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Date : 20060613

Dossier : IMM-6907-05

Référence : 2006 CF 739

OTTAWA (ONTARIO), LE 13 JUIN 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

ENTRE :

ALMAIDA DOREITHA CODOGAN

demanderesse

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 31 octobre 2005 par laquelle la Section de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître à la demanderesse, Almaida Doreitha Codogan (la demanderesse) la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger. L'avis de décision est daté du 2 novembre 2005.

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de Saint-Vincent-et-les-Grenadines qui affirme craindre avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, en l'occurrence les personnes victimes de violence sexuelle en raison de leur sexe. Elle affirme également avoir la qualité de personne à protéger.

 

[3]               La demanderesse a été agressée sexuellement par son frère et par son père durant son enfance. Les faits impliquant son père ont eu lieu à Trinidad, où la police lui a dit de quitter le pays. La demanderesse et sa soeur sont allées habiter chez leur tante, à Saint-Vincent.

 

[4]               La SPR a signalé que la demanderesse est devenue enceinte à l'âge de quatorze ans. Alors que son fils était âgé d'environ un an, elle a rencontré M. Augustin Grant, avec qui elle a eu cinq enfants. Après leur rupture, la demanderesse a rencontré M. Denis John. En 1998, M. John a battu la demanderesse jusqu'à ce qu'elle perde connaissance et son fils a perdu un oeil à la suite des blessures qu'il a subies alors qu'il tentait de la protéger.

 

[5]               La demanderesse affirme qu'elle a essayé de signaler l'incident à la police, mais que [TRADUCTION] « on s'est tout simplement moqué de moi ». Elle est arrivée au Canada en février 1999, mais elle affirme que M. John continue à s'informer à son sujet. Il aurait demandé au fils de la demanderesse de lui donner le numéro de téléphone de cette dernière et s'est enquis de la date du retour de sa mère. La demanderesse a présenté sa demande d'asile en décembre 2004.

 

[6]               La SPR a reconnu l'identité de la demanderesse et a estimé que, suivant la prépondérance des probabilités, elle avait été maltraitée et menacée par M. John. Accordant par ailleurs à la demanderesse « le bénéfice du doute », la SPR a conclu que la cicatrice qu'elle portait au cuir chevelu était le résultat des coups que lui avait infligés M. John, comme elle l'affirmait.

[7]               Le président de l'audience a signalé le délai de près de six ans que la demanderesse avait laissé s'écouler avant de demander l'asile mais a conclu qu'en l'espèce, ce délai n'était pas fatal en ce qui concerne l'obligation subjective de l'existence d'une crainte fondée de persécution.

 

[8]               Les commissaires saisis de l'affaire ont expliqué que la question de la protection de l'État était déterminante en ce qui concerne la demande d'asile de la demanderesse. Ils ont conclu que Saint-Vincent bénéficiait de la présomption relative à la protection de l'État, étant donné que ce pays exerce un contrôle efficace sur son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies et, enfin, qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens.

 

[9]               Il est difficile de comprendre comment les commissaires on pu en arriver à cette conclusion car, le jour même où ils tiraient cette conclusion, le même agent d'audience concluait, dans le dossier relatif à la fille de la demanderesse, qu'il n'y avait aucun élément de preuve permettant de conclure à la protection de l'État.

 

[10]           La conclusion que Saint-Vincent faisait de sérieux efforts pour assurer la protection de ses citoyens faisait suite à l'analyse fouillée à laquelle la SPR s'était livrée au sujet des mesures prises pour lutter contre la violence sexuelle à Saint-Vincent. Les commissaires saisis de l'affaire ont fait remarquer qu'il ressortait de la documentation relative à ce pays qui leur avait été soumise que la violence sexuelle était toujours un grave problème à Saint-Vincent et que la police n'était pas bien équipée pour y faire face. La SPR a cependant fait ensuite ressortir les mesures positives prises pour lutter contre la violence sexuelle. Elle a signalé que, dans la documentation sur le pays, l'on mentionnait la Marion House, un organisme mis sur pied par l'Église catholique pour venir en aide aux victimes de violence sexuelle. Les commissaires saisis de l'affaire ont également cité la Domestic Violence Matrimonial Proceedings Act (1994) et la Domestic Violence Summary Proceedings Act (1995), deux lois qui, selon le coordonnateur de l'association des droits de la personne de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, [TRADUCTION] « sont appliquées rigoureusement ». La SPR a conclu que le pays faisait de sérieux efforts pour lutter contre le problème de la violence sexuelle.

