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Date : 20001214

Dossier : IMM-4003-99

ENTRE :

                                 SHAH ZAINUL ABEDIN

                                                                                           demandeur

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

                               MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]                Shah Zainul Abedin, le demandeur, est un citoyen du Pakistan de 47 ans et il a demandé le droit de s'établir au Canada à titre de parent aidé dans l'emploi envisagé d'agents/agentes du personnel et recruteurs/recruteuses, Classification nationale des professions (CNP) 1223. Monsieur Abedin a fait savoir par la suite qu'il aimerait également être évalué pour l'occupation de Spécialiste des ressources humaines, CNP 1121.


[2]                Le 8 juin 1999, M. Gregory Chubak, consul au Consulat général du Canada à Hong Kong (agent des visas) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par M. Abedin.

[3]                Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Abedin demande l'annulation de la décision de l'agent des visas.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                Monsieur Abedin a eu une entrevue avec l'agent des visas le 3 juin 1999. L'agent des visas n'a pas produit d'affidavit dans la présente instance mais il semble que l'agent des visas ait, le même jour que celui de l'entrevue, à une heure non précisée, entré des notes dans le STIDI (Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration).

[5]                Selon la lettre de refus, M. Abedin a obtenu suffisamment de points pour obtenir un visa. Cependant, l'agent des visas n'a pas estimé que les points d'appréciation attribués à M. Abedin reflétaient avec exactitude sa capacité de s'établir avec succès au Canada. C'est pourquoi l'agent des visas a exercé, dans un sens défavorable, le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (Règlement).


[6]                Le paragraphe 11(3) du Règlement prévoit :


11(3) L'agent des visas peut

a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

11(3) A visa officer may

(a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

(b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.


[7]                Un agent principal a approuvé les motifs de M. Chubak, de sorte que la demande de M. Abedin a été rejetée.

LA QUESTION EN LITIGE

[8]                Monsieur Abedin soulève trois questions dans sa demande mais j'estime qu'une de ces questions est déterminante. Il s'agit de la question de savoir si l'agent des visas a violé l'obligation d'équité qu'il avait envers M. Abedin en n'informant pas celui-ci de ses réserves, omettant ainsi de fournir à M. Abedin l'occasion de répondre à ces réserves.


ANALYSE

[9]                La question de la portée de l'obligation d'équité qu'a un agent des visas lorsqu'il exerce dans un sens défavorable le pouvoir discrétionnaire que lui attribue le paragraphe 11(3) du Règlement a été récemment examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sadeghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 254 N.R. 337 (C.A.F.). Voici ce que la cour a déclaré aux paragraphes 17 et 18 :

17             Pour s'assurer du bien-fondé de son opinion selon laquelle il existe de bonnes raisons de croire que les points d'appréciation ne reflètent pas de façon appropriée les chances du demandeur de réussir son installation au Canada, il est important que l'agent des visas communique ses réserves à l'intéressé de façon à lui donner la possibilité d'y répondre, au moins dans les cas où le demandeur peut apporter un éclaircissement utile. La rigueur du processus décisionnel est particulièrement importante quand une opinion défavorable est susceptible de priver une personne de ses droits ou, comme en l'espèce, de la réception légitimement attendue d'un bénéfice prévu par la loi.

18             L'obligation qui incombe normalement aux demandeurs de visas de « présenter leurs meilleurs arguments » en soumettant à l'agent des visas tous les renseignements nécessaires pour démontrer qu'ils satisfont aux critères de sélection réduit l'obligation des agents des visas, sur le plan de l'équité procédurale, d'informer les demandeurs de toutes les réserves qu'ils peuvent avoir en ce qui a trait au caractère approprié de la demande. Toutefois, une fois que le demandeur a obtenu le nombre de points d'appréciation normalement requis pour obtenir un visa dans la catégorie applicable, il sera souvent considéré inéquitable de s'attendre à ce que le demandeur prévoie les motifs sur lesquels l'agent des visas est susceptible de fonder sa décision discrétionnaire défavorable.

