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Date : 20060418

 

Dossier : T‑1257‑04

Référence : 2006 CF 491

 

Action réelle en matière d’amirauté contre le navire Mersey Viking

Action personnelle en matière d’amirauté contre Mersey Seafoods Limited

 

ENTRE :

PUTJOTIK FISHERIES LTD.,

JOEY ANGNATOK, ROGER BATH,

DARREL GREY, ERROL ANDERSON,

RICKY EDMUNDS et DENNIS JACQUE

 

demandeurs

 

et

 

MERSEY SEAFOODS LIMITED

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE THE MERSEY VIKING

 

défendeurs


MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

[1]               Il s’agit des motifs à l’appui d’une ordonnance rendue le jeudi 16 mars 2006, par laquelle la Cour a accueilli avec dépens la requête présentée par les défendeurs en vue de l’obtention d’une ordonnance rejetant l’action intentée par les demandeurs en vertu de l’article 167 des Règles des Cours fédérales pour le motif que la poursuite de l’instance par les demandeurs accuse un retard injustifié.

[2]               En résumé, la position prise par les défendeurs est que les demandeurs (la Cour parle ici des demandeurs eux-mêmes et non de leur avocat) ont toujours démontré un manque d’intérêt à faire avancer leur réclamation avant l’examen de l’état de l’instance, du fait qu’ils ont omis de produire un affidavit de documents, notamment de communiquer la documentation pertinente. Les défendeurs font valoir que, même si les demandeurs ont réussi à passer l’étape de l’examen de l’état de l’instance, ils ont par la suite continué à témoigner d’un manque d’intérêt et d’effort à faire avancer leur cause parce qu’ils n’ont pas produit un affidavit valable de documents avant la date limite du 20 octobre 2005 qui avait été fixée par ordonnance et, dans une moindre mesure, parce qu’ils ont omis de communiquer par la suite avec l’avocat des défendeurs pour décider des dates des interrogatoires préalables, de façon que la date limite qui avait par la suite été fixée par ordonnance puisse également être respectée.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les défendeurs ont évalué avec exactitude la situation; les tribunaux hésitent toujours à radier une demande et essaient plutôt de voir si une dernière chance peut être donnée en vue de permettre à une partie de préparer sa cause, mais dans ce cas‑ci, l’état des choses ne permet clairement pas à la Cour de croire que l’affaire évoluera avec une célérité acceptable à compter de ce jour étant donné qu’un affidavit daté du 10 mars 2006 produit par les demandeurs à l’encontre de la requête ici en cause amène clairement la Cour à croire que les demandeurs ne se sont jamais mis dans une situation leur permettant de rassembler et de produire la documentation pertinente exigée par leur réclamation.

Historique

[4]               Pendant la période pertinente, la demanderesse Putjotik Fisheries Ltd. était propriétaire du bateau de pêche immatriculé What’s Happening. Joey Angnatok était capitaine du bateau; le reste de l’équipage était composé des autres demandeurs désignés dans l’intitulé de la cause.

[5]               Dans leur action, exposée dans la déclaration modifiée du 21 juillet 2004, les demandeurs réclament aux défendeurs des dommages‑intérêts de 178 855,86 $ par suite de la perte de leurs engins de pêche et de leur revenu de pêche, le navire défendeur Mersey Viking ayant censément gêné l’utilisation de leurs engins de pêche, au mois de septembre ou d’octobre 2002.

[6]               Il semble que les actes de procédure aient été considérés comme clos peu de temps après que les défendeurs eurent déposé leur défense le 5 octobre 2004.

[7]               Conformément à l’article 223 des Règles, les deux parties étaient tenues peu de temps après de produire leur affidavit de documents énumérant tous les documents pertinents.

[8]               Par conséquent, l’affidavit de documents des défendeurs a été transmis aux avocats des demandeurs avec une lettre d’envoi datée du 3 février 2005.

