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Date : 20200331


Dossier : T-1538-18

Référence : 2020 CF 464

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa, le 31 mars 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

PEDRO PEDROSO

demandeur

et

AIR CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Pedro Pedroso, sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 9 août 2018, par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte qu’il avait déposée contre la défenderesse, Air Canada.

[2]  Le demandeur, qui se représente lui-même, allègue que la défenderesse a fait preuve de discrimination à son égard en raison de son âge, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la LCDP).

[3]  La Commission a rejeté la plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, en indiquant que, selon les éléments de preuve recueillis pendant l’enquête, la défenderesse ne semblait pas avoir refusé d’embaucher le demandeur en raison de son âge.

[4]  Le demandeur n’a exposé aucun motif de réparation distinct ou connu dans sa demande. Dans l’avis de demande, à l’endroit où il devait indiquer la réparation précise sollicitée, le demandeur a indiqué [traduction] : « Discrimination fondée sur l’âge (60) », « La Commission canadienne des droits de la personne n’a pas fourni à l’enquêtrice tous les documents que j’avais déposés en preuve auprès de la Commission » et « Il manque mes documents. L’enquêtrice ne disposait d’aucun autre élément de preuve que les courriels que j’avais reçus de la défenderesse. J’ai des éléments de preuve, et je les ai tous communiqués à la CCDP ».

[5]  La défenderesse se dit d’avis que le demandeur tente d’obtenir une décision selon laquelle il a été traité de façon discriminatoire par Air Canada en raison de son âge. Cette thèse est compatible avec le formulaire de plainte et les arguments de ce dernier. La défenderesse cherche par ailleurs à obtenir le rejet de la demande, avec dépens.

[6]  En considération du fait que le demandeur se représente lui-même, je suis disposée à conclure que le demandeur sollicite la réparation habituelle, c’est-à-dire que la décision soit cassée, et l’affaire renvoyée aux fins d’une enquête nouvelle ou complémentaire.

II.  Question préliminaire

[7]  La défenderesse soulève la question préliminaire suivante : selon elle, les cinq documents joints à l’affidavit du demandeur ne sont pas admissibles en preuve, car ils n’avaient pas été produits devant la Commission.

[8]  Il existe quelques exceptions à la règle voulant qu’en contrôle judiciaire, on ne doive prendre en compte que les documents dont disposait le décideur initial. En effet, des exceptions s’appliquent si les éléments de preuve proposés : 1) contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions pertinentes; 2) pourraient révéler la présence de vices de procédure que l’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve dont disposait le tribunal; 3) sont présentés pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur au moment de tirer une conclusion déterminée : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au par. 20.

[9]  J’ai examiné les cinq pièces en question, et j’en conclus qu’aucune d’elles n’est visée par les précédentes exceptions. Même en tenant compte du fait que cette liste d’exceptions n’est pas exhaustive, les pièces présentées ne sont pas déterminantes aux fins de l’examen de la demande sur le fond. Elles exposent à nouveau ou corroborent des faits déjà au dossier — comme le contenu de la plainte initiale—, ou renferment des observations et des arguments ayant déjà été présentés à la Commission.

[10]  Pour les motifs susmentionnés, je conclus que les cinq pièces ne sont pas admissibles dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

III.  Contexte factuel

[11]  Le 11 juillet 2016, le demandeur a présenté sa candidature à un poste d’agent de bord bilingue affiché par la défenderesse. Il était âgé de 60 ans à ce moment-là, et travaillait en tant que préposé à l’entretien d’avions à l’Aéroport international d’Ottawa.

[12]  Le 22 août 2016, le demandeur a participé à une entrevue téléphonique de 20 minutes avec la défenderesse. Le lendemain, il a subi par téléphone un test de compétences linguistiques en espagnol et, la semaine suivante, des tests linguistiques en allemand et en anglais.

[13]  Dans sa plainte, le demandeur a indiqué à la Commission qu’il avait réussi tous les tests de langue et qu’il avait obtenu de très bons résultats. Il a ensuite passé en ligne un test d’intelligence globale de Thomas International (test GIA) d’une durée de 55 minutes.

[14]  Le demandeur déclare que l’objectif du test GIA est de prédire le temps qu’il faudra à une personne pour bien saisir en quoi consiste son nouveau rôle. Il est conçu pour mesurer la capacité mentale, la capacité de résolution de problèmes et l’adaptabilité du participant en vue de reconnaître des leaders potentiels.

