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Date : 20200325


Dossier : T‑1535‑19

Référence : 2020 CF 415

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

KENNETH PATRICK PIKE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par une déléguée du ministre de l’Emploi et du Développement social (la déléguée du ministre ou la déléguée) en date du 9 septembre 2019. La déléguée du ministre a conclu que M. Pike ne s’était pas vu refuser une prestation par suite d’un avis erroné ou d’une erreur administrative comme le prévoit l’article 32 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, c O‑9 (LSV).

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Le contexte

[3]  Le contexte de cette affaire est long, mais, pour les besoins des présents motifs, il est possible de résumer les événements pertinents comme suit.

[4]  Le 29 janvier 2013, Service Canada a envoyé une lettre à M. Pike pour l’informer que, selon ses dossiers, l’organisation n’avait pas encore reçu sa demande de prestation de la Sécurité de la vieillesse (SV), prestation à laquelle il était peut‑être admissible. Service Canada a joint à la lettre un formulaire de demande (SC ISP‑3000 (2012‑01‑01) E) et un feuillet de renseignements (SC ISP‑3000A (2012‑01‑01) E). M. Pike a rempli et présenté le formulaire de demande, et, dans une lettre non datée, Service Canada l’a informé que sa demande avait été approuvée et que le service de sa pension de la SV allait commencer en février 2014. Dans une autre lettre non datée, Service Canada a informé M. Pike que, dans le cadre du régime public de pensions du Canada, les aînés dont le revenu net prévu était supérieur à 70 954 $ au cours de l’année d’imposition 2013 devaient rembourser la totalité ou une partie de leur pension de la SV et que l’organisation recouvrerait les fonds en question au moyen d’un impôt de récupération mensuel. L’impôt de récupération a été calculé à 551,54 $, soit la totalité de la prestation de M. Pike.

[5]  Le 21 avril 2015, M. Pike a écrit à Service Canada pour dire qu’il avait récemment appris qu’il existait une option lui permettant de reporter sa pension s’il travaillait encore, possibilité qui n’avait pas été mentionnée dans la lettre d’autorisation ou « d’approbation » de sa pension que lui avait envoyée Service Canada. Il a demandé le report de sa pension rétroactivement à compter de sa date d’admissibilité, soit février 2014.

[6]  De nombreuses communications ont suivi. Dans une lettre datée du 5 juin 2015, Service Canada a rejeté la demande de M. Pike au motif que ce dernier ne l’avait pas présentée dans les six mois suivant la date du premier versement de sa pension, soit février 2014. Le 14 novembre 2015, M. Pike a demandé une révision de la décision, demande qui a été rejetée dans une lettre datée du 20 novembre 2015 intitulée [traduction« Lettre de décision concernant la révision ». Le contenu de la lettre en question est reproduit ci‑dessous, car il décrit le contexte du droit de report et le motif du rejet de la demande de report de M. Pike :

[traduction]

Dans le budget de 2012, le gouvernement du Canada a annoncé une mesure qui permettra de reporter volontairement une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV); elle doit entrer en vigueur le 1er juillet 2013. Ce changement permet aux personnes de reporter le versement de leur pension de la SV, à compter du mois où elles y deviennent admissibles, et ce, pour une période maximale de 60 mois, c’est‑à‑dire jusqu’à l’âge de 70 ans, en échange d’une pension plus élevée subséquemment.

De plus, dans le discours du budget fédéral de 2012, le gouvernement a annoncé des modifications à la Loi sur la sécurité de la vieillesse visant à permettre à un pensionné d’annuler sa pension de la Sécurité de la vieillesse, à compter du 1er mars 2013, pourvu qu’il en avise le Ministère par écrit dans les six mois à compter de la date à laquelle la pension a commencé (c’est‑à‑dire à partir de la date du premier versement). Les personnes qui annulent leur pension de la SV pourraient tirer avantage du report volontaire de la pension de la SV.

En juin 2013, il a été reconnu que les personnes qui avaient déjà présenté une demande pour recevoir leur pension de la SV n’étaient peut‑être pas au courant de tels changements, car l’information en question ne figurait pas dans la demande de pension de la SV ni dans la lettre d’approbation de la SV qu’elles avaient reçue. En vue de les informer, une lettre d’avis spécial a été envoyée durant la semaine du 24 juin 2013 afin de les inviter à aviser le ministère par écrit si elles ne souhaitent pas recevoir leur pension de la SV à ce moment‑là. Environ 280 000 personnes qui recevaient ou attendaient d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013 ont reçu cet avis spécial.

Un exemplaire de la lettre en question est joint à la présente.

Étant donné que votre demande de pension de sécurité de la vieillesse a été reçue en date du 6 mars 2013 et traitée le 21 mars 2013, la lettre d’avis spécial devrait vous avoir été envoyée.

Le 21 avril 2015, vous avez présenté par écrit une demande d’annulation du service de votre pension de la Sécurité de la vieillesse afin de le reporter. Nous avons refusé la demande en question parce que nous l’avons reçue plus de six mois après le début du service de votre pension.

La décision est maintenue.

[7]  M. Pike a interjeté appel auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (TSS), qui a rejeté son appel. Il s’est ensuite adressé à la division d’appel du TSS, qui a refusé de lui accorder la permission d’interjeter appel. Il a par la suite présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel.

[8]  Il convient de souligner que, devant la division générale et la division d’appel du TSS ainsi que devant la Cour, dans l’affaire Pike c Canada (Procureur général), 2019 CF 135 (Pike), M. Pike a affirmé n’avoir reçu aucun renseignement l’informant qu’il pouvait reporter sa pension. Plus précisément, il a soutenu ne pas avoir reçu la lettre d’avis spécial de juin 2013 (Pike, par 30 et 31).

[9]  Le juge Norris a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Pike relativement à la décision de la division d’appel du TSS de refuser sa demande d’autorisation d’interjeter appel. Il a tranché ainsi parce que la division générale n’a pas le pouvoir de proroger la période de six mois durant laquelle une personne peut faire annuler sa pension, raison pour laquelle le refus de la division d’appel était raisonnable :

[32]  Pour une raison ou une autre, en refusant la permission d’en appeler, la division générale a jugé bon de souligner que l’information concernant les modifications apportées au régime de PSV était « facilement accessible » au public, ce qui sous‑entend à tout le moins que M. Pike aurait dû être au courant des modifications apportées à la loi. Cela n’est pas du tout pertinent. Il importe peu de savoir si M. Pike aurait dû ou non être au courant des modifications. Bien que la division d’appel se soit ainsi fondée sur une considération erronée, cela ne rend pas pour autant sa décision déraisonnable. La difficulté pour M. Pike était que, même s’il n’était pas au courant des modifications apportées à la loi, la division générale ne pouvait pas proroger le délai visant l’annulation du service de la pension pour cette raison. En clair, la division générale n’a pas rejeté son appel au motif qu’il aurait dû être au courant des modifications. Or, vu la portée limitée des pouvoirs qu’a conférés le législateur à la division générale, la conclusion de la division d’appel selon laquelle il n’existait pas de motifs d’appel défendables relativement à cette question était raisonnable.

