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Date : 20050831

Dossier : T-2437-03

Référence : 2005 CF 1183

Ottawa (Ontario), le 31 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

AVENTIS PHARMA INC.

demanderesse

et

MAYNE PHARMA (CANADA) INC.,

LE MINISTRE DE LA SANTÉet

AVENTIS PHARMA, S.A.

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande formée sous le régime du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié par DORS/98-166 et DORS/99-379 (le Règlement), par laquelle la demanderesse (AVENTIS ou la première personne) sollicite une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le MINISTRE) de délivrer un avis de conformité (AC) à la défenderesse (MAYNE ou la seconde personne) à l'égard de la drogue sodium de céfotaxime avant l'expiration du brevet canadien numéro 1,319,682 (le brevet 682).


LA QUESTION EN LITIGE

[2]                La question en litige peut se résumer comme suit :

1.          Les allégations de Mayne touchant l'invalidité du brevet 682 sont-elles fondées?

[3]                Pour les motifs dont l'exposé suit, je dois répondre à cette question par la négative. Par conséquent, la présente demande sera accueillie.

LE CONTEXTE

[4]                Le prédécesseur d'AVENTIS a déposé la demande de brevet 682 le 21 janvier 1977. Ce brevet a été délivré le 29 juin 1993 et il expirera le 29 juin 2010. Il contient 93 revendications et porte sur la préparation d'une nouvelle famille de céphalosporines.

[5]                Le 13 novembre 2003, MAYNE a signifié à AVENTIS un avis d'allégation (AA) faisant état de l'absence de contrefaçon et de l'invalidité du brevet 682, conformément à la procédure instituée par le Règlement.

[6]                Le 22 décembre 2003, AVENTIS a déposé auprès de la Cour, sous le régime de l'article 6 du Règlement, un avis de demande d'ordonnance interdisant au MINISTRE de délivrer l'AC à MAYNE.


[7]                Le 5 juillet 2004, Monsieur le juge Noël, de la Cour fédérale, a fait droit à une requête d'AVENTIS en radiation des paragraphes 22 à 25 et 71 à 75 de l'affidavit de M. Tony Durst, expert de MAYNE, en date du 7 juin 2004.

[8]                MAYNE a fait appel de cette décision, appel que la Cour d'appel fédérale a accueilli en partie. Elle a permis à MAYNE d'invoquer les paragraphes 22 à 25, convaincue qu'ils n'avançaient pas de faits qui n'auraient pas été exposés dans l'énoncé détaillé. En revanche, elle a rejeté l'appel de MAYNE relativement aux paragraphes 71 à 75, ayant conclu que leur contenu n'avait pas été communiqué dans l'AA.

LA THÈSE DE LA DEMANDERESSE

[9]                AVENTIS soutient que l'utilisation, la fabrication, la construction et la vente du produit de MAYNE contreferaient son brevet. Se fondant sur l'affidavit de son expert, la demanderesse affirme que les lettres R, R' et A de la structure des céphalosporines représentent des substituants que l'on peut changer sans altérer les composés que décrit la revendication 1 du brevet 682 (formule I). Autrement dit, le produit de MAYNE a la même formule chimique structurale (composé) que celle que protège le brevet 682. Il s'ensuit, selon AVENTIS, que le sodium de céfotaxime est visé par la formule I, de sorte que MAYNE contrefait son brevet.

[10]            Comme nous le disions plus haut, AVENTIS invoque la preuve d'expert présentée par M. James D. Wuest, professeur à l'Université de Montréal depuis 1986. M. Wuest a étudié la chimie et les mathématiques à la Cornell University et a effectué des travaux de troisième cycle en chimie organique à la Harvard University, où il a aussi été, jusqu'en 1980, professeur adjoint de chimie.


[11]            AVENTIS a aussi demandé à M. Jean H. Dubuc de présenter des observations sur la correspondance entre l'Office de la propriété intellectuelle du Canada et le cabinet Robic, agent de brevets de la demanderesse, pour établir si des retards injustifiés avaient ralenti la procédure qui avait mené à la délivrance du brevet. M. Dubuc a été agréé comme agent de brevets en 1971, après avoir obtenu un diplôme d'ingénieur à l'École polytechnique de Montréal en 1964. Il est agent enregistré de brevets depuis 30 ans et exerce actuellement cette profession dans le cabinet Goudreau Gage Dubuc.

[12]            M. Dubuc a conclu que les 16 années qui s'étaient écoulées entre le dépôt de la demande de brevet en 1977 et la délivrance de celui-ci en 1993 s'expliquaient en grande partie par le fait que cette demande se trouvait en conflit avec des demandes en co-instance au Bureau des brevets. Les objets de ces brevets se chevauchaient, et la question n'a pu être résolue qu'en 1993. M. Dubuc a fait observer que, d'après sa longue expérience professionnelle, il n'est pas rare qu'un déposant demande une prorogation de délai, en particulier lorsque des procédures de conflit sont en cours. Par conséquent, il estimait que ni le déposant ni son agent n'avaient causé de lenteurs déraisonnables.

L'affidavit de M. Wuest

[13]            Il a été demandé à M. Wuest de présenter des observations sur le point de savoir si le composé à la formule chimique donnée au paragraphe 6 de l'AA de MAYNE est le même que le composé faisant l'objet, au moins, des revendications 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36 et 50 du brevet 682.


[14]            M. Wuest a expliqué que le composé spécifique décrit au paragraphe 6 de l'AA de MAYNE est absolument identique au composé faisant l'objet des revendications 33 et 34 du brevet 682. Il a commencé son analyse en présentant la formule chimique structurale du sodium de céfotaxime telle qu'elle figure dans le Merck Index. Il a rappelé que les revendications 33 et 34 désignent expressément « isomère syn » la géométrie du groupe méthoxy imino. Les règles de nomenclature bien établies de la chimie organique confirment que cette désignation est équivalente à la désignation « (Z) » , qui spécifie l'orientation du groupe méthoxy imino conformément à la description proposée par MAYNE au paragraphe 6 de son AA.