[9]               Étant donné que les demandeurs n’avaient toujours pas produit leur affidavit de documents à cette date, les défendeurs ont demandé, dans leur lettre du 3 février 2005, la production de l’affidavit de documents des demandeurs, notamment des éléments ci‑dessous mentionnés :

·   tous les journaux du navire What’s Happening des demandeurs pour les voyages pendant lesquels les engins en question avaient été installés et retirés ou pendant lesquels on avait tenté de retirer ces engins;

·   les notes ou rapports pertinents préparés par le capitaine ou par l’équipage du navire;

·   les cartes qui étaient utilisées à bord du navire pendant les voyages où les engins perdus avaient été installés et retirés ou pendant lesquels on avait tenté de retirer ces engins;

·   les documents faisant état des présumées pertes, notamment :

                        (i)         les reçus concernant les frais de remplacement des engins;

                        (ii)        les copies des permis de pêche des demandeurs pour l’année pertinente;

(iii)       les copies des documents de pêche et de vente des demandeurs pour l’année visée par la réclamation et pour les deux années précédant et suivant l’année de la réclamation, en vue de faciliter la détermination du montant de la réclamation relative à la perte du revenu de pêche.

[10]           Ces catégories précises de documents (les documents demandés) semblaient fort probablement – et à juste titre – pertinentes à l’avocat des demandeurs étant donné que ce dernier a fait savoir, par une lettre datée du 18 février 2005, qu’il avait transmis la lettre des défendeurs aux demandeurs, fort probablement et plus précisément au demandeur Joey Angnatok, et qu’il avait demandé que des copies des documents demandés soient fournies, à la suite de quoi l’affidavit de documents des demandeurs serait déposé.

[11]           Par la suite, les demandeurs n’ont pas assuré le suivi en produisant les documents demandés et leur affidavit de documents.

[12]           Pendant plus de cinq mois, il ne s’est rien passé dans ce dossier tant que la Cour n’a pas délivré, le 12 juillet 2005, un avis d’examen de l’état de l’instance.

[13]           En réponse à cet avis, l’avocat des demandeurs a déposé des observations écrites (datées du 18 août 2005), qui montraient essentiellement que, même s’il avait été clairement diligent en s’efforçant de communiquer avec les demandeurs peu de temps après la production de la défense des défendeurs au mois d’octobre 2004, les demandeurs n’avaient fait aucun effort pour faire avancer leur cause et avaient omis de répondre aux demandes de renseignements de leur avocat ou de lui donner des instructions. De plus, dans leurs observations, les demandeurs priaient également la Cour de noter qu’ils étaient des pêcheurs qui passaient énormément de temps en mer et qui vivaient dans une région éloignée du Labrador, de sorte qu’il était difficile de communiquer en temps opportun. Sur ce point, les passages suivants des observations écrites présentées par les demandeurs au sujet de l’avis concernant l’état de l’instance sont révélateurs :

[traduction] À la suite de la réception de la défense, le soussigné a écrit au client le 7 octobre 2005 [2004] en vue de lui demander des instructions et des documents supplémentaires. Cette lettre a été suivie d’une deuxième lettre le 6 janvier 2005. Le 3 février 2005, le soussigné a reçu l’affidavit de documents du défendeur ainsi qu’une lettre d’envoi de M. Richard Southcott, avocat du défendeur, demandant des documents précis. Le 10 février 2005, le soussigné a écrit au client et lui a transmis la lettre de M. Southcott; il a demandé au client de lui donner des instructions et de fournir les documents. Le 18 février 2005, le soussigné a écrit à M. Southcott pour l’informer qu’il avait demandé les documents au client. Le 22 avril 2005, le soussigné a de nouveau écrit au client pour lui demander des instructions et les documents. Nous joignons des copies de ces lettres pour votre gouverne.

En plus des nombreuses lettres qu’il lui a envoyées, le soussigné a appelé à maintes reprises le client pour essayer de recevoir des instructions. À ce jour, mise à part une conversation téléphonique, au mois de novembre 2004 ou vers le mois de novembre 2004, le soussigné n’a pas reçu de réponse à ces lettres ni d’autres instructions du client.

Dispositif

Par conséquent, le soussigné demande à la Cour de noter que la déclaration n’a été signifiée et que la défense n’a été reçue qu’au mois d’octobre 2004. En outre, le soussigné demande à la Cour de noter que les clients sont des pêcheurs qui passent énormément de temps en mer et qui vivent dans une région éloignée du Labrador (lorsqu’ils ne se livrent pas à leurs activités), de sorte qu’il est difficile de communiquer en temps opportun.

Le soussigné demande donc que la présente affaire ne soit pas rejetée étant donné qu’il n’a pas réussi à recevoir des documents et des instructions du client. Le soussigné demande que l’affaire ne soit pas rejetée en ce moment. Si la Cour permet au demandeur de maintenir l’action, le soussigné propose des dates limites qui lui donneront une possibilité additionnelle d’obtenir des instructions du client sur la façon de poursuivre l’action le cas échéant.

