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Date : 20001027

Dossier : IMM-5417-99

ENTRE :

MOHAMMAD SAIFUL ISLAM

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT

[1]         Le demandeur, qui est citoyen du Bangladesh, sollicite le statut de réfugié parce qu'il craint d'être persécuté du fait de son appartenance politique et de sa participation aux activités du Parti nationaliste du Bangladesh (le BNP). La section du statut a tiré une conclusion de crédibilité défavorable et a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]         L'examen de la transcription révèle un certain nombre de contradictions dans les motifs de la décision du tribunal.

[3]         Premièrement, il ressort de la lecture de la transcription que le témoignage du demandeur concernant le fait que des hommes de main de la Ligue Awami agressaient fréquemment sa famille peut se rapporter à des événements qui se sont produits après que celui-ci eut quitté le Bangladesh. À mon avis, le tribunal a eu tort de faire des remontrances au demandeur pour ne pas avoir inclus ces allégations dans son formulaire de renseignements personnels, qu'il a signé six semaines après être arrivé au Canada. Même si l'avocate du défendeur a raison de dire que ces événements pourraient s'être produits au cours de cette période de six semaines et peuvent avoir été visés par la déclaration générale figurant au dernier paragraphe du Formulaire de renseignements personnels du demandeur ([TRADUCTION] : « On m'a informé que la police et les hommes de main continuent à me chercher » ), le passage pertinent des motifs constituerait néanmoins une déclaration inexacte[1].


[4]         Deuxièmement, le tribunal a noté une autre incohérence dans la preuve du demandeur. En effet, au cours de l'audience, le demandeur a déclaré qu'il était l'unique personne de sa famille à être membre du BNP. Or, dans son formulaire de renseignements personnels, le demandeur avait déclaré que son père avait participé aux activités de ce parti politique plusieurs années auparavant. En notant ce qu'il considérait comme une preuve contradictoire, le tribunal n'a pas traité de la réponse négative non équivoque que le demandeur avait donnée à la question suivante, qui était posée au présent : [TRADUCTION] « Un autre membre de votre famille participe-t-il aux activités du BNP? » Le demandeur a ensuite ajouté que son père n'était plus membre du parti, qu'il était pour ainsi dire un partisan. Ces réponses ne sont pas incompatibles avec les renseignements figurant dans le Formulaire de renseignements personnels du demandeur[2].

[5]         Troisièmement, le membre président a incorrectement attribué à l'intéressé une déclaration qui avait été faite aux fonctionnaires du ministère dans le dossier de l'interrogatoire, à savoir qu'[TRADUCTION] « il cherchait à éviter des accusations portées contre lui au Bangladesh » . Le demandeur a de fait employé des mots différents dont le sens pourrait être différent[3]. Les motifs que le deuxième membre de la formation a énoncés dans sa décision concordante semblent correspondre d'une façon plus exacte à la preuve sur ce point.


[6]         Le tribunal a soulevé deux autres points mineurs au sujet de la crédibilité. En décrivant les véhicules que la police avait utilisés lorsqu'elle avait arrêté le défilé de partisans du BNP et qu'elle avait arrêté certains membres, le demandeur a employé le mot [TRADUCTION] « jeeps » dans son formulaire de renseignements personnels et le mot [TRADUCTION] « fourgonnettes » dans son témoignage. L'examen de la transcription ne révèle pas, d'une façon générale, des incohérences qui permettraient nécessairement avec raison au tribunal de mettre l'accent sur la différence qui existe entre des « jeeps » et des « fourgonnettes » . De même, en décrivant la [TRADUCTION] « crainte [du demandeur] d'être incarcéré pour le reste de sa vie » , le tribunal n'a pas tenu compte du fait que l'interprète a ensuite ajouté à sa traduction les mots [TRADUCTION] « période indéfinie » [4].

