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Date : 20060426

Dossier : T-759-05

Référence : 2006 CF 520

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2006

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

SPIRITS INTERNATIONAL N.V.

demanderesse

et

 

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

et

SC PRODAL 94 SRL

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit d’un appel de Spirits International N.V. fondé sur l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch T-13 (la Loi), interjeté à l’encontre de la décision de la registraire des marques de commerce en date du 25 février 2005 maintenant l’enregistrement de la marque de commerce canadienne STALINSKAYA sous le numéro LMC 501 347 sur le registre des marques de commerce. En vertu du paragraphe 61(2) et de l’article 300 des Règles des Cours fédérales (1998), l’appel est introduit par voie de demande.

 

  • [2] La demanderesse, Spirits International N.V. (SPI), est une société constituée dans les Antilles néerlandaises étant propriétaire de la famille des marques de commerce STOLICHNAYA.

 

  • [3] La défenderesse à la présente instance, SC Prodal 94 SLR (« SCP »), est une société constituée en Roumanie ayant déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce STALINSKAYA, le 27 mars 1997, en lien avec des boissons distillées, à savoir de la vodka, fondée sur un emploi et un enregistrement de cette marque dans son pays d’origine, la Roumanie. La marque de commerce a été enregistrée sous le numéro LMC 501 347 (« la marque de commerce »), le 28 septembre 1998.

 

  • [4] Le 28 mars 2002, à la réception d’une demande écrite conformément à l’article 45 de la Loi, la registraire des marques de commerce a transmis un avis à SCP demandant à la titulaire de l’enregistrement de fournir un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. En réponse et après qu’on lui eut accordé une prorogation de délai afin d’obtenir des renseignements d’Europe, la titulaire de l’enregistrement a fourni l’affidavit de Ioana-Claudia Marin (l’« affidavit Marin »), souscrit le 19 septembre 2002. Mme Marin s’est identifiée comme étant la gestionnaire de marque de la titulaire de l’enregistrement, SCP.

 

  • [5] Dans son affidavit, Mme Marin admet que la marque de commerce n’est pas actuellement employée au Canada et qu’elle ne l’a jamais été au Canada. Mme Marin décrit ce qu’elle croit être des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi. Elle déclare qu’on a dit à SCP au cours de contacts informels et formels avec Laval Laurentides Communications Import Export (une agence de marketing à laquelle SCP a fait appel en janvier 2001) et la Société des alcools du Québec (la « SAQ ») que la norme de certification ISO 9001 et un emballage attrayant sont nécessaires pour vendre ses produits au Canada.

 

  • [6] Mme Marin déclare que le retard occasionné par la demande de certification ISO 9001, déposée en décembre 1999 et reçue le 4 décembre 2000 et le 21 juin 2001 pour sa fabrication et son produit respectivement, a empêché la titulaire de l’enregistrement de pénétrer le marché canadien. De plus, l’exigence d’une étiquette pour le produit dont le design est plus attrayant constituait un empêchement de pénétrer le marché canadien, selon Mme Marin. Le travail de conception a été commandé le 16 février 1999.

 

  • [7] Selon la demanderesse, il n’y a aucun élément de preuve établissant que ce travail de conception et les nouvelles étiquettes en découlant (reçues en mai 2000) concernaient le marché canadien en particulier.

 

  • [8] L’affidavit de Mme Marin énonce que la titulaire de l’enregistrement avait commencé à organiser la distribution de ses produits au Canada. À l’appui de cette affirmation, Mme Marin déclare que la titulaire de l’enregistrement a commencé les procédures d’inscription auprès de la SAQ. La portée de ces efforts est appuyée par un formulaire incomplet de demande à la SAQ pour obtenir l’autorisation de vendre de la vodka comme présentation cadeau.

 

  • [9] Après avoir déposé l’affidavit Marin, la partie requérante et la titulaire de l’enregistrement ont déposé des observations écrites et se sont présentées à une audience devant la registraire.

 

  • [10] Dans cette procédure fondée sur l’article 45, la partie requérante était Marks & Clerk, agents de brevets et de marques de commerce. Par suite de la correction d’une erreur d’écriture dans l’identité de la partie requérante et une transmission subséquente d’un intérêt de la partie requérante à la demanderesse, le présent appel est maintenant inscrit au nom de la demanderesse, SPI.

