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Date : 20060421

Dossier : IMM‑4486‑05

Référence : 2006 CF 504

ENTRE :

ERIKA CARDENAS PARRALES

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

[1]        La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a conclu que Mme Parrales n’avait pas qualité de réfugié ni celle de personne à protéger en vertu des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) parce qu’il existe une possibilité de refuge intérieur sûr (la PRI) à Mexico, où la protection accordée par l’État est adéquate. Mme Parrales sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]        L’avocat du défendeur a présenté ses observations d’une façon claire et avec compétence, j’ai néanmoins conclu que la demande doit être accueillie pour le motif que l’analyse que la Commission a effectuée au sujet du second volet du critère relatif à la PRI n’était pas adéquate.

[3]        Mme Parrales est une citoyenne mexicaine âgée de 31 ans. Un résumé des faits qu’elle a divulgués est ici donné. Mme Parrales est née à Querétaro, où elle a passé presque toute sa vie. Elle est lesbienne et, parce qu’il lui était difficile d’admettre son orientation sexuelle, elle a suivi des séances de psychothérapie de 1993 à 1995. Elle a été victime de graves actes de violence de la part de civils et de la police, à Querétaro. En 1996, un groupe d’hommes l’ont agressée et l’ont grièvement blessée au nez. En 1998, un groupe de policiers l’ont qualifiée de « gouine » et l’ont battue. Elle a encore une fois été blessée au nez et elle a été obligée de subir une chirurgie reconstructive.

 

[4]        Pour diverses raisons, Mme Parrales n’a pas signalé ce dernier incident à la police. Elle s’est plutôt adressée à la Commission des droits de la personne, qui ne l’a toutefois pas aidée.

 

[5]        Mme Parrales espérait trouver un endroit plus libéral en s’installant à Monterrey, la troisième ville en importance au Mexique. Dans cette ville, elle s’est engagée dans une relation de longue durée. En 1999, sa partenaire et elle quittaient un bar lorsque trois policiers les ont abordées. Des hommes ont menacé la partenaire de Mme Parrales à la pointe du fusil pendant que l’un d’eux se livrait à une agression sexuelle sur la personne de Mme Parrales, en disant qu’il allait [traduction] « leur enseigner comment devenir de vraies femmes ». Les policiers ont bien averti les deux femmes de ne pas signaler l’agression et leur ont dit qu’on rirait d’elles si elles le faisaient.

 

[6]        Lorsque sa partenaire a noué une relation hétérosexuelle, le fiancé de cette dernière a menacé Mme Parrales et lui a dit qu’il était agent de police; Mme Parrales affirme avoir par la suite confirmé qu’il était un policier haut placé. En 2002, un groupe de policiers ont menacé Mme Parrales et lui ont dit qu’elle [traduction] « disparaîtrait » si elle ne partait pas d’elle‑même. Mme Parrales est retournée chez ses parents, à Querétaro, mais elle craignait de sortir de la maison. Elle a été atteinte d’une grave dépression et elle songeait à se suicider. Elle est retournée suivre une psychothérapie. Des antidépresseurs lui ont été prescrits. Enfin, elle déclare avoir fait l’objet de menaces, au mois de mars 2003, ce qui l’a amenée à quitter le Mexique.

 

[7]        La preuve que Mme Parrales a présentée au sujet des blessures qu’elle avait subies au nez (notamment de la chirurgie reconstructive) est corroborée par le rapport du Dr Salvador Lloret Medina, plasticien. Le fait qu’elle a suivi des séances de psychothérapie de 1993 à 1995 et en 2002 est corroboré par le rapport du Dr Rodolfo Dominguez.

 

[8]        À l’audience, interrogée au sujet de la question de savoir si elle avait cherché à se faire traiter depuis son arrivée au Canada, Mme Parrales a répondu par l’affirmative, mais le psychologue de langue espagnole qu’elle avait vu avait quitté la ville. Au moment où l’audience a eu lieu, elle ne recevait pas de traitement. Elle a témoigné que les épreuves qu’elle avait subies avaient complètement changé sa vie et qu’au Mexique, y compris à Mexico, elle vivrait en éprouvant constamment de la crainte.

 

[9]        Le critère concernant la PRI, qui comporte deux volets, est énoncé dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) et Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.). En premier lieu, la SPR doit être convaincue, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté là où se trouve la PRI. En second lieu, les conditions à l’endroit où il y a PRI doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu des circonstances dans leur ensemble et notamment de la situation personnelle du demandeur, de chercher refuge à cet endroit.

 

[10]      La décision de la Commission, pour ce qui est du premier volet du critère, ne peut pas être critiquée. Quarante‑six paragraphes de la décision sont consacrés à un exposé de la situation dans le pays et à la question de savoir s’il est satisfait au premier volet du critère. Par contre, deux paragraphes seulement sont consacrés à l’analyse du second volet du critère.

 

[11]      La Commission conclut essentiellement que le rapport psychologique provenant du Mexique n’est pas utile parce qu’il se rapporte à une époque antérieure. On fait remarquer que Mme Parrales [traduction] « semblait être en bonne santé », qu’elle est instruite et qu’elle est une jeune femme en possession de ses moyens et pleine de ressources. Compte tenu de toutes les circonstances, il ne lui serait pas déraisonnablement difficile de s’installer dans la région offrant une PRI.

 

[12]      Il était sans aucun doute loisible à la Commission de conclure à l’existence d’une PRI, à Mexico. Cela dit, il est, à mon avis, manifestement déraisonnable d’arriver à cette conclusion sans faire mention de la situation particulière de Mme Parrales, et plus précisément des épreuves qu’elle a subies. Mme Parrales a été victime de graves actes de violence et notamment d’agression sexuelle (la Commission a réprouvé l’agression, qu’elle a qualifiée d’inexcusable) de la part de membres des services de police mexicains. La preuve documentaire satisfait au premier volet du critère applicable à la PRI, mais la SPR n’a pas énoncé les conclusions factuelles sur lesquelles elle s’était fondée pour dire qu’il n’était pas déraisonnable, dans le cas de Mme Parrales, de chercher refuge à Mexico. La Commission a uniquement rejeté l’incident survenu en 2003, et elle n’a pas examiné le reste de la preuve présentée par Mme Parrales, qu’elle semble avoir retenue, dans l’analyse qu’elle a effectuée au sujet du caractère raisonnable de la PRI dont disposait Mme Parrales.

 

[13]      La SPR doit énoncer en toutes lettres les motifs pour lesquels elle tire la conclusion à laquelle elle est arrivée. En l’espèce, les motifs fournis sont inadéquats, eu égard aux circonstances. En examinant la situation particulière de Mme Parrales, la Commission serait peut‑être arrivée à la même conclusion au sujet d’une PRI. Toutefois, les motifs de la Commission, comme elle les a énoncés, ne me permettent pas d’arriver à cette conclusion.

 

[14]      Pour les motifs susmentionnés, la demande sera accueillie. Les avocats n’ont pas proposé de question à certifier et, eu égard aux faits, aucune question n’est soulevée.

 

 

                              « Carolyn Layden‑Stevenson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 21 avril 2006

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4486‑05

 

INTITULÉ :                                       ERIKA CARDENAS PARRALES

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 AVRIL 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jamie Todd

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                             

 

Raoul Boulakia

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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