Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20001109

Dossier : T-1152-00

ENTRE :

LE CHEF LAWRENCE CHAPMAN, LE CONSEILLER

RONALD BACHMIER, LA CONSEILLÈRE ELIZABETH

BOUCHER EN LEUR QUALITÉ DE CHEF ET DE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DU LAC DES MILLE LACS ET AU NOM DE LA PREMIÈRE NATION DU LAC DES MILLE LACS

demandeurs

-et-

ELAINE HOGAN, TRACY MORRISON, GARRY

KISHIQUEB, ROY PETERS ET CLARENCE MCKENZIE

EN LEUR PROPRE NOM ET EN LEUR QUALITÉ DE PRÉTENDUS CHEF ET CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DU LAC DES MILLE LACS

défendeurs

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]         Dans un avis de demande de contrôle judiciaire déposé le 30 juin 2000, les demandeurs sollicitent les réparations suivantes :

1)             Un jugement déclaratoire portant que la révision du leadership effectuée le 29 avril 2000 et l'élection des défendeurs aux charges de chef et de conseil de la Première nation tenue également le 29 avril 2000 ne se sont pas déroulées de façon conforme au Custom Leadership Selection Code (le Code d'élection) de la Première nation du Lac des Mille Lacs (la Première nation) et sont nulles.


2.             Une ordonnance permanente et provisoire interdisant aux défendeurs de se présenter comme le chef et le conseil et d'exercer le pouvoir du chef et du conseil légitimes à moins d'être élus à ces charges, le cas échéant, en conformité avec le Customs Leadership Selection Code (le Code d'élection) de la Première nation du Lac des Mille Lacs(la Première nation).

3.             Une ordonnance permanente et provisoire interdisant aux défendeurs d'entraver illégalement l'exercice par le conseil de son pouvoir légitime ou sa capacité de s'occuper des affaires de la Première nation.

4.             Un jugement déclaratoire portant que les décisions prises, les résolutions adoptées et les autres actes accomplis dans l'exercice prétendu du pouvoir du chef et du conseil de la Première nation ont été prises, adoptées ou accomplis sans pouvoir légal et sont nuls.

5.             Une ordonnance annulant chaque décision prise, résolution adoptée ou autre acte accompli dans l'exercice prétendu du pouvoir du chef et du conseil de la Première nation.

6.             Une ordonnance enjoignant aux défendeurs de divulguer les décisions prises, les résolutions adoptées et les autres actes accomplis par les défendeurs dans l'exercice prétendu du pouvoir du chef et du conseil de la Première nation depuis le 29 avril 2000.

7.             Une ordonnance enjoignant aux défendeurs de rendre compte de tous les fonds, avantages et sommes d'argent reçus par les défendeurs ou en leur nom relativement à la Première nation ou payés, déboursés ou transférés par les défendeurs depuis le 29 avril 2000.

8.             Toute autre réparation que la Cour estimera juste.

9.             Les dépens de la présente demande sur la base avocat-client.


[2]         Dans un document intitulé « Avis modifié de demande de contrôle judiciaire » inclus dans le dossier de demande des demandeurs déposé le 1er septembre 2000, sans demande d'autorisation de la Cour, les demandeurs ont sollicité une autre réparation de la nature d'un jugement déclaratoire portant que les demandeurs sont le chef et le conseil légitimes de la Première nation. Au cours de l'audition de la demande de contrôle judiciaire, j'ai indiqué que, dans l'éventualité où les demandeurs auraient gain de cause, je ne leur accorderais que cette réparation additionnelle si les défendeurs y consentaient. Je n'ai jamais reçu leur consentement.

