si le demandeur était vraiment recherché par les Zetas, les premières personnes ciblées seraient son épouse, ses enfants et ses beaux-parents qui ont continué à vivre à Isla, dans le Veracruz. Cependant, le demandeur a déclaré que sa famille n’a pas eu de problèmes ni de difficultés concernant les Zetas depuis son départ du Mexique en 2017.

[20]  De plus, la SAR a accepté le témoignage du demandeur selon lequel rien ne l’empêchait de s’établir à Guadalajara.

IV.  Questions en litige

[21]  Le demandeur fait valoir que la présente affaire soulève des questions constitutionnelles dans la mesure où son renvoi au Mexique pour y affronter une mort certaine est une violation de ses droits constitutionnels. Pour autant que je puisse en juger, cet argument constitutionnel est prématuré. Ma décision, qu’elle aille dans un sens ou dans l’autre, n’inclura pas d’ordonnance de renvoi du demandeur au Mexique. Cette question est pour un autre jour (Celestin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 97 aux paras 127-128). Mon rôle est simplement de décider s’il y a des motifs de croire que la décision de la SAR était déraisonnable.

[22]  Il n’y a pas de question de crédibilité dans ce dossier. La seule question qui se pose est de savoir si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse relative à la PRI.

V.  Norme de contrôle

[23]  Les parties conviennent que la décision de la SAR est assujettie à la norme de la raisonnabilité. Je suis d’accord. En l’espèce, aucune des situations justifiant que l’on déroge à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 17, 23 [Vavilov]).

VI.  Analyse

[24]  La PRI a été définie comme étant une « situation de fait dans laquelle une personne risque d’être persécutée dans une partie d’un pays mais pas dans une autre partie du même pays » (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 aux pp 592-593, 109 DLR (4th) 682 au para 2 [Thirunavukkarasu avec renvois aux DLR]). Comme l’existence d’une PRI dans une autre partie du même pays est un facteur déterminant dans la décision relative au statut de réfugié, le fardeau incombe au demandeur d’établir qu’il risque sérieusement d’être persécuté, où qu’il se trouve au pays (Thirunavukkarasu aux paras 2 et 6; Hamid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 145 au para 46).

[25]  Le demandeur conteste la conclusion de la SAR selon laquelle une PRI viable est disponible au Mexique. Il prétend que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve au dossier et s’est fondée sur des suppositions. En particulier, il estime que la preuve dans le CND démontre que l’État mexicain ne fournit pas de protection étatique contre les cartels et que Guadalajara est une zone disputée par les Zetas. Il s’appuie sur trois documents en particulier.

[26]  De plus, le demandeur souligne que les Zetas demeurent un risque important pour lui, se référant au fait que sa famille a été menacée au Mexique.

[27]  Comme l’a indiqué le juge Boswell dans Castillo Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 347 au para 26 [Castillo Garcia] :

Pour conclure à l’existence d’une PRI, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que : 1) l’appelant ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la région constituant la PRI; et que 2) compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont propres à l’appelant, la situation dans la région où se trouve la PRI est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour l’appelant de s’y réfugier (Rasaratnam c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, au paragraphe 13, 140 NR 138).

[28]  En l’espèce, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son analyse de la PRI.

[29]  Dans son analyse, la SAR a énoncé le critère à deux volets servant à statuer sur une PRI, conformément aux arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam] et Thirunavukkarasu.

[30]  Pour le premier volet, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de risque sérieux de persécution pour le demandeur dans la région du pays où il existe une possibilité de refuge interne. Pour le second volet, la SAR doit établir qu’en toutes les circonstances, les conditions dans la région du pays où il existe une possibilité de refuge interne sont telles qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour le demandeur d’y trouver refuge.

[31]  Quant au premier volet de l’analyse, la SAR est arrivée à la même conclusion que la SPR, c’est-à-dire que la SAR a conclu que la preuve démontre que le demandeur a été victime de tentatives d’extorsion financière à Coatzacoalcos, mais que les Zetas n’ont aucun intérêt à le pourchasser dans une ville comme Guadalajara. La SAR a noté que le demandeur a témoigné que son épouse, qui habite au Mexique, n’a jamais été questionnée ni menacée depuis qu’il est parti en 2017.