 

  • [11] Dans sa décision en date du 25 février 2005, la registraire des marques de commerce a maintenu l’enregistrement numéro 501 347 et a ordonné la délivrance d’un deuxième avis fondé sur l’article 45.

 

  • [12] Dans sa décision, la registraire a conclu que la marque STALINSKAYA ne constituait pas du « bois mort ». Pour arriver à cette conclusion, la registraire a déterminé un certain nombre de mesures prises par SCP qui, à son avis, constituaient une activité continue sur le marché canadien, notamment une étude de marché, l’emballage et l’amélioration de la présentation du produit, l’actualisation de la technologie liée au produit et à sa mise en bouteille et les relations avec une agence de marketing canadienne et la SAQ.

 

  • [13] Sur la question du défaut d’emploi justifiable, la registraire a appliqué le critère en trois volets établi dans la décision Registraire des marques de commerce c Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 60 NR 380, 4 CPR (3d) 488, (C.A.F.) ([Harris Knitting], établissant que SCP avait démontré un défaut d’emploi justifiable au cours des trois ans précédant la date de délivrance de l’avis en vertu de l’article 45. Aux termes du critère de la décision Harris Knitting, les facteurs qui doivent être examinés comprennent : (1) la durée du défaut d’emploi de la marque; (2) la question de savoir si ce défaut d’emploi par le propriétaire inscrit s’explique par des circonstances indépendantes de sa volonté; et (3) la question de savoir s’il existe une véritable intention de reprendre rapidement l’emploi de la marque.

 

Questions en litige

  • [14] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision rendue par la registraire?

 

2. La registraire a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant mal le fardeau de la preuve de l’article 45 en abaissant le seuil de preuve exigeant que les circonstances spéciales de défaut d’emploi soient établies selon la prépondérance des probabilités?

 

3. La registraire a-t-elle commis une erreur de droit en arrivant à une conclusion de fait en l’absence de preuve?

 

4. Les motifs de la registraire à l’appui de la décision contestée sont-ils déraisonnables ou indéfendables?

 

Norme de contrôle

  • [15] Dans un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi dans le cadre duquel aucun nouvel élément de preuve n’est déposé, il incombe à la Cour de ne pas réévaluer la preuve ou mettre en doute la décision de l’agent d’audition, mais d’examiner plutôt si la conclusion fondée sur la preuve est déraisonnable : Purafil Inc. c. Purafil Canada Ltée (2004), 31 C.P.R. (4th) 345, 2004 CF 522, au paragraphe 10. Dans le cas où de nouveaux éléments de preuve sont présentés au juge des requêtes, la norme de contrôle est celle de la décision correcte; dans le cas où aucune preuve supplémentaire n’a été déposée, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter, à savoir, la décision du registraire était-elle « manifestement erronée » : AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd., [2002] 2 C.F. 148, 2001 CAF 296, aux paragraphes 25 à 33; Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, à la page 196, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.F.).

 

  • [16] La norme de la décision raisonnable simpliciter signifie qu’une décision est uniquement déraisonnable si aucun mode d’analyse de la preuve présentée ne peut raisonnablement amener le tribunal à la conclusion qu’il a tirée. Même si certaines parties du raisonnement sont erronées, si le résultat est tout de même correct, la décision ne peut pas être considérée comme déraisonnable : Wrangler Apparel Corp c. Timberland Co, (2005) 41 C.P.R. (4th) 223, 2005 CF 722, aux paragraphes 12 à 31.

 

  • [17] En l’espèce, la demanderesse n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve et la norme de contrôle est par conséquent celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

 

Fardeau de preuve en vertu de l’article 45

 

  • [18] Pour établir le fardeau de la preuve du titulaire d’un enregistrement en vertu de l’article 45, la demanderesse s’appuie sur des énoncés de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc., [1981] 1 C.F.679, (1980), 53 C.P.R. (2d) 62, à la page 66. Dans cet arrêt, la Cour a conclu qu’en vertu de l’article 44 [maintenant l’article 45], le propriétaire inscrit doit « informer [le registraire] quant à l’emploi de la marque de commerce [ou des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi] afin que lui et la Cour, s’il y a appel, puissent être en mesure d’apprécier la situation et d’appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe 44(3) [maintenant le paragraphe 45(3)] ».

