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Date : 20200420


Dossier : T‑792‑19

Référence : 2020 FC 536

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2020

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

KEVIN HAYNES

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire d’une décision datée du 20 mars 2019 rendue par une fonctionnaire désignée d’Emploi et Développement social Canada [la décision], par laquelle cette dernière a accepté quatre rapports d’enquête finaux établis par une enquêteuse indépendante [l’enquêteuse] de janvier à mars 2019 [collectivement, les rapports]. Le demandeur s’était plaint que des membres de la direction de son milieu de travail l’avaient harcelé et avaient fait preuve de discrimination à son égard, principalement en réduisant sa charge de travail et en ne prenant pas de mesures d’adaptation liées à son autisme. La demande a été présentée en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Le demandeur, se représente lui‑même, sollicite l’annulation de la décision d’accepter ces rapports.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.  Définitions et politiques

[3]  Le harcèlement est décrit de la façon suivante dans la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada :

Harcèlement : comportement inopportun et offensant, d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c.‑à‑d. en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée).

Le harcèlement est normalement défini comme une série d’incidents mais peut être constitué d’un seul incident grave lorsqu’il a un impact durable sur l’individu.

[4]  La Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6, déclare ce qui suit au sujet de la discrimination et du harcèlement en milieu de travail :

7  Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

7  It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

14  (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

14  (1) It is a discriminatory practice,

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

(a) in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public,

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

(b) in the provision of commercial premises or residential accommodation, or

c) en matière d’emploi.

(c) in matters related to employment,

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

[5]  Dans ses rapports, l’enquêteuse a énuméré les politiques, les lois et les documents suivants comme documents de référence :

  • Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement — Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

  • Guide d’enquête pour l’application de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement et la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement — Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

  • Guide d’application du processus de résolution du harcèlement — Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

  • Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement — Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

  • Code de valeurs et d’éthique du secteur public — Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

  • Cadre de politique pour la gestion des personnes — Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

  • Directive sur la gestion du rendement — Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

  • Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les personnes handicapées dans la fonction publique fédérale — Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

  • Politique sur le télétravail — Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

  • Loi canadienne sur les droits de la personne — Parlement du Canada

  • Convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada

  • Processus en cinq étapes de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation — Emploi et Développement social Canada (document fourni par le demandeur)

II.  Contexte

[6]  Le demandeur a accepté un emploi à Emploi et Développement social Canada [EDSC] en 2008. Il est développeur de logiciels (niveau CS‑02) et, de 2010 à mai 2018, il a été membre de l’une des équipes d’EDSC, soit l’équipe des services Web du Système ministériel de gestion des paiements [l’équipe du SMGP].

[7]  Le demandeur affirme qu’il travaillait au sein de l’équipe du SMGP depuis sa création en 2010 et qu’il était donc le plus ancien membre de l’équipe.

[8]  Le demandeur a déposé les plaintes suivantes en mars et en mai 2018 :

  • une plainte de harcèlement contre M. Patrick Norman [M. Norman], le chef de l’équipe du SMGP après septembre 2017;

  • une plainte de harcèlement et de discrimination contre M. Michael Bungay [M. Bungay], le chef de l’équipe du SMGP du début de 2013 à avril 2016 et de juin 2017 à la fin d’août 2017 et le gestionnaire du demandeur après septembre 2017;

  • une plainte de harcèlement et de discrimination contre Mme Nada Noujaime [Mme Noujaime], la gestionnaire du demandeur de 2013 à l’été 2017 et la directrice par intérim responsable de l’équipe du SMGP après l’été 2017;

  • une plainte de harcèlement et de discrimination contre Mme Vidya Shankarnarayan [Mme Shankarnarayan], la directrice générale responsable de 700 employés, y compris le demandeur, après 2016.

III.  La décision et les rapports

[9]  L’enquêteuse a examiné les plaintes et a consigné les allégations et les affirmations connexes, ce qui a permis de définir la portée de son enquête. Ce faisant, elle aurait été guidée par le délai de prescription établi à l’étape 1 « Accuser réception de la plainte » du Guide sur l’application du processus de résolution du harcèlement du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, qui prévoit que les incidents survenus plus d’un an avant le dépôt d’une plainte ne doivent pas faire l’objet d’une enquête. Le formulaire de plainte qui a été fourni au demandeur et que ce dernier a rempli prévoit lui aussi la même période de prescription de 12 mois.

[10]  Les rapports seront appelés le rapport Norman, le rapport Bungay, le rapport Noujaime et le rapport Shankarnarayan. L’enquêteuse a accepté certaines parties des plaintes et conclu que les affirmations du demandeur contre M. Norman et M. Bungay étaient fondées en partie. Elle a également conclu que les plaintes du demandeur contre Mme Noujaime et Mme Shankarnarayan n’étaient pas fondées.

[11]  En avril 2019, le demandeur a reçu la décision, l’informant que la représentante désignée avait examiné les rapports et avait accepté intégralement leurs conclusions.

IV.  Les questions en litige

[12]  Cinq questions ont été soulevées devant la Cour.

La question préliminaire du défendeur :

Certaines pièces produites par le demandeur devraient‑elles être écartées de son dossier parce qu’elles n’ont pas été présentées à l’enquêteuse?

Les questions du demandeur :

  1. L’enquêteuse était‑elle qualifiée?

  2. Les rapports ont‑ils donné lieu à une crainte raisonnable de partialité?

  3. L’enquêteuse a‑t‑elle violé le droit du demandeur à l’équité procédurale?

  4. Les conclusions des rapports étaient‑elles raisonnables?

V.  La norme de contrôle — Questions soulevées par le demandeur

[13]  La norme de contrôle applicable à la quatrième question est la norme de la décision raisonnable. Les questions 1, 2 et 3 seront examinées selon la norme de la décision correcte.