[10]  Même si une telle constatation était suffisante pour trancher la demande de contrôle judiciaire dont il était saisi, le juge Norris s’est également demandé s’il n’aurait pas fallu traiter l’affaire au titre de l’article 32 de la LSV et a déclaré que, étant donné le pouvoir distinct que cette disposition confère au ministre, sa décision n’excluait pas la possibilité d’accorder un redressement à M. Pike en vertu de l’article 32 (Pike, par 35). Il a également souligné que l’avocat du défendeur avait confirmé que, si M. Pike devait présenter une demande de redressement fondée sur l’article 32 de la LSV, une enquête serait effectuée et une décision serait prise en vertu de cette disposition (Pike, par 38).

[11]  L’article 32 de la LSV est ainsi libellé :

[32]  S’il est convaincu qu’une personne s’est vu refuser tout ou partie d’une prestation à laquelle elle avait droit par suite d’un avis erroné ou d’une erreur administrative survenus dans le cadre de la présente loi, le ministre prend les mesures qu’il juge de nature à replacer l’intéressé dans la situation où il serait s’il n’y avait pas eu faute de l’administration.

[12]  Le 10 février 2019, M. Pike a présenté une demande de redressement fondée sur l’article 32 de la LSV. Il a souligné que ni la lettre de Service Canada l’invitant à présenter une demande de pension de la SV, ni le formulaire de demande qui l’accompagnait, ni la lettre de Service Canada l’informant que sa pension avait été approuvée ne mentionnaient la possibilité de demander un report. En ce qui concerne la lettre d’avis spécial de juin 2013 envoyée à 280 000 Canadiens qui n’avaient pas été informés de l’option de report et qui recevaient ou attendaient d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013, il n’appartenait pas à cette catégorie, puisqu’il ne recevait pas à ce moment de versements et qu’il allait recevoir son premier versement en février 2014. Par conséquent, il n’a jamais reçu la lettre. Il a été oublié.

[13]  Dans une décision datée du 9 septembre 2019, la déléguée du ministre a rejeté la demande de M. Pike. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

La décision faisant l’objet du contrôle

[14]  Dans sa lettre de refus datée du 9 septembre 2019, la déléguée mentionne que les observations de M. Pike concernant son allégation — soit qu’il avait reçu un avis erroné de Service Canada, dans la mesure où il n’avait pas été informé de l’option de report volontaire au moment de la présentation et de l’approbation de sa demande de prestations de la SV — avaient fait l’objet d’un examen approfondi. Cependant, elle a conclu que M. Pike ne s’était pas vu refuser une prestation par suite d’un avis erroné pour les raisons suivantes :

[traduction]

Service Canada a reconnu que les personnes qui avaient déjà présenté une demande pour recevoir leur pension de la SV n’étaient peut‑être pas au courant des récents changements (parce que les renseignements à ce sujet ne figuraient pas dans la demande de pension de la SV qu’elles avaient remplie ni dans la lettre d’approbation de la SV qu’elles avaient reçue). Durant la semaine du 24 juin 2013, Service Canada a envoyé une lettre d’avis spécial à 280 000 personnes « qui reçoivent ou attendent d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013 ».

L’administration centrale a confirmé que votre numéro d’assurance sociale (NAS) figurait dans la liste des clients sélectionnés en vue de l’envoi de cet avis spécial.

Service Canada s’est acquitté « dans la mesure du possible » de sa responsabilité d’informer les clients de la modification législative liée au report.

[15]  Au terme de l’analyse susmentionnée, la déléguée du ministre était convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait pas eu d’erreur administrative.

[16]  Une analyse plus poussée de la décision en question figure dans un document intitulé « Rapport relatif à un moins payé découlant d’un avis erroné ou d’une erreur administrative » daté du 3 septembre 2019. Dans le document en question, la consultante en programme qui l’a rédigé a résumé la question en litige ainsi que l’allégation de M. Pike et son contexte en plus de procéder à une analyse et de formuler une recommandation. La déléguée du ministre a signé et approuvé le document.

[17]  La question en litige a été définie comme suit :

[traduction]

Le ministère a‑t‑il commis une erreur administrative en n’informant pas M. Kenneth Pike qu’il aurait pu reporter sa pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) à partir de la date de début et que, une fois le service de sa pension commencé, il avait seulement six mois pour annuler sa pension et la reporter? Le ministère aurait‑il dû permettre à M. Pike d’annuler sa pension de la SV afin qu’il puisse ensuite se prévaloir de l’option de report, et ce, malgré son défaut de présenter sa demande d’annulation dans le délai prescrit?

[18]  L’allégation de M. Pike a été décrite comme suit :

[traduction]

M. Pike prétend n’avoir reçu aucun renseignement sur le report lorsqu’il a présenté sa demande de pension de la SV en mars 2013 et lorsqu’il a reçu sa lettre d’approbation. Il prétend aussi ne pas avoir reçu l’Avis spécial de la SV (ISP7030), Communiqué sur le report volontaire de la pension de la SV, qui a été envoyé par la poste à 280 000 Canadiens durant la semaine du 24 juin 2013.

[19]  Le résumé détaillé du contexte est suivi d’une section d’analyse contenant trois questions assorties des options de réponse « oui » ou « non ». Les questions sont les suivantes : l’avis erroné a‑t‑il été donné par une personne exerçant des fonctions officielles liées à l’administration de la SV et du Régime de pensions du Canada (RPC)? Y a‑t‑il eu perte de prestation ou de partage des droits? Si l’erreur n’avait pas été commise, le demandeur/bénéficiaire aurait‑il eu droit aux prestations en question? Dans les trois cas, la réponse cochée était « Non ».

[20]  Une section « recommandation » suit celle de l’analyse. Dans un premier temps, il est souligné qu’un examen du dossier ne permettait pas de conclure à une erreur administrative parce que, lorsque la demande de pension de la SV présentée par M. Pike en 2013 a été traitée en mars 2013 — avec une date de début en février 2014 —, M. Pike ne s’est pas vu refuser une prestation, dans la mesure où sa demande a été traitée correctement à la lumière des renseignements qu’elle contenait et auxquels le ministère avait accès.

