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Date : 20200403


Dossier : T‑524‑19

Référence : 2020 CF 489

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

PAUL MACFARLANE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 18 février 2019 par le comité d’appel de l’admissibilité du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [le comité d’appel], qui a conclu que le demandeur n’avait pas droit à des prestations de retraite supplémentaires en raison d’une cardiopathie ischémique au titre de l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑11 [la Loi sur la pension de retraite de la GRC] et du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6 [la décision].

II.  Contexte factuel

[2]  Le demandeur, Paul Macfarlane, est un membre retraité de la GRC. Après avoir subi une crise cardiaque, il a été libéré de la GRC pour des raisons médicales et a commencé à recevoir une pension. Il a demandé des prestations supplémentaires au motif que son service dans la GRC avait contribué à sa cardiopathie. Le comité d’appel a confirmé les décisions du délégué du ministre des Anciens Combattants [le délégué du ministre] et du comité de révision de l’admissibilité [le comité de révision] et conclu que le demandeur n’avait pas droit à une pension supplémentaire.

[3]  Pour les motifs qui suivent, le présent contrôle judiciaire est rejeté.

[4]  Le demandeur est entré dans la GRC en décembre 1975 et a occupé des postes liés à la sécurité en Ontario, au Québec et dans des détachements du Canada atlantique. Le 17 septembre 2000, il a subi un grave infarctus du myocarde sans onde Q et a ensuite reçu un diagnostic de cardiopathie ischémique.

[5]  Le 20 octobre 2000, le demandeur a présenté une demande au ministère des Anciens Combattants en vertu de l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la GRC et du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions afin d’obtenir une pension d’invalidité liée à sa cardiopathie ischémique, affirmant que le stress causé par son service dans la GRC et le travail par quart avaient contribué à sa crise cardiaque et à sa cardiopathie ischémique.

[6]  Le 18 juillet 2001, le délégué du ministre a refusé d’accorder au demandeur une pension liée à sa cardiopathie, concluant qu’il n’y avait [traduction] « aucun élément de preuve de nature médicale selon lequel le stress du demandeur ou ses fonctions dans la GRC étaient des facteurs de causalité de sa condition alléguée ».

[7]  Le demandeur a interjeté appel de la décision en question devant le comité de révision, auquel il a présenté un rapport médical de sa médecin de famille, la Dre Shea, ainsi que des documents tirés de son dossier personnel.

[8]  Le 2 octobre 2011, le comité de révision a conclu que le demandeur n’avait pas droit à une pension supplémentaire en raison de sa cardiopathie parce qu’il n’avait pas fourni [traduction] « un avis médical objectif convaincant, détaillé et à jour qui établissait un lien entre son affection diagnostiquée en 2000 et ses 25 ans de service dans la GRC, période de service qu’il a affirmé au comité avoir beaucoup aimé ».

III.  Cadre législatif

[9]  La présente affaire est régie par la Loi sur la pension de retraite de la GRC, la Loi sur les pensions et la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 [la Loi sur le TACRA]. Les dispositions pertinentes figurent à l’annexe A.

A.  Loi sur la pension de retraite de la GRC

[10]  L’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la GRC, LRC 1985, c R11 prévoit qu’un membre de la GRC a droit à un montant de pension supplémentaire si « la blessure ou la maladie — ou son aggravation — ayant causé l’invalidité ou le décès sur lequel porte la demande de compensation était consécutive ou se rattachait directement au service dans la Gendarmerie ».

B.  Loi sur les pensions

[11]  L’article 2 de la Loi sur les pensions prévoit que ses dispositions s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service.

[12]  L’article 3 de la Loi sur les pensions définit une invalidité comme « [l]a perte ou l’amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental », mais aucune déficience précise n’est mentionnée dans les lois ou règlements pertinents.

C.  Loi sur le TACRA

[13]  L’article 3 de la Loi sur le TACRA prévoit que les dispositions de la loi et de toute autre loi qui confèrent des pouvoirs au Tribunal doivent s’interpréter de façon large, de façon à ce que les obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge soient respectées. L’article 40 exige que, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, le Tribunal fonctionne sans formalisme et en procédure expéditive.