 

[11]           La SPR s'est demandée si la demanderesse avait réussi à réfuter la présomption de la protection de l'État dans son cas. Elle a jugé vraisemblable que la demanderesse se soit un jour rendue à un poste de police ou qu'elle ait parlé à un agent de police au sujet de la violence dont elle était victime, mais elle a fait observer que, dans un cas comme dans l'autre, la demanderesse n'avait entrepris qu'une seule démarche en vue d'obtenir la protection de la police. La SPR a expliqué que le défaut des autorités locales d'assurer la protection de l'État ne permettait de conclure à l'absence de protection de l'État que si la preuve montrait que l'expérience individuelle de l'intéressé indiquait une tendance plus générale de l'État à être incapable ou à refuser d'assurer sa protection. Les commissaires saisis de l'affaire ont rappelé que la preuve était contradictoire en ce qui concernait le degré de protection assuré par l'État en ce qui concerne la violence sexuelle. Bien que la demanderesse ait cité des déclarations tendant à démontrer que la police faisait preuve de laxisme en ce qui concerne la violence conjugale et qu'elle minimisait le problème, les commissaires saisis de l'affaire ont également cité les propos du président du tribunal de la famille et du juge en chef du pays, qui affirmaient que le système judiciaire était « efficace ». La SPR a également signalé qu'il y avait des éléments de preuve suivant lesquels les tribunaux de ce pays instruisaient un plus grand nombre de causes.

[12]           La SPR a conclu que Saint-Vincent faisait de sérieux efforts pour affronter le problème de la violence sexuelle et que la demanderesse n'avait pas présenté d'éléments de preuve clairs et convaincants qui réfuteraient la présomption relative à la protection de l'État.

 

[13]           La demanderesse invoque trois arguments pour contester l'analyse que la SPR a faite de la capacité de l'État à assurer sa protection.

 

[14]           En premier lieu, la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur de droit en laissant entendre que la demanderesse aurait pu chercher à obtenir la protection de Marian House. La demanderesse souligne que Marian House est un organisme de services sociaux et non une organisation gérée ou financée par l'État. Suivant la demanderesse, il est de jurisprudence constante que les demandeurs n'ont pas l'obligation de rechercher la protection d'autorités autres que la police, et qu'ils ne sont pas tenus de s'adresser à des services de consultation, à des organismes sociaux ou à tout autre organisme qui n'a pas pour mission de protéger les citoyens (Balogh c. Canada (M.C.I.), (2002) CFPI 809, au paragraphe 44 [Balogh]; Molnar c. Canada (M.C.I.), [2003] 2 C.F. 339, 2002 CFPI 1081 [Molnar]; Cuffy c. M.C.I., (1996), A.C.F. no 1316, au paragraphe 11; Risak c. M.E.I., (1994) A.C.F. no 1581, au paragraphe 11).

 

[15]           Deuxièmement, la demanderesse affirme que la SPR a commis une erreur de droit en estimant qu'elle n'avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l'État. La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve clairs et convaincants qui lui avaient été présentés au sujet de personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne qui s'étaient vu refuser la protection de l'État. La demanderesse signale que la personne se trouvant dans une situation semblable à la sienne en l'espèce et qui lui sert de preuve est sa propre fille.