 

  • [19] En l’espèce, la demanderesse allègue qu’il incombait à la titulaire de l’enregistrement de s’acquitter de cette preuve, mais qu’elle n’a pas satisfait la norme de preuve exigée pour s’acquitter de ce fardeau. La registraire a implicitement reconnu l’insuffisance de la preuve présentée en reconnaissant que la titulaire de l’enregistrement n’avait pas expliqué en détail le fondement de sa preuve à l’égard des ventes anticipées au Canada et en exigeant une preuve supplémentaire au moyen d’un autre avis fondé sur l’article 45. La demanderesse soutient que si la preuve avait été suffisante, la registraire n’aurait pas eu à demander une preuve supplémentaire.

 

  • [20] La demanderesse fait valoir qu’à l’égard de cette conclusion selon laquelle la preuve de la titulaire de l’enregistrement était inadéquate, la registraire avait l’obligation de radier la marque. La registraire n’avait pas compétence pour abaisser la norme de preuve. De plus, la registraire a commis une erreur en concluant que la titulaire de l’enregistrement avait satisfait le fardeau de la preuve en démontrant qu’elle comprenait, à tort ou à raison, que la certification ISO 9001 constituait une condition préalable à la vente au Canada.

 

  • [21] La défenderesse fait valoir que l’argument de la délivrance d’un deuxième avis fondé sur l’article 45 ayant abaissé le seuil de preuve ne tient pas compte des éléments de preuve présentés à la registraire, y compris la preuve de l’intention ferme de SCP de commencer à employer la marque de commerce au Canada et l’activité continue de SCP sur le marché canadien. Ces mesures concrètes indiquent l’intention de la défenderesse d’employer la marque STALINSKAYA au Canada.

 

  • [22] La registraire a tenu compte du fait que la défenderesse est une fabricante étrangère située en Roumanie n’étant pas nécessairement habituée aux conditions canadiennes, lorsqu’elle a expliqué en détail comment la présente affaire se distingue de la décision Re Goldwell Ltd., (1974), 29 C.P.R. (2d) 110, à la page 111 (C.O.M.C.). À cet égard, une société étrangère se fierait à des conseils obtenus localement, y compris à l’égard de la question de savoir si la certification ISO constitue une condition préalable pour pénétrer le marché. La mauvaise compréhension d’une exigence légale par un titulaire d’enregistrement peut justifier un défaut d’emploi : Playboy Enterprises Inc. c. Germain, [1988] 1 C.F.163, (1987), 13 F.T.R. 183 (C.F. 1re inst) [Playboy].

 

  • [23] La défenderesse fait valoir qu’une preuve excessive n’est pas nécessaire pour démontrer un défaut d’emploi justifiable : Cassels Brock & Blackwell LLP c. Registraire des marques de commerce et al. (2004), 253 F.T.R. 311, 2004 CF 753. Il existe des causes dans lesquelles des enregistrements ont été maintenus, sans égard au fait que les éléments de preuve sur certains points ont été considérés comme insuffisants par la Cour : Ridout & Maybee c. Sealy Canada Ltd., (1999) 171 F.T.R. 79, (1999), 87 C.P.R. (3d) 307 (C.F. 1re inst); Baker & McKenzie c. Garfield’s Fashions Ltd. (1994), 52 C.P.R. (3d) 274, (C.O.M.C.) [Baker & Mackenzie]. Selon la preuve présentée par SCP à l’égard de son activité continue sur le marché canadien et des circonstances particulières de la compréhension démontrée par SCP, cette dernière s’est acquittée de son fardeau sur ce point et la registraire n’a pas abaissé le seuil de preuve.