LE CONTEXTE

(1) Une décision antérieure de la Cour


[3]         Ce n'est pas la première fois que les membres dissidents de la Première nation du Lac des Mille Lacs (la Première nation) et les demandeurs Lawrence Chapman, Ronald Bachmier et Elizabeth Boucher se présentent devant la Cour pour lui soumettre des questions liées à l'administration de la Première nation. En juin 1998, M. le juge Cullen a conclu que Lawrence Chapman, Elizabeth Boucher, Ron Bachmier et une autre personne étaient le chef et le conseil dûment élus de la Première nation[1]. Monsieur le juge Cullen a de plus conclu que le Custom Leadership Selection Code (le Code d'élection) constituait la coutume reconnue de la bande et que ses procédures s'appliquaient à toutes les élections du chef et du conseil tant et aussi longtemps que la coutume ne serait pas changée par un large consensus des membres de la Première nation.

[4]         Dans cette ordonnance, M. le juge Cullen a expressément dit qu'il ne rendrait aucune ordonnance imposant la tenue d'un référendum pour réviser la coutume de la bande, la question étant sans objet puisque le référendum avait déjà eu lieu au moment du prononcé de son ordonnance.

(2)    Les événements pertinents survenus depuis l'audition devant le juge Cullen

[5]         Les membres de la Première nation sont très dispersés, principalement dans le nord de l'Ontario, mais apparemment dans toutes les régions du Canada et des États-Unis. Bien que la Première nation possède deux réserves, elles sont essentiellement inhabitées pour des motifs qui ne sont pas vraiment pertinents en l'espèce. Par conséquent, l'identification et l'attestation des documents des membres de la Première nation sont particulièrement ardues et une communication efficace avec les membres de la Première nation et entre eux demande beaucoup de temps. Le Code d'élection tient compte de cette réalité en prévoyant des procédures particulières et de longs délais pour la transmission des avis et la tenue des révisions du leadership et des élections.


[6]         À l'époque où les questions liées à l'administration de la Première nation ont été soumises au juge Cullen, la Première nation comptait apparemment 120 membres identifiés. Les demandeurs avaient l'intention d'identifier d'autres membres de la Première nation. La version du Code d'élection applicable lorsque M. le juge Cullen a rendu sa décision, exigeait que 60 membres de Première nation prennent l'initiative d'entamer une révision du leadership. Ce nombre représentait à peu près 50 p. 100 des membres identifiés de la Première nation. La modification au Code visée par le référendum mentionné par M. le juge Cullen prévoyait un processus permettant d'augmenter le nombre de membres requis pour entamer une révision du leadership au fur et à mesure que d'autres membres de la Première nation seraient identifiés. Ces modifications devaient être enclenchées par le chef et le conseil de la Première nation. La modification au Code d'élection a été adoptée.

[7]         Conformément à la décision du juge Cullen, les demandeurs, et un autre membre du conseil, ont administré la Première nation. Leur entreprise d'identification de membres additionnels de la Première nation a été relativement fructueuse. Ainsi, à deux reprises, le Code d'élection a été augmenté pour augmenter le nombre de membres requis pour entamer une révision du leadership. Ce nombre est passé de 60 a 90, en vertu d'une résolution du conseil adoptée le 14 août 1998, puis de 90 à 120, en vertu d'une résolution apparemment adoptée le 22 février 1999.


[8]         Le 21 février 1999, 62 membres de la Première nation ont manifesté au chef et au conseil leur appui en faveur d'une révision du leadership. Le 19 mai 1999, le chef Lawrence Chapman leur a répondu en les informant que, le 21 février 1999, l'appui de 90 membres de la Première nation était nécessaire pour entamer une révision du leadership et que, par conséquent, aucune révision du leadership ne serait effectuée. Voici ce qu'a dit le chef Chapman[2] :

[Traduction] Soyez avisés que le conseil a annulé et archivé les formulaires reçus à la suite de la réunion de révision du leadership tenue le 21 février 1999. Soyez aussi avisés que le nombre minimum de votes requis pour la tenue d'une révision du leadership a été redressé après le 21 février 1999, qu'il s'élève maintenant à 120 et qu'il sera redressé à nouveau prochainement. Par conséquent, tout document futur sollicitant une révision du leadership portera une date et une signature postérieures au 21 février 1999.