[15]            De plus, il a insisté sur le fait que les revendications 33 et 34 rangent toutes deux le composé revendiqué dans la famille des céphèmes en employant explicitement la nomenclature y afférente. Dans cette nomenclature, la configuration des centres aux positions 6 et 7 est considérée comme étant celle que définit la formule structurale du sodium de céfotaxime que donne le Merck Index.

[16]            AVENTIS a aussi demandé à M. Wuest d'examiner la question de savoir si le procédé décrit au paragraphe 7 de l'AA de MAYNE est visé par le procédé qui fait l'objet de la revendication 49 du brevet 682. M. Wuest a conclu que le procédé décrit par MAYNE est le même que celui qui est revendiqué dans le brevet 682.

[17]            Le procédé permettant d'obtenir le composé de formule CIII recherché se caractérise par la réaction de l'acide 7-amino céphalosporanique (7-ACA) avec un acide amino thiazole (CIa) ou un dérivé fonctionnel de celui-ci. Cette réaction entre un acide et une amine produit un lien amide (CO-NH), nécessaire pour former le composé de formule CIII.


[18]            Selon M. Wuest, MAYNE fait réagir l'acétate de diéthylthiophosphoryle (Z) (2-amino thiazole-4-yl) (méthoxy imino) [DAMA] avec le 7-ACA pour former un lien amide (CO-NH). Le DAMA est un dérivé fonctionnel du CIa utilisé dans la revendication 49 du brevet 682 d'AVENTIS. M. Wuest a expliqué que tout chimiste normalement versé dans l'art de la synthèse organique verrait que le DAMA est visé par les dérivés fonctionnels de la revendication 49.

Le contre-interrogatoire de M. Wuest

[19]            Dans son contre-interrogatoire, M. Wuest a déclaré que tout chimiste normalement versé dans l'art comprendrait, à la lecture de la revendication 49, que la réaction de l'acide avec l'amine est subordonnée à la condition d'une étape d'activation intermédiaire. Celle-ci pose cependant un problème : n'étant pas sélective du groupe avec lequel elle va réagir, elle pourrait provoquer des réactions parasites.

[20]            Pour réussir la réaction, le chimiste n'a pas nécessairement à utiliser un groupe protecteur. M. Wuest a expliqué que lorsqu'on ajoute un groupe protecteur au schéma réactionnel, il faut par la suite l'enlever. Même si le recours à un groupe protecteur garantit l'absence de réactions parasites et la production d'un meilleur « rendement » du composé recherché, il peut se révéler préférable de ne pas utiliser de groupe protecteur s'il est trop difficile de l'enlever une fois la réaction achevée. Par conséquent, il se peut qu'on ait intérêt à se contenter d'un « rendement » plus faible du composé recherché, s'il est facile à séparer.


[21]            En outre, M. Wuest a émis l'avis que le brevet 682, à la page 6 (pages 0024 et 0025 du dossier de la demanderesse, volume 1 de 8), ne donne pas expressément l'instruction d'utiliser le DCC comme réactif. Selon son interprétation de ce passage, le DCC n'est qu'un exemple de réactif qu'on pourrait utiliser, et il est permis de penser que d'autres réactifs équivalents sont envisageables pour ce type de réaction de couplage.

LA THÈSE DE LA DÉFENDERESSE

[22]            MAYNE affirme dans son AA qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle du sodium de céfotaxime stérile pour injection (le produit de MAYNE).

[23]            MAYNE a fait valoir que le schéma réactionnel décrit dans le brevet 682 n'était pas nouveau en 1977 et qu'il avait été utilisé bien avant pour produire un très grand nombre de médicaments à base de pénicilline et de céphalosporine.

[24]            Afin d'obtenir un AA du MINISTRE, MAYNE a fourni, conformément à l'article 5 du Règlement, un énoncé détaillé expliquant de manière circonstanciée, à propos de chacune des revendications du brevet 682, pourquoi elle ne serait pas contrefaite.

[25]            L'essence de l'allégation de MAYNE est que le procédé utilisé pour fabriquer son produit diffère du procédé revendiqué et décrit dans le brevet 682. Plus précisément, au lieu d'utiliser le composé 7-ACA avec la formule générale IIc, elle utilise le DAMA.


[26]            Les allégations de MAYNE se fondent sur l'affidavit de M. Tony Durst, actuellement professeur émérite, professeur invité de chimie et chef du département des sciences biopharmaceutiques à l'Université d'Ottawa. Il a obtenu un baccalauréat en sciences, spécialisation chimie, en 1961, ainsi qu'un doctorat en chimie en 1964, à la University of Western Ontario. Après des recherches postdoctorales à l'Université de Munich et à Harvard, il est entré au département de chimie de l'Université d'Ottawa en 1967.

[27]            Subsidiairement, MAYNE a allégué que des revendications déterminées de produit et de procédé du brevet 682 n'étaient pas contrefaites, au motif qu'elles étaient invalides, inapplicables ou autrement frappées de nullité, ayant été auparavant divulguées dans deux brevets canadiens.

