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Date : 20060519

Dossier : IMM‑5815‑05

Référence : 2006 CF 626

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

YI RONG GUO

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Guo a demandé d’être admise au Canada en qualité d’investisseur. Elle a été invitée à fournir, entre autres choses, des détails concernant ses antécédents professionnels et à établir que les fonds qu’elle souhaitait investir n’avaient pas été mal acquis. La Section de l’immigration de l’ambassade du Canada à Beijing a vérifié l’exactitude des renseignements fournis et rejeté sa demande. Le directeur du programme a décidé qu’elle était interdite de territoire aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) parce qu’elle avait présenté un faux certificat de travail et de revenu. Il s’agit ici du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               L’enquête effectuée par l’ambassade a été bâclée. Il s’agit de savoir si elle a été tellement bâclée que la Cour doit faire droit à la demande de contrôle judiciaire et ordonner que la demande de Mme Guo soit renvoyée pour nouvelle décision à des agents qui n’ont pas participé au processus décisionnel initial. Quelle que soit la norme de contrôle applicable, la conclusion de l’enquête est si manifestement déraisonnable que je fais droit à la demande pour les motifs suivants.

 

[3]               Mentionnons dès le départ que selon la common law, un étranger n’a pas le droit d’entrer au Canada ni d’y demeurer (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711). Cependant, lorsqu’une loi comme la LIPR est adoptée, elle doit être correctement appliquée. Dans sa demande de résidence permanente au Canada, Mme Guo a indiqué qu’elle avait quitté l’emploi qu’elle occupait dans un hôpital pour se lancer dans une carrière commerciale en 1991 avec la société Yunnan Fire Apparatus Supplying Co. Elle a gravi les échelons dans le service des ventes et a occupé successivement les postes de magasinière de matériel, caissière et préposée aux devis. En 1994, elle a été nommée au poste de directrice des ventes. Elle a fourni des renseignements concernant son salaire et les primes qu’elle a obtenus pendant toute la période pendant laquelle elle travaillait pour cette société, lesquels ont été certifiés par la société. En mars 1998, elle a mis sur pied sa propre société avec un associé.

 

[4]               Dans ses notes, l’ambassade mentionne que la demande était d’une façon générale bien documentée, mais a décidé de vérifier certains faits, notamment les revenus qu’elle avait gagnés de 1994 à 1997 à titre de directrice du service des ventes.

 

[5]               Un agent dont les initiales sont LUZ a inscrit dans le dossier le 2 février 2005 qu’il avait téléphoné à la société et parlé à un M. Wang qui s’était présenté comme étant le directeur général adjoint chargé de la rémunération du personnel. Il aurait dit qu’à l’époque en question, la demanderesse était une vendeuse ordinaire et non pas directrice des ventes et que son salaire était bien inférieur à celui qu’elle avait déclaré. Il a ajouté que le père de Mme Guo avait été directeur général, mais avait pris sa retraite en 1997. Il a également fourni le nom de jeune fille de la mère de Mme Guo et mentionné que Mme Guo avait changé son nom en 1996.

 

[6]               La Section de l’immigration de l’ambassade a écrit à Mme Guo, ce qui n’est guère surprenant, pour l’informer du fait que sa demande soulevait un certain nombre de questions. Il lui a été rappelé que le paragraphe 16(1) de la LIPR exigeait que l’auteur d’une demande réponde de façon véridique à toutes les questions qui lui sont posées. L’agent a déclaré qu’il avait des motifs de croire qu’elle avait fait une fausse déclaration concernant ses antécédents professionnels et son avoir net personnel en [traduction] « présentant un faux certificat de travail et de revenu concernant la société Yunnan Fire Apparatus Supplying Company ». L’agent conclut ainsi : [traduction] « J’aimerais vous donner la possibilité de fournir des explications à ce sujet. Je vous accorde 30 jours à partir de la réception de la présente lettre pour nous présenter des observations à ce sujet. »

 

[7]               Mme Guo a répondu rapidement en envoyant une lettre d’explication émanant de M. Wang dans laquelle celui‑ci déclarait qu’il n’avait été embauché par la société qu’en juillet 1998 et avait demandé à un autre employé de lui remettre les dossiers concernant Mme Guo. Malheureusement, les renseignements qui lui ont été fournis provenaient d’un autre dossier, ce qui explique pourquoi il a transmis des renseignements inexacts à l’ambassade. Il a vérifié à nouveau ces renseignements et constaté que le certificat initial était véridique et exact. Il a offert des excuses et a proposé de répondre à toutes les questions que l’ambassade pourrait souhaiter lui poser. Il a fourni un numéro de téléphone, un numéro de téléphone cellulaire et un numéro de télécopieur.

