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Date : 19990322


Dossier : IMM-2724-98

Entre :


Punitharajeswar ANTONIPPILLAI


Demanderesse


- et -


LE MINISTRE


Défendeur


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre de la décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié, rendue le 12 mai 1998 statuant que la demanderesse, Mme Antonippillai, n"est pas réfugiée au sens de la Convention. La demanderesse demande à cette Cour d"annuler la décision du 12 mai 1998 et d"ordonner le renvoi de cette affaire devant la Section du statut de réfugié pour que soit rendue une nouvelle décision.

FAITS

[2]      La demanderesse, née en 1968, est citoyenne du Sri Lanka. Tel qu"il appert des motifs de la décision de la Commission, la demanderesse allègue avoir été persécutée en raison de son appartenance à un groupe social particulier, celui des tamils du Nord, et d"opinions politiques imputées. Elle allègue aussi avoir été victime de viol. Elle dit craindre le gouvernement et les militants. La demanderesse a témoigné devant les commissaires avoir été attaquée et menacée par les militants du PLOT entre janvier 1986 et septembre 1986. En novembre 1986, elle aurait quitté le Sri Lanka en destination de l"Inde.

[3]      En 1988, elle se serait rendue au Danemark afin de revendiquer le statut de réfugié en compagnie d"un homme qu"elle aurait ensuite épousé au Danemark en 1989. La demande de réfugié de son compagnon aurait été acceptée alors que la sienne aurait été rejetée. Elle raconte qu"ils ont cohabité jusqu"à ce qu"il disparaisse en 1991. Elle aurait alors été déportée vers le Sri Lanka en juillet 1992. Elle allègue avoir été battue et torturée par la police danoise.

[4]      De retour au Sri Lanka, elle allègue aussi avoir été arrêtée et violée par la police lorsqu"elle était en détention. Après avoir été libérée, elle s"est rendue en Suède et a revendiqué le statut de réfugié auprès du Danemark par l"intermédiaire de l"ambassade danoise en Suède en août 1992. Le Danemark a refusée sa revendication et la demanderesse est demeurée en Suède jusqu"en septembre 1994. En septembre 1994, elle s"est rendue au Danemark pour y revendiquer le statut de réfugié pour la troisième fois. Cette demande a aussi été refusée. En mars 1997, elle a quitté le Danemark en destination du Canada. Elle est arrivée au Canada le 10 mars 1997 et a revendiqué le statut de réfugié le 12 mars 1997.

Décision du Statut du réfugié

[5]      Le Statut du réfugié a conclu que la demanderesse n"était pas une réfugiée au sens de la Convention pour le motif que son témoignage n"était pas crédible. Les commissaires fondent cette conclusion sur les éléments suivants:

     1)      La Commission juge invraisemblable que la demanderesse ne sache rien des militants du PLOT, alors qu"elle dit avoir été agressée par eux et avoir effectué des travaux forcés à leur camp pendant environ un mois. La Commission juge qu"elle aurait pu soumettre des documents en vue d"étayer ses allégations de harcèlement entre octobre et novembre 1986.                 
     2)      La demanderesse dit avoir été accusée de propagande contre les Tigers qui seraient venus à sa résidence en octobre 1986 alors qu"elle était absente, et qu"un ami aurait été tué en octobre ou novembre 1986, mais qu"aucun document n"a été soumis pour démontrer la véracité des allégations concernant la mort de son ami.                 
     3)      La Commission juge qu"il est invraisemblable que la demanderesse et son mari n"aient pas discuté de la revendication de son mari et qu"elle n"en connaisse pas les motifs étant donné qu"ils ont vécu ensemble même après avoir obtenu le statut de réfugié.                 
     4)      La Commission juge que la demanderesse a exagéré certains faits de son récit, par exemple, lorsqu"elle dit avoir été torturée, ce qu"elle a expliqué en disant qu"elle avait été poussée sur un lit dans un hôpital psychiatrique alors qu"elle refusait de quitter Copenhague et qu"on l"aurait pincée et battue.                 
     5)      La Commission juge que le comportement de la demanderesse n"est pas celui d"une personne ayant une crainte de persécution subjective puisqu"elle est arrivée en Suède en août 1992 et y a séjourné jusqu"en septembre 1994 sans y réclamer le statut de réfugié.                 
     6)        La Commission juge que la preuve documentaire précisant que "There were no reports of rape in detention" contredit les allégations de la requérante qu"elle a été violée par la police sri lankaise à son retour en 1992.                 

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[6]      La demanderesse allègue que la Commission lui a imposé un fardeau de preuve trop élevé en ce qui a trait à l"existence et les agissements des militants du PLOT, et que la conclusion de non crédibilité est non fondée. En outre, la demanderesse allègue que la Commission a commis une erreur de droit en tenant compte de faits non pertinents tels que la nature de la revendication de réfugié de son mari au Danemark, pour évaluer sa crédibilité et ainsi rejeter sa revendication. La demanderesse soutient aussi que la Commission n"a porté aucune attention au témoignage de la demanderesse, qu"on a exagéré la portée de quelques imprécisions apparentes et qu"en l"absence de motifs valables de douter de la véracité des allégations de la requérante, la présomption de véracité des allégations de la requérante doit prévaloir.

