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     T-1721-95

     AFFAIRE INTÉRESSANT une requête en vue d'obtenir

     une ordonnance d'interdiction en vertu

     du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets

     et de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)

ENTRE :

     ABBOTT LABORATORIES, LIMITED

     et ABBOTT LABORATORIES,

     requérantes,

     - et -

     NU-PHARM INC.

     et LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

     En vertu de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)1, les requérantes (Abbott) sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le ministre) de délivrer un avis de conformité à l'intimée Nu-Pharm Inc. (Nu-Pharm) relativement aux comprimés de 1 mg, 2 mg, 5 mg et 10 mg [TRADUCTION] " du médicament appelé chlorhydrate de térazosine " jusqu'à l'expiration des lettres patentes canadiennes nE 1,081,229 (le brevet d'Abbott). Un autre brevet d'Abbott mentionné dans la requête est expiré et n'est plus en litige.

     Le brevet d'Abbott est intitulé [TRADUCTION] "chlorhydrate dihydraté 1-(4-amino-6,7-diméthoxy-2-quinazolinyl)-4-(2-tétrahydrofuroylique) pipérazine" appelé aussi chlorhydrate de térazosine dihydraté. Ce médicament est un antihypertenseur servant à contenir l'hypertension artérielle. Le brevet d'Abbott expirera le 8 juillet 1997 et la présente instance sommaire deviendra alors théorique.

     Le brevet d'Abbott vise le chlorhydrate de térazosine dihydraté. Dans l'avis d'allégation de Nu-Pharm, dans la liste de brevets d'Abbott ainsi que dans l'avis de requête introductive d'instance, ce médicament est appelé chlorhydrate de térazosine. La liste de brevets indique le numéro exact du brevet d'Abbott. Les parties savaient précisément quel médicament était en cause. À mon avis, les deux ont parlé de chlorhydrate de térazosine alors qu'elles voulaient en réalité parler de chlorhydrate de térazosine dihydraté. Nu-Pharm soutient que la demande d'Abbott doit être rejetée pour la seule raison que le nom du médicament figurant sur la liste de brevets est incomplet; cet argument est rejeté. La forme ne doit pas en effet l'emporter sur le fond, particulièrement en l'absence d'incertitude ou d'ambiguïté.

     Dans son avis d'allégation du 23 juin 1995, Nu-Pharm dit :

     [TRADUCTION]         
     OBJET : Chlorhydrate de térazosine         
     La présente constitue un avis d'allégation aux termes de l'alinéa 5(3)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).         
     Relativement au brevet no 1081229, nous alléguons qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par nous de comprimés contenant du chlorhydrate de térazosine.         
     L'allégation qui précède est fondée en droit et dans les faits sur ce qui suit.         
     Dans le brevet no 1081229, les revendications sont limitées au chlorhydrate de térazosine fabriqué conformément à certains procédés.         
     Si Nu-Pharm reçoit un avis de conformité pour des comprimés de chlorhydrate de térazosine avant l'expiration du brevet no 1081229, elle n'utilisera que du chlorhydrate de térazosine fabriqué au moyen d'un procédé qui ne contrefait pas les revendications du brevet no 1081229. Nous sommes disposés à divulguer les détails du procédé qui ne contrefait pas le brevet en cause, moyennant une entente ou une ordonnance de confidentialité.         

     Le brevet d'Abbott énonce ses revendications pertinentes, et Nu-Pharm a révélé en ces termes son procédé de préparation du chlorhydrate de térazosine dihydraté :


     [TRADUCTION]

Brevet d'Abbott (Revendications)

1. Un procédé de préparation de la base libre de chlorhydrate [de térazosine] dihydraté, comportant la préparation d'une suspension de consistance épaisse [de térazosine] dans un alcool inférieur, le chauffage de cette suspension de consistance épaisse à une température d'environ 35 à 40EC, l'ajout d'acide chlorhydrique aqueux concentré, le chauffage du mélange à une température d'environ 70 à 75EC puis la récupération du chlorhydrate [de térazosine] dihydraté.

2. Un procédé conforme à la revendication 1, dans lequel l'alcool inférieur est l'éthanol ou un alcool dénaturé.

3. Un procédé conforme à la revendication 2, dans lequel la première étape de chauffage est effectuée à une température d'environ 35EC et la deuxième étape à une température d'environ 70EC.

...