[Non souligné dans l’original.]

[14]           Dans leurs observations écrites présentées à l’encontre de la poursuite de la réclamation des demandeurs, les défendeurs ont fait remarquer que près de six mois s’étaient écoulés depuis qu’ils avaient fourni leur affidavit de documents et qu’ils avaient demandé aux demandeurs de produire les documents, et qu’il ressortait des observations des demandeurs que ceux‑ci n’avaient pas fourni de documents pertinents à leur avocat. Les défendeurs ont soutenu que, de toute évidence, les demandeurs n’avaient pas l’intention de faire avancer cette action ou qu’ils n’avaient du moins pas manifesté assez d’intérêt et une diligence suffisante pour permettre à la Cour d’autoriser la poursuite de l’instance. Les défendeurs ont cité l’arrêt Netupsky c. Canada, 2004 CAF 239, selon lequel un demandeur, en réponse à un avis d’examen de l’état de l’instance, est tenu de justifier son omission de faire avancer l’affaire et d’informer la Cour des mesures qu’il se propose de prendre en vue de faire avancer l’affaire. Selon les défendeurs, les observations écrites des demandeurs n’avaient pas satisfait à ces exigences.

[15]           Dans une ordonnance datée du 22 septembre 2005, ma collègue Aronovitch a néanmoins autorisé les demandeurs à poursuivre leur réclamation. Toutefois, elle les a sévèrement admonestés en disant ce qui suit :

[traduction] Il incombe aux demandeurs de poursuivre leur action. Malgré les explications que l’avocat des demandeurs a données au sujet des exigences de la profession saisonnière exercée par ses clients, les demandeurs doivent veiller à ce que l’action soit instruite en temps opportun et ils doivent se conformer strictement à l’échéancier établi ci‑dessous;

LA COUR ORDONNE :

1.             L’affaire se poursuivra en tant qu’instance à gestion spéciale.

2.               Les demandeurs signifieront leur affidavit de documents au plus tard le 20 octobre 2005.

3.             Les interrogatoires préalables, notamment les engagements, seront achevés au plus tard le 31 janvier 2006.

4.             Les discussions aux fins d’un règlement auront lieu au plus tard le 15 février 2006.

5.             Les demandeurs signifieront et déposeront une demande de conférence préparatoire au plus tard le 10 mars 2006.

6.             Toute autre directive sera donnée par le juge ou par le protonotaire responsable de la gestion de l’instance.

[Non souligné dans l'original.]

[16]           Peu de temps après, le 1er novembre 2005, j’ai été désigné afin d’aider le juge Hugessen à gérer ce dossier.

[17]           Le 19 octobre 2005, les demandeurs ont produit un affidavit de documents. Toutefois, l’examen de cet affidavit indique que les seuls documents qui ont été produits sont des certificats d’entreprise, des avis et imprimés concernant les parties, une lettre de la défenderesse Mersey Seafoods Limited adressée à l’ancien avocat des demandeurs, une facture d’une page pour des engins de pêche du crabe des neiges et une série de six photographies.

[18]           Par conséquent, le 10 novembre 2005, l’avocat des défendeurs a écrit à l’avocat des demandeurs; selon lui, les demandeurs n’avaient pas respecté les obligations qui leur incombaient en vertu de l’ordonnance rendue par la Cour le 22 septembre 2005 de procéder à la communication des documents au plus tard le 20 octobre 2005. L’auteur de cette lettre faisait remarquer que, bien qu’un affidavit de documents eût été reçu, fort peu d’éléments avaient été communiqués et que la plupart des documents demandés neuf mois plus tôt n’étaient pas inclus. Tout en réservant le droit des défendeurs de faire valoir que l’action des demandeurs devait être rejetée à cause de cette inobservation, l’avocat des défendeurs a demandé à l’avocat des demandeurs si ses clients avaient l’intention de produire les éléments demandés de leur plein gré et lui a demandé de l’informer, avant la date limite du 31 janvier 2006 prescrite par la Cour, des dates auxquelles les demandeurs seraient disponibles pour les interrogatoires préalables.

