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Date : 19991026


Dossier : IMM-6774-98

ENTRE:

     ABDELATIF BENALI

     Demandeur

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié rendue le 9 décembre 1998 selon laquelle le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]      Le demandeur est un citoyen d"Algérie qui a travaillé comme fonctionnaire au service de la Direction des impôts de novembre 1987 jusqu"à 1993.


[3]      En 1993, il a quitté l"Algérie pour la France où il y a passé trois ans pour obtenir un diplôme d"instrumentation biomédicale. Selon son témoignage, il a été rappelé à son ancien poste à la Direction des impôts pour le 5 août 1996.


[4]      Quelques jours plus tard, soit le 19 août 1996, en rentrant chez lui, il trouva une lettre de menace dans laquelle on lui reprochait d"être retourné au Service des impôts. Le lendemain, il recevait des coups de fil anonymes de menace. Le même jour, le demandeur prétend avoir été témoin de l"assassinat d"un ami dans son quartier.


[5]      Il décide alors de quitter le pays et de retourner en France, où un avocat lui suggère de se rendre au Canada.


[6]      Avant de quitter la France pour le Canada, le demandeur retournera néanmoins en Algérie pour y rencontrer sa famille pendant 4 ou 5 jours. Il quittera définitivement l"Algérie pour la France et les États Unis, où il séjournera plus d"un an et demi, sans revendiquer le statut de réfugié; ni en France, ni aux États Unis. Ce n"est qu"une fois arrivé au Canada qu"il revendiquera le statut de réfugié.


[7]      Le demandeur revendique le statut de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social, soit comme employé du gouvernement algérien.


DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT

[8]      La Section du statut a conclu que le demandeur n"a pas démontré que sa crainte de persécution était bien fondée. Elle a trouvé que le témoignage était truffé de contradictions importantes en ce qui a trait à des éléments majeurs.


[9]      La Section du statut a d"abord trouvé curieux que la lettre de menace que le demandeur allègue avoir reçue aurait été rédigée en français, alors que selon les connaissances spécialisées du tribunal, les islamistes utilisent l"arabe littéraire dans toutes leurs communications tant orales qu"écrites. La Section soutient que le demandeur, après avoir été confronté par ce fait, n"a pu offrir aucune explication.


[10]      Par ailleurs, la Section considère également que le demandeur n"a pas réussi à démontrer son intégration dans son ancienne fonction et qu"il était curieux que le demandeur ait déposé une demande de réintégration dans ses anciennes fonctions, alors que la situation s"était particulièrement détériorée en Algérie, entre les années 1993 et 1996. La Section du statut a considéré que sa demande d"intégration dans son ancien poste n"était pas plausible dans les circonstances. Elle a noté que le demandeur était revenu en Algérie, en septembre, après avoir quitté en août pour ensuite repartir pour les États Unis, où il a résidé pendant un an et demi sans encore une fois réclamer le statut de réfugié.


[11]      La Section du statut a également souligné que le demandeur avait d"abord mentionné qu"il avait été immobilisé pendant dix mois à cause d"une verrue infectée à un pied, pour apprendre après avoir pressé le demandeur de questions, qu"il n"avait été immobilisé qu"une semaine et qu"il avait travaillé illégalement pour le reste du temps.


[12]      La Section a déclaré que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention.


PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[13]      Le demandeur suggère que la Section du statut a commis une erreur en ne donnant pas avis au demandeur qu"elle référait à ses connaissances spécialisées quant à l"écriture des lettres de menace en arabe plutôt qu"en français. Le demandeur soumet que l"absence de l"avis formel visant à confronter le demandeur à cette connaissance spécialisée du tribunal, constitue une erreur révisable par la Cour. Qui plus est, le demandeur soutient que contrairement à ce qui est mentionné dans sa décision, le demandeur n"a jamais été confronté à cette question de la langue et que cela constitue une erreur.


[14]      Le demandeur soutient par ailleurs que l"absence de corroboration quant à son intégration ne permet pas à la Section du statut de rejeter prétendument par prépondérance de preuve, les autres parties du témoignage du demandeur, lesquelles n"ont pas à être corroborées.


[15]      Quant au retour en Algérie, le demandeur attire l"attention de la Cour au fait que ce retour en Algérie pour quelques jours avait été mentionné à son FRP (Formulaire de renseignements personnels) non pas en réponse à la question 37, mais à la question 31, quant à son itinéraire de voyage.


[16]      Le demandeur maintient, par ailleurs, que son comportement relativement à sa crainte subjective peut être qualifié d"imprudent, de téméraire, d"inconscient ou de stupide, mais quoi qu"il en soit, le délai de revendiquer le statut de réfugié pour un fonctionnaire algérien ne saurait affecter l"issue de sa demande, considérant que le danger pour un fonctionnaire subsiste toujours, que le revendicateur ait peur ou non.


LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[17]      Le défendeur soutient qu"on peut déduire des notes sténographiques que le demandeur a bel et bien été confronté avec la connaissance spécialisée du tribunal et que, quoi qu"il en soit, le demandeur n"a présenté aucune preuve contredisant l"information ressortant de la connaissance spécialisée du tribunal et que ce n"est qu"un élément parmi tant d"autres qui a contribué à affaiblir la crédibilité du demandeur.


[18]      Le défendeur soutient que la preuve ne permettait pas de conclure que le demandeur avait réintégré son poste puisque le demandeur n"a soumis aucune preuve tangible, aucun document démontrant qu"il avait bel et bien retrouvé les fonctions qu"il occupait antérieurement en 1993.


[19]      En ce qui concerne son retour en Algérie pour 4 ou 5 jours, avant son départ pour les États Unis, le demandeur avait tout à fait négligé de le mentionner dans sa description des événements qui avaient précédé son départ pour le Canada.


[20]      Le défendeur souligne, par ailleurs, que ce qui a mené la Section du statut à douter de la véracité de la crainte subjective du demandeur n"est pas qu"il n"ait pas mentionné ce séjour en Algérie, mais plutôt qu"il ait effectué ce séjour alors qu"il avait quitté l"Algérie prétendant que sa sécurité était menacée. Le fait qu"il soit retourné volontairement dans le pays à l"égard duquel il revendique et le fait qu"il n"a pas revendiqué à la première occasion soit en France, soit aux États Unis, sont des éléments que la Section du statut peut prendre en considération lors des évaluations de la crédibilité de la crainte subjective.


ANALYSE

[21]      En l"espèce, la Section du statut a fait référence à ses connaissances spécialisée. Ce faisant, elle se devait en vertu des paragraphes 68(4) et 68(5) de la Loi sur l"immigration de permettre au demandeur de faire des représentations. Il semble que la Section du statut n"a pas été très précise quant à l"avis à être donné. Mais, bien que cette imprécision soit regrettable, il apparaît clair du dossier que cet élément n"est pas un élément déterminant et que plusieurs autres points ont été trouvés soit invraisemblables ou encore non plausibles, eu égard aux circonstances.


[22]      Par ailleurs, la Section du statut a considéré que l"intégration du demandeur à son poste au Service des impôts était invraisemblable, puisqu"en cette période de temps, les fonctionnaires algériens étaient ciblés par les terroristes. Il s"agit d"une conclusion de faits relevant de la compétence de la Section du statut. Cette conclusion n"apparaît pas erronée compte tenu de la preuve et je ne vois pas de raison que cette Cour doive intervenir dans les circonstances.


[23]      Quant au comportement du demandeur, il n"était pas déraisonnable pour la Section du statut de considérer que la conduite du demandeur était incompatible avec une crainte raisonnable d"être persécuté dans son pays d"origine.


[24]      Le juge Décary a énoncé la norme de contrôle judiciaire de la vraisemblance dans l"affaire Aguebor c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1993] A.C.F. no 732:

             Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu"est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d"un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d"un récit et de tirer les inférences qui s"imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d"attirer notre intervention, ses conclusions sont à l"abri du contrôle judiciaire.             

[25]      La Section du statut a également considéré de façon négative le retard à formuler une demande de statut de réfugié et le fait qu"il n"ait pas demandé de se voir reconnaître le statut de réfugié lors de ses séjours successifs en France et aux États Unis, où il a séjourné pendant un an et demi.

[26]      La Cour fédérale d"appel dans Huerta c. M.E.I. (1994), 157 L.R. 225, à la page 227 a noté:

             Le retard à formuler une demande de statut de réfugié n"est pas un facteur déterminant en soi. Il demeure cependant un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d"un revendicateur. [...]             
             Les conclusions de la Commission selon lesquelles l"omission des requérants de demander la protection de la France et leur décision de retourner en Iran étaient incompatibles avec une crainte raisonnable d"être persécutés sont raisonnables et s"appuient sur la preuve.             

[27]      Suivant la preuve présentée devant elle, il n"était pas déraisonnable pour la Section du statut de rendre sa décision comme elle l"a fait.

[28]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29]      Le procureur du demandeur a soumis la question suivante:

     La preuve d"une crainte objective rend-elle inutile toute considération subjective, en droit?

[30]      Le procureur du défendeur s"est objecté à la certification de cette question, considérant qu"elle n"était pas déterminante quant à la conclusion de cette Cour.

[31]      Je suis du même avis que le procureur du défendeur et considère que cette question n"est pas déterminante quant à l"issue de ce dossier et qu"il s"agissait essentiellement d"une appréciation des faits par la Section du statut qui l"ont amenée à conclure au manque de crédibilité du demandeur.

[32]      Aucune question ne sera donc certifiée.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 26 octobre 1999


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