6. Le chlorhydrate [de térazosine] dihydraté, lorsqu'il est préparé conformément au procédé décrit dans les revendications 1, 2 ou 3, ou au moyen d'un équivalent chimique évident.

[Non souligné dans l'original.]

Procédé de Nu-Pharm

La base libre de térazosine (10 g, 25,8 mmol) est suspendue dans l'eau (20 ml). 10 N HCl (3,52 g, 25,8 mmol HCI) est ajouté à la suspension, ce qui entraîne la formation d'une solution. Cette solution est remuée à la température ambiante pendant 15 à 24 heures au cours desquelles le produit se cristallise. Le mélange est filtré et le filtrat est nettoyé à l'eau froide pour donner le sel de chlorhydrate de térazosine dihydraté désiré (rendement, environ 90 %).

     Le mémoire d'Abbott expose les trois étapes de chaque procédé :

              Première étape         

     Revendication no 1 du brevet

Suspension de consistance épaisse de la base libre de térazosine dans un alcool inférieur et chauffage de cette suspension à une température de 35EC à 40EC

     Procédé de Nu-Pharm

Suspension de consistance claire de la base libre de térazosine dans l'eau

              Deuxième étape         

     Revendication no 1 du brevet

Ajout d'acide chlorhydrique aqueux concentré produisant un mélange qui est ensuite chauffé à une température d'environ 70 à 75EC

     Procédé de Nu-Pharm

Ajout de 10 N HCl à la suspension ce qui entraîne la formation d'une solution



              Troisième étape         

     Revendication no 1 du brevet

Récupération du chlorhydrate de térazosine dihydraté

     Procédé de Nu-Pharm

Mélange de la solution à la température ambiante pendant 15 à 24 heures au cours desquelles le produit se cristallise. Filtrage du mélange et nettoyage du filtrat à l'eau froide pour en retirer le chlorhydrate de térazosine dihydraté

     Deux différences sautent aux yeux. Le solvant revendiqué dans le brevet d'Abbott est un alcool inférieur, tandis que le procédé de Nu-Pharm utilise de l'eau. La deuxième différence concerne la température. Une chaleur externe est appliquée au mélange de base libre de térazosine et à l'alcool inférieur avant et après l'ajout d'acide chlorhydrique aqueux concentré. Tout le procédé de Nu-Pharm se déroule à la température ambiante.

     Nu-Pharm prétend qu'il existe une troisième différence. Dans son procédé, une " suspension de consistance claire " de base libre de térazosine est préparée dans l'eau tandis que le brevet d'Abbott précise qu'il faut préparer une " suspension de consistance épaisse " de base libre de térazosine dans un alcool inférieur. La preuve ne révèle pas de différence importante entre la préparation d'une " suspension de consistance épaisse " [" slurrying "] et celle d'une " suspension de consistance claire " [" suspending "] de la base libre dans le solvant. Les experts, y compris ceux de Nu-Pharm, emploient ces mots (" slurrying " et " suspending ") indifféremment. J'attache peu d'importance, s'il en est, à cette prétendue différence.

     Selon moi, la présente affaire porte sur la pertinence des deux premières différences. Le procédé de Nu-Pharm, qui utilise de l'eau au lieu de l'alcool inférieur et dans lequel la solution est remuée à la température ambiante sans application de chaleur externe, est-il un équivalent chimique évident au sens de la revendication 6 du brevet d'Abbott?

     Évidemment, Nu-Pharm répond à cette question par la négative. L'essentiel de ses prétentions est exposé dans les extraits suivants des déclarations de ses témoins :