[19]           Étant donné qu’il n’avait reçu aucune réponse à la lettre du 10 novembre 2005, l’avocat des défendeurs a envoyé une autre lettre le 2 décembre 2005. Cette lettre est rédigée comme suit :

[traduction]

Messieurs,

Veuillez vous reporter à la télécopie que j’ai envoyée le 10 novembre 2005, à laquelle vous n’avez pas répondu.

Comme il en est fait mention dans cette télécopie, notre position est que les demandeurs ont enfreint l’ordonnance rendue par la Cour le 22 septembre 2005. J’ai attiré votre attention sur la chose dans la télécopie du 10 novembre, mais nous n’avons toujours pas reçu d’autres documents et vous ne nous avez pas fait connaître les dates auxquelles vos clients seront disponibles pour les interrogatoires préalables qui doivent avoir lieu au plus tard le 31 janvier 2006, comme la Cour l’a prescrit. Je me suis informé auprès de M. Gordon Carver, capitaine du Mersey King, et je suis en mesure de vous faire savoir qu’il y a plusieurs jours, au mois de janvier, où nous sommes tous deux disponibles. Toutefois, je suppose qu’il est peut‑être plus compliqué de s’entendre avec les demandeurs, étant donné leur grand nombre. Je tiens également à souligner qu’il ne nous sera pas possible de fixer la date des interrogatoires préalables à la dernière minute.

Cela étant, nous prenons la position s suivante :

a)             Nous prions les demandeurs de procéder à une communication complète des documents (y compris les documents que nous avons déjà demandés) au moyen d’un affidavit supplémentaire de documents, et ce, dans un délai de 14 jours, soit au plus tard le 16 décembre 2005.

b)            Nous vous demandons de faire connaître au plus tard à la date susmentionnée, à savoir le 16 décembre 2005, les dates, au mois de janvier, auxquelles les demandeurs seront disponibles pour les interrogatoires préalables.

À défaut de vous conformer aux demandes susmentionnées, nous avons l’intention de solliciter le rejet de l’action en nous fondant sur le défaut de poursuite et sur l’omission de respecter les dates limites prescrites par la Cour.

J’attends votre réponse.

[20]           Encore une fois, aucune réponse n’a été reçue des demandeurs au sujet de la lettre du 2 décembre 2005.

[21]           Par conséquent, le 13 janvier 2006, les défendeurs ont présenté la requête ici en cause. Cette requête ne comportait aucune date de présentation et, à la suite d’une directive de la Cour, celle-ci a décidé de l’entendre le 17 mars 2006 par téléconférence. Les demandeurs devaient signifier et déposer leur dossier de requête en réponse au plus tard le 10 mars 2006.

[22]           Les demandeurs se sont conformés à la directive le 10 mars 2006 et ils ont inclus dans le dossier de la requête en réponse un affidavit du demandeur Joey Angnatok en date du 10 mars 2006, lequel est rédigé comme suit :

[traduction]

Je, Joey Angnatok, de Nain (Terre‑Neuve‑et‑Labrador) déclare sous serment ce qui suit :

1.             Je suis demandeur dans la présente affaire et je suis administrateur de Putjotik Fisheries Ltd., une autre demanderesse dans la présente affaire.

2.             Le 19 octobre 2005 ou vers cette date, j’ai signé un affidavit de documents, qui a été déposé dans le délai prescrit par la Cour.

3.             Nos avocats m’ont informé que les avocats des défendeurs ont demandé des documents additionnels. J’ai tenté d’obtenir certains de ces documents, mais il m’a été difficile de le faire étant donné qu’un grand nombre d’entre eux sont en la possession de tiers, comme le ministère des Pêches et des Océans.

4.             J’ai demandé à mes avocats de soumettre une demande d’accès à l’information au ministère des Pêches et des Océans (le MPO) afin d’obtenir le dossier complet concernant les navires What’s Happening et Newfoundland Navigator pour la période pertinente. On m’a informé que ces renseignements sont particulièrement pertinents pour la réclamation des demandeurs étant donné que l’observateur des pêches Cyril Forward était à bord du Newfoundland Navigator au moment de l’incident et qu’il a pris des photographies et a soumis un rapport complet au MPO.

5.             J’ai également demandé des renseignements à des tiers comme Tomgat Fisheries, un transformateur de poisson qui achète le poisson des demandeurs.

