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Date : 20200327


Dossier : IMM‑1660‑19

Référence : 2020 CF 441

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

MARILYN CRISTINA RUBIO SIERRA, ERIK ENRIQUE ESPINAL VANEGAS et BRIANNA ESPINAL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS


I.  Contexte

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présenté en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], relativement à une décision défavorable datée du 23 janvier 2019 [la décision] rendue à l’issue d’un examen des risques avant renvoi [ERAR]. Les demandeurs demandent à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer le dossier pour réexamen.

[2]  Les demandeurs sont Mme Sierra, M. Espinal Vanegas (son époux) et leur fille. Mme Sierra est citoyenne du Honduras, M. Espinal Vanegas est citoyen du Salvador, et leur fille est citoyenne des États‑Unis et du Honduras.

[3]  Les demandeurs ont déjà demandé l’asile au Canada. En décembre 2010 et janvier 2011, les demandeurs sont entrés au Canada et ont demandé l’asile en raison de menaces et d’extorsions dirigées contre eux par un groupe criminel nommé Mara Salvatrucha (MS‑13). La SPR leur a refusé l’asile le 19 mars 2012, principalement parce que leurs risques n’étaient pas suffisamment personnalisés. Autrement dit, la SPR a conclu que tous les citoyens du Salvador et du Honduras couraient généralement le risque d’être pris pour cible par le MS-13. La Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire de cette décision le 11 septembre 2012. Les demandeurs ont quitté le Canada le 22 janvier 2013.

[4]  Les demandeurs ont également présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en juin 2012 avant de quitter le Canada. La demande a été rejetée le 12 juillet 2013, en raison d’une preuve documentaire insuffisante.

[5]  Le 31 mai 2018, les demandeurs sont revenus au Canada, puis ont de nouveau demandé l’asile. Leur demande a été rejetée, car ils avaient déjà été expulsés du pays. Frappés d’une mesure d’expulsion, ils ont eu la possibilité de demander la protection dans le cadre d’un ERAR, ce qu’ils ont fait en juin 2018. Le 23 janvier 2019, leur demande a été rejetée.

[6]  C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs m’implorent d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre décideur.

[7]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. J’expose mes motifs ci‑après.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[8]  L’agent d’immigration [l’agent] a produit le résultat de l’ERAR sous la forme du formulaire normalisé, auquel il a joint ses notes. L’agent a dûment énoncé, comme principal motif pour rejeter la demande de protection, que les demandeurs [traduction« ne seraient pas exposés au risque d’être persécutés ou d’être soumis à la torture, et qu’ils ne seraient pas exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils étaient renvoyés dans leur pays de nationalité ou de résidence habituelle ».

[9]  Dans ses motifs, l’agent a décrit les éléments de preuve présentés dans la demande d’ERAR, y compris le récit de M. Espinal Vanegas concernant les actes de violence que les demandeurs avaient subis au Salvador et au Honduras entre 2013 et 2014, leurs voyages aux États‑Unis et, finalement, leur retour au Canada.

[10]  L’agent a ensuite résumé la décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) par laquelle leur demande d’asile était rejetée. Ce faisant, la SPR a conclu que les risques auxquels les demandeurs étaient exposés étaient de nature générale, c’est‑à‑dire que la population générale du Salvador ou du Honduras était exposée au même risque, à savoir d’être pris pour cible par le MS‑13. Le risque ne comportait aucun caractère personnel.

[11]  L’agent a ensuite évalué les éléments de preuve déposés avec la demande d’ERAR. Il a souligné que, lorsque la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a déjà rendu une décision dans le dossier, seuls de nouveaux éléments de preuve établissant un risque pour les demandeurs sont pertinents à l’étape de l’ERAR : voir alinéa 113a) de la LIPR. Il a conclu que l’affidavit de M. Espinal Vanegas et les observations écrites de son conseil ne satisfaisaient pas à ce critère, parce que ces nouveaux éléments de preuve ne démontraient pas que les demandeurs étaient exposés à un nouveau risque personnalisé.

[12]  Ensuite, l’agent a fait remarquer qu’une demande d’ERAR ne constitue pas un appel de la décision de la SPR, citant un passage de l’arrêt Escalona Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, au par. 5 [Perez], à l’appui de l’énoncé selon lequel un ERAR ne tient compte que du « risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision ».

