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     Date : 19980116

     IMM-5524-97

ENTRE :

     ABDUL RAZAK YUSUK SHAIKH,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Le 30 décembre 1997, j'ai entendu par voie de téléconférence une requête présentée après un court préavis par le requérant. La requête sollicitait une ordonnance de sursis de l'exécution d'une mesure d'expulsion. À la fin de l'audition, j'ai rejeté la requête du requérant et informé les avocats que je prononcerais des motifs à l'appui de mon ordonnance. Voici ces motifs.

[2]      Un bref résumé des faits est nécessaire pour comprendre la requête. Le requérant, un citoyen de l'Inde, est arrivé au Canada en qualité de visiteur le 13 novembre 1992. Peu après, il a revendiqué le statut de réfugié en soutenant qu'il avait été persécuté en raison de sa religion. Plus précisément, le requérant soutenait être musulman et avoir quitté l'Inde parce que des groupes et des personnes de croyance hindoue l'avaient harcelé, menacé et battu.

[3]      Le 9 mars 1994, la revendication du statut de réfugié du requérant a été entendue. Le 10 juillet 1995, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa revendication. Notre Cour a rejeté la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le requérant à l'encontre de la décision de la Commission.

[4]      En juillet 1996, le requérant a déposé une requête dans laquelle il invoquait des motifs humanitaires pour être exempté de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, portant que les personnes qui ont l'intention de demander le droit d'établissement doivent en faire la demande avant d'entrer au pays.

[5]      L'entrevue du requérant relativement à sa demande a eu lieu le 13 mai 1997. Au début du mois de juin 1997, sa demande a été rejetée. Le 24 décembre 1997, le requérant a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision refusant sa demande du droit d'établissement fondée sur des motifs humanitaires.

[6]      Le 24 décembre 1997, le requérant a également déposé une requête, après un court préavis, afin de solliciter une ordonnance de sursis de l'exécution d'une mesure d'expulsion prise contre lui. Comme le requérant devait être expulsé du Canada le 30 décembre 1997, j'ai entendu sa requête le 29 décembre 1997 et je l'ai rejetée.

[7]      J'ai rejeté la requête parce que, selon moi, elle ne soulevait aucune question sérieuse. Par sa requête, le requérant demandait le sursis de la mesure d'expulsion jusqu'à l'issue de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ou jusqu'à ce qu'il ait présenté ses observations à un agent de révision des revendications refusées afin que celui-ci examine son appartenance éventuelle à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) et jusqu'à ce que cet agent ait tranché sa demande de DNRSRC.

[8]      J'ai expliqué à l'avocat du requérant que je ne pouvais trancher la question de la qualité de DNRSRC du requérant car elle n'avait pas été soulevée dans la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire déposée le 24 décembre 1997. J'ai toutefois expliqué à l'avocat que j'étais disposé à l'entendre le jour suivant, si une demande de contrôle judiciaire était déposée relativement à la question de la qualité de DNRSRC du requérant.

[9]      Le 30 décembre 1997, le requérant a déposé une demande d'autorisation d'engager une procédure de contrôle judiciaire relativement à une décision de l'agent de révision des revendications refusées, R.P. Klagsbrun, datée du 30 septembre 1996. La demande de contrôle judiciaire du requérant se lit en partie comme suit :

         [Traduction] LE REQUÉRANT DEMANDE À LA COUR L'AUTORISATION d'introduire une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle l'agent de révision des revendications refusées R. Klagsbrun, (le Tribunal), a décidé, le 30 septembre 1996, que le requérant ne courait pas un risque personnel identifiable d'être tué, de subir des conditions extrêmes ou un traitement inhumain, s'il retournait dans son pays et qu'il n'appartenait donc pas à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Le requérant ne savait pas qu'une révision postérieure de sa revendication refusée avait eu lieu; n'a pas reçu la lettre faisant état de la décision datée du 30 septembre 1997; et l'a vue pour la première fois lorsqu'elle a été transmise à son procureur Davies Bagambiire par le ministère de la Justice le 29 décembre 1997, comme pièce jointe à l'affidavit signé par Theresa Herreria le 29 décembre 1997.                 

     De plus, le requérant a demandé une ordonnance prorogeant le délai fixé pour le dépôt de sa demande d'autorisation de contrôle judiciaire sous le régime du paragraphe 82.1(5) de la Loi sur l'immigration.

[10]      Le requérant a déposé son affidavit et celui d'un ami, Shamsuddin Thakor, un citoyen canadien employé par le Toronto Star, à Toronto (Ontario).