L'affidavit de M. Durst

[28]            Il a été demandé à M. Durst de présenter des observations sur les points de savoir :

a)         si le composé sodium de céfotaxime est visé par l'une ou l'autre des revendications des brevets 682, 284 ou 343;

b)         si le procédé décrit dans l'AA, en particulier au paragraphe 7, est visé par le procédé que décrit la revendication 49 du brevet 682 et de commenter les conclusions formulées par M. Wuest à ce sujet;

c)         si les procédés revendiqués dans les brevets 682 et 284 se rapportent à la préparation du sodium de céfotaxime et, dans l'affirmative, si ces procédés sont des équivalents chimiques identiques ou évidents;


d)         si le procédé revendiqué dans le brevet 343 se rapporte à la préparation du sodium de cétofaxime et, dans l'affirmative, si ce procédé est identique à ceux revendiqués dans les brevets 682 et 284 ou en constitue un équivalent évident.

[29]            M. Durst est arrivé à la conclusion que le composé sodium de cétotaxime, tel qu'il est décrit au paragraphe 6 de l'AA, est divulgué dans les revendications des brevets 682, 284 et 343.

[30]            M. Durst n'a pas souscrit à la conclusion de M. Wuest selon laquelle le procédé décrit au paragraphe 7 de l'AA est visé par le procédé qui fait l'objet de la revendication 49 du brevet 682.

[31]            M. Durst a expliqué ce qui suit : le procédé de préparation du composé de formule CIII se caractérise par la réaction du 7-ACA avec un acide amino thiazole ou un dérivé fonctionnel d'un tel acide. Il comporte la réaction d'un acide avec une amine pour produire un lien amide. Pour que le lien amide puisse être formé dans des conditions relativement douces, l'acide doit être activé par un réactif. Or, comme le réactif n'est pas sélectif, il faut utiliser un groupe protecteur du groupement aminé du CIa pour que le « rendement » de la réaction souhaitée ne soit pas compromis ou réduit par des réactions parasites.

[32]            L'utilisation d'un groupe protecteur entraîne deux étapes additionnelles dans une séquence de réactions : il faut premièrement attacher le groupe protecteur, puis le détacher. M. Durst a émis l'avis qu'un chimiste versé dans l'art comprendrait que la mise en oeuvre d'une étape d'activation nécessite l'utilisation d'un groupe protecteur des amines pour prévenir les réactions parasites.


[33]            Les deux réactifs prescrits par la revendication 49 comportent chacun un groupement aminé et un groupement d'acides carboxyliques. Il s'ensuit que chacun des deux réactifs a deux sites où peuvent réagir un groupement aminé et un groupement d'acides carboxyliques. Il y a donc quatre réactions possibles productrices de liens amides, dont une seule donnera naissance au composé recherché.

[34]            Par conséquent, la personne versée dans l'art comprendrait que l'indication de la revendication 49 selon laquelle le groupement aminé « peut » être protégé de façon conventionnelle vise en pratique une opération obligatoire et non facultative si l'on veut appliquer le procédé exposé dans cette revendication.

[35]            M. Durst a déclaré que le mémoire descriptif du brevet 682 n'expose pas d'autre méthode que l'utilisation d'un activant et d'un groupe protecteur. On n'y trouve pas d'indication de quelque procédé déterminé que ce soit qui serait utilisé pour activer le dérivé d'acide carboxylique et permettre la production efficiente du lien amide recherché sans qu'il soit nécessaire de recourir à un groupe protecteur. Rien n'indique non plus que les inventeurs du brevet 682 aient eu connaissance d'un groupe activant possédant les propriétés nécessaires pour qu'on puisse se passer de groupe protecteur.

[36]            La découverte d'un procédé efficient où l'amine de l'acide n'aurait pas besoin d'être protégé avant l'activation eût été avantageuse. Si les inventeurs du brevet 682 avaient pensé que le schéma réactionnel fût viable sans le recours à un groupe protecteur, la personne versée dans l'art s'attendrait à ce qu'ils l'eussent indiqué explicitement.


[37]            Le procédé de Mayne prévoit, pour l'obtention du composé de formule CIII, la réaction d'un réactif désigné « DAMA    » dans l'AA. M. Durst estime que le DAMA est un composé différent du réactif CIa, étant donné qu'il ne comprend pas de groupement d'acides carboxyliques. L'hydrogène du groupement d'acides carboxyliques est en effet remplacé dans le DAMA par un groupement de diéthylthiophosphoryles.

[38]            Le procédé utilisé par MAYNE supprime la nécessité de recourir à un groupe protecteur. M. Durst a expliqué que la réaction décrite par les inventeurs du brevet 682 entraînerait probablement des réactions parasites si l'on ne recourait pas à un groupe protecteur approprié des amines. Une telle méthode réduirait sensiblement le « rendement » et ferait augmenter considérablement le coût du produit qu'on veut fabriquer. L'utilisation d'un groupe protecteur prévient les réactions parasites et garantit le déroulement efficient de la réaction.

[39]            M. Durst a émis l'avis qu'une personne versée dans l'art aurait compris, à la lecture de la revendication 49 dans le contexte du brevet 682, que l'utilisation d'un groupe protecteur était nécessaire à la réussite de l'application du procédé exposé dans la revendication 49. Or, contrairement à celui du brevet 682, le procédé de MAYNE met en oeuvre un réactif qui n'exige pas le recours à un groupe protecteur.


[40]            M. Durst a expliqué que le but de tous les chimistes de synthèse est d'effectuer des réactions sans recourir à un groupe protecteur. Les procédures qui permettent de telles réactions sont en général considérées, quand on en découvre, comme possédant un caractère de nouveauté et dignes de publication à ce titre. Selon M. Durst, si tel avait été le cas en l'occurrence, le nouveau procédé aurait été exposé, illustré d'exemples et appliqué : il n'aurait pas été considéré comme un équivalent chimique évident.

Le contre-interrogatoire de M. Durst

[41]            Dans son contre-interrogatoire, M. Durst a confirmé qu'il ne parle pas très bien français, mais qu'il peut lire passablement bien le français scientifique (en particulier en chimie). De plus, il a précisé qu'il n'avait pas lu en entier le brevet 682, mais ce qu'il en estimait être les passages pertinents.