VI.  Analyse

A.  La question préliminaire du défendeur

Certaines pièces produites par le demandeur devraient‑elles être écartées de son dossier parce qu’elles n’ont pas été présentées à l’enquêteuse?

[14]  Le défendeur s’appuie sur l’affidavit d’Amelie Hillman daté du 7 juillet 2019. Mme Hillman est conseillère au Centre d’expertise en harcèlement d’EDSC. Elle a déclaré que l’enquêteuse n’avait pas été saisie des éléments suivants :

  • pièce A — [traduction« Tâches/éléments de travail que j’ai reçus de mes gestionnaires/superviseurs de juin 2016 à septembre 2017 », aux pages 56‑63 et 67‑288;

  • pièce B — [traduction« Dates liées à l’entente de rendement de juin 2015 au 5 avril 2018 », aux pages 302 à 348;

  • pièce G — [traduction« Notes de réunion de juin 2016 à décembre 2017 », aux pages 519 à 550 et 554 à 559;

  • pièce H — [traduction« Courriels liés au travail de septembre 2016 à mai 2018 », dans son intégralité;

  • pièce I — [traduction« Évaluations liées aux ententes de rendement de 2014 à 2019 », aux pages 892 à 917;

  • pièce K — [traduction« Images d’entreprises fournissant des services d’enquêtes des ressources humaines prises le 6 juin 2019 », dans son intégralité;

  • pièce P — [traduction« Notes d’allocution que j’ai reçues de ma représentante syndicale le 6 décembre 2017 », dans son intégralité;

  • pièce R — [traduction« Échange de courriels entre moi et M. Larabie, qui a été envoyé en copie conforme à Mme Noujaime, le 1er et le 2 mars 2017 », dans son intégralité.

[15]  Le demandeur a déclaré dans son mémoire des faits et du droit que [traduction« M. Haynes a fourni à l’enquêteuse toutes les pièces A‑J et O‑R dans un cartable et par courriel ». Cependant, je remarque que le demandeur n’a pas fourni de preuve par affidavit à cet égard.

[16]  Dans ces circonstances, j’ai accepté le témoignage de Mme Hillman et conclu que les pièces en question pouvaient seulement être examinées dans la mesure où elles concernaient des questions de partialité ou d’équité procédurale. Toutes les pièces qui servaient d’autres fins ont été écartées. Aucune des parties n’a laissé entendre que les pièces en question concernaient des questions de partialité ou d’équité.

B.  Les questions soulevées par le demandeur

1.  L’enquêteuse était‑elle qualifiée?

[17]  Le demandeur soutient que l’enquêteuse n’était pas qualifiée, parce que son curriculum vitae ne mentionne pas la discrimination ou la déficience comme domaines d’expertise. Il affirme que, dans la présente affaire, l’enquêteuse n’a pas renvoyé les questions liées à la discrimination et la déficience à un expert, et souligne que des enquêteurs plus qualifiés qu’elle auraient pu s’occuper de ce type de dossier.

[18]  Le défendeur soutient que l’enquêteuse était qualifiée. Le curriculum vitae de l’enquêteuse révèle que cette dernière a mené plus de 300 enquêtes en milieu de travail et offert de la formation sur le harcèlement et la violence à plus de 800 enquêteurs. L’enquêteuse a aidé plusieurs ministères à élaborer des politiques sur les pratiques équitables en milieu de travail dans le domaine des droits de la personne. Elle a travaillé comme médiatrice et animatrice pour régler des problèmes en milieu de travail. Elle a également été directrice de l’équité en matière d’emploi au Collège Algonquin, où elle était chargée de veiller à ce que les services répondent aux besoins de quatre groupes cibles, soit les femmes, les membres des minorités visibles, les Autochtones et les personnes handicapées.

[19]  Selon moi, l’expérience de l’enquêteuse en matière d’enquête sur les plaintes de harcèlement et d’élaboration de politiques liées aux droits de la personne la qualifiait pour mener l’enquête sur les plaintes du demandeur. L’enquêteuse n’avait pas besoin de posséder une expertise sur l’autisme pour déterminer si le demandeur s’était vu refuser du travail et des mesures d’adaptation.

2.  Les rapports ont‑ils donné lieu à une crainte raisonnable de partialité?

[20]  Le défendeur a établi le contexte de cette question en renvoyant à l’arrêt Patanguli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291, aux paragraphes 49 et 50, où la Cour d’appel fédérale déclare :

La Cour suprême du Canada a défini le critère à appliquer pour apprécier l’existence d’une crainte de partialité dans Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, au para. 19, soit qu’une « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » aurait lieu de craindre que la décision a été prise de façon partiale.

Parce que les décideurs sont présumés impartiaux, la norme décrite cidessus doit être appliquée rigoureusement. Je note que ni l’appelant ni son représentant n’ont soulevé d’objection à l’égard de la neutralité de l’arbitre avant que celleci ne rende sa décision. Les gestes dont l’appelant se plaint et tous les éléments qu’il soulève dans son mémoire ne m’ont pas convaincue de l’existence d’une crainte de partialité en l’espèce, tant au niveau du comité d’enquête qu’au niveau de l’arbitre de grief.

[21]  Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas satisfait au critère relatif à la partialité et qu’il n’a jamais soulevé l’enjeu de la partialité pendant l’enquête ou à quelque moment que ce soit avant de présenter sa demande de contrôle judiciaire.

