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Date : 20200327


Dossier : IMM-3751-19

Référence : 2020 CF 437

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2020

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

REKAR OMAR MOHAMMED

MOHAMMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile de M. Mohammed sur le fondement d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité. La SPR a constaté une divergence importante entre le témoignage fait par M. Mohammed à l’audience et la déclaration faite dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] concernant la date à laquelle il s’était caché pour échapper à l’agent de persécution, l’Asayish. Plus précisément, la SPR a déclaré que « le demandeur d’asile aurait pris des mesures plus considérables pour se cacher des asayish si, en fait, ses allégations étaient vraies ».

[2]  Je conclus que la décision de la SPR n’est pas raisonnable compte tenu des faits qui lui ont été présentés. Par conséquent, la présente demande doit être accueillie.

[3]  Monsieur Mohammed est un citoyen iraquien musulman de la région du Kurdistan. En septembre 2014, il a commencé à travailler comme chargé de cours à l’Université Salahaddin à Erbil, en Iraq. Le 2 juin 2018, alors qu’il surveillait un examen à l’université, il a surpris un étudiant, un membre de l’Asayish, en train de tricher. Il a dénoncé l’étudiant, lequel a été renvoyé.

[4]  En l’espèce, la question en litige repose essentiellement sur la chronologie et les dates précises des événements pertinents. Pour cette raison, les événements en cause sont décrits ci‑dessous.

  • Le 2 juin 2018 : M. Mohammed a surpris l’agent de l’Asayish en train de tricher.

  • Le 3 juin 2018 : L’agent de l’Asayish a appelé M. Mohammed à environ cinq reprises pour lui demander de retirer sa plainte.

  • Le 22 juin 2018 : M. Mohammed a reçu des messages textes contenant des menaces de nature générale.

  • Le 24 juin 2018 : M. Mohammed a été battu par deux hommes, qui l’ont blessé au poignet gauche. Il a ensuite reçu des messages textes de même que des photos les montrant, sa petite amie chrétienne et lui, dans un parc, et des photos donnant à penser qu’ils avaient eu des relations sexuelles dans une voiture. Il a également reçu des photos de lui prises devant le domicile familial, indiquant que son lieu de résidence était connu.

  • Le 25 juin 2018 : M. Mohammed a pris des dispositions afin qu’un chauffeur‑garde vienne le chercher pour le conduire à son travail.

  • Le 26 juin 2018 : M. Mohammed a de nouveau reçu un appel et des messages dans lesquels on menaçait de le tuer et de divulguer les photos susmentionnées.

  • Le 30 juin 2018 : M. Mohammed s’est adressé à un de ses collègues à l’université pour obtenir de plus amples renseignements sur l’étudiant membre de l’Asayish; le collègue de M. Mohammed lui a confirmé que l’étudiant était bel et bien membre de cette organisation et qu’il venait d’une famille puissante.

  • Le 4 juillet 2018 : M. Mohammed, qui avait demandé à son neveu de passer le prendre, a remarqué qu’un homme, qui semblait être l’étudiant membre de l’Asayish, les suivait dans une autre voiture. Ils ont pu s’échapper, mais M. Mohammed a reçu un message texte lui disant qu’il ne pourrait pas toujours s’échapper.

  • Le 11 juillet 2018 : M. Mohammed est entré aux États‑Unis muni d’un visa de visiteur qu’il avait obtenu avant les événements en vue d’assister à une conférence au New Jersey.

  • Le 18 juillet 2018 : M. Mohammed est arrivé au Canada et a présenté une demande d’asile.

[5]  Avant de quitter l’Iraq, M. Mohammed s’est caché. C’est sur la preuve qui concerne cet événement que repose la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SPR.

[6]  Dans son témoignage, M. Mohammed a déclaré qu’il s’était rendu au domicile d’un ami le 27 juin 2018 et qu’il y avait séjourné, « craignant de rester dans son propre domicile ». Il n’a toutefois pas mentionné dans son formulaire FDA qu’il avait quitté le domicile familial le 27 juin 2018. La seule référence faite par M. Mohammed dans son formulaire FDA quant au fait qu’il s’était caché est la suivante :

[traduction] J’ai séjourné chez mon ami Zhero dans le village italien 1, une collectivité sécurisée située à environ 40 minutes de route de chez moi.