[21]  On peut lire dans la section « recommandation » que, en avril 2012, une lettre avait été envoyée aux personnes âgées de 54 ans ou plus qui recevaient des prestations de la SV — ce qui incluait M. Pike — pour les inviter à se renseigner sur les changements apportés en consultant le site Web de Service Canada ou en appelant à un numéro 1800. De plus, en février 2013, soit avant qu’il présente une demande de pension de la SV, M. Pike aurait dû recevoir un encart fiscal l’informant des changements qui allaient être apportés à la SV. Une phrase concerne le programme de report volontaire. Par ailleurs, il est mentionné que, conformément à la politique sur le fardeau de la preuve concernant les formulaires ISP, il incombe au client de lire l’ensemble des lettres envoyées par Service Canada et de prendre les mesures nécessaires pour obtenir ou fournir les renseignements requis afin de permettre à Service Canada de traiter efficacement les demandes de prestations. Il est également mentionné que la direction (il est probablement question d’une direction de Service Canada) doit informer [traduction« dans la mesure du possible » les clients des modifications législatives qui peuvent avoir une incidence sur leur admissibilité. Toujours selon la recommandation, l’encart fiscal a permis d’informer M. Pike du changement à venir concernant le report et de l’aiguiller vers le site Web de Service Canada.

[22]  Il est précisé que Service Canada a admis que les personnes qui avaient déjà présenté une demande de pension de la SV n’étaient peut‑être pas au courant du récent changement, car l’information ne figurait pas dans la demande de pension de la SV qu’elles avaient remplie ni dans la lettre d’approbation de la SV qu’elles avaient reçue. Par conséquent, en juillet 2013, une lettre d’avis spécial a été envoyée à 280 000 personnes [traduction« qui reçoivent ou attendent d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013 ».

[23]  Dans la section « recommandation », la décision Jiang c Canada (Procureur général), 2019 CF 629 (Jiang) est citée à l’appui de la proposition selon laquelle, lorsqu’un demandeur allègue ne pas avoir reçu d’avis ou de lettre comme motif de redressement, le ministre est seulement tenu de démontrer que la lettre a été envoyée. On y mentionne aussi que l’administration centrale avait alors confirmé que le numéro d’assurance sociale de M. Pike figurait dans la liste des clients sélectionnés en vue de l’envoi de la lettre d’avis spécial.

[24]  On y conclut que M. Pike a reçu la lettre d’approbation de la SV avant que le modèle de lettre soit mis à jour pour y inclure les renseignements sur le report.

[25]  Après avoir résumé les décisions de la division d’appel et de la division générale du TSS ainsi que certains aspects de la décision Pike, l’auteur de la recommandation conclut que Service Canada [traduction« s’est acquitté “dans la mesure du possible” » de sa responsabilité d’informer les clients de la modification législative liée au report grâce aux mesures suivantes :

  • l’encart fiscal sur la SV/le RPC de février 2013;
  • la lettre d’approbation modifiée envoyée par la poste à compter du 1er avril 2013;
  • la lettre d’avis spécial à l’intention des personnes qui recevaient ou attendaient d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013;
  • le feuillet de renseignements sur la demande de pension de la SV mis à jour en octobre 2013;
  • l’information sur le report fournie sur le site Web de Service Canada (parce que presque toute la correspondance de Service Canada se termine par un renvoi vers le site Web);
  • les articles de presse sur le budget fédéral.

[26]  En conclusion, le ministre était convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait pas eu d’erreur administrative, et il a été recommandé de ne pas faire intervenir l’article 32 de la LSV.

La question en litige et la norme de contrôle

[27]  La seule question en litige consiste à savoir si la décision prise par la déléguée du ministre en vertu de l’article 32 de la LSV était raisonnable.

[28]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer chaque fois qu’un tribunal examine une décision administrative (Vavilov, par 16, 23 et 25). Cette présomption peut être réfutée lorsque le législateur a prescrit une norme de contrôle applicable ou lorsqu’il y a un mécanisme d’appel prévu par la loi, ce qui dénote l’intention du législateur que les normes générales en matière d’appel trouvent application (Vavilov, par 33). C’est aussi le cas lorsque la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte (Vavilov, par 17). Cependant, aucune de ces circonstances n’entre en jeu dans la présente affaire et, par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique.

[29]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a également expliqué la façon dont une cour de révision doit réaliser un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (par 73 à 145). À cet égard, elle a conclu qu’une cour de révision doit déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable et, pour ce faire, elle doit se « demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par 15 et 99). Lorsqu’une décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, elle est raisonnable, et la cour de révision doit faire preuve de retenue à son égard (Vavilov, par. 85).

Les positions des parties

La position de M. Pike

[30]  M. Pike souligne que la demande de pension de la SV et le feuillet de renseignements que Service Canada lui a envoyés ne contenaient aucune information sur un possible report et qu’il n’a pas reçu la lettre d’avis spécial. En outre, même si la déléguée du ministre a conclu que la lettre d’avis spécial aurait été envoyée à M. Pike — et malgré les nombreuses demandes de ce dernier —, Service Canada n’a pas produit de copie de la lettre en question. De plus, la déléguée du ministre n’a pas expliqué sa position à la lumière des courriels internes selon lesquels M. Pike n’aurait pas reçu la lettre. M. Pike souligne également la conclusion du juge Norris dans la décision Pike : « il n’existe aucune preuve directe démontrant que cette lettre a bel et bien été envoyée à M. Pike à quelque moment que ce soit. Étant donné la date à laquelle il a présenté sa demande de PSV et la date à laquelle le service de celle‑ci devait débuter, il est impossible de dire avec certitude si M. Pike était de ceux à qui la lettre d’avis spécial a été envoyée. En tout état de cause, même si cette lettre lui a été envoyée, il ne fait aucun doute qu’il ne l’a pas reçue » (Pike, par 31). Il soutient avoir été oublié au moment de l’envoi de l’avis spécial et précise qu’il tente de corriger l’injustice provoquée par la situation, soit le refus d’autoriser la demande de report de pension qu’il a présentée dès qu’il a appris qu’il pouvait le faire.

La position du ministre

[31]  Le procureur général soutient que la décision était raisonnable parce que la déléguée du ministre a cerné et appliqué les lois et la jurisprudence applicables et a procédé à un examen de l’ensemble des documents pertinents en la possession du ministre, et parce que le ministre n’a trouvé aucun élément de preuve pour corroborer les allégations de M. Pike selon lesquelles une erreur administrative s’est produite ou un avis erroné a été donné. De plus, M. Pike ne s’est pas vu refuser une prestation : il a demandé et reçu la prestation à laquelle il avait droit. La loi ne permettait pas au ministre d’annuler les prestations de M. Pike parce que ce dernier a demandé un report après la période prévue de six mois. Par conséquent, l’application de la loi par le ministre ne peut pas être assimilée à une erreur ou au refus d’une prestation. En outre, l’enquête réalisée en vertu de l’article 32 de la LSV n’a pas été menée de mauvaise foi et est fondée sur la preuve. Enfin, le procureur général soutient que le ministre n’a pas l’obligation positive d’informer les demandeurs ou les prestataires de la SV au sujet de la loi, des modifications législatives et de leur admissibilité.