[13]  L’agent a ensuite examiné un certain nombre d’observations supplémentaires, comme des documents d’identité, de la documentation relative aux interactions des demandeurs avec le système d’immigration du Canada et la Cour, des dénonciations policières, des rapports médicaux, un affidavit de M. Espinal Vanegas, un affidavit du cousin de M. Espinal Vanegas [le témoignage du cousin], des photographies de cicatrices, des lettres de soutien et de la preuve sur la situation dans le pays au Honduras et au Salvador. En fin de compte, l’agent a conclu que les éléments de preuve dont il disposait ne différaient pas beaucoup de ceux que les demandeurs avaient déposés à la SPR auparavant et qu’il n’était pas en mesure d’établir l’existence d’un nouveau risque. Il a également conclu que la preuve sur la situation dans le pays ne présentait aucun nouveau risque.

III.  Les questions en litige et norme de contrôle

[14]  Dans leurs observations présentées de vive voix à l’audience, les demandeurs ont fait valoir que la norme de contrôle devait être celle de la décision raisonnable. Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent est déraisonnable, parce qu’il a fait fi des éléments de preuve dont il disposait ou qu’il les a mal interprétés en comparant les faits à la décision de 2012 rendue par la SPR, en accordant un poids inadéquat aux éléments de preuve que les demandeurs ont qualifiés de nouveaux dans la demande d’ERAR, et en faisant une lecture erronée de la preuve sur la situation dans le pays. Les demandeurs soutiennent également que l’agent a commis une erreur en concluant que le risque pour les demandeurs était de nature générale aux fins de l’analyse relative à l’article 97.

[15]  Le défendeur soutient que la décision de l’agent était raisonnable.

[16]  Je suis d’accord avec la caractérisation du défendeur : la décision était‑elle raisonnable?

[17]  La Cour suprême a déjà statué sur la question dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La Cour n’a pas demandé d’autres observations au sujet de la norme de contrôle, et les avocats n’ont pas demandé à en fournir. Après avoir passé en revue le récent examen par la Cour suprême du cadre du droit administratif canadien, je juge qu’il faudrait trancher la question en litige dans la présente instance selon la norme de la décision raisonnable. Je ne vois aucune raison de réfuter la présomption existante selon laquelle la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux par. 16 et 17).

IV.  Les points de vue des parties

A.  La décision était‑elle raisonnable?

[18]  Les demandeurs font valoir les arguments suivants :

1.  L’agent a fait fi des éléments de preuve dont il disposait ou les a mal interprétés en comparant les faits à la décision de 2012 de la SPR;

2.  L’agent a accordé un poids inadéquat aux nouveaux éléments de preuve accompagnant la demande d’ERAR;

3.  L’agent a mal évalué les éléments de preuve sur la situation dans le pays;

4.  L’agent a commis une erreur en concluant que les demandeurs étaient exposés à un risque de nature générale aux fins de l’analyse liée à l’article 97.

(1)  Le point de vue des demandeurs

[19]  En ce qui concerne le premier point, celui des éléments de preuve mal interprétés ou non pris en compte, les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en concluant que la preuve dont il disposait en ce qui concerne le risque était la même que celle du dossier de la SPR. Ils soutiennent, en s’appuyant sur la décision rendue par la Cour dans Guerrero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1210, au par. 29, que l’agent a confondu les motifs des risques avec les risques eux‑mêmes. Par conséquent, les demandeurs prétendent que l’agent n’a pas examiné adéquatement les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, car il avait jugé a) qu’ils n’étaient pas nouveaux et b) qu’ils portaient sur un risque de nature générale seulement. Les demandeurs font valoir que les faits de 2012 sont différents des circonstances énoncées dans leur demande d’ERAR, mais que l’agent de persécution est le même.

[20]  Au sujet du second point, celui du poids inadéquat accordé à la preuve, les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte de ce que les éléments de preuve contenaient, mais qu’il a, à tort, porté son attention sur ce qu’ils ne contenaient pas. En outre, ils trouvent que l’agent a commis une erreur en accordant peu de poids au témoignage du cousin, l’agent ayant trouvé que cet élément de preuve était biaisé et que son auteur avait un intérêt dans l’issue de l’affaire. Les demandeurs soulignent que presque tous les éléments de preuve sont présentés dans l’intérêt de la partie qui les dépose.