 

  • [24] Un synopsis de procédures en vertu de l’article 45 de la Loi a été fourni par le juge Richard (tel était alors son titre) dans la décision Osler, Harkin & Harcourt c. Canada (Registrar of Trade-Marks) (1997), 139 F.T.R. 64, 77 C.P.R. (3d) 475 (C.F. 1re inst) :

[16] L’article 45 prévoit une procédure simple, sommaire et expéditive pour éliminer du registre des marques de commerce les marques qui ne sont plus employées. Il vise à débarrasser le registre du bois mort et non à résoudre des questions litigieuses concernant des intérêts commerciaux concurrents qui devraient être réglées dans le cadre d’une instance en radiation en vertu de l’article 57. […]

***

[18] L’article 45 ne prévoit pas de décision sur la question de l’abandon; il s’agit simplement d’une procédure sommaire par laquelle le propriétaire inscrit d’une marque est tenu de fournir une certaine preuve d’emploi au Canada ou une preuve de circonstances particulières justifiant le non-emploi. Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd. (1982), 69 C.P.R. (2d) 136 (C.A.F.), à la page 142.

***

[20] Le paragraphe 45(1) de la Loi exige qu’il soit procédé à un examen pour savoir si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours de la période en cause.

[21] Toutefois, une simple affirmation d’emploi sera insuffisante. Il suffit que les affidavits déposés en réponse à un avis donné par le registraire en vertu de l’article 45 établissent des faits à partir desquels, tout compte fait, une conclusion d’emploi peut être logiquement inférée.

 

  • [25] La question dont la registraire était saisie en l’espèce était de savoir si des circonstances spéciales ont été établies justifiant le défaut d’emploi de la marque de commerce. Au moment d’appliquer le critère à trois volets établi dans la décision Harris Knitting, le fardeau de preuve incombant à la titulaire de l’enregistrement n’est pas excessif. Le fardeau de preuve de la titulaire de l’enregistrement d’établir le bien-fondé du maintien en vigueur de l’enregistrement de la marque est relativement faible : Cassels Brock & Blackwell LLP c. Registraire des marques de commerce et al. (2004), 253 F.T.R. 311, 2004 CF 753, au paragraphe 23; House of Kwong Sang Hong International Ltd. c. Borden Ladner Gervais (2004), 251 F.T.R. 208, 2004 CF 554, au paragraphe 36. En l’espèce, la registraire était convaincue que la titulaire de l’enregistrement s’était acquittée du fardeau et je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

 

Conclusion de fait en l’absence d’éléments de preuve

 

  • [26] La demanderesse allègue que dans la présente affaire, aucune preuve n’a été présentée à la registraire établissant que la certification ISO 9001 constitue une exigence d’inscription auprès de la SAQ et, même si c’était le cas, que cette exigence était inhabituelle, peu courante et exceptionnelle pour les fournisseurs de vodka souhaitant que leurs produits soient inscrits sur la liste de la SAQ. En arrivant à la conclusion que des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi existaient, la registraire a tiré une conclusion de fait, en l’absence de preuve, que les exigences de certification ISO 9001 étaient inhabituelles, peu courantes et exceptionnelles pour les fournisseurs de vodka souhaitant être inscrits auprès de la SAQ, ce qui constitue une erreur de droit susceptible de révision.

 

  • [27] La défenderesse fait valoir que des éléments de preuve sur lesquels elle s’est appuyée ont été présentés à la registraire démontrant que Laval Laurentides Communications Import Export et la SAQ elle-même avaient indiqué à SCP que la certification ISO constituait une exigence. Il existe des précédents à l’égard d’une exigence légale constituant une justification de défaut d’emploi, mais également une croyance, même si elle est erronée, qu’une telle exigence constitue une justification de défaut d’emploi : Playboy, précitée.

 

  • [28] La demanderesse soutient qu’aucune preuve n’a été présentée à l’égard du fait que même si la certification ISO 9001 constitue une exigence d’inscription auprès de la SAQ, que cette exigence est inhabituelle, peu courante et exceptionnelle pour les fournisseurs de vodka qui souhaitent inscrire leurs produits auprès de la SAQ. La défenderesse soutient que l’argument selon lequel il n’y avait aucun élément de preuve est sans fondement, car la registraire a fait référence à des éléments de preuve ayant trait à des circonstances spéciales pour SCP, notamment celles qui suivent : (i) l’actualisation de sa technologie; (ii) l’obtention de la certification ISO 9001; et (iii) rendre son emballage plus attrayant.

