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     Dossier : IMM-1952-97

     VANCOUVER (C.-B.)

     4 mars 1998

     (En présence de Monsieur le juge Campbell)

ENTRE :

     EL-MENOUAR MANDI, REDA MANDI, FATMA MANDI,

     NASSIM MANDI, LEILA MANDI et LUISE INGEBORD MANDI,

     demandeurs,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

COMPARUTIONS :

G. GOLDSTEIN                  Pour les demandeurs

B. CARBONELL                  Pour le défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (Prononcés à l'audience)

LE JUGE CAMPBELL

     Me Goldstein a invoqué deux arguments distincts qui fournissent, à mon avis, un motif valable d'annuler la mesure contestée en l'espèce, soit l'absence des trois demandeurs mineurs à l'audience et l'existence de problèmes d'interprétation.

     À l'audience, la mère a agi en tant que représentante désignée des enfants mineurs après avoir été nommée en vertu de la règle 11. Cette mesure a été prise avec le consentement de l'avocat qui représentait tous les demandeurs, soit le père, la mère, un enfant d'âge adulte et les trois enfants mineurs.

     Il n'est pas contesté qu'un peu avant la moitié de l'audience, la discussion suivante a eu lieu. Elle est consignée à la page 62, ligne 29, du dossier du tribunal :

             LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Maître, peut-être que nous pouvons laisser les enfants sortir. Nous pourrions peut-être laisser les enfants --
             L'AVOCAT : Oui, j'allais demander à Mme Mandi si nous pourrions demander --
             LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Je pense que ça leur rappelle de mauvais souvenirs, et il ne me paraît pas souhaitable qu'ils endurent cela.

     La mère a poursuivi son témoignage après cette discussion.

     Bien que ce passage montre que le président de l'audience se souciait de la sensibilité des enfants, je conclus qu'il fallait faire quelque chose de plus avant de les faire sortir. Premièrement, l'avocat mentionne qu'il était sur le point de demander à la mère si elle voulait que les enfants sortent. Il ne l'a pas fait. Deuxièmement, le président de l'audience n'a pas demandé à la mère si elle voulait que les enfant sortent. Troisièmement, et c'est le point le plus important, personne n'a demandé aux enfants s'ils voulaient sortir. Il est important de faire remarquer que ces trois enfants mineurs ne sont pas de jeunes enfants. Ils sont âgés de 16, 15 et 12 ans. Selon moi, bien qu'ils soient mineurs, ils auraient dû être consultés.

     Dans l'affidavit supplémentaire qui a été déposé, les enfants se sont élevés contre le fait qu'ils n'avaient pas été invités à témoigner. Peut-être bien qu'il s'agit d'un aspect qui relève du pouvoir exclusif de l'avocat qui les représentait, mais il est certain que le droit qu'ils avaient d'assister à l'audience exige au moins qu'ils aient la possibilité de protester contre leur sortie de la salle d'audience.

     Je ne considère pas le silence de la mère ou celui des enfants comme un consentement à ce qu'on les fasse sortir de la salle d'audience, vu le déséquilibre des forces qui existait entre les enfants et les adultes dans le processus décisionnel à ce moment-là, et aussi vu le déséquilibre des forces qui existait entre la mère et le président de l'audience lorsque cette discussion a eu lieu. Compte tenu des circonstances, je ne me serais pas attendu à ce qu'une objection soit soulevée. Il est donc vraiment nécessaire d'avoir une certitude plutôt que de faire des suppositions.

     Ce manquement prend une réelle importance dans le contexte de la preuve relative aux erreurs d'interprétation. L'enfant d'âge adulte, Leila, est âgée de vingt ans. Voici ce qu'elle affirme au paragraphe 5 de son affidavit supplémentaire :

             [traduction] À cause de la mauvaise qualité de l'interprétation, le tribunal a manqué une bonne partie des témoignages pertinents. Celui-ci a semblé adopter l'attitude qu'il était plus important d'accélérer l'instance que de prendre les mesures nécessaires et le temps voulu pour recueillir tous les faits pertinents dans notre cas.