Analyse

[32]  Une bonne partie des observations écrites du procureur général concernent des principes généraux, par exemple que le ministre n’est pas tenu par la loi d’informer les personnes qu’elles sont admissibles au bénéfice d’une prestation (Lee c Canada (Procureur général)), 2011 CF 689, par 72) et que le ministre dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire quant à la procédure à suivre lors d’une enquête fondée sur l’article 32 de la LSV (Leskiw c Canada (Procureur général), 2004 CAF 177, par 7; Raivitch c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2006 CF 1279, par 35).

[33]  Cependant, ce n’est pas à propos de ces principes que M. Pike conteste la décision de la déléguée du ministre. L’argument de M. Pike est simple et direct : il a demandé la prise d’une mesure discrétionnaire en vertu de l’article 32 de la LSV parce que sa demande de pension de la SV et sa lettre d’approbation ne mentionnaient pas la possibilité d’un report et parce qu’il n’a pas reçu la lettre d’avis spécial. Comme il ne savait pas qu’il pouvait reporter le service de sa pension de la SV, il n’a pas présenté de demande de report dans le délai prévu de six mois, raison pour laquelle il a demandé au ministre de prendre une mesure discrétionnaire faisant droit à sa demande de report tardive. L’erreur administrative qu’il allègue est qu’il n’a pas reçu l’avis spécial, et non pas que le ministre ne l’a pas informé des prestations offertes. D’ailleurs, c’est ce que la déléguée semble admettre dans sa description de la question qui lui a été soumise : [traduction« Une erreur administrative a‑t‑elle été commise lorsque le ministère n’a pas informé [M. Pike] qu’il aurait pu reporter la date de début de sa pension [de la SV] […] ».

[34]  M. Pike soutient que l’affirmation de Service Canada selon laquelle il faisait partie des 280 000 personnes qui ont reçu la lettre d’avis spécial n’est pas étayée par le dossier. Il renvoie à une chaîne de courriels internes de Service Canada qui, selon lui, confirme qu’il n’aurait pas reçu la lettre en question. Selon moi, les courriels cités n’appuient pas une telle conclusion, mais ils ne répondent pas non plus à la question très pertinente de savoir si M. Pike faisait partie des 280 000 destinataires de l’avis spécial.

[35]  Les courriels en question sont issus d’un échange entre Karen Suckling et Janet Lauber. Le courriel de Mme Suckling mentionne que la lettre d’approbation de M. Pike (ISP3061) ne contenait pas les renseignements à jour sur le report et que [traduction« le Bulletin de prestation de services 605 daté du 26 juin 2013 précise que, puisque le formulaire ISP3061 n’a pas été mis à jour, un “avis spécial” a été envoyé par la poste aux clients qui recevaient ou attendaient d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013 ». Le service de la pension de la SV de M. Pike a commencé en février 2014. Mme Suckling a donc demandé si M. Pike avait reçu la lettre d’avis spécial, et ce, même si la date de début de sa pension de la SV était postérieure à la date précisée pour l’envoi de la lettre d’avis spécial.

[36]  La réponse de Mme Lauber est incompréhensible :

[traduction]

Bonjour Karen,

Le client ne recevrait pas l’information sur le 3065. La date de début serait établie en fonction de la façon dont il remplit sa demande. Le formulaire lui demande cette information et lui dit de lire le feuillet de renseignements qui explique le report. Il aurait donc reçu tous ces renseignements lorsqu’il a présenté sa demande et il aurait pris sa décision à la lumière de tels renseignements. Vous pouvez envoyer au client une copie du feuillet tirée des formulaires électroniques. J’ai trouvé l’ancien formulaire : http://www.servicecanada.gc.ca/eforms/forms/sc-isp-3000a(2014-03-03)e.pdf.

[37]  Le courriel contient ensuite ce qui semble être un extrait copié‑collé du formulaire SC ISP‑3000A (2014‑03‑03) E 10.

[38]  Le courriel de Mme Lauber suscite plusieurs préoccupations. Dans un premier temps, il n’est pas question d’un formulaire « 3065 » dans le courriel de Mme Suckling ni, en fait, d’après mon examen, ailleurs dans le dossier. Durant l’audience relative au présent contrôle judiciaire, j’ai demandé à l’avocate du procureur général si elle pouvait trouver un formulaire 3065 dans le dossier ou expliquer la pertinence d’un tel document pour la présente affaire, mais elle n’a pas été en mesure de fournir à la Cour de renseignements à ce sujet.

[39]  Cela dit, il est probable que Mme Lauber faisait référence au formulaire ISP3061 (lettre d’approbation). Si c’est le cas — et même si elle a affirmé que M. Pike n’aurait pas reçu l’information sur le formulaire « 3065 » —, elle dit ensuite que M. Pike [traduction« aurait donc reçu tous ces renseignements lorsqu’il a présenté sa demande ». Pourtant, d’après le courriel de Mme Suckling, il est évident que Service Canada avait déjà reconnu que le formulaire ISP3061 n’avait pas été mis à jour et qu’une lettre d’avis spécial avait donc été envoyée aux personnes qui recevaient ou attendaient d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013.

[40]  En effet, dans la lettre de décision concernant la révision datée du 20 novembre 2015, Service Canada a explicitement reconnu que ni les demandes de pension de la SV ni les lettres d’approbation n’avaient été mises à jour lorsqu’elles ont été envoyées aux membres du groupe désigné :

[traduction]

En juin 2013, il a été reconnu que les personnes qui avaient déjà présenté une demande pour recevoir leur pension de la SV n’étaient peut‑être pas au courant de tels changements, car l’information en question ne figurait pas dans la demande de pension de la SV ni dans la lettre d’approbation de la SV qu’elles avaient reçue. En vue de les informer, une lettre d’avis spécial a été envoyée durant la semaine du 24 juin 2013 afin de les inviter à aviser le ministère par écrit si elles ne souhaitent pas recevoir leur pension de la SV à ce moment‑là. Environ 280 000 personnes qui recevaient ou attendaient d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013 ont reçu cet avis spécial.

[Non souligné dans l’original.]

[41]  De plus, le document auquel renvoie le courriel de Mme Lauber ne figure pas dans le dossier. M. Pike soutient que le formulaire mentionné dans le courriel remonte à 2014, ce qui semble être le cas, puisque l’extrait copié‑collé fait référence au formulaire SC ISP‑3000A (2014‑03‑03) E 10 et contient des renseignements sur le report. Comme l’a fait remarquer Mme Suckling dans son courriel initial, la lettre d’approbation de M. Pike ne contenait pas de renseignements sur le report. De plus, M. Pike a présenté sa demande de pension de la SV en 2013. Par conséquent, si le formulaire mentionné dans le courriel est celui de 2014, M. Pike a raison de dire qu’il s’agit d’un formulaire qui a été créé après la présentation de sa demande.