     a) L'affidavit du 6 octobre 1995 du docteur K.S. Keshava Murthy, le directeur des Affaires scientifiques d'ACIC (Canada) Inc. et l'un des inventeurs du procédé de Nu-Pharm :         
     [TRADUCTION]         
     36.      À mon avis, l'utilisation de l'alcool inférieur dans lequel est préparée la suspension de consistance épaisse de base libre de térazosine, le chauffage de cette suspension à une température d'environ 35 à 40EC, l'ajout d'acide chlorhydrique aqueux concentré et le chauffage subséquent du mélange à une température encore plus élevée (70 à 75EC) sont les éléments essentiels du procédé de fabrication défini par le [brevet d'Abbott].         
     37.      Sans l'inclusion de toutes ces étapes dans le procédé de fabrication du chlorhydrate de térazosine dihydraté, il n'y aurait aucun procédé défini pour la fabrication du chlorhydrate de térazosine dihydraté dans le [brevet d'Abbott]. Les revendications dépendantes nos 2 à 5 renforcent mes conclusions à l'égard de ce brevet.         
     ...         
     65.      Le procédé [de Nu-Pharm] utilise de l'eau, du HCl (acide chlorhydrique) et une base libre de térazosine, les éléments constitutifs du chlorhydrate de térazosine dihydraté. Le procédé se déroule à la température ambiante (20 à 25EC).         
     66.      Le procédé [de Nu-Pharm] diffère donc de celui revendiqué dans le [brevet d'Abbott]. Hormis l'ajout des éléments constitutifs courants (base libre de térazosine, eau et HCl), les procédés sont différents.         
     ...         
     72.      Le procédé [de Nu-Pharm] et les différences entre ce dernier et celui défini et revendiqué dans le [brevet d'Abbott] n'étaient pas évidents à la date du [brevet d'Abbott]. En fait, le [brevet d'Abbott] ne renferme aucun exposé spécifique à l'égard des autres procédés qui peuvent servir à produire du chlorhydrate de térazosine dihydraté. Le [brevet d'Abbott] ne donne aucune raison pour la restriction relative au procédé spécifique non plus que pour la restriction relative à l'utilisation de l'alcool et de la chaleur dans le procédé revendiqué.         
     73.      À mon avis, les personnes versées dans l'art qui lisent le [brevet d'Abbott] concluraient que l'utilisation de l'alcool et de la chaleur est essentielle à l'utilisation efficace du procédé de fabrication du chlorhydrate de térazosine dihydraté à l'aide du procédé défini et revendiqué.         
     74.      À mon avis, les personnes versées dans l'art qui lisent le [brevet Abbott] concluraient aussi que le breveté n'a pas prévu qu'un autre procédé puisse être employé efficacement pour produire du chlorhydrate de térazosine dihydraté.         
     b) L'affidavit du 10 octobre 1995 du docteur Robert A. McClelland, professeur au département de chimie de l'Université de Toronto :         
     [TRADUCTION]         
     25.      Un chimiste organicien qui possède une certaine expérience du domaine des procédés de cristallisation sait que le succès ou l'échec de la cristallisation d'un composé dépend de l'utilisation de conditions précises relatives au solvant et à la température. Ainsi, compte tenu des fourchettes de température relativement étroites qui sont prévues, un chimiste organicien qui lit les revendications et la divulgation du [brevet d'Abbott] comprendrait que ces températures sont essentielles pour obtenir du chlorhydrate de térazosine dihydraté.         
     26.      Le procédé [de Nu-Pharm] et celui revendiqué dans le [brevet d'Abbott] ne fonctionnent pas de la même façon.         
         a)      Le [brevet d'Abbott] exige des températures élevées tandis que le procédé [de Nu-Pharm] fonctionne à la température ambiante;         
         b)      Le solvant utilisé dans le [brevet d'Abbott] est un alcool inférieur tandis que celui utilisé dans le procédé [de Nu-Pharm] est de l'eau. Les alcools inférieurs tendent à être de bons solvants pour la plupart des composés organiques mais sont peu efficaces pour les sels. Au contraire, l'eau est un excellent solvant pour les sels mais pas pour la plupart des composés organiques.         
     27.      Le procédé [de Nu-Pharm] et le procédé [d'Abbott] sont des cristallisations. Selon la vaste expérience que j'ai acquise en une trentaine d'années dans le domaine de la chimie organique, il est très difficile de prévoir les bons solvants et les conditions de cristallisation d'un composé organique, ou de sels de composés organiques. En particulier, ayant été informé d'un ensemble de conditions comme dans le [brevet d'Abbott], il ne m'apparaît pas évident qu'un changement concernant des solvants et des températures différents fonctionnerait.         
     c) L'affidavit du 10 octobre 1995 du docteur James B. Hendrickson, professeur au département de chimie de l'Université Brandeis         
     [TRADUCTION]         
     22.      Le [brevet d'Abbott] est très précis au sujet des points suivants :         
         a)      l'utilisation d'un alcool inférieur comme solvant;         
         b)      la température à laquelle le procédé est chauffé.         
     23.      Dans le procédé [de Nu-Pharm], l'eau sert de solvant et aucune chaleur n'est requise.         
     24.      À mon avis, une personne versée dans l'art comprendrait que le breveté a voulu que le procédé se déroule dans ces conditions précises.         