[42]            M. Durst a déclaré ne pas comprendre pourquoi les brevets 682 et 284 avaient pu être tous deux délivrés, puisqu'ils portent sur des composés très similaires. En outre, il n'était pas au courant du conflit entre ces deux brevets. Il ne savait pas non plus que le brevet 343 avait conduit à la délivrance du brevet 682.

[43]            M. Durst a reconnu que l'utilisation d'un groupe protecteur n'est pas nécessaire pour obtenir la formation du composé de formule CIII. Cependant, a-t-il expliqué, le recours à un groupe protecteur augmente l'efficience du procédé et le rendement du composé recherché; par conséquent, d'un point de vue pratique, l'utilisation d'un groupe protecteur est obligatoire.


[44]            M. Durst a déclaré que, compte tenu de l'ensemble de la revendication 49, il n'avait pas accordé grand poids au terme « peut » qui y est employé à propos du groupe protecteur. Il a justifié son raisonnement en soulignant le fait qu'il n'est même pas question de l'utilisation d'un activant dans la revendication 49, alors que la réussite de la réaction l'exige. En fait, la seule autre manière d'effectuer la réaction entre le 7-ACA et le CIa, à part l'utilisation d'un activant, est de porter la température à plus de 200 degrés. Or, cette méthode n'est pas une solution qu'on puisse retenir, une telle chaleur entraînant la décomposition du composé. Par conséquent, même s'il n'en est pas fait mention dans la revendication 49, l'utilisation d'un réactif est obligatoire en pratique.

[45]            M. Durst a déclaré que, dans l'industrie pharmaceutique, la pureté minimale est maintenant fixée à 99,5 %. Si la réaction produit des composés parasites, le chimiste risque d'avoir beaucoup de mal à purifier le composé recherché et à atteindre le niveau de pureté exigé. On peut raisonnablement supposer que cette étape additionnelle sera difficile et coûteuse. Par conséquent, le procédé en question y perd beaucoup d'intérêt, et il est presque impossible qu'il soit économiquement viable.

ANALYSE

Les allégations de Mayne touchant l'invalidité du brevet 682 sont-elles fondées?

[46]            À titre d'argument préliminaire, AVENTIS soutient que MAYNE n'a pas traité dans son AA de la question de l'invalidité de manière suffisante, comme l'exige l'article 5 du Règlement, et que cette seule insuffisance justifierait qu'on rende une ordonnance d'interdiction.

[47]            Subsidiairement, AVENTIS soutient qu'elle détient un brevet valide qui lui confère un monopole légal sur le composé sodium de céfotaxime jusqu'en 2010. Elle fait valoir que le composé à la formule structurale décrite au paragraphe 6 de l'AA est le même que le composé faisant l'objet, au moins, des revendications 30 à 36 et 50 du brevet 682 et que MAYNE contreferait son brevet.


[48]            À ce propos, AVENTIS souligne le fait que MAYNE a admis que le composé décrit dans son AA est le même que le composé dont l'invention est divulguée dans les revendications 30 à 36 et 50 du brevet 682.

[49]            MAYNE, de son côté, soutient que les revendications de produit (30 à 36 et 50) sont invalides, étant donné que la substance y décrite est dans le domaine public depuis 1999, c'est-à-dire depuis l'expiration du brevet 343. Elle fait valoir qu'il y a double brevet, le sodium de céfotaxime faisant l'objet à la fois des brevets 682 et 343.

a)         Historique de la Loi sur les brevets

[50]            On a édicté des modifications importantes de la Loi sur les brevets le 1er octobre 1989. Les dispositions transitoires portaient que toutes les demandes de brevet dont la date de dépôt effective était postérieure au 1er octobre 1989 seraient administrées sous le nouveau régime, et que tous les brevets délivrés avant octobre 1989 et toutes les demandes déposées avant le 1er octobre 1989 seraient administrés sous le régime de la version antérieure à cette date de la Loi sur les brevets.


[51]            Comme la demande de brevet d'AVENTIS a été déposée avant octobre 1989, elle relève de l' « ancienne » Loi sur les brevets ou « Loi sur les brevets antérieure à 1989 » . La Loi sur les brevets antérieure à 1989 prévoyait plusieurs exceptions importantes à la brevetabilité. Suivant l'une de ces exceptions, il ne pouvait être délivré de brevet sur une substance destinée à l'alimentation ou à la médication et préparée selon des procédés microbiologiques, à moins qu'elle ne soit préparée selon la méthode divulguée (article 39) Hughes and Woodley on Patents, 2e édition, LexisNexis Butterworths, reliure 1, section 5, page 125). L'article 39 de la Loi sur les brevets antérieure à 1989 est libellé comme suit :

39. PROCÉDÉS MICROBIOLOGIQUES NATURELS

(1) Lorsqu'il s'agit d'inventions couvrant des substances que l'on trouve dans la nature, préparées ou produites, totalement ou pour une part notable, selon des procédés microbiologiques et destinées à l'alimentation ou à la médication, aucune revendication pour l'aliment ou le médicament ne doit être faite dans le mémoire descriptif, sauf pour celui ainsi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués. [1987, ch. 41, art. 14.]

[52]            En principe, donc, il n'aurait été possible à AVENTIS d'obtenir un brevet que sur le procédé de fabrication du sodium de céfotaxime et non sur le médicament en soi.

[53]            Cependant, les dispositions qui interdisaient au breveté d'obtenir un brevet sur un médicament sous le régime de la Loi sur les brevets antérieure à 1989 ont été modifiées le 19 novembre 1987, les modifications portant, entre autres, que ces dispositions ne seraient plus en vigueur après le 19 novembre 1991. Autrement dit, après le 19 novembre 1991, il est devenu possible pour le breveté d'obtenir un brevet sur une substance destinée à la médication.