[14]  Plus important encore, l’article 39 de la Loi sur le TACRA énonce la façon dont le Tribunal doit traiter les éléments de preuve. Elle prévoit que le Tribunal doit respecter les règles suivantes :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celuici;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celuici et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bienfondé de la demande.

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

IV.  Décision faisant l’objet du contrôle

[15]  Le demandeur a interjeté appel de la décision du comité de révision devant le comité d’appel. Il a présenté une déclaration personnelle mise à jour, un dossier médical mis à jour, un rapport de psychologie clinique, des dossiers de santé liés à son service et une documentation médicale mise à jour sur le stress vécu par les policiers.

[16]  Le 18 février 2019, le comité d’appel a conclu que le demandeur n’avait pas droit à une pension supplémentaire en raison de sa cardiopathie.

[17]  Le comité d’appel a établi que le demandeur avait prouvé qu’il avait reçu un diagnostic de cardiopathie ischémique et que son état avait entraîné une invalidité continue, mais a tout de même conclu que sa cardiopathie n’avait pas été causée ou aggravée par son service dans la GRC ou qu’elle n’y était pas autrement liée.

[18]  Au moment de tirer une telle conclusion, le comité d’appel a souligné que le demandeur avait été exposé à de nombreux événements stressants au cours de sa carrière et qu’il avait eu droit à la pension maximale en raison de son trouble de stress post‑traumatique.

[19]  Le comité d’appel a déclaré que l’article 39 de la Loi sur le TACRA l’obligeait à tirer les conclusions les plus favorables possible au demandeur, à accepter tout élément de preuve non contredit que ce dernier lui présente et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence et à trancher en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande.

[20]  Le comité d’appel a souligné que la jurisprudence a précisé que l’article 39 ne [traduction] « dispense pas [les demandeurs] du fardeau de prouver les faits nécessaires dans leur cas pour établir un lien entre l’affection alléguée et le service », et que le demandeur doit montrer qu’il existe un lien de causalité suffisant entre l’affection alléguée et son service dans la GRC.

[21]  En outre, le comité d’appel a souligné que le fardeau du demandeur de prouver les faits nécessaires exigeait qu’il établisse son droit à une pension selon la prépondérance des probabilités. Citant l’arrêt Cole c Canada (Procureur général), 2015 CAF 119, il a conclu que l’établissement de ce lien exigeait que le demandeur démontre une « causalité importante » entre son affection alléguée et son service dans la GRC.

[22]  Le comité d’appel a conclu que le dossier contenait des éléments de preuve médicale contradictoires fournis par le cardiologue, le Dr Mcmillan, et la médecin de famille du demandeur, la Dre Shea.

[23]  Le Dr Mcmillan a vu le demandeur à l’Hôpital Queen Elizabeth de Charlottetown le 17 septembre 2000, peu après sa crise cardiaque. Le comité d’appel a souligné que le rapport du Dr Mcmillan soulignait les [traduction] « importants antécédents familiaux de cardiopathie ischémique » du demandeur ainsi que d’autres facteurs de risque, mais ne mentionnait pas que le stress au travail était un facteur de risque.

[24]  Le rapport de la médecin de famille du demandeur, la Dre Shea, consistait en un formulaire « Questionnaire médical — Affections cardiopulmonaires » dûment rempli et daté du 13 novembre 2017. Il était accompagné de commentaires supplémentaires de la Dre Shea, dans lesquels elle déclarait que, à son avis, le demandeur avait vécu des situations stressantes du point de vue physique et émotionnel et que de telles situations avaient entraîné la libération d’adrénaline. Selon elle, le travail du demandeur était un facteur contributif de son affection.

[25]  Le comité d’appel a souligné que, dans son rapport préparé à l’appui de la demande du demandeur, la Dre Shea ne précisait pas les raisons pour lesquelles elle [traduction] « avait formulé beaucoup plus de commentaires et mis beaucoup plus l’accent » sur la question du stress au travail comparativement aux autres facteurs de risque du demandeur dont elle avait aussi reconnu l’existence.

[26]  Le comité d’appel a souligné que la Dre Shea était mieux placée pour prodiguer des soins et gérer les problèmes de santé complexes du demandeur, mais qu’il préférait le rapport du cardiologue parce qu’il s’agissait d’un document contemporain préparé par un spécialiste.