[22]  En outre, le défendeur s’appuie sur l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 [Bergeron], dans lequel une demanderesse a prétendu — par souci d’équité procédurale — qu’une enquête réalisée relativement à sa plainte en matière de droits de la personne n’était pas suffisamment approfondie. Voici ce qu’a dit la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 74 et 76 :

S’il est vrai qu’une enquête se doit d’être approfondie, l’enquêteur n’est pas tenu d’examiner l’affaire sous tous les angles possibles et imaginables […]

[…]

  Seules les « questions fondamentales » exigent une enquête de façon à ce que les plaignants puissent être informés des « motifs généraux » de la preuve produite contre eux.

[…]

 

Le critère énoncé dans la décision Slattery (C.F. 1re inst.), précitée, conf. par C.A., précité, est celui de la présence d’une « omission déraisonnable » dans l’enquête, ou de l’enquête « manifestement déficiente ». Le rapport de l’enquêteuse n’a pas à être un compendium de tous les points soulevés. L’accent doit être mis sur ce sur quoi reposent les conclusions de l’enquêteuse et non sur des questions de forme.

[23]  Le demandeur soutient que l’enquêteuse a fait preuve de partialité et a présenté le problème de la façon suivante :

[traduction]

L’enquêteuse a‑t‑elle tenté d’exonérer les intimés des allégations de M. Haynes en faisant preuve de partialité et de préjugés personnels, en faisant fi de la preuve documentaire et en acceptant un faux témoignage?

[24]  Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur décrit plusieurs situations de partialité alléguées. Par exemple, sous la rubrique [traduction] « Observations », au paragraphe 22, il soutient que :

[traduction]

L’enquêteuse a fait preuve de façon flagrante de partialité et de mépris à l’égard de la preuve, des faits, des renseignements et des témoignages en concluant que la direction de M. Haynes a pris des mesures d’adaptation pour ce dernier.

De plus, au paragraphe 101 de son mémoire, le demandeur donne le deuxième exemple suivant :

[traduction]

Au point 86, l’enquêteuse a démontré qu’elle n’a pas été en mesure de terminer son enquête sur la directive que M. Bungay avait donnée à M. Norman. Elle a démontré sa partialité en tirant une conclusion sur cette allégation malgré le fait qu’elle n’avait pas été en mesure de déterminer le rôle de M. Bungay ni son incidence sur la façon dont M. Norman a géré et supervisé M. Haynes.

[25]  En ce qui concerne le premier exemple du demandeur, j’ai examiné les conclusions de l’enquêteuse dans chaque rapport et je souligne que, à la page 33, au paragraphe 150 du rapport Noujaime, l’enquêteuse a conclu que le demandeur [TRADUCTION] « s’était vu accordé officieusement des mesures d’adaptation, puisqu’il pouvait travailler de la maison chaque fois que cela était nécessaire ». Selon moi, cette conclusion reflète fidèlement le témoignage de Mme Noujaime consigné à la page 24, au paragraphe 45 du rapport. Le demandeur a exagéré la conclusion de l’enquêteuse. Il n’a pas été dit que les mesures d’adaptation étaient complètes ou définitives. La mesure était officieuse et concernait uniquement le travail à domicile. À mon avis, cette conclusion ne dénote pas une partialité.

[26]  En ce qui concerne le deuxième exemple du demandeur, le point 86, à la page 41 du rapport Bungay est libellé ainsi :

[traduction]

Aucun témoignage ni renseignement documentaire accessible n’attaque la crédibilité de M. Norman ou de M. Bungay et, par conséquent, l’information accessible n’est pas concluante en ce qui concerne la directive que M. Bungay a donnée à M. Norman au sujet de la supervision de M. Haynes.

[27]  Selon moi, cette conclusion ne dénote pas une partialité. L’enquêteuse était confrontée à des éléments de preuve contradictoires, M. Norman ayant affirmé que M. Bungay lui avait ordonné de ne pas donner de travail au demandeur, et M. Bungay ayant nié avoir fourni de telles instructions à M. Norman. L’enquêteuse a simplement conclu qu’elle n’avait aucun autre motif de tirer une conclusion au sujet de la crédibilité des deux témoins et qu’elle ne pouvait donc pas préférer le témoignage de l’un à celui de l’autre et ne pouvait pas déterminer si la directive avait été donnée ou non.

[28]  Je dois souligner que, même si l’enquêteuse a conclu qu’elle ne pouvait pas déterminer si M. Bungay avait demandé à M. Norman de ne pas donner de travail au demandeur, au bout du compte, elle a confirmé la plainte du demandeur et conclu que M. Norman était responsable de la non‑attribution de travail au demandeur. Aux pages 37 à 38, au paragraphe 220 du rapport Norman, on peut lire ceci :

[traduction]

[…] harcèlement […] s’est produit comme suit :

a)  M. Norman a omis de maintenir une relation superviseur‑subalterne appropriée en retenant les tâches […]

[29]  À l’audience, le demandeur a également fait valoir que l’enquêteuse avait fait preuve de partialité en concluant que certaines allégations constituaient une [traduction] « double incrimination », et ce, même si les allégations en question n’étaient pas identiques. Il a illustré son point en faisant référence aux affirmations A, C et D de la première allégation liée au rapport Noujaime.

[30]  Ces affirmations sont libellées ainsi :

[traduction]

A.  De janvier 2017 à mai 2018, Nada n’a pas respecté les mesures d’adaptation liées à ma déficience. Le billet de mon médecin prévoit ce qui suit : 1) que je dois avoir du travail pour rester occupé au travail; et 2) que je dois être informé de toute erreur ou de tout problème afin d’y remédier et de corriger la situation.