[54]            C'est dans ce contexte que la Commission d'appel des brevets a décidé que tout brevet délivré après le 19 novembre 1991, quelle que soit la date de dépôt de la demande correspondante, pourrait comporter des revendications pour des substances que l'on trouve dans la nature, sans restrictions afférentes au procédé (Hughes and Woodley on Patents, 2e édition, LexisNexis Butterworths, reliure 1, section 22, page 181). Par conséquent, comme le brevet d'AVENTIS n'avait pas encore été délivré en 1991, elle a été autorisée à modifier sa demande de manière à y inclure des revendications pour la substance en soi. Par une lettre en date du 21 janvier 1993, la demanderesse a modifié sa demande pour y inclure des revendications de produit pour la céfotaxime et ses dérivés (dossier de la demanderesse, vol. 5, p. 1188).

b)         La charge de la preuve

[55]            Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets dispose que, une fois délivré, le brevet est valide sauf preuve contraire. Pour réfuter cette présomption légale, la seconde personne doit produire des preuves à l'appui de ses allégations d'invalidité, après quoi il incombe à la première personne de prouver, suivant la prépondérance de la preuve, que les allégations d'invalidité ne sont pas fondées. Autrement dit, la première personne peut invoquer la présomption de validité jusqu'à ce que la seconde personne produise des éléments de preuve à l'appui de son allégation d'invalidité; c'est seulement alors que la charge de la preuve « passe » à la première personne (SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2001] 4 C.F. 518, aux paragraphes 12 à 15, conf. par [2003] 1 C.F. 118 (C.A.)).

c)         Le caractère suffisant ou non de l'AA

[56]            La Cour d'appel fédérale a exposé l'objet du Règlement dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 855 (QL), au paragraphe 16, citant Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), au paragraphe 11 :

[¼] Le Règlement vise essentiellement à prévoir un mécanisme par lequel les brevets sont inscrits et protégés contre une éventuelle contrefaçon à la demande du titulaire du brevet. Le Règlement garantit donc qu'aucun avis de conformité n'est délivré sans que les titulaires des brevets aient eu l'occasion de défendre leurs brevets [¼]


[57]            Reprenant à son compte les observations formulées par le juge Stone dans AB Hassle, précité, la juge Snider explique, au paragraphe 30 d'Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., [2005] A.C.F. no 511 (1re inst.) (QL), que l'objet de l'AA est de donner au breveté suffisamment de renseignements pour qu'il puisse décider s'il y a lieu de former sous le régime du Règlement une demande d'interdiction de délivrance d'AC. L'AA doit être suffisamment détaillé pour informer intégralement le breveté des motifs sur lesquels s'appuie la seconde personne pour affirmer qu'il n'y aura pas contrefaçon.

[58]            Le paragraphe 5(1) et l'alinéa 5(3)a) du Règlement prévoient un mécanisme de communication obligatoire des renseignements nécessaires. Pour se conformer aux obligations que lui fixe le Règlement, la seconde personne doit énoncer le droit et les faits sur lesquels elle fonde son allégation.

[59]            Cette obligation réglementaire s'explique par la procédure quelque peu inhabituelle qu'institue le Règlement. Celui-ci dispose en effet que les allégations doivent être formulées par la seconde personne, mais que la demande d'interdiction doit être formée par la première personne. Par conséquent, la première personne doit présenter sa demande de manière à démontrer qu'aucune des allégations formulées par la seconde personne n'est fondée. Autrement dit, la première personne est obligée de répondre aux allégations de l'énoncé détaillé que fournit la seconde personne (Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc. et al. (2005), 38 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.)).


[60]            Par conséquent, comme la première personne doit répondre aux motifs formulés dans l'énoncé détaillé, il ne serait pas juste, même s'il peut exister d'autres motifs de contrefaçon ou d'invalidité, de permettre à la seconde personne d'invoquer d'autres motifs dans la contre-preuve qu'elle oppose à la demande d'interdiction. La seconde personne a défini les paramètres du litige dans son énoncé détaillé. Elle ne peut ensuite changer ces paramètres après que la première personne a formulé sa demande en fonction des questions soulevées dans cet énoncé (Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc. et al. (2005), 38 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.)).

[61]            Dans la présente espèce, la demanderesse invoque l'insuffisance de l'AA, faisant valoir que la défenderesse n'y a pas clairement indiqué que l'invalidité des revendications de produit serait en litige.

[62]            À l'appui de ses allégations, AVENTIS renvoie la Cour à la page 2 du « Formulaire V : Déclaration concernant la liste de brevets » (dossier de la demanderesse, vol. 7, p. 1585), où la troisième ligne, relative aux allégations d'invalidité, n'est pas cochée. De plus, AVENTIS invoque le paragraphe 4 de l'énoncé détaillé qui accompagne le formulaire V, où l'on peut lire que MAYNE formule ses allégations sous le régime du sous-alinéa 5(1)b)iv) du Règlement, qui porte sur la non-contrefaçon. AVENTIS fait valoir que MAYNE ne cite pas le sous-alinéa 5(1)b)(iii) du Règlement, relatif à l'invalidité.