[10]            En l'espèce, M. Abedin a déclaré sous serment dans l'affidavit déposé dans la présente instance ce qui suit :

[TRADUCTION]

7.              L'interviewer a semblé satisfait de l'entrevue et il nous en a informé ma femme et moi. Par conséquent, étant donné que l'interviewer avait déclaré au cours de l'entrevue qu'il était satisfait, j'ai été très surpris de recevoir la lettre de refus, qui m'informait d'abord du fait que j'avais reçu suffisamment de points d'appréciation pour pouvoir émigrer et qui m'indiquait dans le paragraphe suivant que l'interviewer n'avait pas estimé que j'avais la capacité de m'établir avec succès au Canada.


[11]            Comme nous l'avons déjà noté, l'agent des visas n'a pas produit d'affidavit.

[12]            L'avocat du ministre a soutenu que l'agent des visas avait clairement mentionné dans ses notes du STIDI qu'il avait informé M. Abedin qu'il répondait aux critères de sélection mais qu'il avait néanmoins recommandé que l'on exerce un pouvoir discrétionnaire dans un sens défavorable et que sa demande soit rejetée. Le ministre a également affirmé en se fondant sur les notes du STIDI que l'agent des visas avait fourni à M. Abedin l'occasion de présenter des renseignements supplémentaires ou de réfuter certaines affirmations, ce qu'il n'a pas fait. Le ministre a invité le tribunal à accorder une force probante plus grande aux notes du STIDI qu'à l'affidavit d' « un plaideur déçu » . Monsieur Abedin n'a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit.

[13]            Cette affirmation soulève la question de l'utilisation que l'on peut faire des notes du STIDI lorsqu'elles ne sont pas étayées par un affidavit d'un agent des visas ayant une connaissance personnelle des éléments mentionnés dans les notes en question.


[14]            Dans Wang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 165 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a jugé que les notes prises par un agent des visas au cours d'une entrevue n'étaient pas admissibles à titre de preuve de la véracité de leur contenu lorsqu'aucun affidavit confirmant la véracité de leur contenu n'a été déposé. Dans Qiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 247 (C.F. 1re inst.), le juge Reed a suivi l'arrêt Wang pour déclarer que « ... en l'absence d'un affidavit de l'agent des visas qui a une connaissance personnelle des événements en cause, la valeur des notes [STIDI] à titre d'élément de preuve des faits qui y sont évoqués est douteuse... » et « ... [l]e défendeur n'est pas tenu de présenter un affidavit à l'appui de ses prétentions, le défaut de le faire fera en sorte que les seuls éléments déposés en preuve sous serment devant la Cour sur ce qui s'est passé lors de l'entrevue seront ceux produits par la demanderesse. » Le juge Reed mentionne également la décision prononcée antérieurement par notre Cour dans l'affaire Yan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 169 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.) dans laquelle le juge Cullen avait déclaré dans des circonstances comparables que la version des événements présentés par le demandeur devait être présumée vraie lorsqu'elle n'est pas contredite par un affidavit de l'agent des visas.

[15]            Le juge Reed en est arrivé à un résultat semblable dans Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 3 Imm. L.R. (3d) 212 (C.F. 1re inst.). L'analyse qu'a effectuée le juge Reed a été suivie par la suite dans un certain nombre d'affaires dont Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration) (2000), 6 Imm. L.R. (3d) 26 (C.F. 1re inst.) et Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 776, IMM-1087-99 (2 juin 2000) (C.F. 1re inst.). Le juge Pelletier en est arrivé à la même conclusion dans Tajgardoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1450, IMM-2063-99 (1er septembre 2000) (C.F. 1re inst.).


[16]            Les principes énoncés dans ces décisions me paraissent convaincants et je les adopte pour conclure de la même façon que les notes du STIDI sont admissibles lorsqu'elles font partie du dossier et contiennent les motifs de la décision contestée mais elles ne prouvent pas les faits qui y sont mentionnés et sur lesquels elles reposent. Pour que les notes du STIDI établissent la véracité des faits qui y sont contenus, l'auteur de ces notes doit fournir un affidavit dans lequel il déclare, sous serment, que le contenu des notes du STIDI est vrai.