     La prétention d'Abbott selon laquelle le procédé de Nu-Pharm est un équivalent chimique évident à celui révélé dans la revendication no 1 du brevet d'Abbott est appuyée par les témoins suivants :

     a) L'affidavit de M. Wayne R. Heitmann, chercheur principal au service de développement des produits chimiques d'Abbott Laboratories :         
     [TRADUCTION]         
     15.      Le procédé [de Nu-Pharm] imite simplement celui du brevet d'Abbott en le reproduisant dans un solvant différent. Pour toute personne versée dans l'art, cette modification est banale parce que les caractéristiques de solubilité de la base libre de térazosine, du chlorhydrate de térazosine et du chlorhydrate de térazosine dihydraté sont les mêmes que ce soit dans l'alcool inférieur ou dans l'eau, ainsi qu'il est indiqué dans le tableau suivant :         

Base libre de térazosine

Chlorhydrate de térazosine

Chlorhydrate de térazosine dihydraté

alcool inférieur

presque insoluble

très soluble

peu soluble

eau

presque insoluble

très soluble

peu soluble

     16.      Évidemment, les caractéristiques de solubilité dans l'alcool inférieur sont prévues dans le brevet d'Abbott. Il est facile de retrouver les caractéristiques de solubilité dans l'eau dans le Merck Index, (onzième édition, 1989, Merck & Co., Inc.), sous la rubrique " Terazosin ", que je joins au présent affidavit en annexe B. Évidemment, pour les personnes versées dans l'art, le Merck Index est une monographie de référence de base courante. Cet index indique que le chlorhydrate de térazosine est environ 31 fois plus soluble dans l'eau que le chlorhydrate de térazosine dihydraté (761,2 mg/ml contre 24,2 mg/ml).         
     ...         
     20.      Remplacer un solvant (l'alcool inférieur) par un solvant équivalent (l'eau) n'a pas d'incidence sur le fonctionnement du procédé. La nature même de l'invention révélée et revendiquée par le brevet d'Abbott se trouve dans le procédé [de Nu-Pharm].         
     ...
     22.      [Au paragraphe 26 de son affidavit] M. Robert McClelland prétend clairement ce qui suit :         
         a)      il y a une différence dans la façon dont les deux procédés fonctionnent;         
         b)      les deux procédés diffèrent en ce qui a trait à leurs températures;         
         c)      pour dissoudre les sels, l'eau est un meilleur solvant que les composés organiques;         
     23.      Pour ce qui est de la prétention a) relative à la différence entre les procédés :         
             Les deux procédés font réagir la base libre de térazosine avec l'acide chlorhydrique, ce qui est le procédé essentiel à examiner; les deux procédés dissolvent le sel qui en résulte : le brevet d'Abbott propose l'éthanol comme solvant (voir l'exemple 2, page 6, formule 3A 190 alcool de laboratoire qui, par définition, inclut 5 % d'eau) tandis que le procédé [de Nu-Pharm] dissout le sel de chlorhydrate dans l'eau seulement. Par conséquent, le procédé chimique est clairement identique aux deux procédés (formation de sel de chlorhydrate et hydratation avec deux molécules d'eau);         
     24.      Pour ce qui est de la prétention b) relative aux différences de température :         
             L'utilisation de l'éthanol proposée dans le brevet d'Abbott exige des températures plus élevées pour s'assurer que la totalité des molécules de chlorhydrate de térazosine se dissolvent bien dans l'alcool. Il s'agit simplement d'un facteur de solubilité. Comme dans la plupart des cas, plus la température est élevée, plus la solubilité est grande. Lorsque l'eau est utilisée comme solvant, il n'est pas nécessaire que la température soit élevée, étant donné que le chlorhydrate de térazosine est facilement soluble à la température ambiante. La différence de température n'est donc que momentanée et ne se rapporte qu'aux caractéristiques de solubilité et non aux réactions chimiques essentielles qui se produisent.         
     25.      Pour ce qui est de la prétention c) relative au choix de l'eau comme solvant :         
             M. Robert McClelland confirme mon argument selon lequel, d'après les caractéristiques de solubilité seules, il était évident de penser à utiliser l'eau. Le brevet d'Abbott propose néanmoins l'utilisation de l'alcool inférieur en raison des caractéristiques physiques préférables du produit, c'est-à-dire la dimension des particules ou la structure cristalline par opposition à la nature chimique du produit de chlorhydrate de térazosine dihydraté.         