[42]  Sans vouloir trop insister sur ce point, le formulaire de demande, le feuillet de renseignements et la lettre d’approbation envoyés à M. Pike par Service Canada figurent tous au dossier. Ces documents prouvent de façon concluante que les documents mis à jour n’ont pas été transmis à M. Pike.

[43]  La réponse inintelligible de Mme Lauber est importante dans la mesure où elle ne répond pas à la question de Mme Suckling, qui est celle de savoir si M. Pike aurait dû recevoir la lettre d’avis spécial.

[44]  En outre, comme l’a fait remarquer M. Pike, le juge Norris a reconnu cet enjeu dans la décision Pike lorsqu’il a déclaré : « Étant donné la date à laquelle [M. Pike] a présenté sa demande de PSV et la date à laquelle le service de celle‑ci devait débuter, il est impossible de dire avec certitude si M. Pike aurait été de ceux à qui la lettre d’avis spécial a été envoyée ou non » (Pike, au par 31). Dans la présente affaire, M. Pike a présenté en mars 2013 une demande de pension dont le service devait commencer en février 2014. Par conséquent, il n’est pas clair qu’il appartenait au groupe de personnes qui recevaient ou attendaient d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013. En outre, dans son courriel, Mme Lauber n’a pas répondu de façon intelligible à cette question lorsqu’elle lui a été posée.

[45]  Je remarque également que, dans la partie contextuelle du rapport, la consultante en politiques mentionne que, selon la lettre de décision concernant la révision, M. Pike aurait dû recevoir l’avis spécial parce que sa demande avait été traitée le 21 mars 2013. Il est vrai que la lettre en question mentionne que l’avis [TRADUCTION] « devait [lui] avoir été envoyé », puisque la demande de M. Pike a été reçue le 6 mars et traitée le 21 mars 2013. Service Canada a exprimé la même position dans ses observations au TSS le 3 février 2016. Dans ses recommandations, la consultante en politiques affirme seulement ce qui suit : [TRADUCTION] « [i]l ressort d’un examen approfondi du dossier que l’information obtenue ne permet pas de confirmer l’allégation selon laquelle il y a eu une erreur administrative lorsque la demande de pension de la SV de mars 2013 de M. Pike a été traitée en mars, avec une date de début en février 2014. M. Pike ne s’est pas vu refuser une prestation, parce sa demande a été traitée correctement à ce moment‑là, à la lumière des renseignements que le ministère possédait au sujet de sa demande ».

[46]  À la lumière de ce qui précède, il est impossible de déterminer si l’analyste des politiques admet implicitement la déclaration qui figure dans la lettre de décision concernant la révision selon laquelle M. Pike aurait dû recevoir l’avis spécial puisque sa demande a été traitée en mars. Cependant, si c’est le cas, je conviens avec M. Pike que rien dans le dossier ne prouve l’existence d’un lien entre la date de traitement et l’envoi de la lettre d’avis spécial. De plus, l’Avis spécial de la SV (ISP7030), Communiqué sur le report volontaire de la pension de la SV ne témoigne pas d’un tel lien. Voici ce qu’on peut y lire :

[traduction]

Les personnes ayant déjà fait une demande pour recevoir leur pension de la SV (jusqu’à 11 mois à l’avance) ne sont peut‑être pas au courant de ces changements, car l’information ne figurait pas dans la demande de SV ou l’avis d’approbation de la SV (ISP3061) qu’elles ont reçus. En vue de les informer, un avis spécial sera communiqué au cours de la semaine du 24 juin 2013 et les invitera à aviser le ministère par écrit si elles ne souhaitent pas recevoir leur pension de la SV pour l’instant. Environ 280 000 personnes qui reçoivent ou attendent d’obtenir les versements de janvier 2013 à décembre 2013 recevront l’avis spécial.

Tous les autres clients seront informés du report volontaire de la pension de la SV au moyen de la lettre d’avis concernant l’inscription proactive à la pension, l’avis d’approbation de la SV à jour, la trousse actualisée de demande de SV et la page Web de Service Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[47]  Il n’est pas question des dates de traitement dans l’avis spécial ci‑dessus.

[48]  En outre, dans la décision Pike, le juge Norris a fait référence à la lettre de décision concernant la révision du 20 novembre 2015 et à la décision du 20 janvier 2017 de la division générale du TSS et a tiré la conclusion suivante :

[29]  Cela étant dit, je puis seulement offrir les observations suivantes afin d’aider M. Pike à comprendre les instances qui se sont déroulées devant les deux divisions du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale peut statuer sur un appel en se fondant sur les documents et les observations écrites déposés ou elle peut tenir une audience (Règlement du Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013‑60, article 28). En l’espèce, la division générale a expliqué qu’elle avait statué sur l’appel en se fondant sur le dossier écrit, entre autres parce que les questions en appel n’étaient pas complexes, que les renseignements au dossier ne présentaient pas de lacunes ou qu’il n’était pas nécessaire de clarifier ces renseignements, et que la crédibilité ne constituait pas une [traduction] « question déterminante ». Cette explication revêt une importance particulière, car, dans ses observations écrites soumises à la division générale, M. Pike avait soulevé clairement la question de savoir s’il avait reçu la lettre d’avis spécial envoyée en juin 2013 ou s’il était par ailleurs au courant du droit d’annuler le service de sa pension lorsqu’il était encore possible de le faire. On peut comprendre la frustration de M. Pike face à la façon dont cette question a été traitée au cours de ses rapports avec Service Canada. Par contre, ce que M. Pike n’a peut‑être pas compris, c’est que, dans les faits, ce différend factuel a été réglé en sa faveur par la division générale. Compte tenu des raisons invoquées par la division générale pour ne pas tenir d’audience, il est évident que le commissaire a pu trancher l’appel en se fondant sur le fait que M. Pike n’avait pas reçu la lettre et qu’il avait seulement pris connaissance de l’option de report peu de temps avant de demander l’annulation du service de sa pension en avril 2015. Toutefois, même en admettant les déclarations de M. Pike selon lesquelles il n’avait pas eu connaissance de l’option de report en temps opportun, la division d’appel devait tout de même rejeter l’appel, parce qu’elle n’avait pas compétence pour lui accorder le redressement qu’il demandait. Dans de telles circonstances, même s’il avait soulevé la question plus tôt, M. Pike aurait eu de la difficulté à convaincre la division d’appel que la division générale n’avait pas respecté un principe de justice naturelle.

