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Date : 20200303


Dossier : IMM-1822-19

Référence : 2020 CF 327

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

YONG HUANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Yong Huang, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) datée du 17 octobre 2018. La SAI a confirmé la décision d’un agent selon laquelle le demandeur avait omis de se conformer à l’obligation de résidence prévue à l’art. 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et sa situation personnelle ne soulevait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la décision de la SAI est raisonnable, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Le contexte

[3]  Le demandeur est un citoyen de la Chine. Il a obtenu le statut de résident permanent canadien en 2001, avec son ancienne épouse. Ils ont eu un enfant, et ont divorcé en 2010. En 2013, le demandeur s’est marié avec son épouse actuelle, une citoyenne de la Chine.

[4]  À la suite de l’expiration de sa carte de résident permanent le 30 mars 2017, le demandeur a présenté une demande de titre de voyage pour résident permanent. Le 4 décembre 2017, il a été informé que sa demande avait été rejetée car il ne respectait pas l’obligation de résidence prévue à l’art. 28 de la LIPR.

[5]  Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la SAI.

La décision de la SAI

[6]  La SAI a confirmé que le demandeur n’avait pas contesté la validité de la conclusion relative à son manquement à l’obligation de résidence prévue à l’art. 28, et a maintenu la conclusion de l’agent selon laquelle il avait vécu au Canada moins de 200 jours au cours de la période quinquennale visée (soit du 30 novembre 2012 au 29 novembre 2017).

[7]  La SAI s’est ensuite demandée si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures spéciales. Elle s’est penchée sur les facteurs suivants en ce qui concerne le demandeur :

  • la date de l’immigration au Canada et les motifs connexes;
  • les motifs pour lesquels il a partagé son temps entre le Canada et la Chine jusqu’en 2011;

  • le lieu de résidence actuel de son enfant né au Canada;

  • son mariage en 2013 et les motifs qu’il a invoqués pour avoir omis de se conformer à l’obligation de résidence depuis 2013;
  • son besoin d’être en Chine pendant que sa nouvelle épouse suivait des traitements de fertilité;
  • son besoin d’être en Chine pour s’occuper de ses parents.

[8]  La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’explications satisfaisantes quant aux raisons pour lesquelles il n’avait pas pu passer plus de temps au Canada au cours des cinq dernières années. En effet, selon la SAI, « il semble que [le demandeur] a choisi de vivre et de travailler principalement en Chine pour des raisons économiques et qu’il a pris des décisions de vie importantes, comme le fait de se remarier et d’entreprendre un traitement de fertilité, et continué de vivre à l’extérieur du Canada […] ».

[9]  La SAI a examiné l’établissement du demandeur au Canada, et a conclu qu’il était principalement économique, à savoir sous forme de biens et d’actifs financiers. Outre l’appartenance à une église canadienne, le demandeur a fourni peu d’éléments de preuve quant à d’autres liens sociaux qu’il pourrait avoir au Canada.

[10]  La SAI a également tenu compte de l’intérêt supérieur de la fille du demandeur. La SAI a souligné que l’ancienne épouse du demandeur avait la garde de sa fille, et que celle-ci résidait aux États-Unis. Le demandeur maintient un certain contact avec sa fille, et il a versé une somme forfaitaire à titre de pension alimentaire. Compte tenu de cette preuve, la SAI a conclu qu’« il n’y aurait vraisemblablement pas de répercussion excessive » sur l’intérêt supérieur de l’enfant si le demandeur perdait son statut au Canada.

[11]  Enfin, la SAI a souligné qu’il y avait peu d’éléments de preuve quant à un préjudice indu auquel le demandeur aurait à faire face s’il perdait son statut de citoyen canadien, malgré qu’il serait « quelque peu bouleversé ». Le demandeur continue à vivre et à travailler principalement en Chine, a démontré qu’il est capable de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille depuis la Chine, et a des biens et de la famille proche en Chine.

La question en litige

[12]  L’analyse des motifs d’ordre humanitaire effectuée par la SAI était-elle raisonnable?

La norme de contrôle

[13]  La norme de contrôle applicable à l’analyse, par la SAI, des motifs d’ordre humanitaire visés à l’al. 67(1)c) de la LIPR est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 53, Dandachi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 952, au par. 13).

[14]  Pour qu’une décision soit jugée raisonnable, elle doit être fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, et être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 105) [Vavilov].

La disposition applicable

[15]  L’alinéa 67(1)c) de la LIPR est libellé comme suit :

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

[…]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

L’analyse

Motifs insuffisants concernant le non-respect de l’obligation de résidence

[16]  Le demandeur soutient que la conclusion de la SAI selon laquelle il n’a pas fourni de motifs suffisants pour expliquer son manquement à l’obligation de résidence est déraisonnable. Le demandeur avance que la SAI [traduction] « procède comme si aucune explication n’était donnée ».