[63]            Pour établir si les renseignements fournis par la seconde personne sont suffisants, la Cour doit examiner l'AA dans son ensemble, et non pas fonder ses conclusions sur des paragraphes ou sections considérés isolément. Un examen attentif de l'AA a permis à la Cour d'établir que des allégations d'invalidité ont été formulées aux paragraphes 72 à 83 touchant la revendication 30 et que les mêmes arguments ont été repris au sujet des revendications 31 à 38 et 50 (dossier de la demanderesse, vol. 7, p. 1617 à 1624, 1636 et 1637). Les allégations d'invalidité sont rédigées comme suit :


[TRADUCTION]

71.             La revendication 30 porte sur un produit de formule I

(illustration)

« dans laquelle R représente un atome d'hydrogène, R' représente un atome d'hydrogène ou un radical alkyle saturé ou insaturé ayant de 1 à 4 atomes de carbone, A représente soit un atome d'hydrogène soit un équivalent de métal alcalin, alcalino terreux, de magnésium ou d'une base organique aminée, le trait ondulé signifie que le groupement OR' se trouve dans la position syn » [souligné dans l'AA].

72.                 Si la formule I inclut le composé sodium de céfotaxime, la revendication 30 doit être interprétée comme incluant les restrictions de procédé de la revendication 1, c'est-à -dire comme ne s'appliquant au sodium de céfotaxime que lorsqu'il est préparé suivant le procédé de la revendication 1. Autrement, la revendication 30 n'est pas contrefaite, puisqu'elle est invalide, nulle ou inapplicable, aux motifs qui suivent.

73.                 Le composé cétofaxime et ses sels (y compris le sodium de céfotaxime) sont dans le domaine public.

74.                 Par exemple, la céfotaxime et le sodium de céfotaxime étaient exposés et protégés par le brevet canadien 1,121,343 (le brevet 343), qui a été délivré le 6 avril 1982 à Roussel-Uclaf. Roussel-Uclaf est de même le titulaire initial du brevet 682, qui fait l'objet de la présente allégation.

75.                 Sous le régime de la Loi sur les brevets dans sa version d'alors, la durée du brevet 343 était de 17 ans à compter de la date de sa délivrance. Le brevet 343 a donc expiré en 1999. Par conséquent, le composé céfotaxime et ses sels de sodium sont tombés dans le domaine public en 1999. Le procédé de fabrication de ces composés, tel qu'il est exposé dans le brevet 343, est de même tombé dans le domaine public. Le contenu du brevet 343 est incorporé au présent avis par renvoi.

76.                 La demande (no 270,375) qui a en fin de compte mené à la délivrance du brevet 682 a été déposée le 21 janvier 1977, et ledit brevet a été délivré le 29 juin 1993. Sa durée est de 17 ans, et il expirera en 2010.

77.                 À la date de dépôt de la demande 270,375, les composés chimiques à utilité médicale ou thérapeutique (tels que les composés décrits et revendiqués dans le brevet 682) ne pouvaient être revendiqués en soi. Il ntait permis de revendiquer la protection d'un brevet pour de tels composés que dans la mesure où ils étaient préparés suivant un procédé déterminé.

78.                 Le brevet 682 décrit et revendique des procédés de fabrication de composés, notamment la céfotaxime et ses sels. Les procédés du brevet 682 et ceux du brevet 683, maintenant expiré, ne sont pas identiques.

79.                 Du fait de l'expiration du brevet 343 en 1999, le public canadien a acquis le droit d'appliquer le procédé décrit et revendiqué dans le brevet 343 pour fabriquer les composés que protégeait celui-ci, notamment la céfotaxime et le sodium de céfotaxime.

80.                 Si l'on peut légitimement fabriquer de la céfotaxime et du sodium de céfotaxime au moyen du procédé que protégeait le brevet 343 aujourd'hui expiré, il doit être également légitime de fabriquer ces composés au moyen d'un procédé qui ne contrefait pas le brevet 682. Or, pour les motifs exposés dans le présent avis, le procédé de Mayne ne contrefait pas le brevet 682.

81.                 Si l'on en décidait autrement, une molécule devenue bien public en 1999 serait en pratique soustraite au domaine public et deviendrait l'objet d'un monopole de brevet artificiellement prolongé. Une telle « reprise » serait contraire à l'objet et à lconomie de la Loi sur les brevets, comme à l'esprit de la politique gouvernementale sous-jacente.


82.                 Comme le sodium de céfotaxime fabriqué suivant le procédé de Mayne ne contrefait pas les procédés revendiqués par le brevet 682, le sodium de céfotaxime échappe nécessairement à la portée de la revendication 30 et ne la contrefait pas. S'il en va autrement, nous posons que la revendication 30 n'est pas contrefaite, au motif qu'elle est invalide, ou par ailleurs nulle et inapplicable. [Non souligné dans l'original.]

83.                 En outre, ayant obtenu la protection d'un brevet pour la molécule de la céfotaxime et ses sels préparés selon le procédé révélé et revendiqué dans le brevet 343, Roussel-Uclaf ne peut obtenir de protection ultérieure pour la molécule de la céfotaxime (et/ou ses sels) en soi. S'il en va autrement, c'est-à _dire si la revendication 30 est interprétée comme protégeant le composésodium de céfotaxime indépendamment du procédéutilisépour le produire, la revendication 30 est également invalide au motif du double brevet. [Non souligné dans l'original.]

