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Date : 20200218


Dossier : IMM‑2037‑19

Référence : 2020 CF 262

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2020

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

YANGMING WANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 16 mars 2019, par laquelle un agent des visas a rejeté la demande de prolongation de son permis d’études et a conclu qu’il était interdit de territoire pour fausses déclarations suivant l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

II. Les faits

[3] Le demandeur est un citoyen de la Chine qui se trouve au Canada grâce à un permis d’études. Il a étudié à l’Institut de technologie du Humber College de septembre 2015 à avril 2018. En avril 2018, le demandeur a retenu les services d’un conseiller pédagogique (CVP) pour que celui‑ci présente une demande d’admission en son nom auprès de trois universités canadiennes. Le demandeur affirme, dans son affidavit non contredit, qu’il a fourni au CVP son relevé de notes d’une école secondaire canadienne, son relevé de notes du Humber College, son passeport et une copie de son permis d’études.

[4] En mai 2018, le demandeur a reçu une lettre d’acceptation non définitive de l’Université York par le biais du CVP. Avant de demander la prolongation de son permis d’études, le demandeur s’est connecté à son compte étudiant auprès de l’Université, et a téléchargé une copie de la lettre d’acceptation. En juillet 2018, il a présenté une demande de prolongation sur le portail en ligne d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC]. La lettre d’acceptation reçue en mai n’étant pas définitive, la demande n’a pas été considérée comme complète. Le demandeur a dû présenter à nouveau sa demande, y inclure une demande de rétablissement de son statut – ce qu’il a fait le 13 septembre 2018 sur le portail en ligne –, et joindre la lettre d’acceptation finale datée du 18 juillet 2018.

[5] Le demandeur a reçu une demande de documents supplémentaires le 27 octobre 2018, dans laquelle étaient aussi exigés les relevés de notes de ses études secondaires au Canada, qu’il a dûment fournis. Le 1er novembre 2018, le demandeur a été informé du fait que l’agent avait constaté une divergence entre ses relevés de notes du secondaire remis à IRCC, et ceux figurant dans le dossier de l’Université York – vraisemblablement soumis par le CVP –, lesquels indiquaient qu’il avait fréquenté l’Everest International School de l’automne 2015 à l’hiver 2018.

[6] En réponse, le demandeur a déposé un affidavit et des documents à l’appui. Il a de nouveau affirmé que les documents qu’il avait remis à IRCC étaient authentiques, et qu’à sa connaissance, le CVP n’avait pas remis de documents incorrects à l’Université York.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[7] Selon la lettre de décision datée du 16 mars 2019, le demandeur est interdit de territoire conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, parce qu’il a « directement ou indirectement, fai[t] une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la [LIPR] ».

[8] Selon les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) qui constituent les motifs de la décision, les explications de l’agent étaient les suivantes :

[traduction]
Les relevés de notes remis à IRCC montrent que le client fréquentait l’Institute of Technology and Advanced Learning du Humber College de l’automne 2015 à l’hiver 2018, tandis que les relevés de notes reçus de l’Université York montrent que le client fréquentait l’école secondaire « Everest International school » de juin 2016 à avril 2018. Le client a retenu les services d’un tiers (le CVP) pour demander l’admission aux universités en son nom, et est donc ultimement responsable des actions de ce tiers, lequel a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ce qui entraîne une erreur dans l’application de la LIPR. La demande de prolongation du statut d’étudiant est rejetée.

IV. La question en litige

[9] La seule question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si le fait qu’aucun faux document n’ait été remis directement à IRCC devrait constituer une exception au principe général selon lequel les demandeurs sont responsables des fausses déclarations faites par des tiers.

V. Les dispositions législatives applicables

[10] L’alinéa 40(1)a) de la LIPR, que voici, est fondamental dans la présente demande :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation:

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi.

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act.

[11] L’alinéa 216(1)e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, est également pertinent :

Permis d’études

Study permits

216 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

216 (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national:

e) il a été admis à un programme d’études par un établissement d’enseignement désigné.

(e) has been accepted to undertake a program of study at a designated learning institution.

VI. Analyse

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable.

[13] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a affirmé au paragraphe 15 que « [l]orsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée ». Au paragraphe 86, la Cour précise qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable […] [,] le décideur doit également […] [la] justifier » [en italique dans l’original].

[14] La conséquence générale d’une conclusion de fausse déclaration est très grave, puisqu’elle entraîne une interdiction d’entrer au Canada pendant cinq ans.

