Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200324


Dossier : IMM-4583-19

Référence : 2020 CF 413

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2020

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

JEAN EDDY MORISSAINT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

  1. Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 21 juin 2019, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) en date du 27 mars 2018, rejetant la demande d’asile du demandeur.

[2]  La SAR a conclu que le demandeur est visé par l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [Convention] et n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Le demandeur ne conteste pas cette conclusion dans le cadre de la présente demande. Il soutient toutefois que la conclusion de la SAR, selon laquelle le demandeur n’avait pas rempli son fardeau d’établir une possibilité sérieuse de persécution pour les Haïtiens au Brésil ou un risque personnel en cas de retour au Brésil, son pays de résidence, est déraisonnable.

[3]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Contexte factuel

[4]  Le demandeur est un citoyen d’Haïti ayant quitté son pays de naissance en raison de menaces de mort alléguées. Il se rend au Brésil en 2014 où il bénéficie d’un statut de résident permanent.

[5]  Craignant le climat d’intolérance et de racisme envers les Haïtiens qui régnait au Brésil, le demandeur quitte le pays et se rend aux États-Unis en 2016. Il arrive au Canada le 5 août 2017 et fait une demande d’asile en septembre 2017.

[6]  Le 27 mars 2018, la SPR rejette la demande d’asile au motif que le demandeur est exclu par l’article 1E de la Convention en raison de son statut de résident permanent au Brésil. De plus, la SPR détermine que le demandeur n’est pas crédible, et que ses allégations de discrimination et de racisme au Brésil ne se cumulent pas de façon à créer une crainte bien fondée de persécution.

Décision de la SAR

[7]  Le 21 juin 2019, la SAR confirme la décision de la SPR, et rejette l’appel du demandeur. La SAR conclut que le demandeur est exclu en vertu de l’article 1E de la Convention. Contrairement à l'avis de la SPR, elle ne tire pas de conclusions négatives quant à la crédibilité du demandeur. La SAR juge cependant que même en tenant les allégations du demandeur comme vraies ou établies, elle ne pouvait conclure que la situation du demandeur au Brésil l’exposait à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque de préjudice.

[8]  La SAR note que le demandeur avait pu se trouver, dès son arrivée au Brésil, un emploi qu’il a ensuite occupé pendant un an. Elle note également que le demandeur n’avait eu personnellement connaissance que d’un seul cas d’agression durant l’ensemble de son séjour au Brésil. Cet incident qui concerne un ami se serait produit en 2016, soit deux ans après l’arrivée du demandeur. La SAR considère que ces faits ne sont pas de nature à démontrer un risque d’agression généralisé à l’encontre de tous les Haïtiens.

[9]  La SAR analyse la preuve documentaire sur la situation des Haïtiens au Brésil. Elle reconnaît que le racisme au Brésil s’étend envers les gens de couleur, mais sans spécifiquement viser les Haïtiens.

[10]   Elle conclut qu’il n’y avait que quelques cas d’attaques répertoriés contre des Haïtiens, de sorte que la situation ne peut être qualifiée comme créant une possibilité sérieuse de persécution ou un risque de préjudice pour le demandeur. De plus, la SAR souligne que ce ne sont pas tous les actes discriminatoires qui équivalent à la persécution.

II.  Question en litige et norme de contrôle

[11]  La seule question soulevée par la présente procédure de révision est de savoir si la SAR a erré en concluant que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié ni de personne à protéger en raison de son statut de résident permanent du Brésil.

[12]  La norme de contrôle applicable à l’examen des conclusions de la SAR est celle de la décision raisonnable (Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, au para 35). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif »: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 13.

III.  Analyse

[13]  Le demandeur soutient que l’évaluation de la preuve par la SAR quant à la possibilité sérieuse de persécution pour le demandeur au Brésil est déraisonnable. Il prétend que la SAR a erré lorsqu’elle a conclu que la discrimination au Brésil n’équivaut pas à la persécution, qu’elle a omis de considérer toute l’information dans le Cartable national et qu’elle a minimisé l’incident concernant son ami.

