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IMM-46-97

E N T R E :


ABDULRIZAK MOHAMMED,


Requérant


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


Intimé


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN :

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après dénommée la CISR ou le Tribunal], en date du 19 novembre 1996, par laquelle la Commission a décidé que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

     Le requérant sollicite l'annulation de la décision du Tribunal et le renvoi de celle-ci devant la CISR afin d'y être tranchée par une formation différemment constituée.

LES FAITS

     Le requérant est citoyen de la Somalie. Sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention a été entendue le 2 février 1995 et le 28 mars 1995. La décision de la CISR concernant cette revendication est intervenue environ vingt-et-un mois après l'audience.

     Pour rejeter la demande de statut présentée par le requérant, le Tribunal a retenu le manque de crédibilité. Pour ainsi conclure au manque de crédibilité, le Tribunal a relevé au moins onze contradictions et invraisemblances dans le témoignage du requérant. Ces conclusions sont correctement résumées dans le Mémoire de l'intimé.

     Il convient de relever que le requérant avait dix ans à l'époque où se sont produits une grande partie des événements liés à sa revendication du statut de réfugié, et qu'il avait quinze ans à l'époque de l'audience devant la CISR. Il avait environ dix-sept ans lorsque le Tribunal lui a transmis sa décision.

     L'audience de la CISR était présidée par M. Douglas Miller, membre de la Commission. Le Tribunal était composé d'un deuxième membre de la Commission, M. John Morrison. Les motifs de la décision ont été intégralement rédigés par John Morrison. Ce fait est expliqué de la manière suivante, au dernier paragraphe de la décision en cause :

                 [traduction] Je relève que, au moment où est rendue cette décision, le président de la formation n'est plus membre de la Section du statut de réfugié. Cela dit, la présente décision a été prise avant que le président de la formation quitte la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et les motifs de la décision ont fait l'objet d'une discussion entre les membres de la Commission. Les présents motifs sont en partie fondés sur un projet de motifs préparé par le président du Tribunal avant son départ.               

     D'après l'avocat du requérant, Douglas Miller a cessé de faire partie de la CISR au mois de juin 1996.

LES QUESTIONS EN LITIGE

     Les questions de crédibilité sont de préférence tranchées par la CISR qui a, en ce domaine, acquis une expertise à la fois valable et importante. En règle générale, la Cour hésite à s'immiscer dans les conclusions de ce tribunal touchant la crédibilité d'un demandeur et, en tout état de cause, la question n'a pas été évoquée à l'audience par l'avocat du requérant.

     Pour que la décision du Tribunal puisse être confirmée, il faut qu'elle s'inscrive dans les limites de sa compétence. J'estime que l'unique question de fond ne posant en l'espèce est celle de savoir si le Tribunal a agi dans les limites de sa compétence lorsque, sans que l'on ait obtenu le consentement du requérant, la décision a été rendue par un seul membre de la Commission alors que l'affaire avait été entendue par une formation de deux membres.

DISCUSSION

     La question de compétence pertinente en l'espèce a fait l'objet, de la part du juge Lutfy, d'un examen approfondi et attentif dans l'affaire Mohammad Nadeem Latif et autre c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (1996) 123 F.T.R. 201, (1996) 36 Imm. L.R. (2d) 182 (C.F. 1re Inst.) [ci-après, l'affaire Latif]. Dans cette affaire, le juge Lutfy a conclu que la décision du Tribunal était entachée d'un vice de compétence étant donné que cette décision avait été, sans le consentement du requérant, rendue par un seul membre, alors que la formation devant laquelle s'était déroulée l'audience avait comporté deux membres. Cela étant, il n'a pas été nécessaire de se pencher sur les autres arguments développés par les requérants. La décision du Tribunal a été annulée et renvoyée, pour nouvelle audition, devant une formation de la CISR autrement constituée.