[17]            Le défendeur soutient que les notes du STIDI sont admissibles à titre d'exception à la règle du ouï-dire et à titre de documents commerciaux aux termes de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, mais je ne suis pas convaincue que les notes répondent aux conditions de nécessité et de fiabilité qu'exigent les principes applicables en matière de ouï-dire, ni que le dossier contient des éléments qui démontrent que les notes répondent aux conditions d'admissibilité applicables aux pièces commerciales.

[18]            En l'espèce, je conclus qu'en l'absence d'affidavit émanant de l'agent des visas, il n'existe aucun élément susceptible de réfuter l'affirmation de M. Abedin selon laquelle l'agent des visas l'a informé que l'entrevue s'était bien déroulée de sorte que M. Abedin a été très surpris d'apprendre que l'agent des visas ne pensait pas qu'il avait la capacité de s'établir avec succès au Canada.


[19]            Les réserves de l'agent des visas au sujet de la capacité de M. Abedin de s'établir au Canada semble se fonder sur le passage suivant de ses notes du STIDI :

[TRADUCTION]

Étant donné que l'intéressé a travaillé pour le secteur public pendant toute sa carrière, il était important qu'il manifeste une certaine motivation, de l'initiative et de la débrouillardise pour ce qui est de son entrée sur le marché du travail au Canada.

...

J'ai demandé à l'intéressé s'il avait des solutions de repli dans le cas où il n'arriverait pas à se trouver un emploi comme prévu. Il a répondu que son frère l'aiderait à trouver un travail et qu'il reprendrait ses études pour mieux connaître la situation du marché du travail au Canada. Étant donné l'âge de l'intéressé et son manque d'expérience canadienne dans un milieu et un contexte très spécialisés, cela n'est pas une stratégie réaliste.

[20]            Monsieur Abedin a déclaré sous serment que la question des solutions de repli a été soulevée dès le début de son entrevue et que l'agent des visas lui a demandé de prendre cinq minutes pour expliquer par écrit ce qu'il ferait s'il n'obtenait pas d'emploi au Canada. Monsieur Abedin a déclaré qu'il avait répondu à cette question et sa réponse écrite figure dans le dossier du tribunal. Monsieur Abedin a répondu : « Je vais alors créer ma propre entreprise. Mon frère est déjà là et il pourra m'aider et me guider dans ce projet » .

[21]            Les notes du STIDI n'indiquent pas que l'agent des visas ait tenu le moindrement compte de la déclaration de M. Abedin selon laquelle il était disposé à créer sa propre entreprise. C'était là un facteur qui concernait la capacité de M. Abedin à s'établir qui aurait pu être mentionné à nouveau à l'agent des visas si celui-ci avait exprimé à M. Abedin ses réserves au sujet de sa capacité de s'établir avec succès au Canada.


[22]            Dans ces circonstances, et compte tenu du témoignage de M. Abedin selon lequel on lui avait laissé entendre que l'entrevue s'était bien déroulée, je conclus que l'agent des visas a violé l'obligation d'équité qu'il avait envers M. Abedin en omettant d'informer ce dernier de ses réserves.

[23]            Par conséquent, la décision de l'agent des visas rendue le 8 juin 1999 est annulée et l'affaire renvoyée pour nouvel examen devant un autre agent des visas.

[24]            Au cours des débats, les avocats ont été invités à fournir des observations écrites concernant l'utilisation qui peut être faite des notes du STIDI et l'éventuelle certification d'une question. Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question, et aucune question n'est certifiée.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                                       Juge                       

Ottawa (Ontario)

le 14 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           IMM-4003-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         SHAH ZAINFUL ABEDIN c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 SEPTEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                                               14 décembre 2000

ONT COMPARU :

Harvey Savage                                      POUR LE DEMANDEUR

Lori Hendriks                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harvey Savage                                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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