[11]      Pour attaquer la décision concernant sa qualité de DNRSRC rendue par R. Klagsbrun, le requérant soutient qu'il ne savait pas qu'une révision postérieure de sa revendication refusée avait eu lieu et qu'il n'avait pas reçu la lettre faisant état de la décision datée du 30 septembre 1997. Le requérant a affirmé qu'il a appris la décision rendue par M. Klagsbrun uniquement lorsque celle-ci a été transmise à son avocat par le ministère de la Justice, le 29 décembre 1997, comme pièce jointe à l'affidavit signé par Theresa Herreria le 29 décembre 1997. La décision de M. Klagsbrun était jointe à l'affidavit de Mme Herreria comme pièce " A ". La lettre, datée du 30 septembre 1996, que le requérant prétend n'avoir jamais reçue, se lit comme suit :

         [Traduction] La Section du statut de réfugié (SSR) nous a informés qu'il a été décidé que vous n'êtes pas un réfugié au sens de la Convention. En conséquence, nous devons réviser votre cas afin de déterminer si vous appartenez à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Cette catégorie se limite aux personnes qui courent personnellement un risque objectif identifiable d'être tuées, de subir des sanctions extrêmes ou un traitement inhumain si on les contraint à quitter le Canada.                 
         Une révision de votre dossier a été effectuée. Il a été établi que vous n'appartenez pas à la catégorie des DNRSRC car il est improbable que vous courez l'un des risques susmentionnés. Vous trouverez ci-joint une copie des motifs à l'appui de cette décision.                 

[12]      En termes simples, le requérant soutient qu'il n'a pas bénéficié de l'application des principes de justice naturelle, car il n'a pas eu l'occasion de présenter des observations à l'agent des DNRSRC. En conséquence, le requérant soutient que sa demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse.

[13]      Pour réfuter la preuve déposée par le requérant, l'intimé a déposé l'affidavit de Sudabeh Mashkuri, un procureur de la Section de l'immigration du Bureau régional de l'Ontario du ministère de la Justice du Canada. Au paragraphe 3 de son affidavit, Me Mashkuri parle des observations du requérant concernant les questions 4A) et 4B) de sa demande du droit d'établissement au Canada pour des motifs humanitaires. Monsieur Mashkuri a joint à son affidavit une copie des observations du requérant concernant les questions 4A) et 4B), comme pièce " B " jointe à son affidavit. Monsieur Mashkuri déclare qu'il a obtenu ce document du dossier d'immigration du requérant. Me Horton, l'avocate de l'intimé, a porté à mon attention la page 2 des observations du requérant et plus particulièrement, le dernier paragraphe de cette page qui se lit comme suit :

         [Traduction] La dernière communication que j'ai reçue de R. Klagsbrun, un agent de révision des revendications refusées, précisait que je devais me réinstaller ailleurs en Inde pour ne plus avoir à supporter le fardeau de vivre comme un Musulman dans une collectivité hindoue qui a menacé ma vie. On m'a suggéré de déménager au Cachemire ou dans l'État du Uttar Pradesh parce que ces régions sont à prédominance musulmane. Je tiens à m'exprimer relativement à cette suggestion qu'il m'est impossible d'accepter. [...]                 

[14]      Il est important de se rappeler que le requérant a déposé sa demande de droit d'établissement en juillet 1996 et que celle-ci a été refusée au début du mois de juin 1997. En conséquence, les observations du requérant, dont Me Mashkuri fait mention dans son affidavit, ont été formulées au plus tard le 2 juin 1997, étant donné que c'est la date à laquelle la lettre de refus a été envoyée au requérant.

[15]      Il semble donc, si l'on se reporte aux observations formulées par le requérant à l'appui de sa demande du droit d'établissement, qu'il savait, à tout le moins le 2 juin 1997, que R. Klagsbrun avait révisé sa revendication refusée. On se souviendra que M. Klagsbrun a écrit au requérant le 30 septembre 1996 pour l'aviser de sa conclusion portant qu'il n'était pas membre de la catégorie des DNRSRC. La lettre de M. Klagsbrun et les motifs à l'appui de sa décision ont été joints à l'affidavit de Theresa Herreria, commis à l'administration, au service du ministère de la Justice à Toronto. On se souviendra également que le requérant soutient avoir pris connaissance pour la première fois de la décision de M. Klagsbrun et de ses motifs lorsque son avocat a reçu une copie de l'affidavit de Mme Herreria, le 29 décembre 1997.

[16]      À la page 2 de ses motifs datés du 30 septembre 1996, M. Klagsbrun déclare :

         [Traduction] La preuve documentaire produite à l'audition de la SSR indique que plus de 90 millions de Musulmans vivent dans différentes parties de l'Inde. Les Musulmans se retrouvent en majorité dans l'État du Cachemire. Selon moi, le requérant a une possibilité de refuge à l'intérieur de son pays. Il peut s'installer dans un autre État.                 