[32]  Tout comme la SPR, la SAR a conclu que l’ensemble de la preuve ne démontre pas que les Zetas ont intérêt à rechercher le demandeur ni que les Zetas sont actifs à Guadalajara. Elle note que, dans son analyse, la SPR avait cité trois documents dans le CND en plus de six documents produits par le demandeur, y inclus une carte indiquant la zone de contrôle des Zetas. Ainsi, la SAR s’est effectivement appuyée sur des preuves documentaires.

[33]  Le demandeur fait valoir que les preuves documentaires étaient remplies d’articles et de rapports concernant la force, les activités et les zones d’opération des différents cartels, et que tout cela a été négligé par la SPR et la SAR.

[34]  Je ne suis pas d’accord avec le demandeur.

[35]  Ni la SPR ni la SAR n’ont nié le danger que représentent les cartels au Mexique, en particulier les Zetas. Toutefois, la question était de savoir si les risques posés par les Zetas étaient particuliers au demandeur, par opposition à un risque généralisé de criminalité, et si la ville de Guadalajara constituait une PRI sûre et raisonnable.

[36]  Le demandeur affirme que la preuve documentaire ne faisait que confirmer que Guadalajara n’était pas une PRI viable et qu’affirmer le contraire n’est que pure conjecture. Cependant, d’après ce que je vois, bien qu’il soit évident que les Zetas demeurent une source de criminalité importante au Mexique, la preuve au dossier n’est pas suffisante pour rendre la décision de la SAR déraisonnable.

[37]  Le premier document est un rapport intitulé « Mexico: Organized Crime and Drug Trafficking Organizations » du gouvernement américain. Ce document contient une carte qui indique que Guadalajara se trouve dans la sphère d’influence du cartel de la Tierra Caliente, mais pas dans celui du cartel du Tamaulipas. Ce dernier inclut les Zetas. La carte montre que la sphère du cartel du Tamaulipas est à quelques kilomètres de Guadalajara.

[38]  Or, le document n’indique pas la sphère d’influence des Zetas précisément et ne fait aucune mention de ses activités à Guadalajara. De plus, le document indique que les Zetas ne sont plus une force dominante au Mexique et que leur sphère d’activité s’est rétrécie depuis 2011.

[39]  Je crois qu’il n’est pas déraisonnable de conclure que cet élément de preuve n’établit pas que les Zetas posent un risque dans la ville de Guadalajara.

[40]  Le deuxième document du CND est une réponse aux demandes d’information intitulée « Mexique : information sur l’utilisation des bases de données du gouvernement par de tierces parties pour trouver des personnes; les problèmes concernant la protection des renseignements personnels; la sécurité des renseignements au sujet des témoins du programme de protection des témoins (2008-septembre 2011) ». Ce document détaille les mesures de protection des renseignements personnels en place au Mexique.

[41]  Je ne vois pas comment ce document met en doute la raisonnabilité de la décision de la SAR.

[42]  Le troisième document ne se trouve pas dans la version du CND (celui du 31 mars 2017) qui était devant la SPR. En effet, le document intitulé « Mexique : information sur la criminalité, y compris le crime organisé; les mesures prises par l’État et leur efficacité; la protection offerte aux victimes, y compris la protection des témoins (2015-juillet 2017) » (daté du 21 août 2017) a été publié dans une version du CND postérieure à celle se trouvant devant la SPR et ne se trouve pas dans le dossier certifié du tribunal.

[43]  Ceci est problématique parce que le demandeur tente de porter à la connaissance de la Cour des faits qui n’étaient pas devant la SPR ni la SAR (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19). De toute façon, ce document n’aide pas la cause du demandeur, puisqu’il décrit la situation générale du crime organisé au Mexique et ne fait aucune mention de Guadalajara ou des activités des Zetas dans la région de Guadalajara (l’État du Jalisco). Cet élément de preuve porte plutôt sur la criminalité générale dans ce pays, ce qui est insuffisant pour établir un risque lié à un cartel dans une région spécifique du pays (Homaire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1197 aux paras 37‑39).