     ...         
     27.      Le commentaire du docteur McClelland au sujet de l'imprévisibilité du succès de la cristallisation en fonction des modifications de solvants et de températures [au paragraphe 27 de son affidavit] est généralement vrai. Toutefois, en l'espèce, l'utilité de l'eau comme solvant était très prévisible sinon directement calculable à partir des données de la documentation. Je mentionne cela en raison de l'abondance des renseignements disponibles sur la solubilité des chlorhydrates de térazosine dans l'eau. Par exemple, des renseignements sur la solubilité se trouvent dans le brevet d'Abbott et des renseignements additionnels sont disponibles auprès de sources comme le Merck Index.         
     28.      En outre, je crois que l'identité des réactions chimiques principales qui se produisent, et non le solvant dans lequel elle se produisent, établit l'équivalence chimique évidente. Dans ce cas, les réactions chimiques principales sont identiques. Les deux procédés fonctionnent exactement de la même façon.         
     b) L'affidavit du 12 décembre 1995 du docteur George Just, professeur de chimie organique à l'Université McGill :         
     [TRADUCTION]         
     18.      Pour plusieurs bonnes raisons (abondance, sécurité, facilité de manipulation, etc.), dans la plupart des synthèses chimiques industrielles l'eau est le solvant préféré. Il est par conséquent des plus évident de songer à l'eau comme remplacement possible de l'alcool inférieur. En l'espèce, cela est particulièrement évident en raison du contenu du brevet, que je commenterai.         
     19.      Dans le brevet, à la ligne 3 de la page 3, il est dit que le chlorhydrate de térazosine est très soluble dans l'eau. Toujours à la page 3 du brevet, aux lignes 24 et 25, il est en outre dit que la forme chlorhydrate de térazosine dihydraté est moins soluble dans l'eau que le chlorhydrate de térazosine. En outre, ces mêmes renseignements sont à la portée de tous les chimistes dans le bien connu Merck Index [source : Merck Index, 11th and Centennial Edition, sous la rubrique " Terazosin " jointe au présent affidavit en annexe B). Ainsi, pour toute personne versée dans l'art, il est manifestement évident que la production de chlorhydrate de térazosine dans l'eau mènerait à la cristallisation ou à la précipitation de sa forme dihydratée moins soluble, de la même façon qu'elle est obtenue dans un alcool inférieur. L'utilisation de l'eau est en outre rendue évidente parce qu'une certaine quantité d'eau est naturellement requise pour hydrater le chlorhydrate de térazosine dans sa forme dihydratée.         
     20.      À mon avis, pour un chimiste travaillant à la mise à l'échelle, il aurait été évident d'adapter le procédé décrit dans le brevet en s'abstenant d'utiliser de l'alcool inférieur et en effectuant la réaction dans l'eau. Telle aurait été la solution évidente et logique au problème de la fabrication à plus grande échelle, pourvu que le produit résultant ait la pureté requise.         
     21.      Mettre à l'échelle un produit (du laboratoire à l'usine) oblige souvent à procéder à de légères modifications comme changer de solvant, réduire son volume, utiliser une température différente, remplacer un acide ou une base par un autre et essayer de réduire les coûts de production en diminuant les produits chimiques excédentaires utilisés dans le cadre du procédé, etc. Il s'agit de techniques de base connues des personnes versées dans l'art.         

     Selon Nu-Pharm, le brevet d'Abbott ne décrit qu'un procédé pour fabriquer le chlorhydrate de térazosine dihydraté. Ce procédé utilise un alcool inférieur contenant peu d'eau et exige deux étapes d'application de chaleur externe. Les revendications nos 2 et 3 réitèrent expressément l'utilisation d'un alcool inférieur, tel que " l'éthanol ou un alcool dénaturé " et une étape de chauffage en deux volets " à une température d'environ 35EC " et " à une température d'environ 70EC ". Aucun autre solvant n'est proposé dans les revendications nos 1, 2 ou 3. Compte tenu de ce qui précède, Nu-Pharm conclut que l'utilisation de l'alcool et de la chaleur est une caractéristique essentielle du brevet d'Abbott et que l'utilisation de l'eau à la température ambiante n'est pas visée par l'équivalent chimique évident mentionné à la revendication no 6.