[…]

[31]  Encore une fois, cette question s’avère moins importante que ne le pensait raisonnablement M. Pike. Je suis d’accord avec M. Pike pour dire que la décision de Service Canada, datée du 20 novembre 2015, de rejeter sa demande de révision s’appuyait à tort sur la conclusion que la lettre d’avis spécial [traduction] « [devait lui] avoir été envoyée » et, implicitement, qu’il devait l’avoir reçue. Or, il n’existe aucune preuve directe démontrant que cette lettre a bel et bien été envoyée à M. Pike à quelque moment que ce soit. Étant donné la date à laquelle il a présenté sa demande de PSV et la date à laquelle le service de celle‑ci devait débuter, il est impossible de dire avec certitude si M. Pike aurait été de ceux à qui la lettre d’avis spécial a été envoyée ou non. En tout état de cause, même si cette lettre lui a été envoyée, il ne fait aucun doute qu’il ne l’a pas reçue. Du reste, pour les raisons invoquées par la division générale, cela ne changeait rien à l’issue de l’appel devant ce tribunal.

[Non souligné dans l’original.]

[49]  Le procureur général ne prétend pas que les conclusions du juge Norris doivent être remises en question.

[50]  Toutefois, après la décision Pike, la déléguée du ministre a conclu que l’administration centrale avait confirmé que le numéro d’assurance sociale de M. Pike figurait sur la liste des destinataires sélectionnés de la lettre d’avis spécial.

[51]  Il est exact que le ministre n’est pas tenu de prouver que M. Pike a reçu la lettre d’avis spécial et qu’il n’a qu’à démontrer que la lettre a été envoyée (Jiang, par 11 et 13). Cependant, selon moi, le dossier ne montre pas que la lettre d’avis spécial a été envoyée à M. Pike.

[52]  Dans la lettre de décision du 9 septembre 2019, la déléguée du ministre a déclaré que l’administration centrale avait confirmé que le numéro d’assurance sociale de M. Pike figurait dans la liste des clients sélectionnés pour recevoir la lettre d’avis spécial. La consultante en programme a déclaré que M. Pike avait présenté des observations à l’appui de sa demande fondée sur l’article 32 en « août 2019 » (selon le dossier, les observations ont été présentées le 5 août 2019) et a ajouté ce qui suit :

[traduction]

Le 26 août 2019, une demande de Procédures, requêtes et gestion du savoir (PRGS) a été envoyée à l’administration centrale pour confirmer que la lettre d’avis spécial avait été envoyée par la poste à M. Pike en juin 2013. La réponse, 2019PEKM2991, a été reçue le 30 août 2019 et précisait que le nom de M. Pike figurait sur la liste d’envoi de la lettre d’avis spécial du Bulletin de prestation de services 605.

[53]  Je ne trouve rien dans le dossier qui m’a été soumis qui est décrit comme une demande de PRGS qui aurait été envoyée le 26 août 2019.

[54]  Le seul élément de preuve au dossier qui concerne une demande de renseignements est un courriel daté du 30 août 2019 de Crystal Burke CA [CN], analyste principale des affaires de Service Canada. Le courriel est adressé à Sandra Leblanc et répond à la question de cette dernière relativement à la possibilité de retrouver les listes des 280 000 comptes de clients et à la question de savoir si le nom de M. Pike y figurait. Dans la négative, Mme Leblanc voulait connaître les critères utilisés pour choisir les clients. La réponse de Mme Burke précise seulement ce qui suit :

[traduction]

Sandra : Je confirme que le NAS de votre client, M. Pike […] figure dans la partie 1 du document numérisé. Il devrait avoir reçu une lettre.

[55]  Le courriel qui suit, qui a été envoyé à Mme Burke le même jour d’une adresse électronique qui n’est pas celle d’une personne, mentionne que la numérisation a été effectuée au moyen d’un [traduction« IR3185434 » et que les résultats ont été envoyés en copie conforme à son secteur en deux parties. En fait, les deux parties mentionnées sont un seul et même document, soit le fichier IR 3185434 PART ONE.xlsx.

[56]  Il est possible — mais il n’est pas clair — que le courriel de Mme Burke soit la confirmation de l’administration centrale mentionnée par la déléguée du ministre et que le courriel confirmant que le nom de M. Pike figurait dans le [traduction« document numérisé » soit l’élément de preuve à partir duquel la déléguée du ministre a tiré la conclusion selon laquelle M. Pike faisait partie des destinataires sélectionnés de la lettre d’avis spécial. Cependant, et même si elle fait référence à la décision Jiang, la déléguée ne conclut pas expressément que la lettre a bel et bien été envoyée à M. Pike.

[57]  Bien sûr, le courriel de Mme Burke date d’après la décision Pike, dans laquelle le juge Norris a conclu qu’il n’existait aucune preuve directe démontrant que la lettre avait bel et bien été envoyée à M. Pike à quelque moment que ce soit (Pike, par 31). Cependant, j’ai de sérieuses réserves quant à savoir si le courriel en question suffit pour confirmer l’envoi de la lettre d’avis spécial à M. Pike.

[58]  Selon le dossier, M. Pike a demandé à plusieurs reprises une copie de la lettre d’avis spécial qui, selon Service Canada, lui a été envoyée. M. Pike prétend que la lettre ne lui a pas été fournie. La lettre de décision concernant la révision du 20 novembre 2015 renvoie à une [traduction« lettre type » en pièce jointe. Le coin supérieur droit de la lettre type en question contient une zone où inscrire le nom et le numéro d’identification d’un client. Le dossier ne contient pas de copie d’une lettre d’avis spécial adressée à M. Pike, et Service Canada n’a pas expliqué pourquoi une telle lettre n’a pas été produite. Pourtant, le dossier contient d’autres lettres types de Service Canada adressées à M. Pike, y compris la demande de pension générée par Service Canada, la lettre d’approbation et la lettre concernant la récupération. Il convient également de souligner que, lorsque M. Pike a demandé une copie de la décision de juin 2015 dans laquelle sa demande de report a été rejetée pour la première fois, Service Canada lui a fourni une copie d’une lettre de décision qui lui était adressée et qui portait l’estampille [traduction« COPIE ». Le dossier contient également des copies de nombreuses autres communications provenant de M. Pike ou adressées à ce dernier.