[27]  Le comité d’appel a confirmé la décision du comité de révision et conclu que le demandeur n’avait pas droit à une pension supplémentaire en raison de sa cardiopathie ischémique.

V.  Questions en litige et norme de contrôle

[28]  Le demandeur a soulevé un certain nombre de questions fondées sur ce qu’il juge être des erreurs du comité d’appel. Au bout du compte, il affirme qu’il convient de déterminer s’il était raisonnable pour le comité d’appel de conclure qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir le bien‑fondé de sa demande.

[29]  Voici les erreurs que le demandeur reproche au comité d’appel :

  • - la conclusion selon laquelle il y avait des éléments de preuve médicale contradictoires;

  • - le défaut d’accepter l’opinion de la Dre Shea selon laquelle le stress lié au service était un facteur contributif de sa cardiopathie ischémique;

  • - le défaut de tenir compte de la documentation médicale mise à jour qu’il a présentée.

[30]  La présente affaire a été débattue peu avant que la Cour suprême du Canada ne rende sa décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [l’arrêt Vavilov], dans lequel elle a reformulé la manière dont une cour de révision doit s’y prendre pour contrôler une décision selon la norme de la décision raisonnable.

[31]  Il y a maintenant une déclaration claire selon laquelle, lorsque le bien‑fondé d’une décision administrative fait l’objet d’un contrôle judiciaire, la norme de contrôle applicable est présumée être la norme de la décision raisonnable, sous réserve de certaines exceptions, dont aucune ne s’applique dans la présente affaire (Vavilov, aux par. 23 et 33).

[32]  Il n’est plus nécessaire de déterminer si la jurisprudence antérieure a établi de façon satisfaisante la norme de contrôle applicable. Toutefois, je souligne qu’il est reconnu depuis longtemps que la norme de contrôle appropriée lorsqu’un comité d’appel évalue des éléments de preuve médicale et détermine si le problème de santé d’un demandeur — dans la présente affaire, la cardiopathie ischémique — découle de son service au sein de la GRC ou y était directement lié, fait intervenir des questions de fait ou de droit et doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Wannamaker c Canada (Procureur général), 2007 CAF 126, au par. 12).

[33]  L’arrêt Vavilov n’a pas modifié l’objectif de la jurisprudence antérieure sur le contrôle judiciaire des décisions administratives. L’obligation bien connue en droit administratif, suivant laquelle les motifs doivent démontrer que la décision est transparente, intelligible et justifiée demeure en vigueur (Vavilov, au par. 15).

[34]  Comme il est énoncé dans l’analyse qui suit, j’estime que la décision respecte l’exigence de l’arrêt Vavilov selon laquelle « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». Lorsque cette exigence est remplie, une cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision (Vavilov, au par. 85).

[35]  Je souligne que, dans son avis de demande, le demandeur a allégué un manquement à l’équité procédurale parce que le comité de révision a consulté le Manuel Merck sans lui donner l’occasion de présenter des observations ou de fournir d’autres éléments de preuve médicale pour y répondre.

[36]  Cette allégation n’a pas été approfondie, ni dans les observations écrites ni à l’audience. Quoi qu’il en soit, lorsque la question a été soulevée devant le comité d’appel, il a été conclu que les facteurs de risque énoncés dans le Manuel Merck étaient également énoncés dans le rapport de cardiologie et dans l’énoncé de cas présenté au comité de révision, de sorte que le demandeur avait eu l’occasion de traiter ou de contester une telle information.

VI.  Y avait‑il des éléments de preuve médicale contradictoires?

[37]  La différence cruciale entre les parties tient à la question de savoir s’il y avait ou non des éléments de preuve médicale conflictuels ou, comme le prévoit l’alinéa 39b) de la Loi sur le TACRA, des éléments de preuve médicale contradictoires entre le rapport de cardiologie du Dr Mcmillan de septembre 2000 et le rapport de médecine familiale de la Dre Shea de novembre 2017.

[38]  Cet enjeu est important parce que l’alinéa 39b) de la Loi sur le TACRA exige que tout élément de preuve non contredit présenté par le demandeur soit accepté s’il est jugé vraisemblable.

[39]  Si un comité d’appel conclut qu’il y a des éléments de preuve contradictoires, la loi ne l’oblige pas à accepter le témoignage d’un demandeur. De tels éléments de preuve doivent quand même être pris en considération, et le comité d’appel doit fournir les motifs s’il les accepte ou s’il les rejette, en tout ou en partie.