À l'audition, on n'a pas identifié le pouvoir en vertu duquel les formulaires de demande de révision du leadership ont été annulés.

[9]         Des documents faisant état de l'appui de 123 membres de la Première nation à une révision du leadership ont été soumis au chef Chapman, avec une lettre de présentation non signée, en date du 29 février 2000. Parmi les 123 formulaires de demande de révision du leadership, 63 avaient manifestement été « annulés » à la suite de la demande antérieure de révision du leadership et de nombreux autres portaient une date antérieure de plusieurs mois au 29 février 2000.


[10]       Le nombre de membres de la Première nation manifestement en faveur d'une révision du leadership dépassait les 120 membres alors requis par le Code d'élection.

[11]       Les demandeurs ont accusé réception de seulement 59 demandes de révision du leadership, ce qui représentait vraisemblablement la différence approximative entre le nombre total de demandes reçues, soit 123, et le nombre de formulaires inclus dans la nouvelle demande qui avaient été « annulés » à la suite de la demande antérieure. Le chef et le conseil ont écrit ce qui suit aux membres de la Première nation[3] :

[Traduction] J'accuse réception des documents des membres de la bande que j'ai reçu le 29 février 2000 concernant la révision du leadership qui s'est terminée le 29 février 2000. Le nombre minimal officiel de votes requis pour la tenue d'une révision du leadership s'élève à 120 et, comme nous n'en avons reçus que 59, nous ne sommes pas tenus d'effectuer une révision du leadership pour l'instant. Soyez avisés que le conseil a annulé et archivé les formulaires reçus à la suite de la réunion de révision du leadership tenue le 29 février 2000. Par conséquent, tout document futur demandant une révision du leadership portera une date et une signature postérieures au 29 février 2000.

Encore une fois, l'avocat des demandeurs n'a pas pu citer devant moi un pouvoir quelconque permettant l' « annulation » des formulaires reçus le 29 février 2000 ni la stipulation que tout document futur demandant une révision du leadership devait porter une date postérieure au 29 février 2000.

[12]       Apparemment contrarié par la réponse des demandeurs, l'un des défendeurs a écrit ce qui suit aux demandeurs, le 29 mars 2000[4] :

[Traduction] Conformément au consensus auquel est parvenu le peuple de la première nation du Lac Des Mille Lacs, nous vous écrivons pour vous informer que votre défaut de répondre aux demandes répétées de révision du leadership nous a amené à prendre la décision de convoquer une élection le 29 avril 2000, à Thunder Bay, conformément au régime électoral de 1992 prévoyant un préavis de trente jours pour la tenue d'une élection. L'élection du chef et du conseil se tiendra au Centre communautaire Westford, au 397, avenue Empire, et débutera à 11 h précises, conformément à l'avis paru dans le Chronicle Journal des 25 et 26 mars 2000.                                                                              [non souligné dans l'original]

[13]       Une prétendue révision du leadership et une prétendue élection ont été tenues à Thunder Bay le 29 avril 2000. Le leadership des demandeurs a été rejeté lors de la révision du leadership. Les défendeurs ont été élus lors de la prétendue élection qui a suivi. L'avocat des défendeurs a fait valoir que la révision du leadership avait été effectuée conformément au Code d'élection, mais je rejette cette prétention. L'avocat des défendeurs a reconnu que l'élection du 29 avril n'a pas été tenue en conformité avec le Code d'élection. Ni la révision du leadership ni l'élection ne se sont déroulées en conformité avec les avis et les délais prévus par le Code d'élection, expressément conçus pour tenir compte de la dispersion des membres de la Première nation.