[15]  Le demandeur pense qu’il a dû réussir le test d’intelligence, car il a ensuite été invité à une entrevue en personne au siège social d’Air Canada, à Montréal, le 1er octobre 2016.

[16]  C’est le résultat de l’entrevue en personne qui constitue le fait à l’origine de la présente demande de contrôle. L’entrevue a été menée par trois employés de la défenderesse, chacun ayant le titre d’associé en acquisition de talents. Le demandeur pensait que l’entrevue s’était très bien passée, mais, le 8 novembre 2016, il a reçu une lettre l’informant que sa candidature au poste n’avait pas été retenue.

[17]  Le 30 mai 2017, la Commission a reçu la plainte du demandeur. Celle-ci a été renvoyée pour enquête le 14 septembre 2017, et une enquêtrice a été nommée le 14 février 2018.

IV.  Le rapport d’enquête

[18]  Le rapport d’enquête (le rapport) a été établi le 14 mai 2018. Il y était recommandé que la Commission rejette la plainte du demandeur sur le fondement du sous-alinéa 44(3)b)(i). Comme il a déjà été mentionné, la Commission a accepté la recommandation et a rejeté la plainte.

[19]  Pour en arriver à cette recommandation, l’enquêtrice a interrogé chacun des associés en acquisition de talents qui étaient présents à l’entrevue en personne à Montréal. De plus, elle a interrogé la défenderesse pour obtenir des informations supplémentaires et a obtenu des statistiques liées à l’âge des personnes rencontrées en entrevue pour le même poste que le demandeur.

[20]  Pendant l’enquête, l’enquêtrice a discuté avec chacune des parties et les a interrogées. Au moment de l’établissement du rapport, elle a sollicité, reçu et examiné les observations présentées par toutes les parties en réponse au rapport. Elle a également reçu et examiné les observations de suivi dans lesquelles chacune des deux parties répondait aux observations de l’autre.

[21]  Je reviendrai sur ces observations dans la section « Analyse ».

A.  Absence d’élément de preuve attestant une discrimination fondée sur l’âge qui découlerait de l’entrevue en personne

[22]  Le demandeur a reçu un courriel dans lequel on l’invitait à se présenter à l’entrevue en personne, à Montréal, en lui demandant d’apporter alors avec lui une pièce d’identité et des attestations de sécurité. Le courriel indiquait que, s’il n’apportait pas tous les documents demandés, l’entrevue n’aurait pas lieu.

[23]  Le demandeur s’est donc exécuté et a apporté lesdits documents. Mais à présent, il s’oppose et affirme que certains des documents — comme son passeport et son permis de conduire — mentionnaient son âge, et que dès lors, la défenderesse connaissait celui-ci. Le demandeur s’appuie notamment sur ce fait pour affirmer qu’il aurait été victime de discrimination fondée sur l’âge, dans la mesure où sa candidature n’a pas été retenue.

[24]  L’enquêtrice a demandé à la défenderesse pourquoi les pièces d’identité en question étaient exigées. On lui a répondu qu’elles servaient à vérifier l’identité des candidats et à confirmer que les renseignements figurant dans leur demande d’emploi étaient corrects et qu’ils avaient les qualifications requises, comme la citoyenneté ou la résidence permanente. L’enquêtrice a accepté les précisions données par la défenderesse quant au fait que les pièces d’identité avaient été validées par des employés portant le titre de coordonnateurs en acquisition de talents, et que ceux-ci avaient été les seules personnes à les voir. Les documents relatifs à l’identité ne faisaient pas partie des documents utilisés pour l’entrevue.

[25]  L’enquêtrice était convaincue que, en ce qui concerne l’âge du demandeur, aucun des associés en acquisition de talents ayant interviewé le demandeur ne disposait de pièces d’identité indiquant son âge ni n’y avait eu accès. Quand ils ont été interrogés, tous ont nié avoir eu connaissance de l’âge du demandeur ou avoir même pris ce facteur en considération.

B.  Évaluation par les intervieweurs des réponses du demandeur

[26]  Le rapport indique que, même si le demandeur affirme avoir [traduction« réussi haut la main » l’entrevue en personne, les trois associés en acquisition de talents qui étaient présents n’étaient pas du même avis.

[27]  Le demandeur a déclaré à l’enquêtrice que les questions qui lui avaient été posées étaient très simples et concernaient le service à la clientèle. Par exemple, on lui avait demandé ce qu’il ferait si un client avait commandé du bœuf et reçu du poisson à la place.