[7]      Le défendeur soumet que la décision de la Commission est bien fondée. En matière de crédibilité, le tribunal peut tenir compte de nombreux éléments pour vérifier la véracité ou la probabilité des allégations d"une personne revendiquant le statut de réfugié, y compris la nature des revendications faites au Danemark par elle et son époux, ainsi que son comportement depuis son départ du Sri Lanka et l"absence de revendication en Inde et par la suite en Suède. Le défendeur soumet que ces faits ont miné son témoignage et induit la Commission à douter de la crédibilité de la demanderesse, ce qui a eu pour effet de renverser la présomption de véracité du témoignage de la demanderesse.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]      La demanderesse soulève la question de savoir si la Commission a commis une erreur justifiant l"intervention de la Cour en concluant à l"absence de crédibilité de la demanderesse. De façon subsidiaire, la demanderesse soulève aussi les deux questions suivantes :

         1)      la Commission a-t-elle conclu à l"absence de crédibilité de la demanderesse en tenant compte d"un facteur non pertinent?                         
         2)      la Commission a-t-elle erré en imposant un fardeau de preuve trop élevé à la demanderesse?                         

ANALYSE

[9]      Il ne fait aucun doute que la Commission du statut de réfugié a toute la discrétion nécessaire pour évaluer la crédibilité du témoignage des personnes qui revendiquent le statut de réfugié et qu"elle peut tenir compte d"une multitude de facteurs pour ce faire. La Commission peut fonder ses conclusions sur des contradictions internes, des incohérences et des déclarations évasives qui sont le "fondement même du pouvoir discrétionnaire du juge des faits", ainsi que sur d"autres éléments extrinsèques tels que la raison, le sens commun et la connaissance d"office, mais ces conclusions ne doivent pas être tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont dispose la Commission: Sbitty c. Canada (M.C.I.) , (IMM-4668-96, 12 décembre 1997), Shahamati c. M.E.I., (C.A.F.) (A-388-92, 24 mars 1994).

[10]      En l"espèce, la demanderesse soumet que la Commission n"avait pas de raisons valables de douter de la véracité des allégations de la demanderesse qui a témoigné sous serment donnant lieu à une présomption de véracité. Le défendeur soutient que la Commission avait des raisons valables de douter de la véracité de son témoignage.

[11]      Les motifs de la décision de la Commission nous donnent un aperçu du fondement de la décision. Premièrement, la Commission a jugé qu"il était invraisemblable que la demanderesse soit incapable de donner quelque information que ce soit sur les militants du PLOT alors qu"elle a allégué avoir été victime de voies de faits, avoir été menacée dans son village natal entre janvier 1986 et septembre 1986 et forcée de travailler pour eux pendant un mois dans leur camp. Deuxièmement, la Commission a jugé que la demanderesse n"a pas fait d"effort pour tenter d"étayer ses allégations de harcèlement aux mains des militants du PLOT de janvier 1986 à octobre 1986. Troisièmement, la Commission a jugé qu"il était invraisemblable que la demanderesse et son mari n"aient pas discuté de la revendication de son mari et qu"elle n"en connaisse pas les motifs. Quatrièmement, la Commission a pris note du fait que la demanderesse avait exagéré certains faits de sa revendication et qu"il existait une possibilité qu"elle ait exagéré d"autres aspects de sa revendication. Cinquièmement, la Commission a jugé que le comportement de la demanderesse qui a résidé en Suède pendant plus de deux ans sans revendiquer le statut de réfugié était incompatible avec la crainte subjective qu"elle invoque. Et sixièmement, les allégations de viol en détention au Sri Lanka sont contredites par le Country Reports on Human Rights Practices for 1996 , U.S. Department of State, Washington, February 1997, qui précise qu"aucun incident de viol n"a été rapporté en détention.

[12]      La demanderesse soutient que les motifs de la revendication de réfugié de son mari au Danemark ne sont pas pertinent. Quant au défendeur, il soumet que la Commission peut tenir compte de nombreux éléments pour évaluer la crédibilité d"une personne.

[13]      Cet argument a été soulevé à quelques reprises devant la Cour fédérale. Dans l"affaire Giron c. Canada (M.C.I.) , (A-387-89, 28 mai 1992), la Cour d"appel fédérale a donné droit à une demande en révision judiciaire pour le motif que la Commission avait commis des erreurs dans l"interprétation des faits et des inférences qu"elle en a tirées. Parmi ces erreurs, la Commission avait considéré un élément non pertinent eu égard à la revendication en cause. La Cour s"exprimait comme suit:

         The fact that he did not reveal the threats he received to other members of his group was explained by the claimant on the ground that he was afraid of informers (Appendix at 41) and that the matter was extremely personal (Appendix at 45). He also did not share the fact of receiving threats with his mother and his sister, because they were women (Appendix at 22), though eventually he did tell his mother the substance of what was happening after she had intercepted a telephone threat to him (Appendix at 37).                 
         ...                 
         The internal contradiction that the Board identified as to whether he first revealed the threats to his mother or to Anne Rubenstein, the visiting American student (Appendix at 22-5), relates to a matter irrelevant to his claim.                 