6.             Je vis à Nain (Labrador), qui est une région éloignée isolée de Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Je suis également un pêcheur qui passe énormément de temps en mer. Ces facteurs m’ont parfois rendu la tâche difficile lorsqu’il s’est agi de préparer des documents et de fixer les dates des interrogatoires préalables. Je crois comprendre qu’à cause de ces facteurs, il a parfois également été difficile pour nos avocats d’obtenir des instructions et de faire avancer l’affaire avec plus de célérité. Toutefois, je prie la Cour de prendre ces facteurs en compte.

7.             Pour faire avancer cette affaire, je me propose de déposer tout document supplémentaire demandé par la Cour à la date prescrite par celle‑ci. Je me propose également de faire commencer les interrogatoires préalables au plus tard à la nouvelle date fixée par ordonnance et je sollicite respectueusement une ordonnance maintenant la présente action.

Analyse

[23]           Cette requête a été présentée en vertu de l’article 167 des Règles. Cette disposition permet à la Cour de rejeter une instance pour le motif que la poursuite de l’instance par le demandeur accuse un retard injustifié. Elle est rédigée comme suit :

167. La Cour peut, sur requête d’une partie qui n’est pas en défaut aux termes des présentes règles, rejeter l’instance ou imposer toute autre sanction au motif que la poursuite de l’instance par le demandeur ou l’appelant accuse un retard injustifié.

167. The Court may, at any time, on the motion of a party who is not in default of any requirement of these Rules, dismiss a proceeding or impose other sanctions on the ground that there has been undue delay by a plaintiff, applicant or appellant in prosecuting the proceeding.

[24]           Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire qu’étant donné que la requête ici en cause découle d’une ordonnance concernant l’examen de l’état de l’instance, il importe, en examinant la requête, de se rappeler l’approche adoptée par la Cour dans la décision Ferrostaal Metals Ltd. c. Evdomon Corp. (2000), 181 F.T.R. 265 (conf. par 196 F.T.R. 66 (1re inst.) et 2001 CAF 297 (C.A.F.)).

[25]           Dans l’affaire Ferrostaal, les demanderesses n’avaient toujours pas produit leur affidavit de documents à la date de l’examen de l’état de l’instance, et la Cour a donc rendu une ordonnance de gestion du cas en vue de fixer les dates limites auxquelles les demanderesses pouvaient signifier leur affidavit de documents et où les parties pouvaient procéder aux interrogatoires préalables. Toutefois, les demanderesses n’avaient pas respecté la date limite fixée pour la production de leurs documents. Les avocats des défenderesses avaient attiré l’attention des avocats des demanderesses sur cette omission, mais aucune réponse n’avait été reçue. La Cour a par la suite enjoint aux demanderesses de donner les raisons pour lesquelles leur action ne devait pas être rejetée pour cause de retard; en décidant que l’action devait être rejetée, la Cour a statué ce qui suit aux paragraphes 20 à 23 :

20            À mon avis, un manquement injustifié à une ordonnance de la Cour établissant un échéancier est en soi une chose sérieuse. Quand cette ordonnance vient suite à un exercice d’examen de l’instance, un manquement injustifié est encore plus sérieux et le degré de tolérance de la Cour sera d’autant moindre. Après tout, la Cour fait alors face à un dossier qui se trouve pour une deuxième occasion en état de délinquance. Le test à appliquer alors m’apparaît devoir être encore plus simple que celui que l’on peut tirer des arrêts France‑Canada Éditions et Publications Inc. et al c. 2845‑3728 Québec Inc., décision non publiée du 9 mars 1999, dossier de la Cour T‑2278‑92, et Baroud v. Canada, [1998] F.C.J. No 1729. À mon sens, une saine administration de la justice justifie que la constatation d’un manquement injustifié est alors suffisante en soi pour qu’un demandeur voie son action rejetée pour cause de retard.