[28]  L’intervieweuse principale, Bik, a indiqué à l’enquêtrice que les personnes qui font passer les entrevues suivent un modèle de questionnaire. Les candidats doivent répondre à diverses catégories de questions axées sur le comportement. Alors que les questions de l’entrevue téléphonique portent sur des mises en situation, l’entrevue en personne s’intéresse aux précédentes expériences professionnelles des candidats et à leur scolarité.

[29]  Quand on lui a demandé pourquoi elle avait estimé que le demandeur n’était pas qualifié, Bik a déclaré avoir trouvé que les exemples donnés par le demandeur étaient vagues et ne reflétaient pas les compétences recherchées. Par exemple, le demandeur n’avait pas su faire preuve du degré d’empathie voulu pour ce qui est du service à la clientèle.

[30]  Les deux autres personnes présentes aux entrevues étaient des stagiaires qui prenaient des notes. Les deux se souvenaient du demandeur. Le premier se rappelait que le demandeur marmonnait et qu’il n’avait pas établi un bon contact visuel. L’autre stagiaire a indiqué que le demandeur avait fourni des réponses très vagues et n’avait pas donné d’exemples précis démontrant qu’il avait les compétences requises.

C.  Les critères et les statistiques en matière d’embauche de la défenderesse pour le poste convoité par le demandeur

[31]  La défenderesse a dit à l’enquêtrice qu’elle ne demandait pas leur âge aux candidats ni ne leur posait de questions à ce sujet pendant le processus de sélection ou l’entrevue. La décision de rejeter une candidature est uniquement fondée sur les exigences opérationnelles.

[32]  L’enquêtrice a demandé ce que voulait dire [traduction« exigences opérationnelles », dans ce cas précis. On lui a répondu que la défenderesse [traduction« cherch[ait] à embaucher des personnes enthousiastes pour se joindre à son équipe de bord, qui a à cœur de créer une expérience de voyage sûre et très agréable pour ses clients ».

[33]  L’enquêtrice a également demandé à voir les statistiques relatives au processus d’embauche pendant la période visée. La défenderesse a déclaré avoir interviewé 3 403 candidats pour le poste d’agent de bord bilingue, desquels 742 candidats avaient réussi à obtenir un poste. Parmi ces candidats retenus, 650 étaient âgés de 20 à 39 ans.

[34]  La répartition par âge des candidats retenus a révélé que sept d’entre eux étaient âgés de 50 à 59 ans, et qu’aucun n’avait plus de 60 ans. Quand l’enquêtrice a demandé à consulter un dossier montrant l’âge des 3 403 candidats afin de déterminer combien de candidats âgés de plus de 50 ans avaient été reçus en entrevue, on l’a informée qu’aucun document personnel n’était conservé pour les candidats reçus en entrevue, mais non retenus.

[35]  L’enquêtrice a observé que le nombre initial de candidats âgés de plus de 50 ans n’était pas connu. Après avoir noté que la majeure partie des candidats (461) étaient âgés de 20 à 29 ans, elle a relevé que le travail en question pouvait ne pas présenter un grand attrait pour les personnes plus âgées.

[36]  Le résumé de l’enquêtrice, aux paragraphes 39 et 40 du rapport, donne un bon aperçu des éléments de preuve et des motifs à l’appui des conclusions qu’elle a tirées :

[traduction]

39.  Le plaignant allègue que la mise en cause a décidé de ne pas l’embaucher en raison de son âge (60 ans). Les éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête démontrent que le plaignant a réussi son entrevue téléphonique, pendant laquelle des questions basées sur des mises en situation lui avaient été posées. Le plaignant n’a pas réussi l’entrevue en personne subséquente. Dans cette dernière entrevue, le plaignant devait répondre aux questions en s’appuyant sur ses propres expériences passées, et se « présenter » au regard des besoins d’un poste de service à la clientèle. Tous les intervieweurs ont déclaré que les réponses du plaignant étaient trop vagues, et l’un d’eux a noté que le plaignant marmonnait et n’établissait pas de contact visuel adéquat.

40.  Compte tenu des renseignements susmentionnés et du fait que le plaignant n’a fourni aucun élément de preuve pour appuyer son allégation selon laquelle il n’avait pas été retenu en raison de son âge, les éléments de preuve ne semblent pas appuyer sa prétention voulant qu’il n’ait pas été embauché en raison de son âge.

V.  Questions en litige et norme de contrôle

[37]  Le demandeur a soulevé quatre questions dans ses documents écrits. À l’audience de la présente demande, sa seule préoccupation était que l’enquête liée à sa plainte n’avait pas été suffisamment rigoureuse et neutre, ce qui la rendait inéquitable sur le plan procédural.