     L'affaire dont est saisie la Cour va, en ce qui concerne la question de compétence, de pair avec l'affaire Latif. Ainsi qu'il en était dans l'affaire Latif, la décision du Tribunal a en l'espèce été rendue, sans le consentement du requérant, par un seul membre, alors que la formation initiale comportait, lors de l'audience sur le statut de réfugié, deux membres. Cette décision a été rendue environ vingt-et-un mois après l'audience. Aucune raison n'a été donnée pour expliquer le fait que cette décision n'ait pas été rendue dans le délai de huit semaines prévu au paragraphe 63(1). Ainsi que la Cour d'appel fédérale en a déjà décidé dans l'arrêt Weerasinge c.Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1994] 1 C.F. 330 [ci-après, l'affaire Weerasinge], affaire à laquelle se réfère d'ailleurs le jugement rendu dans l'affaire Latif, pour que le paragraphe 63(2) puisse s'appliquer il faut qu'un exposé complet des circonstances pertinentes soit versé au dossier, c'est-à-dire dans la décision même du Tribunal. Or, rien n'a été dit en l'espèce concernant les circonstances ayant fait que le second membre de la formation n'ait pas pu apposer sa signature à la décision du Tribunal.

     En tout état de cause, et même si mon interprétation de l'article 63, fondée sur la démarche adoptée dans l'affaire Latif, n'est pas la bonne, je dois faire droit aux arguments du requérant sur la question de la compétence. J'estime que l'exposé des circonstances pertinentes figurant dans les motifs signés par John Morrison, comme l'exige l'arrêt Weerasinge, est incomplet. Lorsqu'il déclare, dans ses motifs, que [traduction] : "... cette décision a été prise avant que le président de la formation quitte la Commission de l'immigration du statut de réfugié," cela s'entend probablement de l'époque où John Morrison et Douglas Miller ont convenu qu'il n'y avait pas lieu de reconnaître au requérant le statut de réfugié. Or, il ne s'agit pas de l'époque où la décision a été prise au sens juridique du terme. Ainsi que l'a justement rappelé le juge Reed, dans l'affaire Singh (Ricki) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration) (1995), 104 F.T.R. 312 à la p. 317 : "Comme les juges le savent bien, les décisions changent souvent au moment de la rédaction des motifs". Aux termes du paragraphe 63(2), à la date où est intervenue à décision, c'est-à-dire, semble-t-il, le 19 novembre 1996, John Morrison était réputé constituer à lui seul le Tribunal. Or, à cette date, Douglas Miller avait déjà quitté la Section du statut de réfugié depuis cinq ou six mois. Le requérant est en droit de s'attendre à un énoncé moins ambigu des circonstances expliquant pourquoi la décision n'a pas, comme le veut l'usage, été signée par le quorum habituel de deux membres.     

     Le raisonnement suivi dans l'affaire Latif a récemment été repris à son compte par le juge McKeown dans l'affaire Eryilmazli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] J.C.F. no 884 (C.F. 1re inst.).


     En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée devant la CISR afin d'être tranchée à nouveau par une formation autrement constituée.     

À la fin de l'audience, l'avocat de l'intimé a proposé que la Cour certifie que la question suivante soulève une question grave de portée générale :

                     [traduction]      L'expiration du mandat d'un membre de la Commission est-elle un motif suffisant pour invoquer le paragraphe 63(2) de la Loi sur l'immigration?               

     La même question était posée dans le cadre de l'ordonnance rendue le 12 décembre 1995 par le juge Reed dans l'affaire Brailko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 97 F.T.R. 129, question qu'avait certifiée le juge Lutfy dans l'affaire Latif. J'entends en faire de même et, par les présentes, certifie la question énoncée ci-dessus.

OTTAWA (ONTARIO)                      "B. CULLEN"

Le 18 septembre 1997     

J.C.F.C

Traduction certifiée conforme :     
                     C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-46-97
INTITULÉ :                  ADDULRIZAK MOHAMMED c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 10 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

DATE :                  Le 18 septembre 1997

ONT COMPARU :     

Me Howard Gilbert                          POUR LE REQUÉRANT

(comparaissant au nom de Me David Yerzy)

Me Ann Margaret Oberst                      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. David P. Yerzy                          POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

M. George Thomson                          POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

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