 

21            Certes, une radiation d’action entraîne à coup sûr un préjudice certain pour un demandeur. Toutefois, en termes d’examen de l’état de l’instance, l’appréciation du préjudice pour une partie ne fait pas partie de l’équation à retenir (voir l’arrêt Multibond Inc. v. Duracoat Powder Manufacturing Inc., décision non publiée du 4 octobre 1999, dossier de la Cour T‑1703‑94). Ceci m’apparaît d’autant plus vrai lorsque l’on se situe, comme ici, dans une situation post‑avis d’examen de l’état de l’instance. S’il y a un préjudice à prendre alors en considération c’est celui de la Cour et de ses utilisateurs qui se conforment aux règles et aux ordonnances. Tel que l’a écrit mon confrère Hargrave dans l’arrêt Trusthouse Forte California Inc. et al. v. Gateway Soap & Chemical Co. (1998), 161 F.T.R. 88, en page 89 :

Les présents motifs rappellent aux plaideurs qu’ils ne doivent pas retarder indûment les procédures et accaparer inutilement les ressources de la Cour. Un demandeur qui se comporte ainsi risque de voir rejeter son action. On aboutit sans cela à des procédures altérées par le passage du temps, et non seulement cela déconsidère‑t‑il la Cour et son mode de gestion des instances mais cela affecte aussi, voire défavorise, les autres plaideurs qui voudraient que leurs affaires soient promptement tranchées.

 

22            Ici il y a même plus en termes de comportement inacceptable.

 

23            En l’espèce, la Cour est d’avis que les demanderesses se sont très peu souciées de l’ordonnance de la Cour du 16 mars 1999. Elles ont laissé les diverses étapes de celle-ci expirer sans se soucier aucunement d’obtenir un amendement de la Cour. Le 9 novembre 1999, les demanderesses se faisaient rappeler par la défenderesse leur manquement sans que cela entraîne une réaction de leur part. Dieu sait quand les demanderesses auraient recontacté la Cour par requête n’eût été de l’ordonnance de celle-ci datée du 5 janvier 2000 et émise par la Cour de sa propre initiative.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[26]           En l’espèce, il ne semble pas être contesté que les documents que les défendeurs ont expressément demandés aux demandeurs le 3 février 2005 sont de fait, eu égard aux circonstances de l’affaire, des documents pertinents. Il semble que, pendant la période pertinente, et même à ce jour, la pertinence desdits documents n’ait jamais été remise en question. En fait, ces documents auraient dû être énumérés et produits par les demandeurs peu de temps après la clôture des actes de procédure sans qu’il soit même nécessaire pour les défendeurs de signaler ce fait aux demandeurs.

[27]           À coup sûr, au mois de février 2005, lorsque l’avocat des défendeurs et l’avocat des demandeurs ont tenté d’attirer expressément l’attention de ceux‑ci sur la chose, les demandeurs auraient dû rassembler et produire à bref délai les documents demandés ou du moins ils auraient dû informer les défendeurs que les documents, ou certains d’entre eux, n’étaient pas immédiatement disponibles ou n’étaient pas en leur possession, sous leur autorité ou sous leur garde.

[28]           Or, les demandeurs ne l’ont pas fait à ce moment‑là, ni cinq mois plus tard à l’étape de l’examen de l’état de l’instance, ni le 19 octobre 2005, lorsqu’ils ont signifié un prétendu affidavit de documents, ni en réponse aux lettres que les défendeurs leur avaient envoyées aux mois de novembre et de décembre 2005.

[29]           Le 10 mars 2006, comme il en est fait mention ci‑dessus au paragraphe 22, le demandeur Angnatok a déposé un affidavit dans lequel il tentait de donner la raison pour laquelle les documents demandés ne faisaient pas partie de l’affidavit de documents des demandeurs du 19 octobre 2005. Ledit affidavit est encore une fois reproduit ci‑dessous pour plus de commodité :

[traduction]

Je, Joey Angnatok, de Nain (Terre‑Neuve‑et‑Labrador) déclare sous serment ce qui suit :

 

1.             Je suis demandeur dans la présente affaire et je suis administrateur de Putjotik Fisheries Ltd., une autre demanderesse dans la présente affaire.

 

2.             Le 19 octobre 2005 ou vers cette date, j’ai signé un affidavit de documents, qui a été déposé dans le délai prescrit par la Cour.

 

3.             Nos avocats m’ont informé que les avocats des défendeurs ont demandé des documents additionnels. J’ai tenté d’obtenir certains de ces documents, mais il m’a été difficile de le faire étant donné qu’un grand nombre d’entre eux sont en la possession de tiers, comme le ministère des Pêches et des Océans.

 

4.             J’ai demandé à mes avocats de soumettre une demande d’accès à l’information au ministère des Pêches et des Océans (le MPO) afin d’obtenir le dossier complet concernant les navires What’s Happening et Newfoundland Navigator pour la période pertinente. On m’a informé que ces renseignements sont particulièrement pertinents dans la réclamation des demandeurs étant donné que l’observateur des pêches Cyril Forward était à bord du Newfoundland Navigator au moment de l’incident et qu’il a pris des photographies et a soumis un rapport complet au MPO.