[38]  La question de savoir si l’enquête a été suffisamment rigoureuse relève de l’équité procédurale. L’enquête n’est pas assujettie à une norme de contrôle en particulier, même si un examen plus poussé s’approcherait de la norme de la décision correcte. La question est plutôt de savoir si le processus a été équitable et juste, eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris la nature des droits substantiels concernés et les conséquences sur la personne : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54.

[39]  Si l’enquête n’a pas été suffisamment rigoureuse, la décision ne peut être maintenue, car elle aura été rendue d’une manière inéquitable sur le plan de la procédure : Herbert c Canada (Procureur général), 2008 CF 969, au par. 18.

[40]  En revanche, si l’enquête était suffisamment rigoureuse, la seule question à trancher est alors celle de savoir si la décision était raisonnable.

[41]  Récemment, la Cour suprême a réaffirmé que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. Même s’il ne s’agit pas d’une « simple formalité », le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne du respect du rôle distinct des décideurs administratifs : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au par. 13.

VI.  Les caractéristiques d’une enquête suffisamment rigoureuse et neutre

[42]  En ce qui concerne plus particulièrement le devoir d’équité procédurale de la Commission envers le plaignant, il est établi que l’enquête sur laquelle s’appuie la Commission doit à la fois être neutre et rigoureuse. Lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, un contrôle judiciaire s’impose : Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574, aux par. 49 et 56.

[43]  L’expression « une preuve manifestement importante » a été interprétée comme signifiant qu’il doit être « évident pour n’importe quelle personne rationnelle que la preuve qui, selon le demandeur, aurait dû être examinée durant l’enquête était importante compte tenu des éléments allégués dans la plainte » : Syndicat canadien des employés de la fonction publique (division du transport aérien) c Air Canada, 2013 CF 184, au par. 66.

[44]  Le demandeur avance que les notes prises pendant l’entrevue correspondent à ces éléments de preuve manifestement importants qui auraient dû faire l’objet de l’enquête.

VII.  Analyse

[45]  La Commission a approuvé le rapport, qui contient de ce fait les raisons et les motifs sur lesquels la Commission a fondé sa décision : Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au par. 37 [Sketchley].

A.  Les notes d’entrevue

[46]  Le demandeur a cherché, en vain, à obtenir une copie des notes prises pendant son entrevue en personne à Montréal. Il pense que ces notes apporteront la confirmation que ses réponses n’ont pas été vagues, auquel cas, la discrimination fondée sur l’âge était nécessairement la raison pour laquelle il n’avait pas réussi à obtenir le poste.

[47]  Cependant, comme il a été dit précédemment, la version du demandeur concernant ses réponses à l’entrevue en personne contraste vivement avec le témoignage des trois associés en acquisition de talents qui étaient sur place, et qui ont posé des questions au demandeur et évalué ses réponses. Le demandeur soutient que, pour corroborer les témoignages fournis à l’enquêtrice par les trois personnes présentes à l’entrevue de Montréal, les notes d’entrevue produites à ce moment-là auraient dû être examinées par l’enquêtrice.

B.  Les observations fournies à l’enquêtrice par les parties au sujet du rapport

[48]  Dans ses observations écrites en réponse au rapport, le demandeur a fait de simples affirmations non étayées pour tenter de convaincre l’enquêtrice d’examiner les notes.

[49]  En ce qui concerne l’avis des trois associés en acquisition de talents sur ses réponses, le demandeur a déclaré dans ses observations écrites, tout en majuscules : [traduction] « ILS NE DISENT PAS LA VÉRITÉ SUR L’ENTREVUE QUE J’AI RÉUSSIE HAUT LA MAIN; SELON MOI, J’AI DONNÉ DES RÉPONSES PARFAITES À LEURS QUESTIONS, CE QU’ILS CHERCHAIENT POUR ME DONNER UN "A". AUCUNE DE MES RÉPONSES N’A ÉTÉ VAGUE, J’AI MONTRÉ MES COMPÉTENCES À LA DÉFENDERESSE EN LUI FAISANT PART DE MES EXPÉRIENCES PASSÉES ET ACTUELLES POUR CE QUI EST DES EXPÉRIENCES EN SERVICE À LA CLIENTÈLE. »

[50]  Le demandeur a également souligné que les trois intervieweurs ne s’étaient jamais présentés, et qu’il n’avait jamais marmonné pendant l’entrevue. Il a déclaré qu’il avait établi un contact visuel chaque fois qu’on lui posait une question.

