Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date: 20001204

Dossier: IMM-1393-00

OTTAWA (ONTARIO) LE 4ième JOUR DE DÉCEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE EDMOND P. BLANCHARD

ENTRE:

     VALENTINA PISSAREVA

     MARINA PISSAREVA

demanderesses,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur,

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD

Dans cette affaire, la Cour est appelée à décider, en vertu d'une demande de contrôle judiciaire tel que stipulé par l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7, telle qu'amendée, si la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après, la section du statut), rendue le 12 janvier 2000 par les membres Rocco Famiglietti et Dominique Leclercq selon laquelle les demanderesses, citoyennes de la République du Kazakhstan, ne sont pas des réfugiées au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

@réfugié au sens de la Convention@ Toute personne:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, [...]2, est bien fondée.

EXPOSÉ DES FAITS

En 1982, la demanderesse, Valentina Pissareva a épousé M. Victor Pissareva. Le couple a eu deux enfants, soit Marina (la codemanderesse) née en 1984 et Alexandre né en 1993 (décédé en 1998). Les demanderesses sont d'origine russes et citoyennes du Kazakhstan.

Depuis la chute de l'empire soviétique et l'accession à l'indépendance du Kazakhstan en 1992, la demanderesse soutient que l'État du Kazakhstan prône une politique de purification ethnique notamment à l'égard de ses citoyens et citoyennes d'origine russes.

De plus, la demanderesse soumet que le gouvernement actuel est arbitraire et partial; qu'il ne protège pas l'intégrité physique des citoyens; et que les crimes et actes violents de certains individus sont tolérés et impunis par les autorités publiques.

La demanderesse soutient que la persécution à leur égard a débuté en juillet 1997. Elle affirme que son époux est chirurgien. C'est pourquoi, sous prétexte qu'il était un proche du patient de M. Pissareva, un dénommé Askar d'origine Kazakh selon la demanderesse, s'est présenté à leur domicile, pour remercier M. Pissareva, suite à une chirurgie empreinte de succès.

Après cette visite, M. Askar aurait multiplié les appels téléphoniques pour contraindre le conjoint de la demanderesse à lui vendre leur appartement. Après avoir essuyé de nombreux refus, M. Askar aurait affirmé qu'il allait prendre les moyens nécessaires pour s'approprier l'appartement.

En février 1998, la famille de la demanderesse aurait été victime de menaces et d'actes de violence de la part de M. Askar. En effet, le pare-brise de leur voiture a été fracassé, les pneus de leur voiture crevés et leur chat a été pendu. Après ces moyens de pression, M. Askar aurait réitéré sa demande d'achat, encore une fois le conjoint de la demanderesse aurait refusé.

En mars 1998, la demanderesse soutient que trois hommes à la solde de M. Askar auraient brutalisé et blessé son fils et elle-même; cette dernière a été hospitalisée pendant trois mois tandis que son fils Alexandre est décédé des suites de cette agression.

L'enquête policière n'a conduit à aucune arrestation. La demanderesse soutient que M. Askar a poursuivi ses menaces et que les enquêteurs ont insisté pour qu'elle retire sa plainte, sous prétexte que les familles des agresseurs la poursuivraient pour diffamation.

C'est pour l'ensemble de ces événements que la demanderesse a quitté le Kazakhstan le 9 juillet 1998, accompagnée de sa fille, pour se rendre à New York. Ce n'est qu'un mois plus tard, le 5 août 1998 , qu'elles sont arrivées au Canada, demandant le statut de réfugié au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.

Son conjoint est demeuré au Kazakhstan, la demanderesse a invoqué qu'il n'avait pas les fonds nécessaires pour assumer les frais de voyage.

LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT

Conséquemment, sur la base de l'appréciation du témoignage de la demanderesse et de l'analyse du dossier, les commissaires ont conclu que les demanderesses ne sont pas des « réfugiées au sens de la Convention » , selon les termes de l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration.

En effet, la section du statut a jugé que la demanderesse n'a pas établi un lien de causalité entre la persécution alléguée et les motifs prévus à la Convention. De plus, elle n'a pas démontré par une preuve claire et convaincante que l'État dont elle est la ressortissante est incapable de la protéger.