C.  D’août 2017 à mai 2018, alors qu’elle était ma directrice, Nada a veillé à ce que ma charge de travail soit réduite, au point où on ne me donnait plus de travail du tout. Par conséquent, je ne pouvais plus participer ni contribuer au projet sur lequel j’avais travaillé. En mai 2018, durant une réunion de tout le personnel, Nada a dit qu’il y avait beaucoup de travail à faire et qu’il fallait embaucher plus d’employés.

D.  De janvier 2017 à mai 2018, Nada a […] j’ai été dévalorisé en plus de ne pas être reconnu ni récompensé en étant exclu des activités au travail. Par conséquent, j’étais non engagé, non motivé et très anxieux et je me sentais isolé et inutile chaque fois que je travaillais. C’est parce que je regarde le reste de mon équipe travailler, alors qu’on ne m’attribue aucune tâche. Au cours de cette période, j’ai vu de nouveaux employés être embauchés au sein de mon équipe actuelle et se faire attribuer le travail que j’aurais pu faire.

[31]  L’enquêteuse a conclu que les affirmations C et D recoupaient l’affirmation A, de sorte que le fait de tenir compte des affirmations C et D équivaudrait à une double incrimination.

[32]  Au moment d’évaluer l’affirmation A, l’enquêteuse a examiné attentivement l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’était pas occupé au travail. Cette question a de nouveau été soulevée dans l’affirmation C et, à cet égard, les affirmations étaient similaires. Toutefois, l’allégation C soulevait également une nouvelle question, soit la tenue d’une réunion du personnel au cours de laquelle il a été question d’embaucher de nouveaux employés. L’enquêteuse a examiné cette question séparément à la page 36, aux paragraphes 193 à 196, ce qui était raisonnable et ne dénotait pas de partialité.

[33]  L’enquêteuse a tenu compte de la majeure partie — mais non de l’ensemble — de l’affirmation D. Comme dans le cas de l’affirmation A, l’objet de l’affirmation D était, encore une fois, le manque de travail du demandeur. Toutefois, l’affirmation selon laquelle de nouveaux employés avaient été embauchés au sein de son équipe du SMGP et que ceux‑ci s’acquittaient de tâches qui auraient pu lui être affectées était nouvelle, et le demandeur a raison de dire que l’enquêteuse n’en a pas tenu compte.

[34]  Toutefois, je trouve problématique que le demandeur n’ait pas fourni d’éléments de preuve précis à l’appui de son affirmation concernant l’embauche de nouveaux employés au sein de son équipe du SMGP. L’équipe du SMGP était composée de huit personnes. Si l’allégation était vraie, elle aurait miné l’allégation de la direction selon laquelle, dans une certaine mesure, la charge de travail de l’équipe du SMGP avait changé et diminué à l’automne 2016. Il était donc raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur fournisse le nom des nouveaux membres de l’équipe ainsi qu’une description des tâches qui leur a été attribuées, alors qu’il aurait pu s’en acquitter. En l’absence de tels éléments de preuve et à la lumière de l’arrêt Bergeron, l’enquêteuse n’avait pas à approfondir cet aspect de l’affirmation, et son défaut de le faire ne dénote pas une partialité.

3.  L’enquêteuse a‑t‑elle violé le droit du demandeur à l’équité procédurale?

[35]  Le demandeur soulève une question liée à l’équité procédurale, en invoquant le fait l’enquêteuse ne l’a interrogé qu’une fois, pendant deux heures, au cours d’une enquête ayant duré huit mois.

[36]  Le défendeur soutient que le demandeur s’est vu offrir une occasion valable d’être entendu et de participer au processus d’enquête. L’enquêteuse a interrogé le demandeur et les témoins qu’il a mentionnés, a examiné ses éléments de preuve documentaire et lui a fourni des copies de ses rapports préliminaires et des politiques sur lesquelles elle s’est appuyée et lui a donné l’occasion de formuler des commentaires à ce sujet. En fait, le demandeur a répondu aux rapports préliminaires le 7 janvier 2019.

[37]  L’enquêteuse a déclaré avoir tenu compte des commentaires du demandeur sur les rapports préliminaires au moment de préparer ses rapports finaux, ce que l’on peut constater, par exemple, dans le rapport Norman, à la page 79, au paragraphe 175, où l’enquêteuse déclare : [TRADUCTION] « Dans sa réponse au rapport préliminaire, M. Haynes a déclaré ne pas avoir informé personnellement M. Norman de sa déficience ou des mesures d’adaptation nécessaires (référence 1) ». Elle a également tenu compte des éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur.

[38]  Rien dans la preuve dont je dispose ne donne à penser que le demandeur s’est plaint de la durée de son entrevue ou qu’il a soulevé d’autres questions liées à l’équité procédurale pendant l’enquête.

[39]  Selon moi, vu l’ensemble des circonstances, la durée de l’entrevue du demandeur ne donne pas à penser qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

4.  Les rapports étaient‑ils raisonnables?

a)  Observations générales

[40]  Le demandeur soulève de nombreuses questions dans son mémoire des faits et du droit. Toutefois, ses préoccupations découlent parfois d’une mauvaise compréhension du travail de l’enquêteuse.

[41]  Par exemple, le demandeur conteste la préférence de l’enquêteuse pour le témoignage d’un témoin plutôt que celui d’un autre au moment de trancher des questions de fait. Il s’inquiète également de l’application par l’enquêteuse de la présomption d’innocence lorsque l’accusé affirme une chose et que le plaignant en affirme une autre. Cependant, l’enquêteuse doit porter des jugements sur des éléments de preuve contradictoires pour tirer des conclusions, et une telle pratique n’est pas, en soi, déraisonnable.