[21]  En ce qui concerne le troisième point, à savoir l’évaluation par l’agent de la preuve relative à la situation dans le pays, les demandeurs soutiennent que le commissaire a commis une erreur en concluant que les nouveaux documents sur les conditions dans le pays ne [traduction« l’emportaient pas sur la conclusion du tribunal selon laquelle [...] le risque auquel les demandeurs sont exposés est généralisé ». Ils affirment que la preuve appuie la conclusion selon laquelle il existe un risque personnalisé, et que les brefs motifs donnés n’étaient pas suffisamment clairs ni transparents.

[22]  En ce qui concerne le quatrième point, les demandeurs soutiennent également que les exclusions fondées sur le risque généralisé ne devraient s’appliquer que dans les cas où il existe des « situations extrêmes [...] qui toucherai[en]t tous les habitants d’un pays donné », d’après les observations de la Cour dans l’arrêt Surajnarain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1165, aux par. 18 et 19. Les demandeurs soutiennent que ce n’est pas l’ensemble de la population du Honduras et du Salvador qui fait face aux mêmes risques que ceux auxquels les demandeurs ont été exposés aux mains du MS‑13, de sorte que leur risque n’est pas de nature générale. Ils citent plusieurs arrêts de la Cour selon lesquels lorsqu’un risque généralisé se concrétise et cible une personne, on ne peut plus le qualifier de général (Correa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 252, aux par. 46, 84 et 89; Martinez Pineda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 365, aux par. 13 à 15 et 17).

(2)  Le point de vue du défendeur

[23]  Le défendeur affirme que les demandeurs demandent à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve soumise à l’agent. Il soutient qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que le risque était généralisé dans la présente affaire. Il précise également que l’agent a mené une évaluation raisonnable de la preuve et qu’il a bien fait de lui attribuer peu de poids.

V.  Analyse

A.  La décision était‑elle raisonnable?

[24]  Le caractère raisonnable de la décision fera l’objet d’un contrôle en deux parties : d’abord, je dois me demander si l’agent a évalué de façon déraisonnable les éléments de preuve qu’il avait entre les mains. Je devrai ensuite me demander si, à la lumière de son évaluation de la preuve, ses conclusions étaient raisonnables dans l’ensemble.

(1)  Le droit applicable

[25]  L’ERAR est un moyen d’évaluer, en « dernier recours », si une personne a qualité de réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés au titre de l’article 97 de la LIPR ou si elle est exposée à un risque de torture, de traitements ou peines cruels ou inusités selon en fonction des nouveaux éléments de preuve présentés depuis la dernière évaluation (habituellement celle effectuée par la SPR). Comme l’a déclaré la juge Mactavish dans la décision Hausleitner c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 641, au par. 32, l’évaluation des risques à l’étape de l’ERAR ne doit pas être un réexamen de la décision de la SPR. Elle doit plutôt se limiter à l’examen des nouveaux éléments de preuve.

(2)  L’appréciation de la preuve par l’agent

[26]  Comme il a été mentionné précédemment, la norme de contrôle de la décision raisonnable accorde à l’agent d’ERAR un degré élevé de discrétion au moment d’évaluer ou d’apprécier des éléments de preuve.

[27]  L’agent a examiné cinq ensembles d’éléments de preuve : (1) le dossier de documents personnels nº 1, (2) le dossier de documents personnels nº 2, (3) le dossier de documents personnels nº 3, (4) la preuve documentaire sur la situation au Honduras, et (5) la preuve documentaire sur la situation au Salvador.

[28]  Compte tenu de ce que comportaient les dossiers de documents personnels nº 1 et nº 2, j’estime qu’il était raisonnable pour l’agent de ne pas en tenir compte. Aucun de ces dossiers ne contient de l’information au sujet des nouveaux risques auxquels les demandeurs ont été exposés. Le dossier nº 1 contenait des documents établissant l’identité des demandeurs. Le second contenait des documents provenant de demandes d’asile et de demandes de dispense pour motifs d’ordre humanitaire qui sont antérieures. Les demandeurs ne semblent pas remettre en question l’évaluation par l’agent de ces éléments de preuve, car ils ne sont pas pertinents à l’égard de leur demande d’ERAR.

a)  Le dossier de documents personnels nº 3

[29]  Le dossier de documents personnels nº 3 contient (1) des dénonciations policières, (2) des rapports médicaux, (3) le témoignage du cousin, (4) des photographies de cicatrices, et (5) des lettres d’appui de pasteurs canadiens. L’agent a accordé peu de poids aux dénonciations policières, aux rapports médicaux et au témoignage du cousin pour diverses raisons, que les demandeurs mettent en doute. Il a aussi accordé peu de poids aux lettres d’appui, chose que les demandeurs ne contestent pas.