 

[16]           La demanderesse explique que sa fille s'est enfuie de Saint-Vincent parce qu'elle avait été victime d'un abus sexuel. La fille de la demanderesse avait réclamé la protection de la police, qui lui a conseillé d'aller rejoindre sa mère à l'étranger. La demande d'asile de la fille de la demanderesse aurait été examinée par le même président de l'audience le même jour que le dossier de la demanderesse. Les deux affaires ont été instruites séparément; elles concernaient cependant toutes les deux des personnes ayant fui le même pays en raison de l'abus sexuel dont elles étaient victimes. Les deux affaires portaient sur la protection de l'État. Le président de l'audience a estimé que la demanderesse disposait d'une protection adéquate de l'État mais il a conclu que sa fille ne pouvait compter sur une protection suffisante de l'État. Suivant la demanderesse, la SPR a commis une erreur de droit en ne vérifiant pas si la présomption de protection de l'État était réfutée par les éléments de preuve convaincants présentés par la fille de la demanderesse au sujet de l'insuffisance de la protection de l'État.

 

[17]           Troisièmement, la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en ne vérifiant pas si la présomption de protection de l'État était réfutée en raison des incidents vécus par la demanderesse où la protection d'État ne s'était pas concrétisée (jugement Balogh, précité).

 

[18]           Le défendeur se fonde sur le jugement Goolram c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 795 [Goolram] pour affirmer que l'appréciation que la SPR a fait de la protection de l'État ne peut être infirmée que si elle est manifestement déraisonnable. Il maintient que la décision de la SPR n'était pas manifestement déraisonnable étant donné que la demanderesse n'avait pas présenté d'éléments de preuve clairs et convaincants tendant à démontrer que les autorités de son pays n'avaient pas la volonté ou la capacité de la protéger. Le défendeur maintient qu'il était loisible à la SPR de conclure que, même si la situation qui existe à Saint-Vincent est imparfaite, ce pays fait de sérieux efforts pour trouver une solution au problème de la violence sexuelle et de la violence conjugale.

 

[19]           Le défendeur soutient que le fait que Marion House soit mentionnée dans la décision de la SPR n'entraîne pas nécessairement le rejet de la décision des commissaires saisis de l'affaire. La SPR reconnaît que Marion House n'est pas un service financé par l'État et le défendeur signale que l'existence de cet organisme n'est qu'un des facteurs que les commissaires saisis de l'affaire ont retenus pour conclure que Saint-Vincent faisait de sérieux efforts pour résoudre le problème de la violence sexuelle et de la violence conjugale. Le défendeur fait valoir que la SPR n'a pas tiré d'inférence négative du fait que la demanderesse ne s'était pas adressée à Marion House et que, comme le fait pour la SPR de mentionner cet organisme n'a pas influé sur sa décision, la demanderesse n'a pas démontré que la SPR avait commis une erreur de droit.

 

[20]           Le défendeur maintient que la SPR n'était nullement obligée de tenir compte de l'expérience vécue par la fille de la demanderesse. La SPR signale que le dossier de la demanderesse et celui de sa fille n'ont pas été réunis en vue d'être instruits conjointement. Les demandes d'asile ont été instruites séparément. Le défendeur explique que la demande présentée par un des membres d'une famille ne scelle pas le sort de la demande présentée par un autre membre de la même famille, étant donné que chacune fait l'objet d'une décision distincte.

 

[21]           Le défendeur soutient que la demande de la fille a été acceptée parce que des éléments précis de sa demande réfutaient la présomption de la capacité de l'État à assurer sa protection. La fille de la demanderesse a eu plusieurs interactions avec la police et un agent lui a même conseillé d'essayer d'aller rejoindre sa mère à l'étranger. Le défendeur fait remarquer qu'en revanche, la demanderesse n'a pas réussi à réfuter la présomption de la capacité de l'État à assurer sa protection sur le fondement des éléments de preuve présentés dans son cas. Le défendeur rappelle à la Cour que la SPR a estimé que la demanderesse n'avait tenté qu'une seule fois d'obtenir la protection de l'État. La thèse du défendeur semble être que la SPR est arrivée à des conclusions différentes en ce qui concerne la demande d'asile de la demanderesse et celle de sa fille parce que les éléments de preuve soumis par l'une et l'autre au sujet des démarches qu'elles avaient entreprises pour se prévaloir de la protection de l'État étaient différents.