[40]  Le demandeur soutient que le comité d’appel a conclu de façon déraisonnable qu’il y avait des éléments de preuve médicale contradictoires issus des rapports des deux médecins. Il fait remarquer que, contrairement à la Dre Shea, le Dr Mcmillan n’avait pas mentionné que le stress au travail avait contribué à sa cardiopathie, ajoutant que ce dernier n’avait pas eu de raison de formuler de commentaires quant à savoir si son affection découlait de son service dans la GRC ou y était lié. Par conséquent, la Dre Shea a simplement fourni des éléments de preuve sous forme d’opinion supplémentaires qui ne figuraient pas dans le rapport du Dr Mcmillan.

[41]  Pour sa part, le défendeur soutient que les deux rapports médicaux tirent des conclusions contradictoires quant à l’origine et aux facteurs contributifs de la cardiopathie du demandeur. Le Dr Mcmillan a examiné les facteurs héréditaires, ce que la Dre Shea n’a pas fait.

[42]  Après avoir examiné les deux rapports, j’estime que le comité d’appel n’a pas commis une erreur en concluant qu’il était en présence d’éléments de preuve médicale contradictoires.

[43]  Le rapport du Dr Mcmillan traite des antécédents familiaux et des facteurs de risque du demandeur et déclare ce qui suit :

[traduction]

Le père est mort d’un infarctus du myocarde à 50 ans, et il y a d’importants antécédents familiaux de cardiopathie ischémique au cours de la quarantaine et de la cinquantaine dans l’ensemble de sa famille. La mère est en bonne santé.

Cet homme de 45 ans, dont les facteurs de risque incluent l’obésité, un mode de vie relativement sédentaire, l’hyperlipidémie, un tabagisme léger antérieur et des antécédents familiaux, présente ce qui semble être une nouvelle angine instable, et la possibilité d’un infarctus du myocarde sans onde Q doit être écartée.

[44]  En ce qui concerne le formulaire « Questionnaire médical — Affections cardiopulmonaires » rempli par la Dre Shea le 23 octobre 2017, le comité d’appel a souligné que la Dre Shea a mentionné que le demandeur avait reçu un diagnostic de dyslipidémie mixte en 1995 — affection qui est maintenant contrôlée — et un diagnostic de diabète sucré en 2011. La Dre Shea a également souligné que le demandeur affichait un indice de masse corporelle de 33.

[45]  Le comité d’appel était préoccupé par le fait que la Dre Shea n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles, vu les nombreux facteurs de risque et les nombreux facteurs liés à la santé mentionnés dans les antécédents médicaux du demandeur et dans son examen, elle avait formulé beaucoup plus de commentaires et mis beaucoup plus l’accent sur la question du stress au travail sans expliquer le manque d’importance accordée aux autres facteurs.

[46]  Le demandeur admet que la Dre Shea a déclaré ne pas pouvoir citer de renseignements démontrant une corrélation directe entre le stress et sa cardiopathie. À la lumière de son expérience à titre de médecin de famille du demandeur, le mieux que la Dre Shea pouvait faire, c’est dire que [traduction] « de toute évidence, le stress associé à l’emploi de M. Macfarlane était un facteur contributif de l’apparition de sa cardiopathie à un si jeune âge ».

[47]  Un [traduction] « facteur contributif » n’est pas nécessairement une preuve de « causalité importante ».

[48]  Il revient au comité d’appel de déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a établi des faits pour prouver son droit aux prestations de retraite supplémentaires demandées. En outre, c’est le demandeur qui doit faire la preuve d’un lien de causalité entre l’incident allégué et l’affection invoquée (Boisvert c Canada (Procureur général), 2009 CF 735, au par. 28).

[49]  Le comité d’appel était préoccupé par le fait que la Dre Shea n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle a mis autant l’accent sur le stress au travail, sans analyser les autres facteurs de risque et facteurs liés à la santé.