[30]  Voici donc les éléments restants, ceux dont les demandeurs contestent l’évaluation : (1) les dénonciations policières, (2) les rapports médicaux, (3) le témoignage du cousin, et (4) les photos de cicatrices.

[31]  Je ne vois pas de problème avec le fait que l’agent a accordé peu de poids à la preuve d’ordre médical, à savoir les rapports médicaux et les photos de cicatrices. En effet, la preuve contenue dans les rapports médicaux constitue du ouï‑dire et les photos de cicatrices ne contenaient aucun renseignement identifiant les demandeurs. Il aurait pu s’agir de photographies de n’importe qui. De plus, l’agent a accordé peu de poids — et non aucun poids — à ces éléments de preuve; il n’en a pas complètement fait fi.

[32]  En ce qui concerne le témoignage du cousin et les dénonciations policières, j’estime que l’analyse de l’agent comporte des lacunes. L’agent a accordé peu de poids au témoignage du cousin, parce qu’il ne provenait pas d’une [traduction« source impartiale et désintéressée par l’issue de la présente demande » et qu’il n’était [traduction« pas appuyé par des éléments de preuve objectifs suffisants ». Il est difficile de produire des éléments de preuve qui satisferont un agent, surtout dans les cas où des témoins ont des raisons de ne pas communiquer avec la police et d’obtenir un appui objectif à leur demande au moyen d’un rapport de police officiel ou d’un autre document.

[33]  De plus, comme l’a expliqué le juge Teitelbaum dans l’arrêt Ray c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 731, au par. 39 :

Je reconnais avec le demandeur que l’agente d’ERAR a eu tort d’accorder peu de valeur probante aux lettres au motif que les lettres vont dans le sens de l’intérêt personnel du demandeur. Le simple fait que les lettres aient été écrites par des membres de la famille du demandeur ne constitue pas, sans autre preuve de déloyauté ou autre conduite répréhensible de la part des proches concernés, une raison suffisante pour n’accorder que peu de valeur à leurs lettres. Toutefois, l’agente d’ERAR n’a pas décidé, uniquement sur ce fondement, d’accorder peu de poids auxdites lettres. [...]

[34]  L’agent a affirmé que le témoignage du cousin n’était pas corroboré par d’autres éléments de preuve; cela signifie toutefois qu’il faut alors se demander quel type de preuve corroborante aurait pu être produit, compte tenu des circonstances alléguées par le cousin du demandeur. Je suis préoccupé par le fait que l’agent n’a pas fourni de justification suffisante pour accorder peu de poids au témoignage du cousin.

[35]  En l’espèce, les demandeurs ont également produit trois dénonciations policières (datées du 2 mai 2014, du 22 mai 2014 et du 2 octobre 2014), en plus du témoignage du cousin. Les dénonciations policières décrivent des risques qui sont nouveaux par rapport à ceux que la SPR a évalués. Deux des dénonciations policières portent sur des événements qui se sont produits au Salvador, et la troisième, à un événement survenu au Honduras. Le risque pour les demandeurs a semblé s’accroître, surtout à la lumière de la dénonciation policière au Honduras en octobre 2014, où les demandeurs ont allégué que des coups de feu avaient été tirés dans leur direction. Malgré les preuves de dénonciations policières et le témoignage du cousin, l’agent a simplement conclu que la preuve objective présentée n’était pas suffisante pour démontrer que les demandeurs avaient épuisé [traduction« tous les recours éventuels de protection de l’État offerts dans leur pays ». L’agent a tiré cette conclusion en dépit du fait qu’il y avait eu dénonciation policière dans deux pays, que l’un des agents de police du Salvador avait recommandé aux demandeurs de quitter le pays, ce qu’ils ont fait, avant de subir de nouveaux actes de violence, probablement de la part des mêmes criminels au Honduras. Il est difficile de déterminer le poids que l’agent a accordé aux dénonciations policières comparativement à celui accordé aux autres éléments de preuve.

b)  La preuve sur la situation au Honduras et au Salvador

[36]  Les demandeurs ont fourni des éléments de preuve sur la situation dans les pays, lesquels mettent en lumière les conditions dangereuses qui prévalent au Salvador et au Honduras. Selon l’agent, il s’agissait de [traduction« renseignements généraux » qui n’établissaient pas l’existence d’un risque personnel. Dans Kaba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 647, au par. 1, le juge Shore a conclu qu’en elle‑même, la preuve documentaire sur la situation dans le pays (sans lien suffisant avec le demandeur) ne suffit pas à justifier une évaluation du risque favorable pour le demandeur.