     Le passage important est " le tribunal a manqué une bonne partie des témoignages pertinents ".

     Les témoignages et l'argumentation qui ont été faits aujourd'hui montrent sans conteste que Leila est une personne qui parle couramment l'allemand et l'anglais. Les problèmes de langue auxquels elle se réfère sont des problèmes d'interprétation entre l'allemand et l'anglais. Des services d'interprétation en français ont également été fournis à l'audience, mais ce point n'est pas litigieux en l'espèce.

     Je donne du poids à cette affirmation de Leila, qui n'est pas contestée puisqu'elle est étayée par le fait que, durant l'audience, la mère a également protesté contre la qualité de l'interprétation. En conséquence, je conclus que toute l'instance est viciée.

     En particulier, les erreurs d'interprétation sont préjudiciables à la demande des enfants. Voici le libellé du paragraphe 3 de l'affidavit de Leila :

             [traduction] Il est alors aussi devenu évident aux yeux des membres du tribunal que l'interprète était incompétent. L'interprétation était de si piètre qualité que les membres du tribunal ont visiblement commencé à être exaspérés par l'interprète. Le président de l'audience a remarqué que les propos de l'interprète me préoccupaient beaucoup. Je lui ai dit que l'interprète ne traduisait pas tout ce que ma mère disait. Par exemple, au lieu de traduire littéralement les insultes qui ont été adressées à ma mère, comme " garce " et " putain ", l'interprète a dit qu'on l'avait traitée de tous les noms.

     Le tribunal a accepté les témoignages des enfants au sujet des insultes racistes dont ils ont fait l'objet. Il a toutefois considéré ces insultes comme une discrimination plutôt qu'une persécution.

     Compte tenu de l'existence d'éléments de preuve convaincants relativement à la mauvaise interprétation des principaux mots haineux, et compte tenu du fait que les enfants n'ont pas assisté à la moitié de l'audience, il y a vraiment lieu de s'interroger sur l'exactitude des témoignages sur lesquels le tribunal a fait reposer sa conclusion. Quoique les enfants n'aient pas été appelés à témoigner, ils n'étaient même pas présents pour soulever une objection éventuelle, ne fût-ce que par l'entremise de leur avocat.

     Il a été dit qu'il incombe aux demandeurs de faire la preuve de la mauvaise interprétation en retenant les services d'un interprète " expert " chargé d'écouter l'enregistrement des délibérations puis de relever les endroits où des erreurs ont été commises. La règle de droit que les deux avocats ont acceptée veut que le préjudice qu'une erreur d'interprétation cause aux demandeurs doit être manifeste.

     Au vu du dossier, je conclus que la mauvaise interprétation nuit à la demande de la mère, du père et des enfants. Et, franchement, il ne me paraît pas raisonnable d'obliger les demandeurs à prouver par surcroît que l'interprétation était mauvaise.

     Par conséquent, je conclus qu'une erreur dans l'application régulière de la loi a été commise et j'annule donc la mesure contestée en l'espèce.

     L'affaire est renvoyée à une nouvelle formation du tribunal qui tiendra une nouvelle audience en conformité avec les directives suivantes : tous les efforts seront faits pour que l'avocat des demandeurs consente à l'avance au choix des interprètes; aucun des demandeurs ne sera sorti de la salle d'audience s'il ne le veut pas; et le tribunal demandera à tous les enfants s'ils désirent témoigner et, dans l'affirmative, les autorisera à le faire.

                 JE CERTIFIE PAR LES PRÉSENTES QUE CE QUI PRÉCÈDE est une transcription aussi fidèle et exacte que possible des procédures en l'espèce.

                

                 W. G. Bemister          STÉNOGRAPHE JUDICIAIRE

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      IMM-1952-97

INTITULÉ :                          EL-MENOUAR MANDI et autres c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 24 FÉVRIER 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :                      4 MARS 1998

COMPARUTIONS :

GERALD GOLDSTEIN                      POUR LE DEMANDEUR

BRENDA CARBONELL                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GERALD GOLDSTEIN                      POUR LE DEMANDEUR

BRENDA CARBONELL                      POUR LE DÉFENDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

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