[44]  Le demandeur m’a présenté une carte plus récente qui indiquerait que les Zetas étaient effectivement présents à Guadalajara. Cette carte n’est pas antérieure à l’examen fait par la SPR, ni à celui fait par la SAR. Cela dit, même si les Zetas ont une certaine présence à Guadalajara, il ne s’ensuit pas nécessairement que le demandeur reste aujourd’hui, après tant d’années, une cible des Zetas, ni que les conclusions de la SPR et de la SAR concernant la viabilité de Guadalajara en tant que PRI sont déraisonnables.

[45]  Bref, le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que ces éléments de preuve mettent en doute la raisonnabilité de la décision. Ce n’est pas le rôle de notre Cour « d’apprécier à nouveau la preuve examinée » par la SAR (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 64). Il apparaît que la SAR a fait son examen au regard de la preuve et a rendu une décision raisonnable (Vavilo au para 126).

[46]  Quant au deuxième volet du critère établi dans Rasaratnam et Thirunavukkarasu, dans son mémoire écrit, le demandeur n’a pas contesté cet aspect de l’analyse de la SAR. Cela dit, devant moi, l’avocat du demandeur a fait savoir que le demandeur contestait les deux volets du critère établi dans Rasaratnam et Thirunavukkarasu applicable aux PRI.

[47]  Or, aucun argument n’a été avancé en ce qui concerne le deuxième volet du critère. En fait, devant la SPR, le demandeur avait confirmé que rien ne l’empêchait de s’établir à Guadalajara sauf le risque associé à sa crainte d’être persécuté par le cartel. En conséquence, je considère que la conclusion de la SAR concernant le deuxième volet du critère établi dans Rasaratnam et Thirunavukkarasu est raisonnable.

[48]  Le demandeur invoque la décision Vigueras Avila c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 359, pour affirmer qu’une décision est déraisonnable si le décideur n’a pas analysé les aspects spécifiques de la situation du demandeur. Je souscris aux conclusions de cette décision, mais je crois qu’en l’espèce, il n’y a pas de preuve que la SPR et la SAR ne l’ont pas fait.

[49]  Le demandeur invoque une série de décisions, dont Lopez Villicana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1205, sur la question de savoir jusqu’où on peut étendre la présomption de protection de l’État.

[50]  Toutefois, l’existence ou non d’une protection de l’État n’est pas un enjeu en l’espèce, compte tenu des conclusions de la SAR quant à la viabilité de Guadalajara en tant que PRI et du fait que les éléments de preuve montrent, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de risque futur pour le demandeur s’il retournait au Mexique.

[51]  Le demandeur a invoqué la décision Romero Quiroz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 864. Cette décision étaye la proposition selon laquelle il est souvent difficile d’avoir une PRI viable lorsque les agents de persécution non seulement montrent un intérêt continu à poursuivre le demandeur, mais également ont des membres de la famille dans le système judiciaire qui peuvent localiser un demandeur dans n’importe quelle ville du pays. Ceci n’est pas le cas en l’espèce.

[52]  Ici, les preuves montrent que le demandeur n’a jamais versé d’argent à la suite des menaces d’extorsion et que, lorsqu’il était abordé ou recevait des appels lui demandant de verser une somme en particulier, il déménageait. Les choses allaient se calmer jusqu’à ce que la malheureuse réalité mexicaine fasse son apparition et qu’il soit à nouveau victime de menaces de la part d’un groupe qui essayait de lui extorquer de l’argent.

[53]  Je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion qu’un tel schéma correspond davantage à un risque associé à la criminalité générale plutôt qu’à un risque ciblé et personnalisé de torture, de menace à la vie ou de traitements ou peines cruels, visé au paragraphe 97(1) de la LIPR.