[64]            Vu ce qui précède, je suis d'avis que la thèse d'AVENTIS touchant l'insuffisance de l'AA n'est pas fondée. Lorsqu'elle a décidé de contester l'interprétation des revendications du brevet 682 proposée par MAYNE, AVENTIS savait que MAYNE mettrait en avant l'invalidité pour cause de double brevet. Elle en savait donc plus que suffisamment pour réfuter l'allégation de MAYNE.

d)        L'interprétation des revendications

[65]            La première chose à faire dans une procédure relative à un brevet est d'interpréter les revendications comme le ferait une personne versée dans l'art. Cette interprétation dite « téléologique » doit précéder l'examen des questions de validité aussi bien que de contrefaçon. Dans un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, le juge Binnie a repris à son compte les observations formulées par lord Diplock au paragraphe 44 de Catnic Components Limited c. Hill & Smith Limited, [1982] R.P.C. 183. Lord Diplock y définissait comme suit l'objet de l'interprétation des revendications :


[traduction] Vos Seigneuries, le mémoire descriptif d'un brevet est une déclaration unilatérale du breveté, faite dans ses propres mots et s'adressant à ceux qui sont susceptibles d'avoir un intérêt concret dans l'objet de son invention (c'est-à -dire qui sont « versés dans l'art » ), par laquelle il les informe de ce qu'il prétend être les caractéristiques essentielles du nouveau produit ou du nouveau procédé pour lequel les lettres patentes lui confèrent un monopole. Ce sont seulement les nouvelles caractéristiques qu'il prétend essentielles qui constituent ce qu'on appelle l' « essence » de la revendication. Le mémoire descriptif d'un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt qu'une interprétation purement littérale découlant du genre d'analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation. La question qui se pose dans chaque cas est la suivante : les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l'invention est destinée à servir comprendraient-elles que le brevetévoulait que l'interprétation stricte d'une expression ou d'un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication constitue une condition essentielle de l'invention, de manière à ce que toute variante soit exclue du monopole revendiquémême s'il se peut qu'elle n'ait aucun effet important sur la façon dont l'invention fonctionne. [Non souligné dans l'original.]

[66]            Le juge Binnie a aussi formulé dans Whirlpool Corp., précité, soit aux paragraphes 45 et 48, les remarques suivantes sur l'interprétation téléologique :

L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention [...]

[...]

[¼] Dans l'arrêt Catnic, comme dans la jurisprudence antérieure, ce sont les revendications écrites qui précisent la portée du monopole, mais comme auparavant, on obtient la souplesse et lquité en différenciant les caractéristiques essentielles ( « l'essence » ) de celles qui ne sont pas essentielles, au moyen d'une lecture éclairée de l'ensemble du mémoire descriptif par la personne versée dans l'art à qui il s'adresse plutôt qu'au moyen du « genre d'analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation » (Catnic, précité, à la p. 243).

[67]            Les observations que nous venons de citer font ressortir l'importance de distinguer les éléments essentiels de ceux qui ne le sont pas, parce qu'il n'y aura pas contrefaçon si un élément essentiel est différent ou omis, tandis qu'il restera possible de conclure à la contrefaçon en cas de substitution ou d'omission dléments non essentiels.

[68]            Par conséquent, la question que doit trancher la Cour est celle de savoir si le brevet 682 est libellé de telle façon qu'une personne versée dans l'art conclurait qu'il comporte une revendication pour la substance en soi ou qu'il ne confère un monopole légal que sur le procédé qu'il décrit. Autrement dit, les revendications 30 à 36 et 50 sont-elles formulées de manière que la portée du monopole comprenne le sodium de céfotaxime en soi?


[69]            La portée du droit exclusif est déterminée par les revendications du brevet. La revendication est ce qui décrit l'élément de l'invention et définit le monopole que sollicite le breveté dans sa demande. Comme il est dit à la page 313 de Hughes and Woodley on Patents, les revendications définissent la portée du monopole et peuvent être lues conjointement avec la divulgation. La divulgation définit la nature de l'invention pour laquelle le monopole est revendiqué. La revendication ne peut avoir de portée plus large que l'invention divulguée et ne peut être utilisée pour étendre la définition de l'invention telle qu'elle est décrite dans la divulgation.

[70]            Se fondant sur une analyse approfondie du brevet 682, la Cour estime que les revendications sont libellées de manière à conférer à AVENTIS le monopole légal sur le composé céfotaxime et ses dérivés. Cette opinion est appuyée par les déclarations de MM. Durst et Wuest, qui ont tous deux confirmé que le composé sodium de céfotaxime, décrit au paragraphe 6 de l'AA, est visé par les revendications 32 à 36 et 50 du brevet 682.

M. Wuest

11.             Le composé décrit au paragraphe 6 comme l'ingrédient actif du produit de Mayne, identifié sans ambiguïté conformément à ce qui précède, est visé par les composés faisant l'objet des revendications 30, 31, 33, 34, 35, 36 et 50 du brevet 682 (dossier de la demanderesse, vol. 6, p. 1249).

M. Durst

Le composésodium de céfotaxime, décrit au paragraphe 6 de l'avis d'allégation, est-il défini par les revendications du brevet 682?

12. Je réponds à cette question par l'affirmative. J'ai examiné les revendications du brevet canadien 1,319,682 (le brevet 682) et les déclarations de M. James Wuest. Je souscris aux conclusions formulées par ce dernier aux paragraphes 7 à 11 inclusivement, selon lesquelles le composé décrit au paragraphe 6 de l'avis d'allégation de Mayne est le sodium de céfotaxime (dossier de la demanderesse, vol. 7, p. 1528).


[71]              Voici quelques extraits des passages pertinents des revendications de produit du brevet 682 (dossier de la demanderesse, vol. 1, p. 108, 118 et 155 à 157) :

Dans la divulgation principale, la Société demanderesse a décrit et revendiqué des produits conformes à la formule I, un procédé de préparation de ces produits, leur application comme médicaments, ainsi que des produits industriels nouveaux nécessaires pour la préparation de ces produits.

La Société demanderesse a également décrit et revendiqué des produits conformes à la formule I, un procédé de préparation de ces produits, leur application comme médicaments, les produits industriels nouveaux nécessaires pour la préparation de ces produits, ainsi que des variantes du procédé décrit dans la divulgation principale.

La Société demanderesse a décrit et revendiquédes produits conformes à la formule I, leur application comme médicaments, des produits industriels nouveaux nécessaires pour la préparation des produits de formule IB ainsi que des variantes du procédé décrit dans la divulgation principale.

