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Date : 20200318


Dossier : IMM‑1522‑19

Référence : 2020 CF 389

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

GLENDA SERNICULA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire concerne la décision d’un agent d’immigration (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) de rejeter la demande de résidence permanente de la demanderesse au titre du Programme des aides familiaux résidants (le PAFR). L’époux de la demanderesse a été déclaré interdit de territoire pour motifs sanitaires aux termes du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et la demanderesse a donc été déclarée interdite de territoire aux termes de l’article 42 de la LIPR.

[2]  La demanderesse est une citoyenne des Philippines, qui est venue au Canada en février 2012 au titre du PAFR. Les deux enfants et l’époux de la demanderesse vivent aux Philippines. En novembre 2014, après avoir satisfait aux exigences de travail au titre du PAFR, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente. Toutefois, après avoir procédé aux examens médicaux réglementaires, l’époux de la demanderesse a reçu un diagnostic de maladie du rein chronique.

[3]  En juillet 2018, la demanderesse a reçu une lettre d’IRCC mentionnant que l’état de santé de son époux était susceptible d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé canadiens. La demanderesse, avec l’aide d’un avocat, a présenté un plan de soins individualisé pour démontrer que son époux n’entraînerait pas un fardeau excessif pour les services de santé canadiens. À titre subsidiaire, la demanderesse a demandé que sa famille soit exemptée de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires sur la base de considérations d’ordre humanitaire.

[4]  Le ou vers le 28 février 2019, la demanderesse a reçu une lettre d’IRCC indiquant que sa demande de résidence permanente était rejetée sur le fondement d’une interdiction de territoire pour motifs sanitaires.

[5]  La demanderesse soutient que l’agent n’a pas procédé à une appréciation individualisée du plan de soins pour son époux. La demanderesse soutient également que l’agent a commis une erreur en exerçant de manière déraisonnable son pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation des facteurs d’ordre humanitaire. En particulier, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants, en ne tenant pas compte des éléments de preuve contradictoires pertinents et en fondant la décision sur des hypothèses.

[6]  Pour les motifs exposés plus loin, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Les faits

A.  La demanderesse

[7]  Mme Glenda Sernicula (la demanderesse) est une citoyenne des Philippines âgée de 41 ans. Les deux enfants de la demanderesse, Riza Mae (16 ans) et Russ Gerald (14 ans), ainsi que son époux, M. Russell Pedrosa, résident aux Philippines. Avant de venir au Canada, la demanderesse a travaillé comme représentante élue au conseil barangay de son village aux Philippines, gagnant environ 73 $CA par mois. L’époux de la demanderesse, M. Pedrosa, a travaillé comme conducteur de tricycle, faisant des livraisons dans le village.

[8]  Le 6 février 2012, la demanderesse est venue au Canada dans le cadre du PAFR, afin d’offrir une éducation à ses enfants. La demanderesse a envoyé des versements d’environ 675 $CA par mois aux Philippines, pour couvrir les frais de subsistance et de scolarité de ses enfants.

[9]  Après avoir satisfait aux exigences en matière de travail, la demanderesse a présenté, en novembre 2014, une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des aides familiaux et y a déclaré son époux ainsi que ses deux enfants à titre de personnes à charge qui l’accompagnaient. Toutefois, après un examen médical effectué par un médecin désigné d’IRCC, M. Pedrosa a reçu un diagnostic de maladie du rein chronique.

[10]  Le 18 juillet 2018, la demanderesse a reçu une lettre d’IRCC portant que M. Pedrosa était considéré comme une personne ayant [traduction« un état de santé risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé au Canada », aux termes du paragraphe 38(1) de la LIPR.

[11]  En réponse à cette lettre, le ou vers le 18 décembre 2018, la demanderesse a présenté des observations et des éléments de preuve décrivant un plan de soins individualisé pour M. Pedrosa, plan qui démontrait que M. Pedrosa n’entraînerait pas un fardeau excessif pour les services de santé canadiens. Dans le plan de soins, il était expliqué que M. Pedrosa demeurerait aux Philippines, où il reçoit des soins médicaux, est entouré de membres de sa famille et peut s’occuper de sa mère. À titre subsidiaire, la demanderesse a demandé une exemption de l’interdiction de territoire pour des considérations d’ordre humanitaire. Ces considérations étaient axées sur l’établissement de la demanderesse au Canada, les difficultés financières et l’intérêt supérieur de ses enfants. Dans les observations, il était souligné que les frais d’études des enfants de la demanderesse s’élevaient à environ 942 $CA par année, montant que la demanderesse est actuellement en mesure de payer à partir de son revenu au Canada, mais dont elle ne pourrait s’acquitter si elle devait retourner aux Philippines.

