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     Date : 19990915

     T-284-97



E n t r e :

     DUPONT CANADA INC.,

     demanderesse

     (appelante),

     - et -

     EMBALLAGE ST-JEAN LTÉE,

     défenderesse

     (intimée).


     MOTIFS DU JUGEMENT

     [prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario)

     le vendredi 10 septembre 1999]

LE JUGE HUGESSEN

[1]      La Cour est saisie de l'appel d'une décision par laquelle le protonotaire Lafrenière a accueilli la requête de la défenderesse et ordonné au représentant de la demanderesse à l'enquête préalable de répondre à quatre questions, en l'occurrence les questions nos 74, 77, 78 et 188, que je reproduis ici :

         74.      Q.      À votre connaissance, la pellicule de scellement est-elle faite d'un matériau comportant de 50 à 100 parties de copolymère linéaire d'éthylène ?
             M. CLARIZIO :      Si les renseignements que vous possédez proviennent des tests qui ont été administrés, nous allons refuser de répondre à la question. Je vais donc...
             PAR M. SOTIRIADIS :
             Q.      Si vous savez quelque chose, est-ce grâce aux tests ?
             R. Oui.
         R/F      M. CLARIZIO :      Renseignement privilégié.

     *****

         77.      Q.      À votre connaissance, la pellicule de scellement de la défenderesse est-elle faite d'une alpha-oléfine en C6 à C10 ? Encore une fois, si les renseignements que vous possédez proviennent des tests, ne répondez pas et nous allons soulever une objection.
         R/F      M. CLARIZIO : Oui.
         LE DÉPOSANT : Ça ne peut venir d'ailleurs.

    

             M. SOTIRIADIS :
         78.      Q.      Et savez-vous si la pellicule de scellement de la défenderesse a une masse volumique de 0,916 à 0,930 g/cm3 ?
         R/F      M. CLARIZIO : Encore une fois, ça vient des tests, nous revendiquons un privilège là-dessus.

     *****

         188.      M. SOTIRIADIS : D'accord. Ça fait peut-être partie du délibéré, mais je veux savoir si la thèse de la demanderesse est que les résines de la défenderesse ont une masse volumique de 0,916, pardon, une masse volumique de 0,916 à 0,930 g/cm3, comme il en ressort jusqu'à un certain point de la réponse aux analyses. Je crois que c'est plus clair ainsi.
         E/O      M. CLARIZIO : Je vais mettre aussi cette question en délibéré.

[2]      La pertinence de ces questions ne fait aucun doute. Elle portent toutes directement " je dirais même carrément " sur la question de savoir si le produit de la défenderesse est contrefait. Elles visent toutes à obtenir une réponse à la question de savoir si la demanderesse est au courant ou non de la question de savoir si le produit de la défenderesse répond ou correspond à certains des paramètres précisés dans la revendication pertinente du brevet en cause.

[3]      La demanderesse a toutefois refusé de répondre aux questions en invoquant le privilège des communications dans le cadre d'un procès. Ce privilège est différent du privilège du secret professionnel de l'avocat. Il s'agit à mon avis d'un privilège beaucoup plus restreint que celui qui s'applique aux communications entre un avocat et son client. À mon avis, ce privilège s'applique aux documents transmis à un avocat pour un procès ou en vue d'un procès. Il ne s'applique cependant pas aux faits pertinents dont une partie a eu connaissance, même si ces renseignements peuvent se retrouver également dans les documents générés à l'occasion d'un procès. C'est la communication et non le renseignement communiqué qui est protégé.

[4]      Il ne faut par ailleurs pas oublier qu'à l'interrogatoire préalable, c'est, non pas un témoin, mais une partie qui est interrogée et que ce qu'on essaie de savoir, c'est ce qu'elle sait des faits qui sont pertinents et qui sont en litige dans le procès en cause.

[5]      Je suis conscient du fait qu'il existe des décisions dans lesquelles notre Cour a conféré une large portée au privilège des communications échangées dans le cadre d'un procès1. En toute déférence, j'estime que ces décisions " certaines d'entre elles " vont trop loin. Je crois que je préfère m'en tenir à la décision rendue par le président Jackett dans l'affaire Susan Hosiery Limited v. The Minister of National Revenue2 ainsi qu'à une décision beaucoup plus récente, celle qu'a rendue la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'affaire Global Petroleum v. CBI Industries Inc. et al3. Dans chacune de ces décisions, le tribunal établit la distinction que je viens de faire.

[6]      Si je devais aborder la question du point de vue des principes, je conclurais que le résultat que je viens de suggérer est aussi le bon.

[7]      L'objet du privilège des communications échangées dans le cadre d'un procès est, comme l'avocat de la demanderesse l'a à juste titre fait remarquer au cours du débat, de protéger le caractère sacré du dossier de l'avocat. Le caractère sacré du dossier de l'avocat ne sera pas violé par la divulgation d'éléments d'information obtenus du client du simple fait que cette divulgation a été obtenue lors des préparatifs du procès ou des communications échangées en vue du procès.

[8]      Lorsque je mets en balance cet intérêt avec celui de favoriser une procédure qui permette d'apporter à chaque litige une solution qui soit la plus expéditive et économique possible, ainsi que l'article 3 des Règles nous enjoint de le faire, j'ai très peu de mal à conclure que c'est à bon droit que le protonotaire a ordonné au représentant de la demanderesse de répondre à ces questions. S'il s'avère que la demanderesse sait que le produit de la défenderesse déborde le cadre des paramètres de la revendication applicable du brevet en cause, on peut alors fort bien s'attendre à ce que la défenderesse présente une requête en jugement sommaire et que l'action soit tranchée avec beaucoup plus de célérité et à beaucoup moins de frais pour chacun que si elle devait faire l'objet d'une instruction en bonne et due forme, avec le processus inévitablement long que suppose l'audition des témoins experts des deux parties.

[9]      Si, évidemment, ce n'est pas le cas et si, en fait, les connaissances que la demanderesse possède des caractéristiques techniques du produit de la défenderesse font en sorte que ce produit est contrefait, aucun préjudice ne sera causé. Les questions qui sont posées visent simplement à obtenir de la demanderesse les renseignements qu'elle possède au sujet des caractéristiques du produit de la défenderesse. Il ne s'agit pas, à mon sens, d'une question qui devrait tomber sous le coup du privilège des communications échangées au cours du procès.

[10]      En conséquence, l'appel sera rejeté avec dépens.

                             " James K. Hugessen "
                        
                                 Juge

OTTAWA

Le 15 septembre 1999


Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  T-284-97


INTITULÉ DE LA CAUSE :          Dupont Canada Inc. c. Emballage St-Jean Ltée


LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

DATE DE LA TÉLÉCONFÉRENCE :      Le 10 septembre 1999


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS À L'AUDIENCE LE 10 SEPTEMBRE 1999



ONT COMPARU :

Me Ronald Dimock                              pour la demanderesse

Me Bob H. Sotiriadis                          pour la défenderesse


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimock Stratton Clarzio                          pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Léger Robic Richard                              pour la défenderesse

Montréal (Québec)

__________________

1      Voir les décisions Procter & Gamble Co. et al c. Kimberly-Clark of Canada Ltd. (1990), 35 C.P.R. (3d) 321      et Dupont Canada Inc. v. Glopak Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 312.

2      [1969] R.C. de l'Éch. 27.

3      (1998), 172 N.S.R.(2d) 326 (C.A. N.-É.).

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