 

[22]           En somme, la thèse du défendeur est qu'il n'était pas manifestement déraisonnable de la part de la SPR de conclure que la demanderesse ne lui avait pas soumis des éléments de preuve clairs et convaincants établissant que les autorités de son pays n'auraient pas la capacité ou la volonté de la protéger.

 

[23]           Le défendeur invoque une décision rendue en 2005 par la juge Judith Snider dans l'affaire Goolram, précitée, à l'appui de son argument que c'est la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique dans le cas du contrôle des décisions de la SPR en matière de protection de l'État. Il y a cependant lieu de signaler l'évolution récente de la jurisprudence sur la norme de contrôle à appliquer aux décisions de la SPR en matière de protection de l'État vers l'application de la norme de la décision raisonnable simpliciter. Ainsi que la juge Snider l'a elle-même expliqué récemment dans le jugement Castro c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 332 (IMM-10496-04, 14 mars 2006), au paragraphe 5 :

Bien qu'il existe un certain débat dans la jurisprudence de la Cour fédérale quant à la norme de contrôle adéquate à appliquer aux décisions de la Commission en matière de protection de l'État, je suis disposée à accepter les résultats de l'analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 193. Dans cette affaire, la juge Tremblay-Lamer a jugé que la norme de la décision raisonnable simpliciter était la plus appropriée pour la question de la protection adéquate de l'État. Aux fins de la présente demande, je suis d'accord avec elle et j'adopte son raisonnement exposé aux paragraphes 7 à 12. Une décision satisfait à la norme de la décision raisonnable « si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55).

                                 

 

Dans l'arrêt Chaves précité, la Cour suprême a appliqué l'analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable à une conclusion tirée au sujet de la protection de l'État. En revanche, dans la jurisprudence citée par le défendeur, le tribunal ne s'est pas livré à un examen aussi poussé de la norme appropriée. J'adopte donc la norme de la décision raisonnable simpliciter, que je considère comme la norme de contrôle appropriée.

 

[24]           Il est clair que l'on ne pouvait exiger de la demanderesse qu'elle demande de l'aide à Marion House. Ainsi que la Cour l'a déjà fait remarquer dans le jugement Molnar, précité, au paragraphe 24 : « Le rôle des policiers est de protéger les citoyens. S'ils refusent de le faire ou s'ils ne sont pas disposés à agir, notre Cour a déjà conclu que les personnes en cause n'étaient pas tenues de rechercher de l'orientation, des avis juridiques ou de l'aide auprès des agences des droits de la personne ».

 

[25]           Cette analyse trouve un appui dans les Directives n4 données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration et intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » (les Directives de la présidente). Le président de l'audience a cité ces directives, qui ont été mises à jour et sont entrées en vigueur le 13 novembre 1996, de sorte qu'il y a lieu de s'étonner que le président de l'audience parle de Marian House, étant donné que le document précise bien, au point C.2 : « En outre, que la revendicatrice ait ou non cherché à obtenir la protection de groupes non gouvernementaux ne doit avoir aucune incidence sur l'évaluation de la protection qu'offre l'État ». Il ressort donc à l'évidence tant du jugement Molnar, précité, que des Directives de la présidente que la SPR commettrait une erreur en exigeant de la demanderesse qu'elle demande de l'aide à Marian House.

 

[26]           Le défendeur affirme que, lorsqu'on examine dans leur ensemble les motifs de la SPR, on constate que la SPR n'a pas tiré d'inférence négative du fait que la demanderesse n'avait pas consulté Marian House. Je ne puis souscrire à cet argument. Bien qu'à mon sens, la SPR ne se soit pas servie de la déclaration de la demanderesse suivant laquelle elle n'avait jamais contacté Marian House pour mettre en doute sa crédibilité, la SPR a effectivement fait allusion à l'existence de Marian House pour en arriver à conclure, à terme, que Saint-Vincent [TRADUCTION] « fait de sérieux efforts sur le plan législatif et judiciaire et sur celui de l'application de la loi pour affronter le problème de la violence sexuelle » (décision de la SPR, à la page 4). Mais Marian House est un organisme non gouvernemental. Certes, les services qu'elle offre témoignent des mesures prises par la société civile de Saint-Vincent pour lutter contre le problème de la violence sexuelle, mais ils ne démontrent pas que l'État a pris des mesures sur le plan législatif et judiciaire ou sur celui de l'application de la loi. À mon avis, le fait qu'il a mentionné Marion House permet de penser que le président de l'audience reconnaissait à l'État plus de mérites que ceux qu'il aurait légitimement dû lui accorder au chapitre des mesures prises pour lutter contre la violence sexuelle.