NORMES DE CONTRÔLE

En l'espèce, il s'agit d'un contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la section du statut. La Cour suprême a clairement établi que dans ce contexte la norme applicable, en ce qui a trait aux questions de droit, est celle de la décision correcte. Comme l'affirmait le juge Bastarache dans l'affaire Pushpanathan:

Je conclus que la norme de la décision correcte s'applique aux décisions rendues sur des points de droit par la Commission.3

De plus, il est important de souligner que la norme de contrôle en ce qui a trait à l'appréciation des faits demeure la norme manifestement déraisonnable. De fait, de nombreuses décisions ont réaffirmé que les commissaires sont dans la meilleure position pour évaluer les témoignages. Comme devait l'affirmer la Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge Décary:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.4

La conclusion logique qui se dégage de cet arrêt est que dans la mesure ou l'interprétation factuelle des commissaires reliée à l'alinéa 2(1) de la Loi sur l'immigration n'est pas manifestement déraisonnable, il n'est pas du rôle de cette Cour d'intervenir sur la base du contrôle judiciaire.

ANALYSE

Une analyse de la décision de la section du statut nous permet de constater que cette dernière n'a pas jugé plausible le témoignage de la demanderesse. Seule une interprétation manifestement déraisonnable me permettrait de remettre en cause cette conclusion de non-plausibilité à l'égard du témoignage de la demanderesse.

Ainsi, notre Cour a réaffirmé à plusieurs occasions que la section du statut peut appliquer les principes établis par le juge MacGuigan dans l'affaire Sheikh. En effet, si les commissaires en viennent à la conclusion qu'à la lumière de son témoignage et de l'ensemble du dossier, le revendicateur ne rencontre pas les critères pour se faire reconnaître comme « réfugié au sens de la Convention?, ils n'accordent pas la demande:

(...) même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.5

Vu les circonstances de la présente affaire, comme je l'ai mentionné précédemment, il n'est pas de ma compétence de m'immiscer dans l'évaluation du témoignage de la demanderesse. Les commissaires sont les plus aptes à rendre jugement sur ce point. À la lumière de leur décision et après avoir analysé l'ensemble du dossier en preuve, je conclus que la section du statut n'a pas fait d'interprétation manifestement déraisonnable sur les faits.

Par ailleurs, la demanderesse a soutenu que la Commission a erré en droit en concluant que la demanderesse n'a pas établi de lien entre la persécution alléguée et les motifs prévus à la Convention.

Afin de réussir dans sa revendication, la demanderesse se doit d'établir un lien de causalité entre sa crainte de persécution et l'un des motifs prévus à la Convention. Comme l'a affirmé la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Rizkallah:

To succeed, refugee claimants must establish a link between themselves and persecution for a Convention reason.6

L'essentiel du litige sur ce point porte sur l'appréciation de la preuve qu'a faite la section du statut quant à la protection offerte par la police et à la capacité du gouvernement Kazakh de protéger ses citoyens. Or, comme le tribunal l'a indiqué, il n'a pas été démontré que cette situation était reliée à l'un des motifs de la Convention. À cet égard, la décision m'apparaît solidement fondée en droit et s'appuie pertinemment sur la preuve documentaire à laquelle la section du statut se réfère.

Comme l'affirmait le juge Wetston dans l'affaire Chkliar:

La conclusion selon laquelle ceux-ci craignaient des actes criminels plutôt que de la persécution n'est pas contraire à l'évaluation de la situation générale au Kazakhastan effectuée par la Commission.7

En l'espèce, la section du statut a conclu que les difficultés auxquelles sont confrontées les citoyens du Kazakhstan ne sont pas basés sur des facteurs ethniques. Ainsi, il est essentiel d'établir la persécution sur la base d'un des motifs prévus à la Convention pour obtenir le statut de réfugié8.

À mon avis, il est important de reconnaître que l'extorsion, la menace de coups et l'usage de la violence sont des crimes. Or, le fait que les auteurs de ces actes soient des Kazakhs et que les victimes soient des Russes, cela n'en fait pas, de facto, des actes de persécution au sens de la Convention.