[14]       Dans une lettre en date du 24 mai 2000, un fonctionnaire fédéral du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour la région de l'Ontario a écrit notamment ce qui suit à la défenderesse Elaine Hogan[5] :

[Traduction] Nous avons examiné les documents que votre collectivité nous a remis concernant le processus électoral suivi selon le Custom Leadership Selection Code. Nous avons également examiné le rapport du président et agent d'élection, relativement à l'élection tenue le 29 avril 2000. Il est clair que la collectivité a eu l'occasion d'exprimer ses volontés tout au long du processus et qu'elle est parvenue à une entente et nous avons inscrit le résultat de l'élection du 29 avril 2000 dans la base de données du système de gestion de l'administration de la bande.


Après avoir reçu cette lettre, et peut-être avant, mais après la prétendue élection du 29 avril 2000, les défendeurs ont essentiellement pris en charge l'administration de la Première nation. Plus précisément, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien leur a envoyé les fonds destinés a la Première nation, les banquiers de la Première nation on commencé à traiter avec eux et les demandeurs ont été privés des moyens de communication électronique sur lesquels ils comptaient beaucoup pour administrer la Première nation.

[15]       C'est alors que la présente demande de contrôle judiciaire a été déposée.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]       Les principales questions en litige énoncées dans les documents écrits déposés à la Cour au nom des parties et formulées lors de l'audition qui s'est déroulée devant moi sont les suivantes :

-    Premièrement, une demande de contrôle judiciaire est-elle possible compte tenu des faits de l'espèce et du moment de dépôt de la demande?

-    Deuxièmement, la Cour doit-elle entendre les défendeurs compte tenu de leur prétendu mépris de l'ordonnance antérieure de la Cour prononcée par M. le juge Cullen et une question connexe, c'est-à-dire, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est-elle irrecevable en raison de leur propre conduite fautive?


-    Troisièmement, la révision du leadership et l'élection tenues le 29 avril 2000 se sont-elles déroulées en conformité avec le Code d'élection?

-    Enfin, si la révision du leadership et l'élection ne se sont pas déroulées en conformité avec le Code d'élection, quelles réparations convient-il d'accorder aux demandeurs?

ANALYSE

[17]       Je suis convaincu que la ligne de conduite qui a mené à la révision du leadership et à l'élection du 29 avril 2000, ainsi que la conduite des défendeurs en leur qualité de chef et de conseil de la Première nation après les événements du 29 avril 2000, jusqu'au dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire et par la suite, sont susceptibles de contrôle judiciaire. L'avocat des défendeurs n'a pas contesté que, au moins depuis le 24 mai 2000, date à laquelle le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a « ... inscrit le résultat de l'élection tenu le 29 avril 2000 dans la base de données du système de gestion de l'administration de la bande » , les défendeurs étaient un « office fédéral » au sens attribué à cette expression par le paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale [6].


[18]       Dans l'arrêt Krause c. Canada[7], M. le juge Stone, de la Cour d'appel fédérale, a écrit, au paragraphe [23] :

À mon avis, le délai prévu au paragraphe 18.1(2) ne fait pas que les appelants soient irrecevables à agir en mandamus, en prohibition ou en jugement déclaratoire.

Monsieur le juge Stone a ajouté, au paragraphe [24] :

L'exercice de la compétence prévue à l'article 18 n'est pas subordonné à l'existence d'une « décision ou ordonnance » .

Je suis convaincu que la ligne de conduite visée par la demande de contrôle judiciaire en l'espèce est semblable, pour l'essentiel, à celle dont la Cour d'appel fédérale était saisie dans l'affaire Krause. Les réparations demandées en l'espèce sont de la même nature que dans l'affaire Krause. Par conséquent, je suis convaincu que l'objet de la présente demande peut être examiné par voie de contrôle judiciaire, malgré l'absence d'une « décision ou ordonnance » dont le contrôle serait demandé et, en outre, que le délai imposé par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale ne s'applique pas de façon à rendre la présente demande tardive.