 

[27]           Ceci étant dit, je ne suis pas convaincu que cette erreur doive nécessairement entraîner l'annulation de la décision de la SPR. Dans le cas qui nous occupe, la SPR ne s'est pas fondée exclusivement sur l'existence des services offerts par des organismes non gouvernementaux pour conclure que la protection de l'État était suffisante. Les commissaires saisis de l'affaire ont cité un seul exemple de services offerts par un organisme non étatique. Ils ont cependant mentionné les mesures prises au niveau législatif et judiciaire et par les autorités chargées de l'application de la loi pour résoudre le problème de la violence sexuelle. À mon avis, bien que la SPR ait tenu compte d'un facteur étranger, elle en serait selon toute vraisemblance arrivée aux mêmes conclusions au sujet de la protection de l'État si elle n'avait pas mentionné Marian House.

 

[28]           J'estime néanmoins que la SPR a commis une erreur en tirant sa conclusion au sujet de la protection de l'État en ne tenant pas compte de la situation personnelle de la demanderesse et des conséquences de la conclusion qu'elle avait tirée le même jour dans le dossier de la fille de la demanderesse dans lequel elle avait conclu à l'absence de protection de l'État. Dans sa décision, la SPR signalait que la demanderesse avait négligé à plusieurs reprises de se réclamer de la protection de l'État et elle concluait que la demanderesse n'avait pas présenté d'éléments de preuve clairs et convaincants propres à réfuter la présomption de protection de l'État.

 

[29]           Je suis persuadé que la SPR a accordé trop d'importance au fait que la demanderesse n'avait alerté la police qu'une seule fois et j'estime que, ce faisant, la SPR n'a pas tenu dûment compte de la situation de la demanderesse. On trouve ce qui suit dans le chapitre des Directives de la présidente intitulé « Questions relatives à la preuve » :

2. Les décideurs doivent examiner la preuve démontrant l'absence de protection de l'État si l'État et ses mandataires dans le pays d'origine de la revendicatrice ne voulaient pas ou ne pouvaient pas assurer une protection appropriée contre la persécution fondée sur le sexe. Si la revendicatrice peut montrer clairement qu'il était objectivement déraisonnable pour elle de demander la protection de l'État, son omission de le faire ne fera pas échouer sa revendication. En outre, que la revendicatrice ait ou non cherché à obtenir la protection de groupes non gouvernementaux ne doit avoir aucune incidence sur l'évaluation de la protection qu'offre l'État.

 

[...]

 

Dans les cas où la revendicatrice ne peut compter sur les éléments de preuve plus courants ou typiques comme « preuve claire et convaincante » de l'incapacité de l'État d'assurer la protection, il pourrait être nécessaire de s'en remettre à d'autres éléments de preuve pour satisfaire au critère de la « preuve claire et convaincante ». Il pourrait s'agir de témoignages de femmes se trouvant dans des situations similaires et pour lesquelles l'État a omis d'assurer la protection ou du témoignage de la revendicatrice elle‑même concernant des incidents personnels précédents lors desquels l'État n'a pas assuré sa protection.

             [Le soulignement a été supprimé dans le texte original et d'autres     passages ont été soulignés par le soussigné].