 

[8]               D’après le dossier de l’ambassade, un autre agent, dont les initiales étaient PMQ, a examiné la lettre de M. Wang, qu’il a qualifiée de rétractation. Il a estimé que cette histoire n’était pas digne de foi et a noté qu’il aurait été plus rassuré si la lettre avait été accompagnée de dossiers d’archives authentiques concernant le personnel de cette société.

 

[9]               En fin de compte, « DRS » a rejeté la demande de la demanderesse aux termes de l’article 40 de la Loi, comme cela a été mentionné plus haut.

 

[10]           La conversation téléphonique avec M. Wang laissait légitimement entrevoir la possibilité que Mme Guo ait présenté de manière inexacte sa situation. Il est bien établi dans la jurisprudence que l’agent des visas doit informer le demandeur de ses doutes et lui accorder une véritable possibilité de fournir des explications. Dans la décision Khwaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 522, le juge Blanchard a récemment examiné un certain nombre de décisions portant sur ce point.

 

[11]           Ces doutes étaient exprimés dans une lettre adressée à Mme Guo. Cependant, l’agent craignait qu’elle ait présenté un « faux certificat de travail et de revenu ». Elle a répondu en envoyant une lettre émanant du même M. Wang qui avait fourni antérieurement les renseignements par téléphone. Dans cette lettre, M. Wang expliquait qu’il avait commis une erreur et qu’il était tout à fait disposé à répondre à toute question qu’on souhaiterait lui poser. Aucune question ne lui a été posée. Mme Guo n’a jamais été invitée à produire les dossiers d’archives de la société. Selon l’article 16 de la LIPR, elle était tenue de donner « les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter […] et [les] documents requis ». Les doutes portaient uniquement sur le certificat. Elle a fourni ce qui paraissait être une réponse complète aux questions soulevées par le certificat.

 

[12]           L’analyse effectuée par les fonctionnaires de l’ambassade ne résiste à aucun examen. La Cour a été invitée à conclure que M. Wang n’avait fait qu’un seul appel téléphonique parce que les notes informatisées ne contenaient qu’une seule inscription à ce sujet. M. Wang aurait par conséquent menti lorsqu’il s’est rétracté, et lorsqu’il a déclaré qu’il avait fallu rechercher des dossiers. La Cour a été invitée à tenir pour acquis qu’il avait tous ces dossiers à sa disposition. C’est faire un acte de foi non justifié que de tirer une déduction d’une inscription qui ne figurait pas dans les notes.

 

[13]           Que contenaient ces notes? Au cours de l’appel téléphonique, M. Wang a déclaré que Mme Guo avait été embauchée par la société en 1993. Elle a déclaré avoir été embauchée en 1991. Il y avait en outre tous ces renseignements concernant son changement de nom, le fait que son père avait travaillé pour cette société et le nom de jeune fille de sa mère. Ces éléments appelaient manifestement une vérification supplémentaire.

 

[14]           Dans la décision Shi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1224, la juge Snider a examiné une décision qui concernait un certificat d’imposition qui avait été jugé être un faux document. M. Shi affirmait qu’il y avait eu une erreur et n’avait pas tenté d’obtenir auprès du bureau de l’impôt des preuves susceptibles de réfuter cette conclusion. La juge Snider a déclaré : « Si M. Shi avait le sentiment que le bureau fiscal avait commis une erreur, il aurait été judicieux qu’il communique avec lui immédiatement pour corriger la situation. » En l’espèce, l’erreur a été commise par M. Wang. Mme Guo a réagi avec bon sens et a immédiatement communiqué avec lui. Les doutes qu’entretenaient les fonctionnaires du ministère auraient dû les inciter à faire un suivi (Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1615, [2005] A.C.F. no 1990).

 

[15]           Bien entendu, il est possible que Mme Guo ne dise pas la vérité et que les renseignements qu’avait fournis M. Wang par téléphone soient véridiques. Il n’existe toutefois aucun élément de preuve qui permettait aux agents d’immigration de ne pas la croire. Par conséquent, il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

 

ORDONNANCE

 

            VU la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre‑conseiller – directeur de programme (Immigration) prise à Beijing le 26 juillet 2005 par laquelle celui‑ci a décidé que la demanderesse n’avait pas le droit d’immigrer au Canada en qualité de membre de la catégorie des investisseurs de la province de Québec pour le motif qu’elle avait présenté un faux certificat de travail et de revenu :

 

            LA COUR ORDONNE :

1.                  Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire.

2.                  L’affaire est renvoyée à la Section de l’immigration de l’ambassade du Canada à Beijing pour nouvelle décision par des agents n’ayant pas participé au processus décisionnel initial.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5815‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   YI RONG GUO

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 9 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen James Fogarty

 

      POUR LA DEMANDERESSE

Martine Valois

 

      POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stephen James Fogarty

Avocat

Montréal (Québec)

 

      POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

      POUR LE DÉFENDEUR

 

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