[14]  De plus, le demandeur soutient que la SAR a erré en exigeant la présence de persécution comme critère, alors que dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118, la Cour d’appel fédérale n’indique pas que le niveau de risque doit équivaloir à la persécution au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[15]  Enfin, le demandeur reproche à la SAR d’avoir mal évalué la preuve à l’égard de la protection de l’État brésilien envers les Haïtiens puisque la preuve documentaire démontre que la police fait « bien peu de choses pour protéger les citoyens des groupes criminels », et que le système judiciaire néglige souvent d’enquêter sur les auteurs d’infractions et de les punir. Selon le demandeur, la protection de l’État brésilien n’est pas possible, surtout en considérant la discrimination raciale que subissent les Haïtiens au Brésil.

[16]  Les arguments invoqués par le demandeur doivent être rejetés et ce pour les mêmes motifs que ceux qui sous-tendent la décision de la juge Jocelyne Gagné, son titre à l’époque, dans l’affaire Noel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1062, [Noel]. Comme en l’espèce, M. Noel était d'origine haïtienne qui affirmait avoir été victime de discrimination au Brésil. La juge Gagné a déterminé que la preuve devant la SAR ne démontrait pas que les Haïtiens au Brésil étaient victimes de mesures discriminatoires ayant des conséquences gravement préjudiciables. Elle a aussi confirmé que les allégations selon lesquelles les Brésiliens avaient une attitude raciste envers les Haïtiens ne suffisaient pas pour conclure que ceux-ci étaient victimes de persécution.

[17]  En évaluant le risque, la SAR a noté qu’il existe un climat de discrimination contre les Afro-Brésiliens au Brésil, mais a conclu que ce climat n’a pas d’effet sérieux sur l’exercice des droits au sens de la jurisprudence. Cette conclusion est conforme à la doctrine de notre Cour (Celestin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 97, au para 62; Noel, aux paras 28-31; Debel c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 156, au para 29; Simolia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1336, aux paras 26-27).

[18]  Or, pour démontrer que des incidents de harcèlement ou de discrimination constituent de la persécution, le demandeur devait établir que, séparément ou ensemble, ils constituent une violation grave, soutenue et systématique de ses droits fondamentaux.

[19]  Les faits allégués par le demandeur ainsi que la preuve documentaire pertinente à sa situation ne démontrent pas une suite de traitements graves constituant de la persécution ou un risque de préjudice. Le demandeur avait le fardeau de suppléer la preuve documentaire avec un lien entre ses épreuves personnelles et la situation générale au Brésil, ce qu’il n’a pas fait (Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 242, aux paras 16 et 19).

[20]  Le demandeur invoque plutôt des éléments de preuve qui ne portent pas directement sur sa situation personnelle. À titre d’exemple, il cite un incident d’agression impliquant son ami. De plus, il souligne des extraits provenant d’une série de rapports qui indiquent que les gens de couleur sont spécifiquement visés par des agents de l’État et par la population en général en raison de leur race.

[21]  Je suis d’avis qu’au regard de la preuve, la SAR pouvait raisonnablement conclure que la discrimination alléguée par le demandeur n’équivalait pas à de la persécution. Ses allégations à l’effet que certains Brésiliens ont une attitude raciste à l’égard des Haïtiens, bien que fort malheureuse, ne sont pas suffisantes pour conclure que ces derniers sont victimes de persécution.

IV.  Conclusion

[22]  Il y a transparence et intelligibilité du processus décisionnel de la SAR et sa décision appartient aux issues possibles acceptables, pouvant se justifier en regard des faits et du droit. La demande est donc rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4583‑19

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4583-19

 

INTITULÉ :

JEAN EDDY MORISSAINT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

Pour lE demandeUR

 

Béatrice Stella Gagné

défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocate

Montréal (Québec)

Pour lE demandeUr

 

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.