B.  La décision sous‑jacente

[12]  Le ou vers le 28 février 2019, la demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée en raison de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires de M. Pedrosa, aux termes du paragraphe 38(1) et de l’article 42 de la LIPR.

[13]  Dans la décision, l’agent a pris acte de la demande de la demanderesse visant à modifier le statut de M. Pedrosa dans la demande pour celui de personne à charge qui « ne l’accompagne pas ». Toutefois, après avoir fait remarquer que [traduction« retirer une personne d’une demande de résidence permanente ne devrait être fait que dans des circonstances exceptionnelles et ne devrait pas être fait pour surmonter une interdiction de territoire connue ou soupçonnée », l’agent a rejeté la demande de retirer M. Pedrosa de la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse.

[14]  L’agent a pris note de l’opinion du médecin agréé d’IRCC selon laquelle l’état de M. Pedrosa nécessiterait un traitement médical dont le coût serait d’environ 92 000 $ par année et une possible transplantation rénale au coût de 100 000 $. L’agent a conclu qu’il n’y avait aucune raison de contester les déclarations du médecin agréé et a donc conclu que M. Pedrosa était interdit de territoire aux termes du paragraphe 38(1) de la LIPR. En application de l’alinéa 42(1)a) de la LIPR, l’agent a conclu que la demanderesse était également interdite de territoire et a rejeté sa demande de résidence permanente.

[15]  En ce qui concerne les considérations d’ordre humanitaire, l’agent a fait remarquer que M. Pedrosa était tenu de payer environ 1 497 $CA chaque année pour ses traitements médicaux aux Philippines et qu’il devrait engager des coûts de 1 565 $CA pour ses médicaments. Bien qu’il ait pris acte de la contribution de la demanderesse aux frais et aux traitements médicaux de M. Pedrosa aux Philippines, l’agent a conclu que les soins médicaux dont bénéficiait M. Pedrosa ne dépendaient pas de la résidence et de l’emploi de la demanderesse au Canada. L’agent a mentionné l’assurance maladie de M. Pedrosa auprès de la Philippine Health Insurance Corporation et le fait que M. Pedrosa avait présenté une demande de financement auprès des organismes Persons with Disabilities et Philippines Charity Sweepstakes pour l’aider à assumer le coût des médicaments et des traitements. L’agent a également conclu que la preuve documentaire n’appuyait pas la prétention de la demanderesse selon laquelle elle serait incapable de trouver un emploi ou de payer les frais médicaux si elle retournait aux Philippines.

[16]  De plus, l’agent a conclu que les enfants de la demanderesse [traduction« continue[raient] de recevoir l’amour, les soins et le soutien de leurs parents et d’autres membres de leur famille aux Philippines et au Canada, et [qu’]ils [auraient] également accès aux soins de santé et à une éducation » si la demanderesse devait retourner aux Philippines. L’agent a conclu que l’argument de la demanderesse selon lequel elle ne serait pas en mesure de payer les frais de scolarité de ses enfants si elle retournait aux Philippines était [traduction« hypothétique ». L’agent a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve documentaire objective démontrant que la demanderesse serait incapable de trouver un emploi aux Philippines. Par conséquent, l’agent a conclu que le retour de la demanderesse aux Philippines n’affecterait pas de façon négative ses enfants.

[17]  L’agent a fait remarquer que le travail de la demanderesse au Canada [traduction« lui donn[ait] plus de pouvoir d’achat grâce au dollar canadien » et que la capacité de trouver un emploi aux Philippines [traduction« [pouvait] être imprévisible », mais il a finalement conclu que l’article 25 de la LIPR ne visait pas à [traduction« compenser la différence en termes de niveau de vie entre le Canada et les autres pays ».

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[18]  Les questions en litige soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

[19]  Avant l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la norme de la décision raisonnable s’appliquait au contrôle de la décision rendue par un agent d’immigration dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la LIPR : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au par. 44 [Kanthasamy]; Douti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1042, au par. 4; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 988, au par. 24. Il n’y a pas lieu de déroger à la norme de contrôle appliquée dans la jurisprudence antérieure, étant donné que l’application du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov impose la même norme de contrôle : la décision raisonnable.