[7]  La SPR a conclu que ces deux déclarations étaient contradictoires, non pas en raison de ce qu’elles disent, mais en raison d’une déduction faite par la SPR. S’appuyant sur son observation selon laquelle les événements sont présentés en ordre chronologique dans le formulaire FDA, la SPR a déduit que M. Mohammed s’était installé au domicile de son ami le 5 juillet 2018 :

Tout l’exposé circonstancié de 76 paragraphes du formulaire FDA est rédigé selon l’ordre chronologique, et le déménagement chez son ami, mentionné au paragraphe 74, est mentionné après ses allégations du 5 juillet, selon lesquelles il a changé de vol le 5 juillet, c’est-à-dire avant qu’il quitte l’Iraq le 11 juillet 2018. Il s’agit du paragraphe 75 de l’exposé circonstancié du formulaire FDA. C’est la raison pour laquelle j’ai conclu que, le 5 juillet ou vers cette date, et je n’ai pas la date précise, il a déménagé chez son ami Zhero et qu’il s’est ensuite rendu au Canada. Pour que ce soit bien clair, la date de son déménagement chez son ami n’est pas indiquée dans ce paragraphe, mais il se situe chronologiquement entre le 5 juillet et l’allégation du 11 juillet.

[8]  Mis devant cette prétendue contradiction, M. Mohammed a expliqué que son formulaire FDA avait été rédigé à partir des questions que son avocat lui avait posées. La réponse de la SPR à cette explication laisse perplexe : « J’estime que cette explication est inadéquate, car si elle était vraie, il y aurait confirmation de la part de son propre avocat qu’il avait déménagé entre le 5 et le 11 juillet, c’est-à-dire le moment où il a quitté le pays. »

[9]  En outre, la SPR a déclaré qu’il est indiqué clairement dans le formulaire FDA que les événements importants qui sont liés à la crainte de persécution doivent être relatés en ordre chronologique, en précisant les dates si possible. La SPR a souligné que M. Mohammed est très instruit dans un domaine d’études exigeant une « grande précision » et qu’elle se serait attendue à ce qu’il fasse preuve d’autant de précision dans son formulaire FDA. De plus, il a été souligné que M. Mohammed n’avait rien changé à son récit des événements depuis sa première entrevue au Canada le 18 juillet 2019, qu’il avait fait une déclaration très détaillée à l’agent d’immigration et qu’il n’avait jamais mentionné avant l’audience devant la SPR qu’il était allé se cacher au domicile de son ami le 27 juin 2018.

[10]  Pour ces motifs, la SPR a estimé que M. Mohammed avait contredit de façon importante les allégations faites dans son formulaire FDA, et elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur ce fondement.

[11]  Je juge que la conclusion tirée par la SPR, selon laquelle les déclarations de M. Mohammed étaient contradictoires, est déraisonnable. La SPR compare le témoignage sous serment de M. Mohammed à une déduction qu’elle fait. Les déductions ne constituent pas des éléments de preuve. La Cour a observé que les incohérences sur lesquelles s’appuie la SPR pour tirer des conclusions quant à la crédibilité doivent être réelles et ne pas reposer sur des conjectures. Une déclaration à ce sujet a déjà été faite par le juge Campbell dans la décision Mahmud c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF n729 (QL), 167 FTR 309, au paragraphe 9 :

Dans l’affaire Maldonado c. Canada (MEI), [1980] 2 C.F. 302, la Cour fédérale a décidé que lorsqu’un demandeur déclare sous serment que certaines allégations sont vraies, il y a alors une présomption selon laquelle ces allégations sont véridiques, à moins qu’il y ait un motif de mettre en doute leur véracité. La Cour a statué qu’une commission agit de façon arbitraire quand elle choisit de ne pas croire au témoignage d’un demandeur alors qu’il n’existe aucun motif valable de douter de sa véracité. Dès lors, même s’il est permis à la SSR en tant que juge des faits d’examiner les éléments de preuve et de décider quel poids leur accorder, toutes les incohérences qu’elle relève doivent reposer sur la preuve.

[12]  Les instructions contenues dans le formulaire FDA, qui demandent d’« explique[r] tout dans l’ordre », peuvent appuyer la déduction faite par la SPR dans une certaine mesure, mais elles ne font pas de cette déduction un élément de preuve suffisant pour l’emporter sur un témoignage fait sous serment.

[13]  Il n’était pas non plus raisonnable pour la SPR de renvoyer à la déclaration faite par l’agent le 19 juillet 2018 pour appuyer son observation selon laquelle M. Mohammed n’avait jamais mentionné être allé se réfugier chez un ami avant l’audience. À première vue, cette déclaration est incomplète.

[14]  Pour ces motifs, il est imprudent de se fier à la décision de rejeter la demande d’asile.

[15]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3751-19

LA COUR STATUE que la demande est accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés de rejeter la demande d’asile est annulée. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour d’avril 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3751-19

 

INTITULÉ :

REKAR OMAR MOHAMMED MOHAMMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (COLOMBIE‑bRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Robert J. Kincaid

POUR LE DEMANDEUR

Courtenay Landsiedel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert J. Kincaid Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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