[54]  Le demandeur cite la décision Castillo Garcia à l’appui de la proposition selon laquelle il est déraisonnable de conclure qu’une ville est une PRI sûre et viable sans examiner les éléments de preuve qui existent et qui indiquent le contraire. Comme l’a déclaré le juge Boswell dans cette décision :

[28] Bien entendu, il est bien établi qu’un décideur comme la SAR est présumé avoir soupesé et considéré toute la preuve qui lui a été présentée, à moins que l’on fasse la preuve du contraire (Boulos c Canada (Alliance de la fonction publique), 2012 CAF 193, au paragraphe 11, [2012] ACF no 832, citant Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, au paragraphe 1). Le défaut de faire état de certains éléments de preuve pertinents ne justifie habituellement pas que la Cour conclue que la décision a été rendue sans égard à la preuve, ni qu’elle prenne des mesures à cet égard, comme le prévoit l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

[29] Ce n’est pas toujours le cas, cependant, puisque « […] plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" » (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 177, au paragraphe 38, [2012] 1 RCF 257, citant Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17, 157 FTR 35).

[55]  J’accepte ce principe, mais j’estime que la SPR a bien examiné les documents du dossier. Comme je l’ai mentionné précédemment, la carte que le demandeur me demande de considérer et qui indique que les Zetas sont également présents et actifs à Guadalajara n’était pas devant la SPR ni la SAR.

[56]  Enfin, le demandeur cite le Haut-Commissariat pour les réfugiés [HCR], Principes directeurs sur la protection internationale : « La possibilité de fuite ou de réinstallation interne » dans le cadre de l’application de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/03/04, le 23 juillet 2003 [les Principes directeurs sur la protection internationale du HCR], et en particulier les paragraphes 18 à 21 de ce document :

Le demandeur serait-il exposé au risque d’être persécuté ou à d’autres menaces graves?

18. Il ne suffit pas de constater que l’agent à l’origine de la persécution n’a pas encore établi sa présence dans la zone envisagée. Il est préférable d’avoir des raisons de penser que le champ d’action de l’agent de persécution est susceptible de rester limité et contenu en dehors de la zone désignée comme lieu de réinstallation interne.

19. On ne peut attendre ou exiger des demandeurs qu’ils s’abstiennent de toutes opinions politiques et convictions religieuses, ou d’autres caractéristiques qui relèvent du droit à la protection, à seule fin d’échapper à la persécution dans la zone de fuite ou de réinstallation internes. La possibilité de réinstallation interne doit être plus qu’un « abri sûr » éloigné de la zone d’origine du demandeur.

20. En outre, on ne peut demander à une personne dont il a été établi qu’elle craint des persécutions dans une partie du pays, pour l’un des motifs prévus par la Convention de 1951, de se réinstaller dans une autre zone où il existe de graves menaces. Si le demandeur devait être exposé à un nouveau risque, notamment à un risque grave pour sa vie, sa sécurité, sa liberté, sa santé, ou à une autre forme de graves discriminations, l’éventualité de fuite ou de réinstallation internes n’est pas envisageable, que ce risque se rattache ou pas à l’un des motifs prévus par la Convention. L’appréciation de risques nouveaux doit donc également prendre en compte la menace grave, généralement couverte par des formes complémentaires de protection.

21. La zone envisagée ne peut être considérée comme lieu possible de fuite ou de réinstallation interne si les conditions qui y prévalent sont telles que le demandeur peut être obligé de retourner dans la région à l’origine des persécutions, ou dans une autre partie du pays où la persécution ou d’autres formes de menaces graves ne sont pas exclues.

[Renvois omis.]

[57]  Les paragraphes cités des Principes directeurs sur la protection internationale du HCR concernent le risque de persécution lié à un motif prévu par la Convention. J’accepte qu’une personne ne soit pas obligée de taire ses opinions politiques ou ses opinions religieuses ou de cacher d’autres caractéristiques protégées relatives à sa personne ou à son style de vie afin d’éviter la persécution, mais ce n’est pas la situation à laquelle le demandeur est confronté.

[58]  Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’il serait personnellement à risque à Guadalajara. Il n’a porté à mon attention aucun aspect de la décision de la SAR que je qualifierais de déraisonnable. Il demande à la Cour de réévaluer les preuves présentées devant la SPR et la SAR, ce que la Cour ne fera pas.

VII.  Conclusion

[59]  Pour ces motifs, la décision de la SAR est raisonnable et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas soumis de question à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-1969-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1969-19

 

INTITULÉ :

JORGE LUIS ANAYA MORENO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Stewart Istvanffy

Me Myriam Roy-L’Ecuyer

 

Pour le demandeur

Me Evan Liosis

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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