 

5.             J’ai également demandé des renseignements à des tiers comme Tomgat Fisheries, un transformateur de poisson qui achète le poisson des demandeurs.

 

6.             Je vis à Nain (Labrador), qui est une région éloignée isolée de Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Je suis également un pêcheur qui passe énormément de temps en mer. Ces facteurs m’ont parfois rendu la tâche difficile lorsqu’il s’est agi de préparer des documents et de fixer les dates des interrogatoires préalables. Je crois comprendre qu’à cause de ces facteurs, il a parfois également été difficile pour nos avocats d’obtenir des instructions et de faire avancer l’affaire avec plus de célérité. Toutefois, je prie la Cour de prendre ces facteurs en compte.

 

7.             Pour faire avancer cette affaire, je me propose de déposer tout document supplémentaire demandé par la Cour à la date prescrite par celle‑ci. Je me propose également de faire commencer les interrogatoires préalables au plus tard à la nouvelle date fixée par ordonnance et je sollicite respectueusement une ordonnance maintenant la présente action.

 

[30]           Dans l’ensemble, ledit affidavit n’était pas accompagné – même au 10 mars 2006 – des documents demandés et on donnait pour la première fois à entendre, sans fournir d’explications, que certains documents étaient en la possession de tiers et non en la possession des demandeurs.

[31]           L’auteur de l’affidavit Angnatok ne précise pas quels documents seraient censément en la possession de tiers, pourquoi ce fait est invoqué maintenant seulement et pourquoi il ne joint pas à son affidavit les demandes par lesquelles il a censément tenté d’obtenir les documents.

[32]           Cet affidavit ne dit rien non plus au sujet du moment exact où des mesures de retrait ont été prises. La lecture combinée des paragraphes 2 et 3 de l’affidavit nous amène également à conclure que l’on n’avait pas demandé aux demandeurs, avant qu’ils établissent l’affidavit du 19 octobre 2005, de rassembler et de produire les documents demandés alors que, comme il en a déjà été fait mention, leur propre avocat avait indiqué dès le 18 février 2005 qu’une telle demande avait été portée à l’attention des demandeurs pour qu’ils y répondent.

[33]           Les lacunes susmentionnées de l’affidavit Angnatok daté du 10 mars 2006 amènent la Cour à accorder peu de poids audit affidavit et même à n’y accorder aucun poids.

[34]           Au paragraphe 6 de l’affidavit, l’auteur de l’affidavit déclare résider dans une région éloignée et être souvent en mer, puisqu’il est pêcheur. Les demandeurs ont abusé de l’indulgence de la Cour en ce qui concerne ces facteurs. Ils avaient signalé ces facteurs dès le mois de juillet 2005, dans les observations qu’ils avaient présentées par écrit dans le cadre de l’examen de l’état de l’instance. Ces facteurs ont à coup sûr influencé ma collègue Aronovitch lorsqu’elle a permis la poursuite de l’instance. Toutefois, comme il en a ci‑dessus été fait mention, au paragraphe 15, la protonotaire a fait la remarque suivante dans son ordonnance du 22 septembre 2005 :

[traduction] Il incombe aux demandeurs de poursuivre leur action. Malgré les explications que l’avocat des demandeurs a données au sujet des exigences de la profession saisonnière exercée par ses clients, les demandeurs doivent veiller à ce que l’action soit instruite en temps opportun et ils doivent se conformer strictement à l’échéancier établi ci‑dessous [...]

[35]           Quant au plan d’action proposé par l’auteur de l’affidavit Angnatok au paragraphe 7 de l’affidavit, aux fins de l’avancement de l’affaire, les paragraphes précédents de l’affidavit et les lacunes que cet affidavit présente rendent cette proposition chimérique et sujette à des événements incontrôlables.

[36]           Par conséquent, il est possible de faire une distinction entre les circonstances factuelles de la présente affaire et la situation qui existait dans les affaires suivantes que les demandeurs ont citées : Sokolowska c. Canada, 2004 CAF 318, et Intertech Marine Ltd. c. Menendez, 2004 CF 1456. Dans ces décisions, la présente Cour et la Cour d’appel fédérale ont jugé bon de donner une dernière chance à la partie en défaut.