[15] Selon la jurisprudence, il est bien établi que l’obligation de franchise est l’un des principes fondamentaux de la LIPR, et qu’elle sous‑tend également l’alinéa 40(1)a) (Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 169 au para 19). Les principes régissant l’interprétation de cette disposition, établis par notre Cour, sont résumés par la juge Strickland dans la décision Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 28 :

- il convient d’interpréter l’alinéa 40(1)a) de manière large afin de faire ressortir l’objet qui le sous‑tend (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 25 [Khan]);

- l’article 40 est libellé de manière large en vue d’englober les fausses déclarations, même si elles ont été faites par une tierce partie, à l’insu du demandeur (Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 942, au paragraphe 35 [Jiang]; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, aux paragraphes 55 et 56 [Wang]);

- l’exception à cette règle est assez étroite et ne s’applique qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il […] s’agissait […] d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté (Medel, précité);

- l’article 40 a pour objectif de dissuader un demandeur de faire une fausse déclaration et de préserver l’intégrité du processus d’immigration. Pour atteindre cet objectif, le fardeau de vérifier l’intégralité et l’exactitude de la demande incombe au demandeur (Jiang, précité, au paragraphe 35;Wang, précité, aux paragraphes 55‑56);

- les demandeurs ont une obligation de franchise et doivent fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, au paragraphe 41; Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15);

- le demandeur étant tenu responsable du contenu de la demande qu’il signe, on ne peut considérer qu’il croyait raisonnablement ne pas avoir présenté faussement un fait d’importance s’il a omis de revoir sa demande et de vérifier qu’elle était complète et exacte avant de la signer (Haque, précité, au paragraphe 16; Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 450, au paragraphe 31 [Cao]);

- pour décider si une fausse déclaration est importante, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‑tend (Oloumi, précité, au paragraphe 22);

- une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante; il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé (Oloumi, précité, au paragraphe 25);

- un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse de la notion de fait important ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande (Haque, précité, aux paragraphes 12 et 17; Khan, précité, aux paragraphes 25, 27 et 29; Shahin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 423, au paragraphe 29 [Shahin]);

[16] En l’espèce, le demandeur fait valoir que ni le conseiller qu’il a embauché pour présenter sa candidature à l’Université York ni lui‑même, n’ont fait une fausse déclaration à IRCC, directement ou indirectement. Aucune décision ne traite exactement de ce point. Dans chaque affaire de fausse déclaration par un tiers portée à mon attention, la fausse déclaration était faite dans un formulaire ou dans les renseignements remis au ministre au nom du demandeur.

[17] Le dossier n’indique pas comment l’agent des visas a appris l’existence du relevé de notes erroné présenté à l’Université York. Rien n’indique non plus que le relevé de notes ait été un facteur, important ou non, dans la décision de l’Université d’accorder l’admission au demandeur. En fait, il n’est pas du tout clair pourquoi le CVP a soumis le relevé de notes, soit en plus, ou en remplacement, des documents valides fournis par le demandeur. Or, il est clair que le relevé de notes erroné ne faisait pas partie des documents présentés à IRCC. Par conséquent, personne n’a fait à IRCC, directement ou indirectement, une présentation erronée au nom du demandeur, ce qui aurait entraîné ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

[18] L’agent des visas avait le pouvoir discrétionnaire de refuser la demande de permis d’études s’il avait des préoccupations quant à l’inscription du demandeur à l’Université York. Toutefois, j’estime que la façon dont l’agent a appliqué les dispositions relatives aux fausses déclarations ne peut raisonnablement s’inscrire dans le régime législatif.

[19] La présente demande sera donc accueillie. Le demandeur sollicite, comme mesure de réparation appropriée, l’annulation de la décision concluant à l’existence d’une fausse déclaration, au lieu du renvoi de l’affaire pour réexamen, et je suis d’accord. Les renseignements dont disposait l’agent ne permettaient pas de conclure que la demande était visée par l’alinéa 40(1)a). Compte tenu de mes observations, un autre agent n’en serait pas venu à la même conclusion en se fondant sur ces mêmes renseignements.

[20] Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale à des fins de certification. Aucune question ne sera certifiée, car les faits de la présente affaire sont uniques.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2037‑19

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que la décision concluant à l’existence d’une fausse déclaration visée par l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, est annulée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2037‑19

INTITULÉ :

YANGMING WANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

Chantal Desloges

POUR LE DEMANDEUR

Monmi Goswami

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Desloges Law Group

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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