 

[30]           À mon avis, la SPR a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de la question de savoir s'il était raisonnable d'exiger de la demanderesse qu'elle réclame la protection de l'État une seconde fois auprès des autorités gouvernementales de Saint-Vincent alors qu'elle habitait là-bas. La SPR ne s'est pas penchée sur cette question et pourtant elle s'est servi du fait que la demanderesse n'avait cherché à obtenir la protection de la police qu'une seule fois pour conclure que la demanderesse ne lui avait pas fourni d'éléments de preuve clairs et convaincants permettant de conclure qu'elle ne pouvait compter sur la protection de l'État. La demanderesse affirmait que les policiers s'étaient moqués d'elle lorsqu'elle avait tenté de signaler l'agression sexuelle dont elle avait été victime. Il est bien précisé dans les éléments de preuve documentaires que Saint-Vincent souffre [TRADUCTION] « d'une culture dans laquelle les victimes apprennent à ne pas s'adresser à la police ou à la justice pour obtenir de l'aide ». (Dossier du Tribunal, à la page 16). À mon avis, la SPR aurait dû à tout le moins se demander si l'on pouvait raisonnablement exiger de la demanderesse qu'elle réclame une fois de plus la protection de l'État.

 

[31]           Je constate également que la SPR n'a pas examiné à fond la question de savoir si la demanderesse pourrait bénéficier des mesures prises récemment à Saint-Vincent pour lutter contre la violence sexuelle. Ainsi qu'il est précisé dans les Directives de la présidente :

3. Un changement dans la situation d'un pays qui est considéré, de façon générale, comme une amélioration peut n'avoir aucune incidence ou même avoir une incidence défavorable sur la crainte d'une femme d'être persécutée du fait de son sexe. Si la crainte d'une femme est liée aux lois sur le statut personnel ou que ses droits fondamentaux sont violés par de simples citoyens, un changement dans la situation du pays pourrait ne rien changer à sa situation, ces secteurs étant souvent les derniers à évoluer. Il faut apprécier la crainte de la revendicatrice et déterminer si les changements sont suffisamment importants et réels pour rendre sans fondement sa crainte.

 

[Le soulignement a été supprimé dans le texte original

et d'autres passages ont été soulignés par le soussigné].

 

 

[32]           La SPR n'a pas tenu compte des craintes particulières de la demanderesse en l'espèce. Il n'est pas contesté que l'ex-petit ami de la demanderesse s'informe encore au sujet de ses allées et venues par le biais de ses enfants qui vivent toujours à Saint-Vincent. Il n'est pas contesté non plus que l'ex‑petit ami de la demanderesse serait probablement violent envers cette dernière s'il la retrouvait. À mon avis, la SPR ne pouvait se contenter de citer des éléments de preuve documentaires pour conclure que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l'État. Cette façon de procéder ne tenait pas compte de la situation particulière de l'intéressée. À mon avis, la SPR aurait dû tenir compte de la situation de la demanderesse et, à l'aide de la preuve documentaire, déterminer si la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l'État compte tenu du fait que son ex-petit ami violent était encore à sa recherche. Le défaut des commissaires saisis de l'affaire de tenir compte de la situation de la demanderesse équivaut selon moi à une erreur justifiant l'annulation de leur décision.

 

[33]           Appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, je suis convaincu que la SPR a commis une erreur en tenant compte de facteurs non pertinents en mentionnant un organisme non gouvernemental pour conclure que Saint-Vincent faisait de sérieux efforts pour régler le problème de violence sexuelle. Bien que cette erreur n'entraîne pas automatiquement l'annulation de sa décision, force est de reconnaître que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas suffisamment compte de la situation de la demanderesse. À mon avis, les commissaires saisis de l'affaire ont accordé une importance exagérée à la conclusion de fait suivant laquelle la demanderesse n'avait réclamé la protection de la police qu'une seule fois pour conclure que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption de la capacité de l'État d'assurer sa protection. J'estime que cette seconde erreur porte un coup fatal à la décision de la SPR.

 


 

JUGEMENT

 

            Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est annulée. L'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'une autre formation procède à une nouvelle audience en conformité avec les présents motifs.

 

            Les avocats n'ont proposé la certification d'aucune question.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6907-05

 

INTITULÉ :                                       ALMAIDA DOREITHA CODOGAN c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL   QC

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 8 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Dorey

Avocat

 

POUR LA DEMANDERESSE

François Joyal

Justice Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Dorey

Avocat

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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