     En contre-interrogatoire, Nu-Pharm a confronté les témoins d'Abbott au moyen des documents suivants : a) un article de 1991 sur la térazosine dont les employés d'Abbott sont les auteurs et qui donne à croire que [TRADUCTION] " ... le composé se dégrade dans un acide aqueux faible à la température ambiante et se dégrade rapidement dans un acide aqueux faible et une base aqueuse faible à des températures élevées "; et b) un brevet américain d'Abbott de 1995 qui révèle que [TRADUCTION] " le clivage acide de la térazosine, ...se produit rapidement dans un milieu aqueux ". J'ai examiné les notes sténographiques. Ce contre-interrogatoire ne m'a pas permis de conclure que l'inventeur du procédé décrit dans le brevet d'Abbott n'envisageait pas l'eau comme solvant efficace.

     Pour Abbott, l'utilisation possible de l'eau comme solvant dans le cadre du procédé décrit dans son brevet est évidente. Il faut de l'eau pour fabriquer le chlorhydrate de térazosine dihydraté et c'est le solvant le plus couramment utilisé dans la synthèse des médicaments. L'alcool inférieur utilisé dans le brevet d'Abbott contient 5 p. 100 d'eau. L'acide chlorhydrique aqueux concentré (HCl) contient de l'eau. Abbott renvoie aussi à certaines divulgations de son brevet portant que le chlorhydrate de térazosine est [TRADUCTION] " très soluble dans l'eau " et que la forme dihydratée du chlorhydrate de térazosine est moins soluble dans l'eau que le chlorhydrate de térazosine.

     La prétention d'Abbott qu'appuie l'affidavit de M. Heitmann au paragraphe 24, est que la température requise dépend du choix du solvant dans lequel la dissolution doit se faire. J'accepte cette prétention. En conséquence, le rôle du solvant dans la préparation du chlorhydrate de térazosine dihydraté devient la question centrale.

     Au cours des première et deuxième étapes du procédé, la base libre de térazosine est suspendue dans le solvant et, après l'ajout de l'acide chlorhydrique aqueux concentré, elle forme le chlorhydrate de térazosine. C'est à cette étape que le chlorhydrate de térazosine se dissout dans le solvant. À la troisième étape, les molécules de chlorhydrate de térazosine acquièrent deux autres molécules d'eau pour former le chlorhydrate de térazosine dihydraté. Pour en faciliter la récupération dans la solution, le chlorhydrate de térazosine dihydraté doit alors avoir une faible solubilité dans l'eau. Par conséquent, le solvant doit être un liquide dans lequel le chlorhydrate de térazosine est très soluble, mais moins le chlorhydrate de térazosine dihydraté. Je tire ces conclusions en me fondant sur l'affidavit de M. Heitmann, surtout les paragraphes 15 et 24.

     Abbott fait valoir que les caractéristiques de solubilité du chlorhydrate de térazosine et du chlorhydrate de térazosine dihydraté dans l'eau sont au moins inférées, sinon révélées, par le brevet. En tout état de cause, les chimistes avaient facilement accès à ces renseignements en consultant le Merck Index, qui indique aux personnes versées dans l'art que le chlorhydrate de térazosine est soluble dans l'eau et que le chlorhydrate de térazosine dihydraté peut facilement être récupéré de l'eau en raison de sa faible solubilité dans l'eau. Ainsi qu'il a été souligné au paragraphe 16 de l'affidavit de M. Heitmann : [TRADUCTION] " [Le Merck Index ] indique que le chlorhydrate de térazosine est environ 31 fois plus soluble dans l'eau que le chlorhydrate de térazosine dihydraté (761,2 mg/ml contre 24,2 mg/ml) ". Ces informations tirées du Merck Index étaient disponibles avant la publication des deux documents sur lesquels Nu-Pharm s'est fondée dans son contre-interrogatoire des témoins d'Abbott.

     Le docteur James B. Hendrickson, l'un des témoins de Nu-Pharm, a exprimé sa surprise à l'égard des résultats positifs obtenus à l'aide du procédé de Nu-Pharm. Selon lui :

     [TRADUCTION]         
     " Vous mettez la base libre et, pour obtenir le chlorhydrate dihydraté, vous devez ajouter le HCl, ce qu'ils ont d'abord fait, ensuite celui-ci se dissout et alors il ne doit pas se cristalliser avec deux moles d'eau... se dihydrate et cela prend apparemment du temps à se former et il en ressort une solution. Je crois que c'est toute une découverte. Je n'ai jamais rien vu qui fonctionnait aussi bien de cette façon, que vous le dissolvez et qu'après un certain temps, 24 heures, il ressort ". (Dossier de la requérante, p. 480)         

Compte tenu des données publiées dans le Merck Index, je n'ai pas été en mesure de m'expliquer l'étonnement du docteur Hendrickson à l'égard du succès du procédé de Nu-Pharm.