[50]  Dans ses commentaires supplémentaires, la Dre Shea déclare qu’elle [traduction] « a l’impression » que la profession du demandeur a été un [traduction] « facteur contributif ». Au moment d’examiner cet élément de preuve à la lumière des nombreux facteurs de risque liés à la santé et aux antécédents familiaux mentionnés par le cardiologue dans son rapport, il était loisible au comité d’appel de conclure que les rapports médicaux étaient contradictoires. Par conséquent, le comité d’appel pouvait préférer le rapport contemporain du spécialiste et c’est ce qu’il a fait.

[51]  Le comité d’appel a décrit ainsi les éléments de preuve médicale contradictoires :

[traduction]

[…] un élément de preuve étant le dossier d’un consultant rédigé par un cardiologue qui a examiné l’état contemporain de l’appelant, évalué les antécédents et facteurs de risque de ce dernier et formulé des recommandations en matière de soins, et un autre élément de preuve préparé par la médecin de famille du demandeur à l’appui de la demande de ce dernier. Même s’il reconnaît que la médecin de famille est mieux placée pour prodiguer des soins et gérer les problèmes de santé complexes du demandeur, le comité d’appel préfère le dossier de consultation de 2000, parce qu’il s’agit d’un élément de preuve contemporain venant d’un spécialiste.

[52]  Il incombait au demandeur de prouver son allégation selon la prépondérance des probabilités. Ce dernier devait montrer qu’il est plus probable que le contraire que sa blessure ou sa maladie était « consécutive ou rattachée directement [à son] service militaire ». Ni le demandeur ni la preuve médicale n’ont convaincu le comité d’appel que suffisamment d’éléments de preuve avaient été fournis pour s’acquitter de ce fardeau.

[53]  Le raisonnement du comité d’appel est appuyé par ce passage de l’arrêt Canada (Procureur général) c Wannamaker, 2007 CAF 126, au paragraphe 29 :

[29] Il est plaidé que le Tribunal a omis d’appliquer l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Je n’accepte pas cet argument. Le Tribunal disposait d’une preuve contradictoire quant à savoir si M. Wannamaker a souffert de blessures dorsales en 1959 et en 1961 comme il le prétend. La seule preuve directe provient de M. Wannamaker. Le Tribunal a remarqué que M. Wannamaker a pour la première fois fait valoir son droit près d’une trentaine d’années après les blessures alléguées. Il s’agit d’un facteur qui affaiblit la fiabilité de sa preuve et donc sa crédibilité. La preuve de M. Wannamaker est aussi contredite par les dossiers médicaux contemporains. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une situation qui déclenche l’application de l’alinéa 39b), lequel oblige le Tribunal à « accepte[r] tout élément de preuve non contredit » que lui présente le demandeur et qui lui semble « vraisemblable en l’occurrence ». À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal de rejeter la preuve de M. Wannamaker.

[54]  Vu les éléments de preuve qui figurent dans le dossier sous‑jacent et qui ont été mentionnés ci‑dessus, il était raisonnablement loisible au comité d’appel de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la cardiopathie du demandeur avait été causée ou aggravée par son service dans la GRC ou qu’elle y était autrement liée.

[55]  Il reste deux autres erreurs alléguées à examiner.

VII.  Le comité d’appel n’a pas commis d’erreur en examinant le rapport de la Dre Shea.

[56]  La deuxième erreur alléguée est que le comité d’appel a commis une erreur en examinant le rapport de la Dre Shea. Puisqu’il a été conclu, pour des motifs déjà fournis, qu’il était loisible au comité d’appel de préférer le rapport contemporain du spécialiste à celui de la Dre Shea, il est évident que le comité d’appel a tenu compte du rapport de la Dre Shea, mais que, au bout du compte, il a donné préséance au rapport de cardiologie. Je ne suis pas convaincue qu’il s’agit là d’une erreur.

VIII.  Le comité d’appel n’a pas omis de tenir compte de la documentation médicale mise à jour.

[57]  Il reste à analyser l’erreur alléguée selon laquelle le comité d’appel n’a pas tenu compte de la documentation médicale mise à jour présentée par le demandeur.

[58]  Premièrement, je souligne qu’il faut présumer que le décideur a soupesé et considéré toute la preuve qui lui a été présentée, à moins que l’on fasse la preuve du contraire (Boulos c Canada (Alliance de la fonction publique), 2012 CAF 193, au par. 11).