Le requérant savait que M. Klagsbrun avait conclu qu'il avait une possibilité de refuge à l'intérieur de son pays, c'est-à-dire qu'il pouvait s'installer dans l'État du Cachemire, car il a déclaré, à la page 2 de ses observations à l'appui de sa demande du droit d'établissement, que M. Klagsbrun avait conclu qu'il pouvait se réinstaller en Inde dans l'État du Cachemire. On ne saurait donc douter qu'à l'automne 1996, ou au plus tard le 2 juin 1997, le requérant était tout à fait au courant de la décision de M. Klagsbrun. Cet élément n'est évidemment pas très favorable à sa crédibilité.

[17]      Le paragraphe 4 de l'affidavit de M. Mashkuri se lit comme suit :

         [Traduction]                 
         4.      M e Andrea Horton m'a informé, et je tiens pour véridique, que le 30 décembre 1997, Me Horton a parlé à Giovanna Gatti, directrice par intérim de l'unité des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) du CIC de Toronto. Me Horton m'a informé, et je tiens pour véridique que Mme Gatti l'a informée des faits qui suivent :                 
                      a)      en 1995, lorsque la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendu une décision défavorable à la revendication du statut de réfugié, la Commission a envoyé une trousse de DNRSRC à tous les revendicateurs du statut de réfugié en la joignant à sa décision défavorable;                 
                      b)      La trousse de DNRSRC devait comprendre une formule expliquant le processus et une demande, appelée IMM 5319, dans laquelle le requérant pouvait faire valoir ses observations;                 
                      c)      L'unité des DNRSRC a pour pratique courante d'évaluer les risques relativement aux demandes fondées sur des motifs humanitaires lorsqu'un agent des motifs humanitaires communique avec l'unité pour demander de l'aide ou envoie la section " évaluation des risques " du dossier à l'unité. Autrement, l'agent des motifs humanitaires évalue lui-même les risques.                 

[18]      L'intimé prétend que la trousse de DNRSRC a dû être envoyée au requérant avec la décision de la Commission du statut de réfugié datée du 10 juillet 1995. Dans son affidavit, le requérant déclare n'avoir jamais reçu cette trousse. Compte tenu de ma conclusion concernant la connaissance par le requérant de la décision relative à sa qualité de DNRSRC, je ne vois pas pourquoi je devrais le croire sur ce point. En m'appuyant sur la preuve, je conclus que l'intimé a donné au requérant la possibilité de présenter ses observations concernant sa qualité de DNRSRC.

[19]      Quoi qu'il en soit, en supposant que le requérant n'ait jamais reçu la trousse de DNRSRC, il savait sûrement en juin 1997 qu'une décision défavorable avait été rendue concernant sa qualité de DNRSRC. Il n'a pris aucune mesure à cet égard avant le mois de décembre 1997 et il n'a fourni aucune explication raisonnable quant à la raison pour laquelle il n'a rien fait pour contester la décision de l'agent des DNRSRC. En conséquence, la prorogation de délai demandée par le requérant afin de pouvoir déposer sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ne peut lui être accordée.

[20]      Pour ces motifs, j'étais d'avis que le requérant n'avait pas réussi à me convaincre que sa demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse. J'ai donc rejeté sa requête de sursis de l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre lui. Je dois peut-être ajouter que j'aurais de toute façon rejeté la demande de sursis du requérant en raison de ma conclusion concernant sa crédibilité. Selon moi, le requérant a plus particulièrement tenté d'induire la Cour en erreur en prétendant n'avoir pas eu connaissance de la décision concernant sa qualité de DNRSRC avant le 29 décembre 1997. Il connaissait en fait cette décision depuis assez longtemps. Compte tenu des circonstances, je n'aurais pas été disposé à exercé mon pouvoir discrétionnaire en faveur du requérant, sans égard au bien-fondé de sa demande. Lorsque le requérant a présenté sa demande de sursis, il était tenu de divulguer honnêtement tous les faits pertinents. Il ne l'a pas fait, ce qui, selon moi, constitue un motif qui empêche totalement la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur.

[21]      Enfin, l'intimé n'a pas demandé l'adjudication des dépens relatifs à la présente requête. Toutefois, s'il me l'avait demandé, j'aurais été prêt à adjuger les dépens en faveur de l'intimé compte tenu de la tentative du requérant d'induire la Cour en erreur.

[22]      En concluant, je tiens à féliciter Mes Bagambiire et Horton pour l'excellent travail qu'ils ont accompli dans des conditions difficiles.

     "MARC NADON"

     Juge

Ottawa (Ontario)

16 janvier 1998.

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-5524-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ABDUL RAZAK YUSUK SHAIKH c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDITION :              OTTAWA (ONTARIO)

                         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE LA TÉLÉCONFÉRENCE :      30 DÉCEMBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :              16 JANVIER 1998

ONT COMPARU :

Me Davies Bagambiire              POUR LE REQUÉRANT

Me Andrea Horton                  POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Davies Bagambiire              POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

Me George Thomson                  POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

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