     C'est en fonction des données contenues dans le Merck Index, que pouvaient aisément consulter les personnes versées dans l'art, que je conclus que l'utilisation de l'eau dans le procédé Nu-Pharm est un équivalent chimique évident du brevet d'Abbott. Il est intéressant de souligner le parallèle entre la pertinence du Merck Index en l'espèce et la référence faite par le juge Richard à un manuel d'introduction des étudiants du premier cycle en chimie organique dans Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1995), 60 C.P.R. (3d) 417. En concluant que le procédé de Novopharm constituait l'équivalent chimique évident de l'un des procédés révélés dans les revendications d'Eli Lilly, le juge Richard a dit à la page 439 :

     D'après les preuves dont je dispose et vu le déroulement de la présente procédure, je suis d'avis que le processus de formation d'éther utilisé dans le procédé Fermion est chimiquement tout à fait équivalent à celui revendiqué dans le brevet de Lilly. Le but des deux réactions est la formation d'une liaison -C-O-C-. Le composé hydroxylé et le composé chloré sont tous deux présents dans la réaction, mais leur situation est inversée. Dans les deux réactions, l'hydroxyle fait partie du groupe d'attaque, le chlore se trouvant dans le groupe partant. Je souscris à l'opinion des témoins experts présentés par Lilly voulant que l'étape de la formation d'éther du procédé Fermion constitue une synthèse de Williamson et que cet autre mécanisme était suffisamment connu à l'époque de l'octroi du brevet pour être " manifeste ". Plus particulièrement, les deux réactions sont exposées et décrites dans un chapitre de l'ouvrage Organic Chemistry , le manuel d'introduction le plus connu au niveau du premier cycle dans les années 1970. Il appert clairement de ce manuel qu'à l'époque de la délivrance du brevet, il existait deux méthodes possibles pour l'obtention d'une liaison éther à l'aide de la synthèse de Williamson, savoir l'utilisation soit d'un ion halogénure d'alkyle, soit d'un ion halogénure d'aryle. En ce qui concerne les liaisons coupées et formées par les deux réactions, l'expert de Novopharm, le Dr Hendrickson, a indiqué au tout début que les liaisons coupées dans les deux procédés avaient des propriétés totalement différentes (contre-interrogatoire du Dr Hendrickson, aux p. 879 à 881), mais après une contre-vérification plus poussée, il a confirmé que les liaisons coupées et formées étaient en fait les mêmes (aux p. 795 à 799).         

     Pour ces motifs, vu les éléments de preuve présentés dans le cadre de la présente instance sommaire, la requête est accueillie. Abbott a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de Nu-Pharm relatives à la non-contrefaçon des revendications du brevet d'Abbott ne sont pas justifiées. En conséquence, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm relativement au médicament en cause jusqu'à l'expiration du brevet d'Abbott sera rendue. Il n'y aura pas d'ordonnance relative aux dépens à moins que les avocats, dans des observations écrites déposées d'ici une semaine, invoquent des raisons spéciales au sens de la règle 1618.

                     " Allan Lutfy "

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

9 juin 1997

Traduction certifiée conforme :             
                             C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :               T-1721-95
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Abbott Laboratories, Limited
                     et Abbott Laboratories,

     requérantes,

                     et
                     Nu-Pharm Inc. et
                     Le ministre de la Santé nationale,

     intimés.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATES DE L'AUDIENCE :          20 et 21 mai 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :              9 juin 1997

ONT COMPARU :

Me Jean-François Buffoni          POUR LES REQUÉRANTES

Me Marie Lafleur

Me Alain Leclerc

Me Harry B. Radomski          POUR L'INTIMÉE
Me I.M. Hughes              NU-PHARM INC.
Me André L'Espérance          POUR L'INTIMÉ

                     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Martineau Walker              POUR LES REQUÉRANTES

Avocats et procureurs

Montréal (Québec)

Goodman Phillips & Vineberg          POUR L'INTIMÉE

Toronto (Ontario)              NU-PHARM INC.

Me George Thompson              POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada      LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

__________________

1.      DORS/93-133 (12 mars 1993).

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