[37]           Toutefois, dans l’arrêt Sokolowska, la Cour d’appel fédérale avait devant elle un contribuable qui agissait pour son propre compte et qui avait besoin de temps et de rappels pour que sa cause soit en règle. Dans la décision Intertech Marine, la propre conduite des défendeurs laissait à désirer, et la Cour semblait être d’avis que l’affaire pouvait néanmoins avancer rapidement si elle était soumise à des conditions strictes.

[38]           En l’espèce, comme il en a déjà été fait mention, l’affidavit Angnatok est au mieux déconcertant pour ce qui est du moment où l’affaire pourrait avancer, que ce soit avec célérité ou non.

[39]           Dans les observations écrites qu’ils ont soumises à l’encontre de la requête ici en cause, les demandeurs ont soutenu qu’étant donné que l’ordonnance rendue par ma collègue Aronovitch le 22 septembre 2005 n’indiquait pas les documents précis à inclure au plus tard le 20 octobre 2005 dans leur affidavit de documents, l’affidavit de documents du 19 octobre 2005 des demandeurs doit être considéré comme conforme à l’ordonnance.

[40]           Je ne souscris absolument pas à cette position.

[41]           Comme il a ci‑dessus été démontré, il est juste de considérer que, dès le milieu du mois de février 2005, les parties avaient conclu d’avance que l’affidavit de documents des demandeurs devait inclure, entre autres, les documents demandés. Dans son ordonnance du 22 septembre 2005, ma collègue n’avait pas à en dire plus que ce qu’elle a dit.

[42]           En n’incluant pas les documents demandés le 19 octobre 2005, les demandeurs ont omis de se conformer à l’ordonnance rendue le 22 septembre 2005, après l’examen de l’état de l’instance, en vue d’établir l’échéancier; ils ont en outre omis d’observer l’article 223 des Règles, qui aurait dû les amener à envisager eux‑mêmes d’inclure les documents demandés peu de temps après la clôture des actes de procédure; en outre, ils ont aggravé encore plus un retard injustifié dans la poursuite de leur cause.

[43]           Devant un tel état de choses, l’avocat des défendeurs pouvait à juste titre envoyer sa lettre du 2 décembre 2005 et déposer la requête du 13 janvier 2006 ici en cause puisque les demandeurs n’avaient pas répondu à la lettre du 2 décembre 2005. L’avocat des demandeurs semblait soutenir que ladite requête devait être considérée comme prématurée étant donné que la date limite du 31 janvier 2006 qui avait été fixée aux fins de la tenue des interrogatoires préalables n’était pas encore passée au moment où la requête ici en cause a été déposée.

[44]           Il s’agit d’un argument spécieux.

[45]           Il n’y a rien dans l’avis de requête déposé le 13 janvier 2006 qui indique que ladite requête devait être entendue avant le 31 janvier 2006. Si, entre le 13 janvier et le 31 janvier 2006, les demandeurs avaient remis aux défendeurs les documents demandés et avaient proposé les dates des interrogatoires préalables, on peut supposer qu’ils se seraient mis dans une situation où les défendeurs devraient réexaminer leur position.

[46]           Pour les motifs susmentionnés, la requête que les défendeurs ont présentée en vue d’obtenir une ordonnance rejetant l’action des demandeurs pour le motif que la poursuite de l’action par les demandeurs accusait un retard injustifié a été accueillie avec dépens par une ordonnance en date du 16 mars 2006.

« Richard Morneau »

Protonotaire

 

Montréal (Québec)

Le 18 avril 2006

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 


DOSSIER :

 

INTITULÉ :


T‑1257‑04

 

            PUTJOTIK FISHERIES LTD., JOEY ANGNATOK, ROGER BATH, DARREL GREY, ERROL ANDERSON, RICKY EDMUNDS et DENNIS JACQUE

 

            et

 

MERSEY SEAFOODS LIMITED et LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE THE MERSEY VIKING


 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    MONTRÉAL (QUÉBEC), PAR TÉLÉCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   LE 16 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :      RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

 

DATE DES MOTIFS :                          LE 18 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip G. Warren                                       POUR LES DEMANDEURS

 

Richard F. Southcott                                 POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet d’avocats Wayne White               POUR LES DEMANDEURS

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

 

Stewart McKelvey Sterling Scales             POUR LES DÉFENDEURS

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

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