[14]      Dans Salamat c. Canada (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 58 (C.A.F.), la Cour d"appel fédérale a conclu que le tribunal avait tenu compte de considérations qui n"étaient pas pertinentes ou établies par la preuve, par exemple, que les autorités n"auraient eu aucun motif de s"en prendre au demandeur s"il venait d"une famille riche; que le demandeur n"avait probablement pas d"expérience sur la ferme; qu"il avait détruit son passeport avant d"atterrir à l"aéroport de Mirabel; qu"une inférence défavorable pouvait être tirée du fait que le demandeur a un frère qui habite l"Angleterre et que son père y a voyagé.

[15]      En outre, dans Mehe c. Canada (M.E.I.) (C.A.F.) (A-250-90, 15 octobre 1990), la Cour d"appel fédérale a aussi conclu que le tribunal avait commis une erreur en tenant compte du refus des autorités belges d"accorder le statut de réfugié au demandeur dans l"évaluation de sa crédibilité puisqu"il s"agissait d"un facteur non pertinent.

[16]      En l"espèce, il me semble que le fait que la demanderesse ne connaisse pas les motifs de la revendication de son mari malgré qu"ils aient cohabité pendant un certain temps est pertinent à la revendication de la demanderesse mais seulement en ce qui a trait à sa crédibilité.

[17]      La demanderesse soutient aussi que la Commission a erré en lui imposant un fardeau de preuve trop élevé. Selon la demanderesse il n"est pas loisible à la Commission d"exiger une preuve documentaire étayant ses allégations. Le défendeur soutient que la demanderesse aurait tout de même pu tenter de démontrer que ce groupe existe en fournissant une preuve documentaire quelconque ou des témoignages attestant de sa disparition pendant cette période.

[18]      Le passage pertinent de la décision se lit comme suit:

         The claimant alleges that she was assaulted and threatened by the PLOT militants in her home village of Iranaipalai, Pthukudiyiruppu, between January 1986 and September 1986. However, she was not able to tell the panel who this group was. She later gave a vague answer saying that they were a militant group and wanted their own country. The panel does not find this plausible. She alleges that she was working forcibly in their camp for one month. One month is ample time to learn about the group.                 
         ...                 
         The panel believes that the claimant could have made an effort to provide some kind of document to support her claim of harassment from the PLOT militants from January 1986 to October 1986, since this is the basis of her claim.                 

[19]      La décision de la Commission doit être examinée dans son ensemble et en fonction de l"ensemble de la preuve. Je ne suis pas convaincu que la Commission lui a imposé un fardeau de preuve trop élevé. La Commission a jugé invraisemblable que la demanderesse ne sache rien des militants du PLOT alors qu"ils l"avaient agressée et forcée à travailler dans leur camp pendant un mois. Vu cette invraisemblance, il appert à mon avis raisonnable que la Commission constate que la demanderesse n"a soumis aucun document en vue d"étayer ses allégations. À mon avis, il ne s"agit pas d"un fardeau de preuve plus élevé ou différent de celui qui incombe à tous les revendicateurs du statut de réfugié.

[20]      Quant à l"argument principal concernant la conclusion de non crédibilité, la demanderesse invoque aussi l"affaire Djama c. M.E.I. , A-738-90 et soutient que la Commission ne doit pas exagérer la portée de quelques imprécisions apparentes pour traiter l"ensemble du témoignage comme celui d"un menteur.

[21]      La décision de la Commission ne semble pas démontrer que la Commission a inféré que la demanderesse n"était pas crédible du fait qu"elle avait exagéré les incidents survenus au Danemark. Le passage pertinent se lit comme suit:

         The panel saw that the claimant exaggerated her claim of persecution in Danmark. This factor alerted the panel to a possibility of exaggeration in other aspects of her claim.                 

[22]      À mon avis, la décision de la Commission est fondée sur des contradictions, tel que le fait que la preuve documentaire précisant que "There were no reports of rape in detention" qui contredit les allégations de la demanderesse qu"elle aurait été violée par la police sri lankaise, sur des incohérences tel que le fait que la demanderesse ne sait rien des militants du PLOT alors qu"ils l"ont agressée et forcée à travailler à leur camp pendant un mois et qu"elle n"a pas tenté de soumettre de preuve documentaire à cet égard, ainsi que sur d"autres facteurs tel que les exagérations de son récit et le temps qu"elle a passé en Suède entre 1992 et 1994 sans toutefois y revendiquer le statut de réfugié.

[23]      La demanderesse ne m"a pas convaincu que la Commission a commis une erreur justifiant l"intervention de cette Cour même si j"en venais à la conclusion que la Commission a erré dans sa déclaration en ce qui a trait au viol lors de sa détention au Sri Lanka.

CONCLUSION

[24]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25]      Aucune question à certifier n"a été soumise par les parties.

                             "Max M. Teitelbaum"

                        

                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 22 mars 1999

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