[17]  Cette affirmation est sans fondement. La décision démontre que la SAI a pris en considération les explications données par le demandeur pour ne pas avoir respecté son obligation de résidence. La SAI a pris note du témoignage du demandeur concernant ses obligations envers ses parents, le fait que sa sœur pouvait désormais s’occuper de leurs parents, la fausse couche de son épouse et le traitement qu’elle suivait pour pouvoir concevoir un enfant.

[18]  La SAI a tenu compte du témoignage du demandeur et des éléments de preuve à l’appui des motifs qu’il avait invoqués pour ne pas s’être acquitté de son obligation de résidence. La SAI a examiné les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, et a conclu que le demandeur « a choisi de vivre et de travailler principalement à l’extérieur du Canada au fil des ans et n’a fait aucune tentative raisonnable pour revenir au pays dès qu’il en a eu la possibilité ».

[19]  En outre, la SAI a précisé que « peu d’éléments de preuve ou d’explications crédibles permettaient d’établir pourquoi il n’avait pas pu prendre des arrangements concernant les soins à fournir à ses parents afin de pouvoir revenir au Canada pour s’acquitter de son obligation de résidence ». Les explications fournies par le demandeur étaient qu’il se trouvait en Chine pour aider à prendre soin de ses parents et pour les traitements de fertilité de son épouse. Il s’agit des deux éléments principaux que le demandeur a soulevés. La SAI a examiné ces éléments, mais a jugé que les raisons invoquées par le demandeur n’étaient pas crédibles.

[20]  La SAI a également examiné les observations du demandeur concernant les traitements de fertilité de son épouse. Elle a souligné que, selon le témoignage du demandeur, son épouse avait fait une fausse couche, à la suite de laquelle « ils avaient dû suivre un traitement de fertilité » (non souligné dans l’original), une formulation qui indiquait la participation du demandeur aux traitements.

[21]  Les principes de la justification et de la transparence « exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » (Vavilov, au par. 127). En l’espèce, la décision de la SAI ne démontre pas qu’elle a procédé comme si le demandeur n’avait donné aucune explication, comme c’était le cas dans l’affaire Veres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 124, au par. 11, sur laquelle le demandeur s’est appuyé.

[22]  Quoi qu’il en soit, un décideur n’est pas tenu de faire une observation précise sur chaque élément constitutif de sa conclusion finale, tant que la cour de révision peut « s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable » (Vavilov, aux par. 91 et 99). Étant donné que la décision est fondée sur une analyse rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la SAI était assujettie, les motifs de la SAI étaient suffisants (Vavilov, au par. 85).

Insuffisance des motifs en ce qui concerne l’analyse des motifs d’ordre humanitaire

[23]  Le demandeur fait valoir que la SAI n’a pas fourni suffisamment de précisions sur la manière dont elle a analysé et soupesé les facteurs dont elle était saisie, ce qui rend la décision inintelligible.

[24]  Il ressort de l’examen de la décision de la SAI que celle-ci a identifié les facteurs particuliers applicables à la situation du demandeur, et a conclu ce qui suit :

  • Bien que le demandeur ait pu avoir eu de bonnes raisons de retourner en Chine — soit pour s’occuper de ses parents et être présent pour les traitements de son épouse —, ces raisons ne justifient pas les périodes de temps qu’il a passées hors du Canada au cours de la période de cinq ans visée.
  • Bien que le demandeur ait eu des biens et des actifs financiers au Canada, la SAI n’a pas été convaincue, sur la base des éléments de preuve présentés, qu’il avait des attaches sociales au Canada (mis à part son appartenance à une église).
  • Bien qu’il soit généralement dans l’intérêt supérieur d’un enfant de vivre auprès de ses parents, les éléments de preuve démontraient que la fille du demandeur vivait aux États‑Unis avec sa mère. Elle n’aurait donc pas à subir les conséquences négatives de la perte du statut du demandeur au Canada.
  • Même si le demandeur se trouvera probablement quelque peu bouleversé par la perte de son statut, les éléments de preuve étaient limités quant à tout préjudice indu que cette perte pourrait entraîner pour lui. Les éléments de preuve ont démontré qu’il serait toujours en mesure de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille à l’étranger s’il perdait son statut.
  • Son épouse actuelle n’a pas de statut au Canada.

  • Rien n’empêcherait le demandeur de revenir au Canada, que ce soit en tant que visiteur ou dans le cadre d’une nouvelle demande de rétablissement de son statut de résident permanent.

[25]  À mon avis, la SAI a énoncé les facteurs pris en compte, et son analyse de ces facteurs était suffisamment motivée, comme l’exige l’arrêt Vavilov (Vavilov, au par. 86).

[26]  La décision révèle que la SAI a analysé les facteurs pertinents et examiné les éléments de preuve soumis. Elle répond donc aux exigences en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité énoncées dans l’arrêt Vavilov. La conclusion de la SAI est conforme à la logique interne de la décision, et est donc raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1822-19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour d’avril 2020.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1822-19

 

INTITULÉ :

YONG HUANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 DÉCEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 3 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Hannah Lindy

POUR LE DEMANDEUR

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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