[59]  Comme le fait remarquer le procureur général, l’examen de la décision de la déléguée impose de se demander si les procédures relatives à une enquête menée en vertu de l’article 32 ont été suivies (Mackeen c Canada (Procureur général), 2015 CF 1032, par 27). Bien que la LSV ne prévoie aucune procédure, le dossier contient un courriel qui énonce les exigences à respecter au moment de procéder à l’examen d’une allégation [traduction« d’AE/EA », ce qui, si j’ai bien compris, signifie [traduction« avis erroné/erreur administrative ». Dans un courriel daté du 13 mai 2019, Adrice King, consultante en expertise opérationnelle, dresse la liste des documents requis dans le cadre de l’examen d’une allégation d’AE/EA, notamment [traduction« une copie de la demande de pension de la SV du client, toutes les lettres envoyées au client ou reçues de ce dernier concernant son admissibilité à la SV et la demande ou décision relative au report volontaire, le bulletin de prestation de services pertinent et la lettre d’avis connexe, les décisions du TSS et du contrôle judiciaire et les éléments énumérés ». Cependant, comme il a été mentionné précédemment, la lettre d’avis spécial envoyée à M. Pike ne figure pas au dossier.

[60]  De plus, le dossier ne contient pas non plus la liste numérisée mentionnée par Mme Burke ni une version caviardée de cette liste. Il ne contient pas non plus d’affidavit souscrit par un représentant de Service Canada qui confirmerait que le nom de M. Pike était sur la liste numérisée et que les personnes dont le nom y figurait ont reçu la lettre d’avis spécial, qui décrirait comment la lettre en question a été générée et envoyée aux personnes visées ou qui expliquerait pourquoi aucune copie de la lettre d’avis spécial envoyée à M. Pike ne figure au dossier.

[61]  Dans de telles circonstances — et vu les préoccupations répétées et jamais dissipées de M. Pike quant à savoir s’il faisait vraiment partie des 280 000 personnes à qui la lettre d’avis spécial avait été envoyée, puisqu’il a seulement commencé à recevoir des prestations après décembre 2013 —, je ne suis pas convaincue que le dossier dont disposait la déléguée démontre que le ministre a envoyé la lettre d’avis spécial à M. Pike (Jiang, par 11 et 13). En fait, je ne suis pas convaincue que la déléguée a vraiment réfléchi à la question.

[62]  La déléguée énumère plutôt six façons dont Service Canada [traduction« s’est acquitté “dans la mesure du possible” de sa responsabilité » d’informer les clients de la modification législative concernant le report de la pension de la SV, ce qui découle vraisemblablement de la politique sur le fardeau de la preuve concernant les formulaires ISP qui a été mentionnée, mais dont aucune copie ne figure au dossier.

[63]  À cet égard, la déléguée fait d’abord référence à l’encart fiscal du feuillet T4 lié à la SV/au RPC de février 2013, dont aucune copie ne figure au dossier. Fait plus important encore, Service Canada a explicitement reconnu que, en juin 2013, il avait été constaté que les personnes qui avaient déjà présenté une demande en vue d’obtenir une pension de la SV n’étaient peut‑être pas au courant des modifications législatives apportées puisque l’information ne figurait pas dans la demande de pension de la SV ni dans la lettre d’approbation de la SV qu’elles avaient reçue. Afin d’informer ces personnes, une lettre d’avis spécial a été envoyée durant la semaine du 24 juin 2013. Par conséquent, dans la mesure où la déléguée laisse entendre que l’encart fiscal était une mesure suffisante pour informer les personnes visées de la modification législative, Service Canada a lui‑même déterminé que ce n’était pas le cas.

[64]  La déléguée fait ensuite référence au formulaire ISP modifié de la lettre d’approbation qui, selon elle, a été envoyée par la poste à compter du 1er avril 2013. Cependant, le dossier révèle que M. Pike n’a pas reçu la lettre d’approbation modifiée. Une copie de la lettre d’approbation qui lui a été envoyée figure au dossier et ne fait pas état du report. Je ne vois pas comment la déléguée peut conclure que la lettre d’approbation qui a subséquemment modifiée et qui n’a pas été envoyée à M. Pike prouve que Service Canada s’est acquitté de la responsabilité qu’il a reconnu avoir à l’égard de M. Pike.

[65]  La déléguée renvoie ensuite à la lettre d’avis spécial à l’intention des personnes qui allaient commencer à recevoir des versements de janvier 2013 à décembre 2013. Toutefois, comme il a été mentionné précédemment, le dossier n’établit pas que l’avis spécial a été envoyé à M. Pike, et la déléguée ne tire pas de conclusion à cet égard. De plus, il ne ressort pas du dossier que M. Pike appartient à la catégorie des personnes visées, car le service de sa pension devait seulement commencer en février 2014.

[66]  La déléguée fait ensuite remarquer que le feuillet de renseignements de la demande de pension de la SV a été mis à jour en octobre 2013. Cependant, encore une fois, je ne sais pas en quoi cela démontre que Service Canada s’est acquitté de ses responsabilités à l’égard de M. Pike, puisque le feuillet de renseignements qui a été envoyé à ce dernier figure au dossier et qu’il ne s’agit pas de la version mise à jour.

[67]  La déléguée souligne ensuite que les renseignements sur le report figurent sur le site Web de Service Canada et qu’il en a été question dans des articles de médias, comme le Globe and Mail, qui a parlé du budget de 2012, y compris du fait que les Canadiens pourraient choisir de reporter le service de leur pension de la SV afin de recevoir des prestations majorées. Il s’agit de références générales, et il est également difficile de comprendre de quelle façon les reportages des médias permettent à Service Canada de s’acquitter de sa responsabilité d’informer les citoyens au sujet des modifications législatives. Quoi qu’il en soit, dans leur ensemble, les six facteurs énumérés n’appuient pas la conclusion de la déléguée.

[68]  Par conséquent, et pour les motifs susmentionnés, la décision de la déléguée selon laquelle il n’y a pas eu d’erreur administrative n’était pas justifiée à la lumière du dossier dont cette dernière disposait et était déraisonnable.

[69]  Vu cette conclusion, je n’ai pas besoin d’examiner l’autre argument du procureur général selon qui la décision du ministre est raisonnable parce que M. Pike ne s’est pas vu refuser une prestation. À cet égard, le procureur général renvoie de façon générale et sans autre explication aux pages 6 à 15 du rapport de la consultante en programme pour soutenir sa position. Je souligne que, dans la section « analyse » du rapport en question, la case « Non » a été cochée en réponse à la question [traduction« Y a‑t‑il eu perte de prestation ou de partage des droits? » Il n’y a pas d’analyse liée directement à cette question, mais la consultante en programme a mentionné ce qui suit :

[traduction]

Si M. Pike s’était vu accorder le report de février 2014 à février 2016, son nouveau taux de pension aurait été majoré de 15 %, pour atteindre, en mars 2017, 665,31 $ plutôt que 578,53 $, soit une augmentation de 86,78 $. Il aurait alors touché un trop‑payé 14 052,99 $ de février 2014 à février 2016, puis aurait accumulé un manque à gagner de 2665,15 $, de mars 2017 à août 2019, pour un paiement en trop de 11 387,84 $. Il s’agit là de fonds qui ont été versés à l’ARC sous forme de paiements de recouvrement, et, si le report est accordé, le ministère pourrait les récupérer au nom de M. Pike. (Le compte de M. Pike était visé par un impôt de récupération jusqu’en juin 2017.)

