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Date : 20200320


Dossier : IMM‑4403‑19

Référence : 2020 CF 400

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2020

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

YANHONG QI

GUANG ZHENG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Yanhong Qi et son mari Guang Zheng [les demandeurs] sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR]. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR selon laquelle les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  Les demandeurs sont des citoyens de la Chine. Ils affirment craindre d’être persécutés par les autorités chinoises au motif que Mme Qi pratique le Falun Gong, une philosophie spirituelle interdite en Chine.

[3]  La SAR a raisonnablement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs en raison des omissions importantes dans leurs formulaires de fondement de la demande d’asile [FDA]. Mme Qi n’a pas été en mesure de fournir une explication satisfaisante pour justifier son départ de Chine près d’un mois après son mari. L’absence de documents de voyage et l’incapacité des demandeurs d’expliquer leurs déplacements à destination du Canada ont davantage miné la crédibilité de leur récit. Mme Qi n’a pu démontrer que des connaissances superficielles au sujet du Falun Gong. À la lumière de ses autres conclusions défavorables en matière de crédibilité, la SAR pouvait conclure que Mme Qi n’était pas véritablement une adepte du Falun Gong.

[4]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[5]  Mme Qi affirme qu’elle et un ami ont commencé à pratiquer le Falun Gong en 2015 pour aider à soulager leurs problèmes de santé, tels que la douleur, la transpiration, l’évanouissement et l’essoufflement. En 2016, elle a commencé à pratiquer le Falun Gong en groupe.

[6]  Selon Mme Qi, en février 2017, le chef du groupe l’aurait informée qu’une autre adepte, Tian Lu, avait fait l’objet d’une arrestation. M. Zheng affirme que cette information lui a fait craindre pour la sécurité de son couple en Chine.

[7]  Les demandeurs affirment qu’un ami du cousin de M. Zheng les a aidés à trouver un passeur, qui a obtenu pour eux des visas canadiens. M. Zheng est arrivé au Canada en juillet 2017. Mme Qi est arrivée le mois suivant. Les demandeurs ont demandé l’asile le 6 août 2017.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La SAR a confirmé les conclusions défavorables que la SPR a tirées concernant la crédibilité, notamment :

  • a) Mme Qi a raconté des faits durant son témoignage qui ne figuraient pas dans les formulaires de FDA des demandeurs. Il s’agissait de l’arrestation du mari de Tian Lu environ deux mois après l’arrestation de celle‑ci et des visites rendues par le Bureau de la sécurité publique de la Chine [le BSP] à la belle‑mère de Mme Qi en novembre et décembre 2017. Comme M. Zheng a également déclaré craindre d’être arrêté, il était invraisemblable que les demandeurs négligent de mentionner l’arrestation du mari de Tian Lu. Mme Qi a modifié son formulaire de FDA le 5 janvier 2018, mais n’a pas fait état de ces faits.

  • b) Mme Qi n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi son mari avait quitté la Chine avant elle, et aucun document concernant leurs déplacements n’avait été présenté. Le visa canadien de Mme Qi a été délivré à Vienne, et son pays de résidence selon le Système mondial de gestion des cas était la République tchèque. Il n’y avait ni carte d’embarquement, ni étiquette de bagage, ni itinéraire de vol.

  • c) Mme Qi n’avait pas une [TRADUCTION] « compréhension de base des concepts fondamentaux et importants du Falun Gong ». Malgré son niveau d’éducation modeste, elle aurait dû être capable d’exprimer les concepts de base du Falun Gong après avoir pratiqué la philosophie pendant deux ans et trois mois. Il fallait accorder peu de poids aux photographies et à la lettre d’une personne qui prétendait pratiquer le Falun Gong avec Mme Qi au Milliken Park de Toronto, étant donné les conclusions défavorables en matière de crédibilité.

IV.  Question en litige

[9]  La seule question en litige que soulève la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

V.  Norme de contrôle

[10]  La Cour procède au contrôle de la décision de la SAR selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au par. 48). La Cour ne doit intervenir que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). Il est satisfait à ces critères si les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux par. 85‑86, citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

VI.  Analyse

[11]  Les demandeurs n’ont pas souscrit d’affidavits personnels à l’appui de leur demande. La demande n’est étayée que par l’affidavit d’un employé du cabinet de leur avocat.