[7]         Le résumé de la preuve effectué par le tribunal, en ce qui concerne ces questions de crédibilité, soulève des questions sérieuses au sujet de la qualité de ses motifs. Les erreurs dont j'ai fait mention, dans la mesure où elles n'influaient pas sur la conclusion principale que le tribunal a tirée au sujet de la crédibilité, ne justifiaient peut-être pas l'intervention de cette cour. Toutefois, je suis convaincu que le tribunal a commis une erreur susceptible de révision en concluant que le témoignage du demandeur n'était pas vraisemblable en ce qui concerne [TRADUCTION] « la question cruciale » , sans mentionner dans ses motifs la preuve documentaire qui se rapportait précisément aux allégations du demandeur et qui les corroborait.

[8]         Il est loisible à la section du statut de fonder la conclusion défavorable qu'elle a tirée au sujet de la crédibilité sur l'invraisemblance des allégations de l'intéressé : Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992) 143 N.R. 238 (C.A.F.) et Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Toutefois, le tribunal ne peut pas conclure à l'invraisemblance sans tenir compte des documents dont il dispose. Il incombe au tribunal de ne pas omettre de tenir compte, dans ses motifs de décision, de la preuve documentaire qui est directement liée aux allégations de l'intéressé : Djama c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 531 (QL) (C.A.).


[9]         L'obligation qui incombe au tribunal d'expliquer ses conclusions de fait à la lumière des éléments de la preuve pertinents a été réitérée par le juge Evans, lorsqu'il était juge à la Section de première instance, dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (1re inst.) aux paragraphes 15 et 17 :

[15]          La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

[...]

[17]          [...] Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.


[10]       L'intéressé a témoigné avoir joint le BNP en vue d'améliorer le sort des gens pauvres de sa collectivité. Le tribunal a conclu que cette déclaration n'était pas vraisemblable à cause de la violence politique et de la corruption qui avaient toujours régné au Bangladesh. Il serait concevable que le tribunal ait la faculté de tirer cette conclusion d'invraisemblance, mais le tribunal ne pourrait pas tirer pareille conclusion sans mentionner dans ses motifs la preuve documentaire suivante : a) un communiqué de presse qui porte apparemment directement sur un événement qui est décrit à fond dans le Formulaire de renseignements personnels du demandeur[5]; b) un rapport médical attestant censément que le demandeur avait été hospitalisé à des dates qui coïncideraient précisément avec sa remise en liberté après la période de dix-neuf jours pendant laquelle il aurait été incarcéré[6]; et c) une lettre d'un membre du Parti nationaliste du Bangladesh faisant état de la participation active du demandeur au palier local.

[11]       Si le tribunal ne reconnaissait pas la véracité de cette preuve documentaire, il devait le dire dans ses motifs lorsqu'il a conclu que la version du demandeur n'était pas vraisemblable. Étant donné qu'il a omis de le faire, je dois conclure que le tribunal a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont il disposait.

[12]       Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen par une formation différente de la section du statut. Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé la certification d'une question sérieuse.

                           Allan Lutfy                         

       J.C.A.

Le 27 octobre 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE LA PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                        IMM-5417-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Mohammad Saiful Islam

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 24 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT LUTFY EN DATE DU 27 OCTOBRE 2000.

ONT COMPARU :

Anthony Norfolk                                              pour le demandeur

Rama Sood                                                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anthony Norfolk                                              pour le demandeur

Avocat

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



[1] Dossier du tribunal, p. 10 à 15, en particulier p. 15, l. 45 à 47.

[2] Dossier du tribunal, p. 29, l. 45 à 47, p. 32, l. 46 et 47 et p. 89.

[3] Dossier du tribunal, p. 22 à 26, l. 101 et 104.

[4] Dossier du tribunal, p. 20 et 21.

[5] Dossier du tribunal, p. 93 et 94 et 192.

[6] Dossier du tribunal, p. 10, l. 9 à 14 et 234.

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