[...]

La présente divulgation supplémentaire a donc également pour objet, à titre de médicaments et notamment de médicaments antibiotiques, les produits de formule I suivants : [...]

[...]

30. Un produit de formule (I) :

(illustration)

[...]

31. Un produit de formule (IB) :

(illustration )

[...]

50. Un composé de formule (CIII):

(illustration)

[...]

e) Le cas du double brevet


[72]            MAYNE soutient que le brevet d'AVENTIS ne protège pas le sodium de céfotaxime en soi. Elle fait valoir que le brevet 682 ne confère un monopole que sur le procédé utilisé pour produire la céfotaxime et que toutes les revendications étendant le monopole à la substance en soi sont invalides, étant donné que le sodium de céfotaxime est tombé dans le domaine public en 1999 avec l'expiration du brevet 343. Toutes les revendications portant sur la substance en soi, affirme-t-elle, sont invalides pour cause de double brevet.

[73]            Le principe qui sous-tend le système des brevets est celui d'un marché conclu entre le breveté et le public, selon lequel le breveté jouit pour une durée de 20 ans du monopole intégral sur l'objet des revendications en échange d'une divulgation complète de l'invention, telle que le public puisse librement utiliser celle-ci après l'expiration du brevet. En conséquence de ce marché, le breveté ne peut renouveler ou prolonger son monopole au moyen de brevets évidents successifs au-delà du délai convenu. L'interdiction du double brevet se rapporte à ce problème du renouvellement perpétuel. Le breveté n'a droit qu'à un seul brevet par invention (Whirlpool Corp., précité, aux pages 1086 et 1104).

[74]            C'est un principe de droit élémentaire qu'il existe deux catégories de revendications dans l'industrie pharmaceutique, soit les revendications de produit et les revendications de procédé. Une fois qu'on a obtenu un brevet sur une substance en soi, on ne peut obtenir de protection additionnelle sur cette substance. Cependant, il est possible de se faire délivrer un brevet sur le procédé de fabrication par lequel est fabriquée la substance, indépendamment du brevet en soi. Un tel brevet est valide et ntend pas à la substance en soi le monopole légal conféré par le brevet.


[75]            Par conséquent, si une autre personne que le titulaire du brevet sur la substance en soi obtient un brevet sur un procédé, elle détient les droits sur celui-ci, mais il peut s'avérer impossible pour elle d'utiliser son procédé sans contrefaire le brevet sur la substance en soi. Si tel est le cas, il lui faut obtenir l'autorisation de l'autre breveté pour produire la substance dont elle a élaboré un nouveau procédé de fabrication (si le brevet sur la substance en soi n'est pas expiré).

[76]            En l'espèce, MAYNE soutient que le sodium de céfotaxime était déjà revendiqué dans le brevet 343 et que l'expiration de celui-ci a fait tomber cette substance dans le domaine public. Cependant, la Cour constate, après un examen plus attentif du brevet 343, qu'il a été délivré en 1982. Or, comme il n'était pas possible en 1982 d'obtenir un brevet sur un médicament en soi, le brevet 343 ne peut avoir conféré un monopole légal sur le sodium de céfotaxime. Le brevet 343 ne peut avoir conféré de protection qu'au procédé utilisé pour produire le sodium de céfotaxime. Comme il est généralement établi qu'un brevet sur le médicament en soi et un brevet sur le procédé utilisé pour le produire peuvent exister parallèlement, l'argument fondé sur le double brevet ne tient pas, puisque le brevet 343 n'a jamais conféré de monopole sur la substance en soi.

CONCLUSION

[77]            Un examen approfondi de l'ensemble de la preuve produite devant la Cour m'amène à conclure que le brevet 682 a conféré à AVENTIS un monopole sur le produit en soi (le sodium de céfotaxime) et que les thèses de l'AA touchant l'invalidité ne sont pas fondées. Comme MAYNE souhaite utiliser le procédé décrit dans son AA pour produire du sodium de céfotaxime, produit qui est compris dans la portée du brevet 682, force est de constater, sans qu'il soit besoin d'autres motifs, qu'il ne peut lui être délivré d'AC.


[78]            Vu les conclusions qui précèdent, je n'estime pas nécessaire d'analyser l'autre question soulevée par la présente demande, à savoir si le procédé de préparation de sodium de céfotaxime stérile pour injection contrefait le brevet 682.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La présente demande est accueillie avec dépens à la demanderesse.

2.         Il est interdit au ministre de la Santé de délivrer à Mayne Pharma (Canada) Inc. un avis de conformité à l'égard de la drogue sodium de céfotaxime avant l'expiration du brevet canadien numéro 1,319,682.

3.         Les parties ont demandé un échéancier pour la présentation d'observations écrites sur la question des dépens. La demanderesse signifiera et déposera ses observations écrites sur cette question au plus tard le 15 septembre 2005. La défenderesse fera de même au plus tard le 30 du même mois. La demanderesse aura alors jusqu'au 11 octobre 2005 pour signifier et déposer sa réponse.

4.         Une ordonnance relative aux dépens suivra.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-2437-03

INTITULÉ :                                                     AVENTIS PHARMA INC.

et

MAYNE PHARMA (CANADA) INC.,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

AVENTIS PHARMA S.A.

LIEU DE L'AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 20 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                  LE 31 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

François Grenier                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Susan D. Beaubien                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

MAYNE PHARMA (CANADA)

INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Léger Robic Richard                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)                                                                 

Borden Ladner Gervais                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

Ottawa (Ontario)                                                                     MAYNE PHARMA (CANADA)

INC.

John H. Sims, c.r.                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général                                                        MINISTRE DE LA SANTÉ

Montréal (Québec)                                                     

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