[51]  Malheureusement, le demandeur n’a pas donné d’exemple précis de ses [traduction« réponses parfaites » aux questions, non plus qu’il n’a expliqué comment il avait démontré ses compétences ni précisé laquelle, parmi ses expériences passées ou actuelles en matière de service à la clientèle, lui avait permis de démontrer qu’il possédait les capacités voulues.

[52]  L’enquêtrice a bien demandé à la défenderesse de lui envoyer une copie des notes d’entrevue. Au paragraphe 15 du rapport, elle a indiqué comme suit la réponse reçue de sa part :

[traduction]

L’enquêtrice a demandé à la mise en cause de lui envoyer une copie de ses notes d’entrevue concernant le plaignant. La mise en cause a répondu que les questions posées pendant les entrevues sont axées sur les compétences comportementales suivantes : le travail d’équipe, la prise de décisions, la résilience et la souplesse; le service axé sur la qualité, la capacité d’influencer et de persuader et, enfin, la motivation. La mise en cause a déclaré que ses questions et notes d’entrevues étaient délicates sur le plan commercial, et que, même si elle était prête à montrer les documents à l’enquêtrice, elle craignait que les renseignements y figurant ne soient plus tard divulgués publiquement par la Commission.

[53]  L’enquêtrice a estimé qu’elle ne devait pas creuser davantage la question. Cette décision est conforme à son rôle d’enquêtrice, qui suppose d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faisant appel à son expertise. Elle est également cohérente eu égard à l’absence d’éléments de preuve du demandeur pour appuyer ses allégations selon lesquelles les trois associés en acquisition de talents auraient menti à l’enquêtrice.

[54]  Le demandeur ne m’a pas convaincue que le contenu des notes d’entrevue est « une preuve manifestement importante ». Il est peu probable que le contenu des notes d’entrevue différerait de manière importante des éléments de preuve déjà fournis à l’enquêtrice par les trois personnes ayant pris les notes.

[55]  Je relève également que la Commission a passé en revue le rapport et n’a pas exigé une enquête plus poussée.

VIII.  Résumé et conclusion

[56]  Il n’appartient pas à la Commission de juger si la plainte est fondée. L’élément central du rôle de la Commission consiste à vérifier si la preuve à sa disposition est suffisante : Cooper c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, par. 53.

[57]  Au moment de décider si une plainte doit être rejetée ou si elle doit être renvoyée au Tribunal pour instruction, il convient de faire preuve de retenue à l’égard de la Commission en ce qui concerne la portée et la profondeur de l’enquête sur laquelle elle se fonde : Richards c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CAF 341, par. 9.

[58]  L’enquêtrice a examiné le processus de sélection, y compris la préoccupation du demandeur selon laquelle les pièces d’identité n’avaient pas été demandées à bon droit et avaient permis aux intervieweurs de connaître son âge. Elle a obtenu et examiné les statistiques tenues par la défenderesse relativement aux entrevues menées et aux personnes embauchées pour le poste. Compte tenu des témoignages des intervieweurs et du manque de précisions données par le demandeur au sujet de ses réponses, la conclusion de l’enquêtrice selon laquelle la plainte n’était pas fondée est raisonnable et justifiée, et elle est justifiée eu égard au dossier sous-jacent.

[59]  Le raisonnement de l’enquêtrice est clairement énoncé. Il permet au demandeur, ainsi qu’à la Cour, de comprendre comment et pourquoi l’enquêtrice a recommandé de rejeter la plainte. Le rapport, qui forme les motifs de la Commission, satisfait à l’exigence de suivre un processus raisonnable, qui est transparent et intelligible, et de parvenir à une issue possible acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47; Vavilov, au par. 99.

[60]  Le demandeur n’a fourni à l’enquêtrice aucun élément de preuve tangible pour corroborer sa plainte. Il a donné ses points de vue et son opinion, mais aucun élément de preuve ne les appuie.

[61]  Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande est rejetée.

[62]  Les faits en l’espèce ne soulèvent aucune question grave de portée générale à certifier.

[63]  La défenderesse réclamait les dépens mais, pendant l’audience, elle a concédé que la situation financière du demandeur était probablement précaire. Par conséquent, je n’adjuge aucuns dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1538-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour d’avril 2020.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

T-1538-18

 

INTITULÉ :

PEDRO PEDROSO c AIR CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 avril 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE elliott

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Pedro Pedroso

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Samuel Eichenwald

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Samuel Eichenwald

Conseil, Droit du travail et droits de la personne

Service juridique d’Air Canada

Dorval (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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