[20]  Comme l’ont souligné les juges majoritaires dans l’arrêt Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). En outre, « la cour de révision doit être convaincue [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

IV.  Les dispositions applicables

[21]  Le paragraphe 38(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Motifs sanitaires

38 (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

Health grounds

38 (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

(a) is likely to be a danger to public health;

(b) is likely to be a danger to public safety; or

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

[22]  L’alinéa 42(1)a) de la LIPR est ainsi libellé :

Inadmissibilité familiale

42 (1) Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

Inadmissible family member

42 (1) A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

[23]  En vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre peut dispenser des exigences de la loi l’étranger qui présente une demande de résidence permanente et qui est interdit de territoire au titre de l’article 42 de la LIPR, s’il estime que les circonstances sont justifiées par des considérations d’ordre humanitaire, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

V.  Analyse

A.  La considération relative à l’intérêt supérieur des enfants

[24]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants en ne tenant pas compte de la preuve pertinente et contradictoire, et en fondant ses conclusions sur des hypothèses non étayées par la preuve dont il disposait. Tel qu’il a été mentionné précédemment, le paragraphe 25(1) de la LIPR dispose que l’intérêt supérieur de l’enfant touché par une demande de résidence permanente doit être pris en considération lorsqu’une demande visant à lever l’interdiction de territoire est présentée pour des considérations d’ordre humanitaire. La demanderesse souligne l’accent que la Cour suprême du Canada a mis, dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817, sur l’importance de l’analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant dans les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire. La demanderesse fait référence aux lignes directrices ministérielles sur l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant, intitulées « Évaluation des considérations d’ordre humanitaire : Intérêt supérieur de l’enfant », qui énoncent que le décideur doit se montrer « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’appréciation des observations relatives aux considérations d’ordre humanitaire, et qu’il doit tenir compte de tous les éléments de preuve présentés par un demandeur en rapport avec la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[25]  La demanderesse soutient que l’agent a omis d’examiner convenablement la preuve démontrant qu’elle ne pouvait pas trouver d’emploi dans son domaine (baccalauréat ès sciences en gestion d’hôtels et de restaurants) lorsqu’elle vivait aux Philippines. La demanderesse avait déjà fait remarquer qu’elle était venue au Canada dans le cadre du PAFR, parce que son revenu, combiné à celui de M. Pedrosa, était insuffisant pour assurer l’éducation de leurs enfants. La demanderesse fait valoir que l’agent a omis d’examiner les coûts liés à l’éducation de ses enfants ainsi que son incapacité à satisfaire ce besoin si elle devait retourner aux Philippines.

[26]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en omettant de fournir les motifs pour lesquels la preuve contradictoire n’avait pas été considérée comme pertinente ou digne de foi : Simpson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 970, au par. 44; Lugo Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1241, au par. 2; Terigho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 835, au par. 9. La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas non plus examiné la preuve concernant la discrimination systémique, fondée sur l’âge dans l’emploi, à laquelle elle serait exposée aux Philippines. De plus, la demanderesse soutient que l’hypothèse de l’agent selon laquelle elle serait en mesure de payer les frais d’études de ses enfants aux Philippines est purement spéculative. La demanderesse s’appuie sur plusieurs précédents pour étayer cette proposition : Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 824, au par. 62 [Begum]; Shchegolevich c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 527, au par. 11 [Shchegolevich].

[27]  Le défendeur soutient que l’agent a correctement apprécié l’intérêt supérieur des enfants. Il soutient que la décision relative aux considérations d’ordre humanitaire est raisonnable, parce que l’agent a bien apprécié la situation des enfants dans son ensemble et a accordé un poids important à l’intérêt supérieur des enfants. Le défendeur cite Brambilla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1137, et Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, aux par. 4 à 7, pour appuyer la proposition selon laquelle, bien que l’intérêt supérieur des enfants doive être pris en compte, il ne constitue pas nécessairement un facteur déterminant. Le défendeur souligne que l’agent a estimé que les enfants de la demanderesse continueraient de recevoir [traduction« l’amour, les soins et le soutien de leurs parents » et qu’ils auraient [traduction« accès aux soins de santé et à une éducation ».