[37]  Il est vrai qu’à eux seuls, les éléments de preuve sur les conditions dans le pays n’établissent pas l’existence d’un risque personnel. Cependant, l’agent a examiné la preuve relative aux conditions dans le pays de façon isolée, sans procéder à un examen plus approfondi des dénonciations policières et du témoignage du cousin, qui mettent en lumière la nature personnalisée et croissante du risque pour les demandeurs.

c)  La comparaison alléguée de l’agent avec la décision de la SPR — éléments « de même nature »

[38]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en concluant que les faits qui lui ont été présentés n’avaient pas à être pris en compte, parce qu’ils n’étaient pas différents de ceux que la SPR avait déjà examinés. Ils s’appuient sur les commentaires du juge Diner dans la décision Valencia Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1 [Valencia Martinez] relativement à l’argument selon lequel les agents ne peuvent pas simplement affirmer que les éléments de preuve sont « de même nature » avant de les rejeter. Les agents doivent procéder à une évaluation complète des nouveaux éléments de preuve qui leur sont présentés.

[39]  Selon ce que je comprends des observations du juge Diner dans l’arrêt Valencia Martinez, l’agent ne peut se contenter de dire uniquement que les éléments de preuve sont « de même nature ». L’agent a souligné à plusieurs reprises qu’il s’agissait d’éléments de preuve de même nature que ceux dont disposait la SPR. Il s’agit d’une simplification excessive des choses. L’évaluation par la SPR du risque au Honduras en 2012 avait trait au recrutement du frère de Mme Sierra au sein d’un groupe criminel, tandis que le risque présenté dans la demande d’ERAR (juin 2018) portait sur des coups de feu tirés en direction du véhicule des demandeurs, vraisemblablement par des membres du MS‑13. En simplifiant les choses de façon excessive et en affirmant que les risques sont les mêmes, ou essentiellement les mêmes, l’agent n’a pas pris conscience des nouveaux éléments de preuve présentés. La décision relative à l’ERAR est longue, et l’agent explique chaque élément de preuve, mais j’estime qu’il y a des lacunes dans la justification du peu de poids accordé à la preuve des nouveaux risques et à l’augmentation du niveau de risque.

d)  Les conclusions de l’agent

[40]  Les éléments de preuve les plus convaincants dont disposait l’agent à l’appui du fait que les demandeurs étaient exposés à de nouveaux risques semblaient être les dénonciations policières et le témoignage du cousin. L’agent a jugé qu’il devait accorder peu de poids à ces éléments de preuve, en raison de leurs lacunes. L’agent a conclu que [traduction« la documentation n’établit pas que les demandeurs sont des personnes d’intérêt ou qu’ils sont activement ciblés ou recherchés par des membres d’un groupe criminel ou par qui que ce soit d’autre ».

[41]  J’estime que l’agent a apprécié de façon déraisonnable le témoignage du cousin et les dénonciations policières au moment d’établir si les demandeurs avaient déposé une preuve présentant de nouveaux risques. Dans l’arrêt Vavilov, au par. 86, la Cour suprême du Canada affirme que les décisions doivent non seulement être justifiables, mais également justifiées. J’estime que le raisonnement de l’agent est insuffisant et qu’il ne peut être maintenu.

VI.  Conclusion

[42]  La décision de l’agent relative à l’examen des risques avant renvoi est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[43]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et à mon avis, la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1660‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de mai 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm‑1660‑19

INTITULÉ :

MARILYN CRISTINA RUBIO SIERRA, ERIK ENRIQUE ESPINAL VANEGAS et BRIANNA ESPINAL c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mars 2020

COMPARUTIONS :

Deanna Karbasion

POUR LES DEMANDEURS

 

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Loebach Law

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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