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Date : 19990512


Dossier : IMM-5070-98



ENTRE :


SULTAN MAHMUD,


demandeur,

     -et-




LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.





MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE



LE JUGE CAMPBELL




[1]      Le demandeur conteste par voie de contrôle judiciaire la décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié) (la SSR) en date du 15 septembre 1998, dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention, selon les termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration.


Les faits

[2]      Le demandeur, M. Sultan Mahmud, est un citoyen de 24 ans du Bangladesh. Sa demande du statut de réfugié au sens de la Convention se fonde sur une crainte de persécution du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, à savoir le Jatiya Jubo Sanghati (le JJS), qui est l"aile jeunesse du Jatiya Party (le JP). Le demandeur craint d"être persécuté par le Bangladesh National Party (le BNP), l"Awami League (l"AL) et la police.

[3]      Le Formulaire de renseignements personnels au soutien de la revendication du demandeur fournit les détails suivants :

C      Le demandeur a joint les rangs du JJS en septembre 1991, après s"être inspiré de son oncle qui était à la tête de la branche Demra Thana du parti. Des " terroristes " armés du BNP ont attaqué une assemblée générale du parti tenue le 10 octobre 1991. Le même mois, sans aucune date précise toutefois, le demandeur a été arrêté par la police et accusé d"extorsion, ce qu"il a contesté, puis brutalisé par la police au cours de l"interrogatoire. Le père du demandeur a versé le lendemain un pot-de-vin pour sa remise en liberté.
C      Le 1er février 1992, le demandeur et un collègue s"affairaient à poser des affiches qui annonçaient une assemblée générale du JP qui devait être tenue pour la revendication de la libération du chef du parti, le général Ershad, qui avait dirigé le pays de 1982 à 1990 avant d"être renversé et emprisonné. Le demandeur a été attaqué par des partisans du BNP alors qu"il posait ces affiches; il a signalé l"incident à la police, mais rien ne fut fait.
C      Des " commandos armés du BNP " ont attaqué l"assemblée générale le 29 février 1992. Plusieurs membres du parti ont été blessés.
C      Le 12 octobre 1993, le demandeur et d"autres manifestants ont été attaqués et battus par la police au cours d"une manifestation du JP en faveur d"une grève générale. Le demandeur a subi des blessures; il a produit un certificat médical qui en atteste.
C      Le demandeur collaborait à la campagne électorale de son parti pour les élections du 30 janvier 1994 quand il a été attaqué près d"un bureau de vote par un groupe de partisans du BNP. Lorsque l"incident a été signalé à la police, le demandeur a été faussement accusé d"avoir pris part à une attaque contre un membre du BNP et arrêté, puis battu. L"offre du père du demandeur de verser un pot-de-vin a été rejetée, et le demandeur a comparu en cour le lendemain pour plaider non coupable; il a été remis en liberté sous caution.
C      En décembre 1994, le BNP a lancé des bombes au cours d"une assemblée du JP. Un membre du JP a été tué dans la mêlée qui s"est ensuivie. Le BNP a toutefois affirmé que l"homme décédé était en fait l"un des leurs et a intenté un procès en citant le demandeur comme accusé. La police a effectué une descente dans la maison du demandeur. Le demandeur a fui vers Comilla, où il a été par la suite arrêté, détenu, torturé, puis libéré après trois jours.
C      En novembre 1995, un ancien député, chef d"une faction du BNP a été attaqué, et le demandeur a été impliqué dans l"incident. Des membres du BNP ont pillé la demeure du demandeur et battu son frère. Le demandeur s"est caché, et le BNP et la police ont continué à le traquer.
C      La mère du demandeur l"a informé que la situation se détériorait rapidement, de sorte qu"il a fui le pays avec l"aide d"un passeur le 22 décembre 1995. Il s"est retrouvé à Montréal et a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention le 10 janvier 1996.

[4]      Au soutien de sa revendication, le demandeur a produit des lettres provenant de son oncle Amir Hossain, qui est président d"une branche du JP, de Mannu Miah Munna, président du JJS à Demra, la ville du demandeur, et de sa mère. Il a également présenté deux lettres d"un avocat du Bangladesh à qui sa famille a fait appel pour le représenter relativement à des accusations portées contre lui en 1998. Ces accusations se rapportent à un incident au cours duquel un autobus a été pris d"assaut et bombardé.

La conclusion de la SSR concernant la crédibilité

[5]      Dans ses motifs, la SSR a conclu que l"affirmation du demandeur selon laquelle la police et le BNP le traquaient en 1995 n"était pas digne de foi et, par conséquent, n"était pas crédible. Le tribunal a jugé que le demandeur avait exagéré sa version des faits survenus en 1994, et a douté qu"il ait été torturé.