[28]  De plus, le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement conclu que l’argument de la demanderesse – selon lequel elle ne serait pas en mesure de payer les frais de scolarité de ses enfants – était hypothétique. L’agent a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve documentaire objective donnant à penser que la demanderesse ne serait pas en mesure de trouver un emploi aux Philippines. Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement apprécié l’ensemble de la preuve et qu’il a correctement appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Kanthasamy.

[29]  À mon avis, l’agent a commis une erreur en omettant d’examiner convenablement la preuve concernant l’intérêt supérieur des enfants. Quant à l’observation de la demanderesse selon laquelle elle ne serait pas en mesure de payer les frais de scolarité de ses enfants si elle retournait aux Philippines, l’agent a conclu, de façon déraisonnable, qu’elle était [traduction« hypothétique ». La demanderesse avait clairement mentionné qu’elle gagnait 73 $CA par mois lorsqu’elle travaillait aux Philippines, et, même avec ce que gagnait son époux, à l’époque, en tant que conducteur de tricycle, leurs revenus n’étaient pas suffisants pour couvrir les frais d’études des enfants. Je souligne qu’à l’heure actuelle, l’époux de la demanderesse est incapable de travailler en raison de la maladie du rein chronique dont il souffre, et que la demanderesse est maintenant l’unique source de revenus pour l’ensemble des quatre membres de la famille. Même si la demanderesse avait la chance d’occuper un poste semblable à son retour en tant que représentante élue du village, gagnant 73 $CA par mois, elle n’aurait tout simplement pas les moyens de payer 78,58 $CA par mois (943 $CA par année) pour les frais de scolarité des enfants. La famille serait laissée dans l’indigence, prise avec un solde négatif chaque mois, et sans argent pour payer les frais médicaux de M. Pedrosa ainsi que les dépenses quotidiennes de la famille.

[30]  D’après les faits de l’espèce, les chiffres donnent une idée claire de l’incapacité financière; toutefois, l’agent a omis d’examiner la preuve et a conclu de façon déraisonnable que les observations de la demanderesse étaient [traduction« hypothétiques ». Je conclus que c’est plutôt l’agent qui a suivi un raisonnement spéculatif en fondant la décision sur des hypothèses non étayées par les faits (voir Begum et Shchegolevich, précitées). Suivant ce raisonnement irrationnel, en concluant que les enfants continueraient à avoir [traduction« accès aux soins de santé et à une éducation », l’agent a commis une erreur dans l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants.

[31]  De plus, la demanderesse a présenté une preuve documentaire montrant une discrimination systématique fondée sur l’âge dans l’emploi aux Philippines. La demanderesse, en tant que femme dans la quarantaine, serait exposée à la discrimination, surtout dans les pratiques d’embauche. Il est bien établi qu’il est déraisonnable pour un agent de ne pas fournir les motifs pour lesquels des éléments de preuve contradictoires n’ont pas été considérés comme pertinents ou dignes de foi (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF)]. Lorsqu’il a tiré la conclusion selon laquelle [traduction« il n’y avait aucune preuve documentaire objective démontrant que la demanderesse serait incapable de trouver un emploi aux Philippines », l’agent a omis d’examiner convenablement la preuve et de fournir les raisons pour lesquelles la preuve n’était pas pertinente.

[32]  Pour les motifs exposés précédemment, la décision de l’agent est déraisonnable.

B.  Le plan de soins individualisés pour M. Pedrosa

[33]  Comme la décision de l’agent est déraisonnable, je ne juge pas nécessaire d’examiner la deuxième question.

VI.  Les questions à certifier

[34]  On a demandé aux avocates des deux parties s’il y avait des questions à certifier. Chacune a affirmé qu’il n’y avait pas de questions à certifier, et je suis d’accord.

VII.  Conclusion

[35]  L’agent a omis d’examiner convenablement la preuve et a commis une erreur en fondant la décision sur des hypothèses non étayées par les faits. L’agent a aussi omis de fournir les raisons pour lesquelles des éléments de preuve contradictoires n’ont pas été jugés pertinents ou dignes de foi. De manière générale, l’agent a commis une erreur dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse, en particulier au regard de la capacité des enfants à poursuivre leurs études.

[36]  Je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1522‑19

LA COUR STATUE :

« Shirzad A. »

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de mai 2020

C. Laroche, traducteur



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