[59]  Deuxièmement, le comité d’appel a reconnu que le demandeur a présenté [TRADUCTION] « cinq pièces et cinq pièces jointes » et a cité un des articles sur lesquels l’avocat du demandeur a mis l’accent. Il a également mentionné le fait qu’un article concernait le lien entre le stress et les maladies cardiovasculaires chez les policiers.

[60]  Le comité d’appel n’a pas omis de tenir compte de la documentation médicale mise à jour. Il l’a fait, mais il n’a pas tiré la conclusion souhaitée par le demandeur.

IX.  Conclusion

[61]  La décision est raisonnable. Les motifs fournis par le comité d’appel permettent au demandeur et à la Cour de comprendre le processus décisionnel et la raison d’être de la décision. La décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, car elle est justifiée, transparente et intelligible. En outre, le résultat appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

[62]  Comme l’exige l’arrêt Vavilov, la conclusion est intrinsèquement cohérente et fondée sur une analyse rationnelle. L’issue est justifiée au regard des faits, qui sont étayés par le dossier sous‑jacent et le droit, et le tout a été clairement défini et appliqué par le comité d’appel. Je suis donc dans l’obligation de faire preuve de déférence à cet égard (Vavilov, au par. 85).

[63]  De plus, l’arrêt Vavilov confirme qu’il incombe à la partie qui conteste une décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. En outre, en tant que cour de révision, je dois être convaincue qu’il y a des lacunes suffisamment graves qui ne sont pas simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. La cour de révision doit être convaincue que la lacune ou la déficience invoquée par la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable (Vavilov, au par. 100).

[64]  Le demandeur n’a signalé aucune lacune ou déficience du genre. En fait, il demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve et de tirer une conclusion différente de celle tirée par le comité d’appel. À moins de circonstances exceptionnelles, une cour de révision ne modifie pas les conclusions de fait d’un tribunal pourvu que la décision se justifie au regard des faits (Vavilov, aux par. 125 et 126).

[65]  Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, la demande est rejetée, sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑524‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juin 2020.

Claude Leclerc, traducteur


ANNEXE A

Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑11

Admissibilité à une compensation conforme à la Loi sur les pensions

32 Sous réserve des autres dispositions de la présente partie et des règlements, une compensation conforme à la Loi sur les pensions doit être accordée, chaque fois que la blessure ou la maladie — ou son aggravation — ayant causé l’invalidité ou le décès sur lequel porte la demande de compensation était consécutive ou se rattachait directement au service dans la Gendarmerie, à toute personne, ou à l’égard de toute personne :

a) visée à la partie VI de l’ancienne loi à tout moment avant le 1er avril 1960, qui, avant ou après cette date, a subi une invalidité ou est décédée;

b) ayant servi dans la Gendarmerie à tout moment après le 31 mars 1960 comme contributeur selon la partie I de la présente loi, et qui a subi une invalidité avant ou après cette date, ou est décédée.

Eligibility for awards under Pension Act

32 Subject to this Part and the regulations, an award in accordance with the Pension Act shall be granted to or in respect of the following persons if the injury or disease — or the aggravation of the injury or disease — resulting in the disability or death in respect of which the application for the award is made arose out of, or was directly connected with, the person’s service in the Force:

(a) any person to whom Part VI of the former Act applied at any time before April 1, 1960 who, either before or after that time, has suffered a disability or had died; and

(b) any person who served in the Force at any time after March 31, 1960 as a contributor under Part I of this Act and who has suffered a disability, either before or after that time, or has died.


Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6

Règle d’interprétation

2 Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

Définitions

3 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

invalidité La perte ou l’amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental. (disability)

Milice active non permanente ou armée de réserve en temps de paix

21 (2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

Construction

2 The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

Definitions

3 (1) In this Act…

disability means the loss or lessening of the power to will and to do any normal mental or physical act; (invalidité)…

Service in militia or reserve army and in peace time

21 (2) In respect of military service rendered in the non‑permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;


Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18

Principe général

3 Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

[…]

Règles régissant la preuve

39 Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celuici;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celuici et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bienfondé de la demande.

Construction

3 The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

[…]

Rules of evidence

39 In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑524‑19

 

INTITULÉ :

PAUL MACFARLANE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 3 AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

LAURA E. ROBINSON

 

POUR LE DEMANDEUR

 

LAWRENCE DAVID

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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