[70]  Lorsqu’il a comparu devant moi, M. Pike a souligné qu’il s’est vu refuser une prestation parce que, en échange du report, sa pension aurait été majorée de 0,6 % pour chaque mois reporté (voir la décision Pike, par 3). Par conséquent, s’il avait reporté son droit à pension, M. Pike n’aurait pas reçu sa pension pendant la période visée par le report, mais il aurait ensuite reçu une pension plus élevée au moment de son rétablissement, ce qui contraste avec sa situation actuelle. En effet, lorsque sa demande de report être refusée, sa pension a été recouvrée en totalité pendant qu’il continuait de travailler et, maintenant que sa pension a été rétablie, il reçoit seulement le montant régulier de sa pension.

[71]  Le terme « prestation », tel que défini dans la LSV, signifie « pension, supplément ou allocation » (art 2 de la LSV), tandis que le terme « pension » signifie « pension mensuelle dont le paiement est autorisé sous le régime de la partie I » (art 2 de la LSV). Selon l’article 32 de la LSV, le ministre doit être convaincu qu’il n’y a pas eu d’erreur administrative faisant en sorte qu’un demandeur s’est vu refuser tout ou partie d’une prestation. Comme la déléguée a conclu de façon déraisonnable qu’il n’y avait pas eu d’erreur administrative, il n’est par conséquent pas possible de maintenir la conclusion selon laquelle M. Pike ne s’est pas vu refuser une prestation. De plus, l’explication fournie ci‑dessus par la déléguée donne à penser que, en fait, M. Pike s’est vu refuser une partie d’une prestation à laquelle il aurait eu droit si le report avait été accordé.

Le redressement demandé

[72]  M. Pike demande à la Cour de lui accorder le droit de reporter sa pension de la SV de février 2014 à février 2017 inclusivement, ce qui aurait pour effet d’augmenter sa pension de 0,6 % par mois.

[73]  Dans la plupart des cas où la Cour détermine que la décision d’un décideur administratif est déraisonnable, le redressement accordé est le renvoi de l’affaire en vue d’un nouvel examen par un autre décideur, mais, cette fois‑ci, à la lumière des motifs de la Cour. Exceptionnellement, il peut être approprié pour la Cour de refuser de renvoyer une affaire, par exemple lorsqu’il devient évident à ses yeux, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien (Vavilov, par 141 et 142).

[74]  Même si je suis d’avis que M. Pike, qui a agi pour son propre compte tout au long du processus, a fait preuve pendant de nombreuses années de diligence, d’efficacité et d’une bonne foi absolue dans le cadre du présent dossier et qu’il mérite une décision définitive, je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse d’une situation où il est approprié pour la Cour de rendre la décision qu’il demande.

[75]  Je renverrai donc l’affaire à Service Canada, qui veillera à ce qu’une nouvelle enquête fondée sur l’article 32 soit tenue rapidement par un consultant en programme et un délégué du ministre différents, en tenant compte des présents motifs.

Les dépens

[76]  M. Pike a agi pour son propre compte dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Il a obtenu gain de cause et a demandé les dépens. Il n’a cependant pas fourni de renseignements détaillés sur les coûts réclamés ni précisé le montant demandé.

[77]  Dans l’arrêt Yu c Canada (Procureur général), 2011 CAF 42, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il est possible d’accorder des dépens à des plaideurs non représentés :

[37]  L’appelant réclame les dépens. La règle voulant qu’aucuns dépens ne soient accordés aux parties qui se représentent elles‑mêmes a été quelque peu assouplie ces dernières années : Sherman c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 202, [2003] 4 C.F. 865, aux paragraphes 46 à 52; Thibodeau c. Air Canada, 2007 CAF 115, 375 N.R. 195, au paragraphe 24. Cette nouvelle approche aux dépens vise à accorder à la partie qui se représente elle‑même un montant raisonnable pour le temps et les efforts qu’elle a consacrés à la préparation et à la présentation de sa cause dans la mesure où elle a engagé un coût de renonciation en cessant d’exercer une activité rémunératrice.

[78]  Par conséquent, dans les dix jours suivant la date du présent jugement et des présents motifs, M. Pike peut présenter de brèves observations écrites sur les dépenses qu’il a réellement engagées pour préparer et présenter sa demande. En outre, s’il était employé ou s’il a perdu une occasion de toucher une rémunération pendant la préparation et la présentation de son dossier, il peut fournir des éléments de preuve à cet égard et relativement à la rémunération perdue. Dans les dix jours suivant la présentation de toute observation sur les dépens par M. Pike, le procureur général pourra présenter de brèves observations écrites en réponse. Dans les deux cas, les observations écrites (par opposition aux documents sur les coûts engagés par M. Pike) ne doivent pas dépasser deux pages au total.

[79]  Par ailleurs, les parties peuvent s’entendre sur un montant forfaitaire, tout compris, à accorder à M. Pike et informer la Cour du montant convenu.


JUGEMENT dans le dossier T‑1535‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
  2. L’affaire sera renvoyée à Service Canada, qui veillera à ce qu’une enquête fondée sur l’article 32 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse soit tenue rapidement par un consultant en programme et un délégué du ministre différents, en tenant compte des présents motifs.
  3. Dans les dix jours suivant la communication du présent jugement et des présents motifs, M. Pike peut présenter des observations écrites sur les dépenses réelles qu’il a engagées pour préparer et présenter sa demande de contrôle judiciaire et, s’il était employé ou recevait une rémunération d’une autre façon pendant la préparation et la présentation de son dossier, sur toute perte de rémunération qu’il a subie. Dans les dix jours suivant la présentation d’observations sur les dépens par M. Pike, le procureur général pourra présenter de brèves observations écrites en réponse. Dans les deux cas, les observations écrites (par opposition à tout document sur les coûts engagés par M. Pike) ne doivent pas dépasser deux pages au total. Par ailleurs, les parties peuvent s’entendre sur un montant forfaitaire, tout compris, à accorder à M. Pike et informer la Cour du montant convenu.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de juin 2020.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑1535‑19

 

INTITULÉ :

KENNETH PATRICK PIKE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

FREDERICTON (NOUVEAU‑BRUNSWICK)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 9 MARS 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lA juge STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 25 MARS 2020

 

COMPARUTIONS :

Kenneth Patrick Pike

POUR M. PIKE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Sandra L. Doucette

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

POUR LE défendeur

 

 

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