[6]      Pour parvenir à ces conclusions, le tribunal a examiné les lettres de l"oncle du demandeur et du président du JJS de Demra. Les lettres ne mentionnent qu"en termes généraux les difficultés que le demandeur dit avoir vécues. La lettre de son oncle ne mentionne aucune arrestation ni détention, alors que l"autre lettre fait état d"une détention de deux jours. Aucune d"elles ne mentionne la torture. La SSR a écrit à propos des lettres :

[TRADUCTION] Le tribunal considère qu"il est raisonnable de s"attendre à ce que les lettres produites par le demandeur expressément pour corroborer sa prétention de persécution au Bangladesh soient davantage cohérentes entre elles et avec la version du demandeur. [...] Le tribunal a largement accordé au demandeur la possibilité d"expliquer la raison pour laquelle les auteurs des deux lettres n"avaient pas corroboré les prétendus problèmes du demandeur qui supposément lui donnaient raison de craindre d"être persécuté au Bangladesh, mais celui-ci n"a pu fournir d"explication raisonnable. [Décision, p. 3]

[7]      Quant aux lettres de l"avocat au sujet des accusations portées contre le demandeur, la SSR a décidé que le demandeur était [TRADUCTION] " incapable de produire des éléments de preuve fiables et dignes de foi au soutien de ses allégations " selon lesquelles le chef du BNP Nabiullah Nabi serait responsable des accusations portées en 1998. La SSR a jugé que les lettres étaient intéressées et qu"elles n"avaient par conséquent aucune valeur probante dans l"évaluation du bien-fondé de la crainte de persécution du demandeur. La SSR a également jugé peu probable que les dirigeants du BNP aient démontré un intérêt pour le demandeur en 1998, et a conclu que le récent intérêt manifesté par les ennemis du demandeur était [TRADUCTION] " trop forcé pour être réel ".

Erreur susceptible de contrôle judiciaire

[8]      La Cour en vient à la conclusion que la décision de la SSR concernant la crédibilité constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[9]      Dans l"affaire Maldonado c. Canada (MEI), [1980] 2 C.F. 302, la Cour fédérale a décidé que lorsqu"un demandeur déclare sous serment que certaines allégations sont vraies, il y a alors une présomption selon laquelle ces allégations sont véridiques, à moins qu"il y ait un motif de mettre en doute leur véracité. La Cour a statué qu"une commission agit de façon arbitraire quand elle choisit de ne pas croire au témoignage d"un demandeur alors qu"il n"existe aucun motif valable de douter de sa véracité. Dès lors, même s"il est permis à la SSR en tant que juge des faits d"examiner les éléments de preuve et de décider quel poids leur accorder, toutes les incohérences qu"elle relève doivent reposer sur la preuve.

[10]      Dans l"affaire Ahortor c. Canada (MEI) (93-A-237, 14 juillet 1993), le juge Teitelbaum a décidé que la SSR avait commis une erreur lorsqu"elle avait jugé qu"un demandeur n"était pas crédible en raison de l"absence de preuve documentaire pour corroborer ses prétentions. Ainsi, malgré que le défaut de présenter de la documentation puisse être une conclusion de fait valide, cela ne peut être rattaché à la crédibilité du demandeur en l"absence de preuves contredisant les allégations.

[11]      En effet, en l"espèce, la SSR a jugé que les lettres produites par le demandeur contredisaient sa preuve, non pour ce qu"elles disent, mais bien pour ce qu"elles gardent sous silence. En vertu de la jurisprudence, les lettres doivent être examinées pour ce dont elles font état. Elles appuient à première vue la preuve du demandeur, et ne contiennent aucun élément qui viendrait la contredire.

[12]      Par conséquent, la Cour conclut que l"approche adoptée par la SSR est contraire au droit. La décision de la SSR est donc annulée, et l"affaire est renvoyée pour réexamen devant un tribunal différemment constitué.


     " Douglas R. Campbell "

     JUGE




CALGARY (Alberta)

12 MAI 1999

Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE



Date : 19990512


Dossier : IMM-5070-98



ENTRE :


     SULTAN MAHMUD,

     demandeur,


     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.







    



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

    






     COUR FÉDÉRALE DU CANADA
     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
     NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :      IMM-5070-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      SULTAN MAHMUD c. LE MINISTRE DE LA      CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION     
LIEU DE L"AUDIENCE :      Calgary (Alberta)
DATE DE L"AUDIENCE :      11 mai 1999
MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CAMPBELL
EN DATE DU :      12 mai 1999


COMPARUTIONS
B. P. S. Mangat      pour le demandeur
W. Brad Hardstaff      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
B. P. S. Mangat
Calgary (Alberta)      pour le demandeur
George W. Thomson
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
pour le défendeur
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