 

  • [29] Ces circonstances spéciales peuvent être considérées inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles en vertu du fait qu’elles sont survenues à l’étape initiale du lancement d’un produit au Canada par une société située dans un pays étranger et émergent et, implicitement, non habituée aux exigences légales et aux pratiques commerciales canadiennes. Il existe des précédents qui étayent le caractère spécial de ces circonstances : Oyen Wiggs Green & Mutala c. Pauma Pacific Inc. et al. (1997), 76 C.P.R. (3d) 48, [1997] A.C.F. no 1126 (QL) (C.F. 1re inst) [Oyen Wiggs], confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Oyen Wiggs Green & Mutala c. Pauma Pacific Inc. (1999), 84 C.P.R. (3d) 287, [1999] A.C.F. no 139 (QL) (C.A.F.). [Oyen Wiggs (CAF)]; Baker & Mackenzie, précitée; Dubuc c Montana (1992), 38 C.P.R. (3d) 88.

 

  • [30] Bien qu’une conclusion de fait tirée sans preuve soit une erreur de droit pouvant faire l’objet d’une révision, je suis d’accord avec la défenderesse en l’espèce à l’égard du fait que la registraire disposait d’éléments de preuve auxquels elle a fait référence au moment d’établir qu’une des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi était le processus de certification ISO 9001. L’affidavit Marin énonce qu’au cours des négociations formelles et informelles avec l’agence de marketing, la défenderesse a appris que la certification constituait une condition préalable à la vente de vodka sur le marché canadien (dossier de la demanderesse, à la page 20). De plus, la preuve documentaire indique que la défenderesse a fait une demande d’obtention d’une telle certification et a sollicité un certain nombre de fournisseurs concernant des améliorations requises pour obtenir la certification.

 

  • [31] La conclusion de fait tirée par la registraire n’était pas que la certification ISO 9001 était nécessaire, mais que la titulaire de l’enregistrement croyait qu’elle l’était. Cette croyance a mené au défaut d’emploi de la marque de commerce. La registraire a ensuite conclu qu’il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi et a refusé de radier la marque.

 

  • [32] La signification des mots « circonstances spéciales » utilisés au paragraphe 45(3) a été examinée dans la décision John Labatt Ltd c. Cotton Club Bottling (1976), 25 C.P.R. (2d) 115 (C.F. 1re inst). Il a été établi que les circonstances spéciales sont celles qui touchent le commerçant à titre particulier, mais pas nécessairement tous les commerçants et que les circonstances qui sont « spéciales » sont celles qui sont particulières ou anormales découlant de certaines forces extérieures, distinctes des actes volontaires d’un commerçant en particulier. (Voir également Burroughs Wellcom Inc. c. Kirby Shapiro Eades & Cohen, (1983) 73 C.P.R. (2d) 13 (C.F. 1re inst)).

 

  • [33] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’accord avec la défenderesse à l’égard du fait que les circonstances spéciales n’ont pas à s’appliquer à toutes les entreprises au même stade que la titulaire de l’enregistrement. La registraire avait l’autorité de conclure que l’exigence de certification ISO 9001 découlait de forces extérieures et n’était pas une décision volontaire prise par la titulaire de l’enregistrement. La conclusion de la registraire à cet égard est raisonnable et la conclusion relative aux circonstances spéciales est appuyée par la preuve qui lui a été présentée.

 

  • [34] La conclusion relative aux circonstances spéciales est également conforme aux critères établis par le juge Pratte dans la décision Harris Knitting, à l’égard du fait que la raison du défaut d’emploi ne peut pas être volontaire de la part du propriétaire inscrit. Le défaut d’emploi doit être indépendant du contrôle du propriétaire. En l’espèce, la titulaire de l’enregistrement croyait qu’une certification ISO 9001 était requise par la SAQ et ce facteur échappait à son contrôle. Cette conclusion n’a pas été tirée en l’absence de preuve et elle est par conséquent raisonnable.

 

Motifs déraisonnables ou indéfendables

 

  • [35] La demanderesse fait valoir que les trois critères établis par la juge Carolyn Layden-Stevenson dans NTD Apparel Inc. c. Ryan (2003), 236 F.T.R. 87, 2003 C.F.P.I. 780 (C.F. 1re inst) [NTD Apparel] sont nécessaires pour établir les circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi. Comme l’a déclaré la juge Layden-Stevenson :

[19]  Il faut examiner trois critères pour décider s’il existe des circonstances spéciales justifiant le défaut d’usage. Le premier touche à la période pendant laquelle la marque n’est pas employée. Le deuxième consiste à se demander si les raisons du défaut d’emploi étaient indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit et le troisième à décider s’il existe une intention sérieuse de reprendre dans un bref délai l’emploi de la marque : Registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 60 N.R. 380, 4 C.P.R. (3d) 488 (C.A.F.).