[19]       Au début de l'audition, j'ai indiqué aux avocats que j'entendrais l'avocat des défendeurs. Compte tenu des faits de l'espèce, je suis convaincu que, des allégations d'irrégularité et de mépris de la décision de notre Cour rendue par mon ancien collègue le juge Cullen fusant de part et d'autre, il serait injuste de permettre à l'avocat des demandeurs de se faire entendre sans reconnaître le même droit à l'avocat des défendeurs. De même, pour des motifs comparables, j'ai décidé de ne pas examiner l'argument fondé sur l'irrecevabilité invoqué contre les demandeurs en raison de leur prétendue conduite fautive. Quoi qu'il en soit, l'allégation d'irrecevabilité n'a pas été plaidée devant moi.

[20]       J'examinerai maintenant la question principale, soit celle de savoir si la prétendue révision du leadership et la prétendue élection du 29 avril 2000 se sont déroulées en conformité avec le Code d'élection qui, de l'avis du juge Cullen, constitue la « coutume reconnue de la bande » de la Première nation et décrit les procédures à suivre pour toutes les élections du chef et du conseil postérieures à sa décision, tant et aussi longtemps que la coutume ne sera pas changée par un large consensus des membres de la Première nation. J'aborderai cette question en reproduisant d'abord ici le premier paragraphe des motifs de la décision du juge Cullen :

Je dois d'emblée exprimer ma déception de voir que les membres de cette Première nation n'ont pu s'entendre pour résoudre ce différend. Il est triste de constater avec quelle hostilité les parties à ces procédures se sont engagées dans ce conflit. Ceci étant dit, je dois affirmer très clairement face à toutes les parties en cause que cette décision ne prétend pas indiquer laquelle des deux parties peut mieux diriger les affaires de la Première nation, ni ne représente un quelconque appui aux membres du conseil. Ma décision se fonde uniquement sur les principes du droit administratif et sur la procédure.

Je fais mien cet extrait de ses motifs.


[21]       Comme je l'ai déjà mentionné dans les présents motifs, le Code d'élection reconnu par le juge Cullen est particulièrement adapté aux problèmes causés par la dispersion des membres de la Première nation. Il prévoit en détail les avis qui doivent être donnés aux membres de la Première nation et fixe des délais relativement longs pour les communications ainsi que pour le vote et l'expression des opinions des membres. Il permet le vote par téléphone pour tenir compte du fait que certains membres de la Première nation ne sont tout simplement pas en mesure de se rendre dans le Nord de l'Ontario pour exercer leur droit de vote en personne. Aucune de ces caractéristiques particulières du Code d'élection n'a été respectée dans le processus préalable à la révision du leadership et à l'élection, y compris lors des prétendues révision et élection tenues le 29 avril 2000. Aucune preuve n'a été présentée établissant qu'un avis des événements prévus pour le 29 avril avait été donné à l'ensemble des membres de la Première nation. De même, je n'ai reçu aucune preuve établissant que les membres de la Première nation qui seraient vraisemblablement dans l'impossibilité d'assister à la réunion à Thunder Bay bénéficieraient de moyens de communication ou de moyens de voter qui leur permettraient d'y participer vraiment.


[22]       En fait, la lettre écrite par Elaine Hogan le 29 mars 2000 et déjà citée en partie dans les présents motifs ne fait aucune allusion à une révision du leadership prévue pour le 29 avril ou une autre date et, ce qui est peut-être plus important, ne fournit aucun renseignement qui permettrait de conclure que le processus adopté serait conforme au Code d'élection. Au contraire, cette lettre indique que l'élection sera tenue « conformément au régime électoral de 1992, prévoyant un avis de trente jours pour la tenue d'une élection. » J'estime que Mme Hogan a ainsi reconnu, vraisemblablement au nom de tous les défendeurs, qu'elle était prête à ignorer le Code d'élection, la coutume reconnue de la bande de la Première nation. Je n'ai donc d'autre choix que de conclure que certains, et peut-être de nombreux membres de la Première nation ont de ce fait été privés de leur droit de vote quant aux événements du 29 avril.