[12]  L’affidavit produit à l’appui d’une demande de contrôle constitue « l’une des principales sources pour saisir les préoccupations du demandeur à l’égard des processus décisionnels » (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 [Ebrahimshani], au par. 20, citant la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 491, au par. 14). Cependant, l’absence d’un affidavit personnel ne porte pas nécessairement un coup fatal à la demande. En l’absence d’un affidavit, et donc d’une preuve fondée sur la connaissance personnelle, toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier (Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, aux par. 4‑10; Ebrahimshani, au par. 20, citant la décision Turcinovica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CFPI 164, au par. 14).

[13]  Les exigences relatives à la présentation d’un formulaire de FDA sont établies dans les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256. Le formulaire de FDA est destiné à fournir des détails sur le demandeur, sa famille, les documents connexes, les antécédents de voyage et les raisons pour lesquelles la demande d’asile est présentée. La présomption de véracité du témoignage sous serment d’un demandeur d’asile peut être réfutée lorsqu’il n’a pas fourni d’explication raisonnable pour justifier des omissions importantes (Tellez Picon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 129, au par. 12).

[14]  Le demandeur d’asile peut fournir des détails dans son témoignage qui ne figurent pas dans son formulaire de renseignements personnels sans que sa crédibilité soit mise en doute, à moins que les omissions aient une incidence importante sur l’issue de la demande (Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547, aux par. 18‑20). Bien que le défaut de mentionner des faits importants ou des faits clés relatifs à la persécution soit un motif raisonnable de préoccupation, l’omission d’un détail accessoire ne l’est pas (Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, aux par. 17‑18). L’accumulation de contradictions ou d’omissions dans la demande d’asile du demandeur peut sous‑tendre une conclusion négative quant à sa crédibilité (Gomez Florez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 659, au par. 28).

[15]  En l’espèce, l’arrestation du mari de Tian Lu et les efforts répétés du BSP pour trouver les demandeurs étaient directement liés à leurs allégations de persécution. La SAR a raisonnablement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs en raison de ces omissions et de leur excuse peu convaincante qu’il ne leur était jamais venu à l’esprit que ces incidents pouvaient être pertinents.

[16]  La SAR a raisonnablement conclu que Mme Qi n’a pas été en mesure de fournir une explication satisfaisante pour justifier son départ de Chine près d’un mois après son mari. L’absence de documents de voyage et l’incapacité des demandeurs d’expliquer leurs déplacements à destination du Canada ont encore plus miné la crédibilité de leur récit.

[17]  Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que Mme Qi n’était pas véritablement une adepte du Falun Gong. Cependant, la SAR a souligné que le Falun Gong n’est pas une religion, mais une philosophie. Contrairement aux religions, la pratique du Falun Gong nécessite « suffisamment de connaissances pour ce faire. Le Falun Gong ne repose pas uniquement sur la foi, comme c’est le cas des religions. »

[18]  Selon la jurisprudence de notre Cour, « la norme à laquelle les demandeurs d’asile doivent satisfaire pour établir leur identité religieuse est très peu exigeante », y compris en ce qui concerne le Falun Gong (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 288, au par. 59; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1057, au par. 19‑20). Quoi qu’il en soit, la SPR est en droit de poser des questions au demandeur d’asile sur des principes de base de sa foi pour établir si son histoire est crédible. Il est loisible à la SPR de ne pas croire un demandeur dont les connaissances ne concordent pas avec la durée et l’ampleur de ses activités religieuses.

[19]  Pour évaluer l’authenticité des croyances religieuses d’un demandeur, la SPR ne peut pas « poser des questions futiles » (Jia v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 33, au par. 17, citant la décision Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 288, aux par. 59‑61). Les questions et l’analyse qui en a résulté doivent de fait porter sur l’authenticité de ces croyances et non sur leur exactitude théologique (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139, au par. 26).

[20]  La SAR a reconnu que Mme Qi avait « fait montre de certaines connaissances au sujet du Falun Gong », mais était d’accord avec la SPR pour dire que ces connaissances étaient « au mieux superficielles ». Elle n’a pas été en mesure d’expliquer les principes de base du Falun Gong, et ses réponses aux questions étaient [traduction] « vagues et manquaient de détails et de profondeur ». Compte tenu de ses autres conclusions défavorables quant à la crédibilité, la SAR pouvait conclure que Mme Qi n’était pas véritablement une adepte du Falun Gong.

VII.  Conclusion

[21]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour d’avril 2020.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4403‑19

 

INTITULÉ :

YANHONG QI ET GUANG ZHENG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Ian Mason

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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