[42]  Le demandeur allègue également souvent que l’enquêteuse n’a pas tenu compte des répercussions émotionnelles négatives qu’il a subies et qu’elle ne l’a pas interrogé à ce sujet. Toutefois, l’enquêteuse a bel et bien tenu compte de tels effets émotionnels négatifs dans ses conclusions. Mentionnons, par exemple, le rapport Norman, à la page 37, au paragraphe 213, où elle dit : [TRADUCTION] « M. Haynes a dit que les actes de M. Norman ont créé chez lui un sentiment d’exclusion en plus d’accroître ses sentiments d’anxiété, d’inutilité et de confusion ». Il en va de même dans le rapport Bungay, où, à la page 34, au paragraphe 194, l’enquêteuse déclare : [TRADUCTION] « M. Haynes a dit que les actes de M. Bungay ont accentué ses sentiments de stress et miné son estime de soi et qu’il s’est senti non engagé, non motivé, anxieux et isolé ».

[43]  Fait plus important encore, les répercussions émotionnelles négatives subies par le demandeur n’ont jamais été remises en question par aucun des témoins. Par conséquent, l’enquêteuse n’a pas, à juste titre, demandé au demandeur de préciser la nature de tels effets émotionnels négatifs, puisqu’il aurait été inutile de le faire.

[44]  De plus, le demandeur allègue souvent que l’enquêteuse a fait fi de certains éléments de preuve. Cependant, dans la plupart des cas, elle a examiné les éléments de preuve en question, mais a conclu qu’ils ne l’emportaient pas sur d’autres éléments de preuve ou qu’ils n’étaient pas pertinents au moment de tirer ses conclusions. Par exemple, le demandeur allègue ce qui suit au paragraphe 103 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

L’enquêteuse ne tient pas compte du billet du médecin de M. Haynes (pièce E, page 435) selon laquelle il faut expliquer par écrit à M. Haynes les raisons pour lesquelles il n’a pas de travail. M. Bungay n’a pas fourni par écrit à M. Haynes les raisons pour lesquelles on ne lui confiait pas de travail, ce qui prouve que M. Bungay a omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de M. Haynes.

L’enquêteuse n’a pas fait fi du billet du médecin; elle a plutôt conclu que M. Bungay ne l’avait pas reçu. Par conséquent, elle a jugé que l’allégation du demandeur selon laquelle M. Bungay n’a pas respecté les mesures d’adaptation demandées dans le billet du médecin était non fondée.

[45]  En fin de compte, les allégations et les affirmations du demandeur et les rapports de l’enquêteuse soulèvent deux questions fondamentales : celle de savoir si les membres de la direction ont réduit indûment la charge de travail du demandeur et celle de savoir s’ils n’ont pas répondu adéquatement à sa demande de mesures d’adaptation. J’aborde ces questions dans mon analyse des rapports.

b)  Le rapport Norman

[46]  Comme il a été mentionné plus haut, M. Norman est devenu le chef de l’équipe du SMGP du demandeur en septembre 2017. À ce titre, il aurait normalement été chargé d’attribuer du travail au demandeur et d’évaluer son rendement. L’enquêteuse a conclu que M. Norman avait harcelé le demandeur en ne lui attribuant pas de travail et en ne discutant pas avec lui de son rendement.

[47]  La première allégation est libellée ainsi :

[traduction]

Le plaignant, M. Kevin Haynes, allègue avoir été harcelé par l’intimé, M. Patrick Norman, lorsque ce dernier a omis de prendre des mesures d’adaptation liées à sa déficience, comme suit :

[48]  Les affirmations associées à la première allégation sont les suivantes :

[traduction]

A.  Depuis que j’ai révélé à la direction que j’avais une déficience et que j’avais besoin de mesures d’adaptation en juillet 2016, mes conditions de travail ont commencé à se détériorer, et j’ai participé à de nombreuses réunions avec la direction pour tenter de résoudre ce problème sans succès. J’ai présenté aux membres de la direction un billet de médecin pour leur donner des lignes directrices sur les mesures d’adaptation qui m’aideraient au travail. Malheureusement, de façon générale, les membres de la direction ont fait fi de la plupart des mesures d’adaptation, s’en tenant à l’affirmation selon laquelle ils ne savaient pas de quelle façon composer avec ma situation en raison de ma déficience. Depuis qu’il est devenu chef d’équipe en août 2017 et jusqu’à aujourd’hui, Patrick Norman n’a pas fait d’efforts pour essayer d’être juste, de me superviser, de prendre des mesures d’adaptation à mon égard, de me soutenir et de m’encourager.

B.  Les membres de la direction ont constamment utilisé ma déficience pour justifier le peu d’interactions qu’ils ont avec moi, le fait qu’ils m’attribuaient peu de tâches, voire aucune, mon isolement du reste de l’équipe, mon ER négative et le fait qu’ils ne savaient pas quelle façon interagir avec moi en raison de ma déficience. À l’heure actuelle, je ressens des symptômes parce que j’ai été victime de harcèlement et d’intimidation, notamment : une faible estime de soi, de l’anxiété, du stress, un sentiment d’inutilité, de la confusion, de la souffrance, une impression de trahison et le sentiment d’être victime de discrimination en raison de ma déficience.

[L’acronyme « ER » utilisé ci‑dessus et ailleurs dans les présents motifs signifie « évaluation du rendement ».]