[23]       Il n'a pas été contesté devant moi que les processus de révision du leadership et de l'élection de la Première nation doivent se dérouler en conformité avec la coutume de la bande et non avec la Loi sur les Indiens[8]. Pour ce seul motif, je n'accorde aucun poids à la lettre susmentionnée dans les présents motifs dans laquelle le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien semble reconnaître le pouvoir des défendeurs en leur qualité de chef et de conseil de la Première nation.

[24]       Dans l'arrêt Nation crie de Long Lake c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)[9], M. le juge Rothstein a écrit, au paragraphe [31] :

Les membres du Conseil et les membres de la Bande ne peuvent créer leurs propres règles de droit. Autrement, l'anarchie régnerait.

Je suis convaincu que, certainement par frustration, et cette frustration était peut-être très justifiée, c'est exactement ce qu'ont fait les défendeurs lorsque leur deuxième demande de révision du leadership, appuyée par plus de 120 membres de la Première nation, a été rejetée. Peu importe la sympathie que peut susciter cette réaction, elle ne saurait se justifier en droit.


CONCLUSION

[25]       À partir de la brève analyse qui précède, je conclus que la prétendue révision du leadership et la prétendue élection tenues le 29 avril 2000 ne se sont pas déroulées en conformité avec le Code d'élection et n'ont donc aucun effet.

[26]       À la fin de l'audition, j'ai dit aux avocats que j'avais l'intention d'accueillir la demande de contrôle judiciaire et je leur ai décrit oralement les réparations, parmi celles décrites précédemment dans les présents motifs, que je jugeais appropriées. Il s'agit des réparations suivantes : des jugements déclaratoires, une ordonnance d'interdiction faite aux défendeurs, une ordonnance annulant les décisions prises, les résolutions adoptées et les actes accomplis dans leur prétendu exercice du pouvoir et une ordonnance de la nature d'un mandamus. Je leur ai offert de leur remettre un projet d'ordonnance pour qu'ils le commentent quant à la forme, offre qu'ils ont acceptée et à laquelle il a été donné suite. J'ai refusé d'accepter une recommandation visant un ajout à mon projet d'ordonnance, formulée par l'avocat des demandeurs et à laquelle s'est opposé l'avocat des défendeurs. Une ordonnance a maintenant été prononcée en conséquence.


LES DÉPENS

[27]       L'avocat des défendeurs a reconnu qu'aucune partie à la demande de contrôle judiciaire ne s'est présentée devant la Cour sans avoir quoi que ce soit à se reprocher. Bien que, pour sa part, l'avocat des demandeurs ne l'ait pas reconnu, je suis persuadé que la position exposée par l'avocat des défendeurs est juste, pour l'essentiel. Par conséquent, bien que les demandeurs aient demandé les dépens sur la base avocat-client, j'ai décidé qu'il convenait de ne pas adjuger les dépens. C'est ce que dit mon ordonnance.

            Frederick E. Gibson         

       J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

9 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                 T-1152-00       

INTITULÉ DE LA CAUSE :             LE CHEF LAWRENCE CHAPMAN ET AUTRES c. ELAINE HOGAN ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                18 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                                   9 novembre 2000

ONT COMPARU :

Me Harvey Stone                                POUR LES DEMANDEURS

Me Jeffery G. Hewitt              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bird & Thatcher                                  POUR LES DEMANDEURS

Thunder Bay (Ontario)

Aird & Berlis                           POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)



     [1]      Première nation du Lac des Mille Lacs et autres c. Chapman et autres (1998), 149 F.T.R. 227.

     [2]      Dossier des demandeurs, onglet 7 (L).

     [3]      Dossier des demandeurs, onglet 7 (N).

     [4]      Dossier des demandeurs, onglet 7 (O).

     [5]      Dossier des demandeurs, onglet 7 (U).

     [6]        L.R.C. (1985), ch. F-7.

     [7]      [1999] 2 C.F. 476 (C.A.).

     [8]      L.R.C. (1985), ch. I-5.

     [9]      [1995] A.C.F. no 1020 (1re inst.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.