J'estime dans les circonstances, compte tenu des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ward, que le tribunal pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse n'a pas repoussé le fardeau de preuve qui lui revient, soit d'établir qu'elle ne pouvait bénéficier de la protection de l'État. Dans une partie de son analyse de l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration le juge La Forest affirmait:

En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur. (...) Bien que cette présomption accroisse l'obligation qui incombe au demandeur, elle ne rend pas illusoire la fourniture par le Canada d'un havre pour les réfugiés. La présomption sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange. Les revendications du statut de réfugié n'ont jamais été destinées à permettre à un demandeur de solliciter une meilleure protection que celle dont il bénéficie déjà.9

En ce qui a trait à l'omission par la demanderesse de revendiquer le statut de réfugiée aux États-Unis, où elle a résidé pendant près d'un mois avant de fouler le sol canadien; notre Cour a réitéré maintes fois que la section du statut se doit de tenir compte du comportement des demanderesses. Le fait d'être de passage dans un pays signataire de la Convention sans toutefois revendiquer le statut de réfugié dans les plus brefs délais peut être un facteur dans l'appréciation des facteurs subjectifs de sa revendication10.

Appliquant ces principes aux faits de l'espèce, je suis convaincu que l'interprétation factuelle de la section du statut n'est pas manifestement déraisonnable. De plus, je suis également convaincu que la section du statut a correctement interprété les questions de droit. En effet, la demanderesse n'a pas établi de lien entre la persécution alléguée et les motifs prévus à la Convention et elle n'a pas fourni de « preuve claire et convaincante? que l'État du Kazakhstan n'a pas les éléments nécessaires pour assurer la protection de ses citoyens.

Pour l'ensemble de ces motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

     ORDONNANCE

POUR CES MOTIFS:

La demande de contrôle judiciaire, à l'encontre d'une décision de la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 12 janvier 2000 par les membres Rocco Famiglietti et Dominique Leclercq selon laquelle les demanderesses, citoyennes de la République du Kazakhstan, ne sont pas des réfugiées au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration est rejetée.

? Edmond P. Blanchard?

Juge

__________________

1      Loi sur l'immigration

2      , L.R.C. 1985, c. I-2.2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
[...]
« réfugié au sens de la Convention ? Toute personne :
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :          (i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, [...]      Immigration Act, R.S.C. 1985, c. I-22. (1) In this Act,
...

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,      (i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that      fear, is unwilling to avail himself of the      protection of that country, ....         

3      Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] 1 R.C.S. 982 au para. 50 de la décision.

4      Aguebor c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l?immigration), [1993] C.F.. No. 732.

5      Sheikh c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l?immigration), [1990] 3 C. F. 238 (C.A.F), à la p. 244.

6      Rizkallah v. Minister of Employment and Immigration) (1992), 156 N.R. 1 (C.A.F.).

7      Chkliar v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) [1995] F.C.J. No. 96 (Imm-2991-94)

8      À cet égard, la Cour Fédérale a développé une jurisprudente constante. Voir : Alifanova c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) IMM-5501-97, C.F. 1re inst., 11 décembre 1998 Sokolov c. Canada (M.C.I.), IMM-3853-97, C.F. 1re inst., 16 septembre 1998; Karaseva c. Canada (M.C.I.), IMM-4683-96, C.F. 1re inst., 26 novembre 1997; et Vestoshkin c. Canada (M.C.I.), IMM-4902-94, C.F. 1re inst., 9 juin 1995.

9      Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

10      Skretyuk c. M.C.I, IMM-3240-97, C.F., 4 juin 1998, le juge Dubé ; Salihou Bello c. M.C.I., IMM-1771-96, 11 avril 1997, le juge Pinard ; Ilie v. Canada (M.C.I.) (1994), 88 F.T.R. 220; Masoud Safakhoo et al. c. M.C.I., IMM-455-96, 11 avril 1997, le juge Pinard; et Ali v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1996), 112 F.T.R. 9.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.