C.  Patrick n’a pas réparti le travail équitablement au sein de l’équipe. En effet, certains membres de l’équipe se sont vu attribuer des tâches tout au long de l’année, tandis que je n’ai pas eu de travail de l’année. Le billet de mon médecin prévoit : 1) que je dois avoir du travail pour rester occupé au travail; et 2) que je dois être informé de toute erreur ou de tout problème afin d’y remédier et de corriger la situation. Patrick ne m’a attribué aucune tâche depuis qu’il est devenu chef d’équipe en août 2017, mais il a donné du travail à d’autres membres de mon équipe tout au long de l’année. Il n’a pas favorisé une culture du travail d’équipe et il m’a délibérément exclu des activités d’équipe en m’attribuant peu ou pas de choses à faire depuis qu’il est devenu chef d’équipe, soit d’août 2017 à aujourd’hui. Il ne m’a fourni aucun encouragement et ne m’a manifesté aucun respect depuis qu’il est devenu chef d’équipe, soit d’août 2017 à aujourd’hui. Il m’a empêché de participer au travail d’équipe en ne m’attribuant aucune activité liée à l’équipe tout au long de l’année.

D.  Je suis membre d’une minorité visible et j’ai une déficience, et Patrick n’a pas fait preuve de compréhension ni d’acceptation à mon égard : il n’a pas discuté de mes mesures d’adaptation au travail et ne m’a pas rencontré pour comprendre les façons de mieux composer avec ma déficience au travail. Tout au long de l’année, Patrick m’a évité en ne me parlant pas de questions liées au travail comme le rendement, les attentes et les mesures d’adaptation liées à ma déficience.

[49]  La deuxième allégation est la suivante :

[traduction]

Le plaignant, M. Kevin Haynes, allègue avoir été harcelé par l’intimé, M. Patrick Norman, lorsque ce dernier a miné son rendement et l’a exclu de son équipe, de la façon suivante :

[50]  Les affirmations associées à la deuxième allégation sont les suivantes :

[traduction]

A.  Depuis que Patrick est devenu chef d’équipe, soit d’août 2017 à aujourd’hui, j’ai eu peu d’occasions — voire aucune — de participer et de collaborer au sein de l’environnement de travail de notre équipe, et on m’a confié peu de travail, de tâches connexes et/ou d’objectifs, voire pas du tout.

B.  Depuis que Patrick est devenu chef d’équipe en août 2017, j’ai été dévalorisé, non reconnu et non récompensé en étant exclu des activités de travail. Par conséquent, je me sens non engagé, non motivé, très anxieux, isolé et inutile chaque fois que je travaille. C’est parce que je regarde le reste de mon équipe travailler, alors qu’on ne m’attribue aucune tâche.

C.  Depuis qu’il est devenu chef d’équipe en août 2017 et jusqu’à aujourd’hui, Patrick ne m’a jamais rencontré — pas même une fois — pour connaître mes qualités et mes forces. Depuis qu’il est devenu chef d’équipe en août 2017 et jusqu’à aujourd’hui, il ne m’a pas rencontré pour discuter de mon milieu de travail ou des enjeux ou des problèmes qui ont pu survenir au cours de l’année de travail. Depuis qu’il est devenu chef d’équipe en août 2017 et jusqu’à aujourd’hui, Patrick ne m’a manifesté aucun soutien, que ce soit en me parlant de mon travail et de ses attentes à mon égard ou en établissant des objectifs à atteindre au cours de l’année.

[51]  Aux affirmations A, B et D de la première allégation et à l’affirmation D de la deuxième allégation, le demandeur a allégué que M. Norman n’a pas tenu compte de sa déficience et n’a pas pris de mesures d’adaptation connexes, n’a pas discuté de ses mesures d’adaptation avec lui et s’est servi de sa déficience pour limiter leurs interactions.

[52]  Selon moi, l’enquêteuse a raisonnablement conclu que la preuve n’appuyait pas les affirmations A, B et D de la première allégation. Elle a souligné que, dans sa réponse au rapport préliminaire Norman, le demandeur a écrit ne pas avoir informé M. Norman des mesures d’adaptation dont il avait besoin. L’enquêteuse n’a trouvé aucun élément de preuve démontrant que M. Norman avait reçu la correspondance concernant les mesures d’adaptation du demandeur. De plus, rien n’indique que les limitations fonctionnelles du demandeur ont été divulguées à M. Norman. L’enquêteuse a conclu que la seule mesure d’adaptation connue de M. Norman était que, au besoin, le demandeur pouvait travailler de chez lui.

[53]  L’enquêteuse a conclu qu’il était plus probable que le contraire que M. Norman n’était pas au courant de l’autisme et des limitations fonctionnelles du demandeur, ainsi que des mesures d’adaptation qui devaient être prises à cet égard. Par conséquent, elle a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve selon lequel M. Norman avait utilisé la déficience du demandeur comme motif pour ne pas lui fournir de travail et ne pas discuter avec lui de son rendement. Il s’ensuit également, comme l’a conclu l’enquêteuse, que, étant donné que M. Norman n’était pas au courant de l’autisme du demandeur, il n’a pas pu dire qu’il ne savait pas de quelle façon composer avec le demandeur en raison de sa déficience.

[54]  À l’affirmation C de la première allégation et aux affirmations A, B et C de la deuxième allégation, le demandeur a déclaré que M. Norman a refusé de lui donner du travail et n’a pas discuté avec lui de son rendement. Autrement dit, ces affirmations concernent l’attribution des tâches et la rétroaction sur le rendement.

[55]  L’enquêteuse a conclu que les allégations en question étaient partiellement fondées, conclusions qui, à mon avis, étaient raisonnables pour les raisons qui suivent.

[56]  L’enquêteuse a constaté que, à titre de chef de l’équipe du SMGP, M. Norman était la principale personne‑ressource de la direction pour les employés et qu’il était chargé de surveiller leur travail. Elle a également conclu que la preuve n’était pas concluante quant à savoir si M. Bungay avait dit à M. Norman qu’il n’avait pas à s’occuper du demandeur et qu’il allait s’en occuper lui‑même. Toutefois, si un tel arrangement avait été conclu, le demandeur n’en avait pas été informé et il croyait donc que M. Norman était responsable de lui donner du travail. L’enquêteuse a conclu que M. Norman avait commis un acte de harcèlement dans la mesure où il savait ou aurait dû savoir que le fait de ne pas donner de travail au demandeur et de ne pas discuter avec lui de son rendement créerait chez lui des sentiments d’isolement et de confusion.