 

  • [36] À l’égard du premier facteur, à savoir la période pendant laquelle la marque n’a pas été employée, la demanderesse fait valoir que la marque de commerce a été enregistrée le 28 septembre 1998 et qu’elle n’a jamais été employée au Canada. Par conséquent, le 28 mars 2002 (la date de l’avis fondé sur l’article 45), la période de défaut d’emploi était d’environ trois ans et six mois. Dans NTD Apparel, précitée, la juge Layden-Stevenson a conclu ce qui suit au paragraphe 21 : « la période de défaut d’emploi était d’environ trois ans et cinq mois. Il s’agit d’un laps de temps considérable ». En tenant compte de la limite de trois ans imposée par la Loi et la conclusion de la Cour dans NTD Apparel, la demanderesse fait valoir qu’il n’est pas raisonnable que la registraire rende une autre décision.

 

  • [37] De plus, même si la période de défaut d’emploi était calculée à partir du 21 juin 2001 (la date de la certification ISO 9001), la période d’environ un an et quatre mois de défaut d’emploi est une période considérable, plus particulièrement en raison du fait que la preuve révèle qu’à partir du 19 septembre 2002, la titulaire de l’enregistrement n’avait toujours pas rempli et déposé les documents auprès de la SAQ.

 

  • [38] En ce qui concerne le deuxième facteur, la demanderesse allègue que pour satisfaire l’exigence de circonstances spéciales indépendantes de sa volonté, la titulaire de l’enregistrement doit établir que l’obstacle qu’elle allègue est particulier ou anormal à ce à quoi les personnes qui exercent des activités commerciales liées à la vodka sont habituellement assujetties. On ne peut pas dire que la conformité aux exigences relatives à l’inscription auprès de la SAQ constitue une situation inhabituelle, peu courante ou exceptionnelle. Le fait que tous les fournisseurs d’alcool respectent les exigences de la SAQ pour pouvoir vendre leurs produits dans la province constitue une exigence courante. La titulaire de l’enregistrement a omis de le faire de façon opportune.

 

  • [39] De la même façon, la décision de présenter le produit de façon plus attrayante ne constitue pas une activité inhabituelle, peu courante ou exceptionnelle : John Labatt, précitée, à la page 123. Chaque entreprise entreprend un tel processus. Par conséquent, un retard découlant de ce critère ne constitue pas des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi.

 

  • [40] La demanderesse allègue que la décision de la titulaire de l’enregistrement de faire appel aux services d’une agence de marketing, de ne pas entrer en contact direct avec la SAQ et de ne pas faire de demandes supplémentaires et d’uniquement envisager d’inscrire son produit auprès de la SAQ au Canada sont des décisions volontaires et particulières à la titulaire de l’enregistrement. La titulaire de l’enregistrement n’a pas établi que les exigences de certification ISO 9001 alléguées étaient exceptionnelles, onéreuses et uniques pour elle à titre de fournisseur de vodka éventuel auprès de la SAQ. La demanderesse allègue que la preuve de la titulaire de l’enregistrement omet de satisfaire les exigences minimums en matière de preuve.

 

  • [41] Le troisième facteur est celui de l’existence d’une véritable intention de reprendre rapidement l’emploi de la marque. La demanderesse fait valoir que les efforts allégués par la titulaire d’enregistrement à l’égard du commencement de l’emploi sont sans fondement. Il n’y a pas de mesures démontrant que l’emploi de la marque de commerce se fera rapidement. La titulaire de l’enregistrement n’informe pas la registraire à l’égard de la probabilité que l’offre de produit soit acceptée par la SAQ ni les raisons expliquant pourquoi elle demeure en suspens ou pourquoi aucune tentative d’inscription n’a été présentée à d’autres sociétés des alcools au cours des trois dernières années.

 

  • [42] En vertu du critère à trois volets, la demanderesse soutient que lorsque la registraire tire une conclusion à l’égard du fait que l’un des volets du critère n’a pas été satisfait, il ne peut y avoir de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi. De l’avis de la demanderesse, la registraire a manifestement commis une erreur en concluant que la preuve de la titulaire de l’enregistrement constituait des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi.

