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Date : 20200408


Dossier : IMM‑4501‑19

Référence : 2020 CF 502

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

MICHEAL MUWENDA

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un citoyen de l’Ouganda qui dit craindre d’être persécuté dans ce pays du fait de son orientation sexuelle. En appel, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a refusé de permettre au demandeur de déposer de nouveaux éléments de preuve médicaux et a conclu que sa demande d’asile n’était pas crédible.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, puisque l’appréciation que la SAR a faite des éléments de preuve médicaux était déraisonnable.

Contexte

[3]  Le demandeur affirme qu’en 2006, son père l’a surpris en train d’avoir des relations sexuelles avec son petit ami et qu’en conséquence, la collectivité lui a donné 40 coups de fouet. Il dit qu’en juillet 2010, lui et son petit ami ont été attaqués alors qu’ils marchaient en se tenant la main en public. Lorsqu’ils ont signalé l’attaque à la police, ils ont été arrêtés. Le demandeur dit qu’il a été détenu pendant sept jours, une période au bout de laquelle son père est allé le faire libérer sous caution en soudoyant la police.

[4]  Le demandeur a commencé à vivre avec son petit ami en octobre 2012 et a entrepris des études en informatique. En novembre 2015, le demandeur et son petit ami ont été attaqués dans une boîte de nuit et le demandeur a dû être hospitalisé pour une journée. En 2017, le demandeur a été forcé de démissionner de son emploi, parce que son employeur avait découvert qu’il avait un petit ami. En avril 2017, le demandeur a été attaqué alors qu’il dînait en compagnie de son petit ami dans un restaurant. Bien qu’ils aient réussi à échapper à l’attaque, ils ne sont pas rentrés chez eux. Après l’incident, le demandeur est allé habiter avec sa sœur, pendant que son père effectuait des démarches pour lui obtenir un visa d’étudiant pour le Canada. Le visa a été délivré en août 2017. Le demandeur est arrivé au Canada en septembre 2017 et a présenté une demande d’asile.

[5]  La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur le 28 juin 2018. La SAR a rejeté son appel le 26 juin 2019.

Décision de la SAR

[6]  En appel, la SAR a refusé d’admettre en preuve une nouvelle lettre provenant du médecin du demandeur au motif qu’elle ne constituait pas un « nouvel » élément de preuve au sens du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). En se fondant sur l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, la SAR a fait observer que le paragraphe 110(4) doit être interprété de façon stricte et que, si les conditions ne sont pas respectées, la SAR n’a aucun pouvoir discrétionnaire d’accepter la preuve. La SAR a conclu que l’élément de preuve n’était pas nouveau, parce que la nouvelle lettre provenant du médecin du demandeur faisait mention de l’hospitalisation de ce dernier le 7 novembre 2015 et que le demandeur s’était présenté devant la SPR le 28 juin 2018. La SAR a conclu que la lettre aurait pu être présentée avant que la SPR ne rende sa décision. La SAR a conclu que le demandeur tentait d’invoquer le paragraphe 110(4) pour compléter une preuve déficiente et cela n’était pas permis en raison de l’arrêt Singh.

[7]  La SAR a également tiré une série de conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur.

Questions en litige

[8]  Bien que le demandeur ait soulevé un certain nombre de questions, la question déterminante en l’espèce est le refus de la SAR d’admettre un nouvel élément de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR.

Norme de contrôle

[9]  Il existe une présomption réfutable selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique à un examen sur le fond des décisions administratives (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 23 [Vavilov]). Pour déterminer si une décision est raisonnable, la cour de révision doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99).

Analyse

[10]  Le demandeur fait valoir que la lettre du médecin qu’il a cherché à produire était une réponse directe aux conclusions de la SPR selon lesquelles l’élément de preuve médical n’était pas fiable en raison de fautes d’orthographe. La SPR a conclu que le rapport médical du Dr Kisaame n’était pas authentique, parce que les mots « assault » (voies de fait) et « admit » (admettre), étaient mal orthographiés. Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable que la SAR ne lui permette pas de produire un élément de preuve concernant des documents que la SPR avait jugés non fiables.

[11]  Le paragraphe 110(4) de la LIPR est ainsi libellé :

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

[12]  Devant la SAR, le demandeur a essayé de présenter une nouvelle lettre du Dr Kisaame datée du 19 juillet 2018, un certificat d’inscription du Dr Kisaame auprès du conseil des professionnels alliés de la santé (Allied Health Professional’s Council) et une copie de son permis annuel d’exercer. La SAR a conclu que, même si la lettre avait été écrite après la décision de la SPR, elle faisait mention de faits survenus en novembre 2015 et n’était donc pas nouvelle, parce que les renseignements auraient pu être obtenus avant l’audience de la SPR. La SAR a conclu que le demandeur essayait de combler les lacunes d’une preuve déficiente en présentant la lettre, ce que n’autorise pas l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au par. 54.

[13]  Toutefois, dans la décision Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 814, au par. 31, le juge Zinn a conclu qu’il était déraisonnable que la SPR s’attarde sur des erreurs superficielles de grammaire ou d’orthographe pour discréditer un rapport médical. Il a fait observer que les erreurs typographiques mineures « […] qu’elles figurent dans un rapport médical pakistanais, un jugement de la Cour fédérale, ou même dans les motifs de la SPR, ne permettent pas raisonnablement de laisser entendre que le document est peut‑être frauduleux » (Ali, au par. 31).

[14]  À mon avis, tout comme dans la décision Ali, la SAR a adopté une démarche déraisonnable à l’égard de cet élément de preuve. La SAR n’a pas cherché à savoir si les fautes d’orthographe pouvaient être dues à l’erreur humaine. En outre, la SAR ne s’est pas posé la question de savoir si le demandeur [traduction] « pouvait normalement s’attendre » à ce que la SPR rejette le rapport médical. À mon sens, le demandeur ne tentait pas de combler les lacunes d’une preuve déficiente. Au contraire, il voulait dissiper les doutes de la SPR concernant l’authenticité du rapport du Dr Kisaame et, par conséquent, on ne pouvait pas normalement s’attendre à ce que le demandeur sache qu’il aura besoin d’éléments de preuve supplémentaires pour expliquer les fautes d’orthographe. La SAR n’a pas tenu compte du fait que le demandeur voulait dissiper les doutes de la SPR et n’a donc pas examiné les contraintes factuelles pertinentes qui avaient une incidence sur sa décision. Au contraire, la SAR s’est concentrée uniquement sur les contraintes juridiques imposées par le par. 110(4) de la LIPR sans les appliquer à la situation factuelle. Cette façon de procéder n’est pas conforme à ce que nous enseigne l’arrêt Vavilov.

[15]  À mon avis, la démarche adoptée par la SAR en ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve que le demandeur cherchait à présenter était déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la SAR pour qu’elle procède à un nouvel examen.

[16]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4501‑19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la SAR pour qu’elle procède à un nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour d’avril 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4501‑19

 

INTITULÉ :

MICHEAL MUWENDA c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TOronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 28 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 8 Avril 2020

 

COMPARUTIONS :

Lisa r. G. Winter‑Card

POUR LE DEMANDEUR

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lisa G. Winter‑Card

Avocate

Welland (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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