[57]  Cependant, l’enquêteuse a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve selon lequel M. Norman avait délibérément exclu le demandeur des activités d’équipe ou qu’il ne l’avait pas traité avec respect. Enfin, elle a conclu que les gestes posés par M. Norman ont été atténués par le fait que ce dernier en était à son premier rôle de direction et qu’il n’avait pas reçu de formation sur son nouveau poste de supervision.

[58]  La troisième allégation est la suivante :

[traduction]

Le plaignant, M. Kevin Haynes, allègue avoir été harcelé par l’intimé, M. Patrick Norman, lorsque ce dernier a utilisé le rapport d’évaluation du rendement de ce dernier pour faire preuve de discrimination fondée sur une déficience.

[59]  Les affirmations associées à la cette allégation sont les suivantes :

[traduction]

A.  Avant que je l’informe de ma déficience en juillet 2016, ma direction n’avait aucun problème avec mon rendement au travail. Puis, en 2017, elle m’a attribué la cote d’ER de « Réussi moins », ce qui signifie que je ne m’acquittais plus avec succès des tâches associées à mon poste. Lorsque j’ai déposé un grief relativement à la cote « Réussi moins », on m’a attribué la cote « N’a pas pu être évalué » parce que mes mesures d’adaptation n’étaient pas en place. À ma connaissance, des mesures d’adaptation n’ont toujours pas été prises à mon égard, et, par conséquent, je ne pourrai toujours pas être évalué, ce qui a eu une incidence négative sur ma carrière, parce que je n’ai pas pu suivre de formation, bénéficier d’affectations intérimaires et utiliser l’ER pour renforcer mes compétences et mes capacités.

B.  Il y a des réunions d’équipe, et j’y suis toujours invité. Jusqu’à ma dernière ER (2016), j’avais toujours demandé du travail et je croyais faire preuve d’initiative. Ensuite, il a été mentionné dans mon ER que l’une des raisons pour lesquelles j’ai échoué à l’évaluation (Réussi moins) tenait au fait que je demandais du travail, plutôt que d’en trouver par moi‑même. C’est la raison pour laquelle je n’ai plus demandé de travail, parce que cela avait une incidence négative sur mon ER, ce qui va à l’encontre de mon objectif de recevoir une très bonne ER, au moins « Réussi plus ». Par conséquent, le fait d’être pénalisé lorsque je demande du travail et de ne pas me voir attribuer de travail m’a placé dans une position très vicariante, puisque je suis pénalisé si je demande du travail ou si je n’en demande pas. Je suis une personne handicapée socialement, ce qui me désavantage beaucoup au moment de savoir de quelle façon je dois gérer ce genre de situations.

[60]  L’enquêteuse a conclu que M. Norman n’avait joué aucun rôle dans l’évaluation du rendement du demandeur. Selon moi, elle a raisonnablement conclu que M. Norman n’était pas le chef de l’équipe du SMGP du demandeur lorsque celui‑ci a reçu la cote [traduction« N’a pas pu être évalué » dans le cadre de son évaluation du rendement de 2016—2017. L’enquêteuse a plutôt établi que M. Bungay, M. Larabie et Mme Noujaime étaient responsables de la cote en question dans l’évaluation du rendement de 2016—2017. De plus, elle a conclu que M. Norman n’avait pas formulé de commentaires sur les évaluations du rendement du demandeur avant de devenir chef d’équipe en septembre 2017.

[61]  La quatrième allégation est la suivante :

[traduction]

Le plaignant, M. Kevin Haynes, allègue avoir été harcelé par l’intimé, M. Patrick Norman, lorsque ce dernier a exercé des représailles contre lui pour avoir déposé un grief (au sujet du rapport d’évaluation du rendement) en lui retirant des tâches qui lui avaient été attribuées, de la façon suivante :

[62]  Les affirmations associées à la quatrième allégation sont les suivantes :

[traduction]

A.  Le dépôt d’un grief au sujet de mon évaluation du rendement de 2016—2017 […] a fait en sorte que ma charge de travail a diminué au point où on ne me donnait plus de travail du tout.

B.  Vers la fin de juillet 2017, après l’audition de mon grief sur mon ER avec la direction, ma charge de travail a commencé à diminuer. Du 2 octobre 2017 au 4 avril 2018, on ne m’a confié aucune tâche. Le nombre de courriels et d’éléments liés au travail en témoigne.

[63]  L’enquêteuse a conclu que M. Norman n’avait pas exercé de représailles contre le demandeur à la suite du grief de ce dernier, puisqu’aucun élément de preuve ne donnait à penser que M. Norman cherchait à se venger. Selon moi, une telle conclusion était raisonnable, d’autant plus que l’enquêteuse avait conclu précédemment que M. Norman n’avait pas participé à l’évaluation du rendement visée par le grief déposé par le demandeur en octobre 2017.

c)  Le rapport Bungay

[64]  M. Bungay a été le chef d’équipe du demandeur du début de 2013 à avril 2016 et de juin 2017 à la fin d’août 2017. Il a aussi été le gestionnaire du demandeur à compter de septembre 2017. Normalement, à titre de gestionnaire, M. Bungay aurait été responsable de la mise en place des mesures d’adaptation permanentes à l’intention du demandeur et de l’établissement de ses attentes et objectifs en matière de rendement. L’enquêteuse a conclu que M. Bungay avait harcelé le demandeur en ne donnant pas suite à sa demande de mesures d’adaptation et en ne discutant pas avec lui de son rendement.