 

  • [43] La défenderesse allègue que la période de défaut d’emploi n’est pas assez importante pour être inexcusable. L’établissement de l’importance à donner à un délai donné doit être évalué en tenant compte des circonstances de chaque cas : Boutiques Progolf Inc. c. Marks & Clerk (1993), 54 C.P.R. (3d) 451, 164 NR 264 (C.A.F.). Chaque cas repose sur des faits uniques.

 

  • [44] La défenderesse allègue que la période de défaut d’emploi doit se calculer à partir de la date de certification ISO 9001 (le 14 juin 2001) ce qui donne une durée de défaut d’emploi d’un an et quatre mois, plutôt que la date d’enregistrement de la marque STALINSKAYA (le 28 septembre 1998) ce qui donne une durée de défaut d’emploi de trois ans et six mois. Cependant, même si la registraire aurait dû tenir compte d’une plus longue période de défaut d’emploi commençant à partir de la date d’enregistrement de la marque de commerce, la période de défaut d’emploi ne serait pas inexcusablement longue à l’égard de toutes les circonstances. Une erreur de la part de la registraire dans le calcul de la période de défaut d’emploi ne serait pas substantielle.

 

  • [45] À l’égard de la question de savoir si le temps consacré à la conception d’un nouvel emballage est une circonstance spéciale acceptable, la défenderesse cite une jurisprudence récente de la Cour dans laquelle les activités de conception du nouvel emballage d’un produit et le temps consacré à soigneusement mettre au point un produit ont été considérés des circonstances spéciales justifiant un défaut d’emploi : Oyen Wiggs, précitée; Oyen Wiggs (FCA), précitée; McFadden, Finchman, Marcus & Allen c. Canada (Registrar of Trade-marks) (1990), 38 F.T.R. 48, 34 C.P.R. (3d) 70 (C.F. 1re inst).

 

  • [46] Le critère des circonstances spéciales exposé dans la décision Harris Knitting n’énonce pas que les raisons de défaut d’emploi doivent être inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles. Le critère énonce qu’il s’agit de considérer si les raisons du défaut d’emploi étaient indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit. Comme il a été établi dans Ridout & Maybee, les circonstances du défaut d’emploi doivent être celles qui n’existent pas dans la majorité des cas impliquant un défaut d’emploi.

 

  • [47] J’estime qu’il était loisible à la registraire de conclure qu’en l’espèce et au cours de la période envisagée, qui selon moi court de la date de l’enregistrement, les raisons du défaut d’emploi étaient indépendantes de la volonté de la titulaire de l’enregistrement et n’existent pas dans la majorité des autres situations de défaut d’emploi. Il était raisonnable de conclure qu’un distillateur de vodka provenant d’une nation émergente ne connaîtrait pas les exigences liées à la distribution d’alcool et se fierait aux conseils d’un cabinet local en marketing à l’égard de la qualité des produits et des normes de promotion. La croyance que la certification ISO constituait une condition préalable n’était pas déraisonnable, même en l’absence de preuve directe qu’elle était nécessaire. On pourrait s’attendre à ce que les distributeurs et les consommateurs de produits soient rassurés par les normes qu’une telle certification implique.

 

  • [48] Bien que l’affidavit Marin manquait de détails et de précisions, il constituait une preuve suffisante, à mon avis, pour que la registraire en arrive à la conclusion que la titulaire de l’enregistrement satisfaisait le critère de défaut d’emploi justifiable de la marque de commerce. Par conséquent, je conclus que dans l’ensemble, la décision est raisonnable, et que le présent appel doit être rejeté.

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté avec dépens en faveur de la défenderesse SC Prodal 94 SLR.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-759-05

 

INTITULÉ :  SPIRITS INTERNATIONAL N.V.

  et

  LA REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

  et

  SC PRODAL 94 SRL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 13 février 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :  Le 26 avril 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bayo Odutola

Sylvie-Émanuelle Bourbonnais

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bruce E. Morgan

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bayo Odutola

Sylvie-Émanuelle Bourbonnais

Odutola Law Chambers

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bruce E. Morgan

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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