[65]  La première allégation est la suivante :

[traduction]

Le plaignant, M. Kevin Haynes, allègue avoir été harcelé par l’intimé, M. Michael Bungay, lorsque ce dernier a omis de prendre des mesures d’adaptation liées à sa déficience, comme suit :

[66]  Les affirmations connexes sont les suivantes :

[traduction]

A.  De juillet à décembre 2017, Michael n’a pas observé les mesures d’adaptation liées à ma déficience. Le billet de mon médecin prévoit ce qui suit : 1) que je dois avoir du travail pour rester occupé au travail; et 2) que je dois être informé de toute erreur ou de tout problème afin d’y remédier et de corriger la situation.

B.  D’août à décembre 2017, Michael n’a [pas] été transparent, franc, honnête et juste avec moi. En juillet et août 2017, Michael m’a attribué des tâches dont je me suis acquitté, mais, de septembre à décembre 2017, ma charge de travail a chuté à zéro pour des raisons que j’ignore. D’août à décembre 2017, mes rôles et responsabilités ont diminué, au point où je ne faisais plus rien.

C.  De septembre à décembre 2017, à titre de gestionnaire par intérim, Michael a veillé à ce que ma charge de travail soit progressivement réduite à zéro. Il a veillé à ce que ma charge de travail soit réduite — au point où on ne me donnait plus de travail du tout — et a évité de communiquer avec moi en personne et par courriel dès qu’il a commencé à réduire ma charge de travail.

D.  De septembre à décembre 2017, Michael a cessé d’avoir recours à mes services, et ce, malgré le fait que je travaille sur le SMGP depuis le début du projet, période durant laquelle j’ai acquis beaucoup de compétences et de capacités qui sont très utiles dans le cadre du projet des services Web du SMGP. De septembre à décembre 2017, Michael a limité ma participation à l’équipe en réduisant progressivement ma charge de travail à zéro. Michael m’a dévalorisé en tant qu’atout pour l’équipe.

E.  Je suis membre d’une minorité visible, et Michael n’a pas fait preuve de compréhension ni d’acceptation à mon égard : il n’a pas discuté de mes mesures d’adaptation au travail et ne m’a pas rencontré pour comprendre les façons de mieux composer avec ma déficience au travail. De juillet à décembre 2017, Michael n’a pas discuté de mon rendement et n’a pas établi d’objectifs ni d’attentes de rendement. De juillet à décembre 2017, il n’a pas discuté avec moi de mes mesures d’adaptation en milieu de travail et, par conséquent, il n’est pas en mesure de comprendre les répercussions que la situation avait sur moi et sur mon environnement de travail.

[67]  Certains renseignements contextuels s’imposent relativement à l’affirmation A. Au cours de la période visée (environ de 2016 à 2018), à deux occasions, le médecin du demandeur a suggéré des mesures d’adaptation. Il l’a fait une première fois le 1er décembre 2016, lorsqu’il a fourni un billet manuscrit précisant neuf mesures d’adaptation [le billet de 2016]. La deuxième fois remonte à septembre 2017, lorsqu’on lui a demandé de formuler des commentaires sur deux des mesures d’adaptation qu’il avait précédemment suggérées dans un formulaire d’évaluation de l’aptitude au travail et des capacités fonctionnelles [le formulaire sur l’aptitude et les capacités].

[68]  Il est important de comprendre qu’une personne qui aurait seulement vu le formulaire sur l’aptitude et les capacités conclurait que seulement deux mesures d’adaptation ont été recommandées dans le billet de 2016, soit le droit de travailler à domicile et la participation facultative aux fonctions sociales. Cette personne ne comprendrait pas que sept autres moyens d’adaptation figuraient aussi dans le billet de 2016, notamment l’exigence de tenir le demandeur occupé au travail et de l’informer s’il commet des erreurs.

[69]  Dans un tel contexte, je suis d’avis que l’enquêteuse a raisonnablement conclu que la preuve n’appuyait pas l’affirmation A. Aucun élément de preuve ne donnait à penser que M. Bungay avait reçu le billet de 2016 qui énonçait les mesures d’adaptation mentionnées dans l’affirmation A. L’enquêteuse a plutôt conclu que M. Bungay avait uniquement reçu les renseignements médicaux que le médecin du demandeur avait inclus dans le formulaire sur l’aptitude et les capacités, qui précisait seulement qu’il faudrait permettre au demandeur de ne pas participer aux fonctions sociales et de travailler de chez lui. De plus, rien n’indique que M. Bungay n’a pas pris de telles mesures d’adaptation de façon informelle.

[70]  L’enquêteuse a aussi conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve — fourni par le demandeur ou quelqu’un d’autre — selon lequel le demandeur aurait fait des erreurs.

[71]  Les conclusions de l’enquêteuse concernant les affirmations B, C et D étaient raisonnables pour les motifs qui suivent.

[72]  L’enquêteuse a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve selon lequel M. Bungay avait réduit la charge de travail du demandeur. Elle souligne que, le 8 septembre 2017, M. Bungay a envoyé un courriel au demandeur et à ses collègues pour décrire la charge de travail et les attentes de l’équipe du SMGP. Elle a conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait que M. Bungay avait veillé à la réduction de la charge de travail du demandeur, ce qui constitue une conclusion raisonnable.

[73]  L’enquêteuse a conclu que, puisque le demandeur travaillait à distance de chez lui deux ou trois jours par semaine et que M. Bungay était devenu son gestionnaire et n’était plus son chef d’équipe, il était raisonnable de s’attendre à que leurs interactions soient moins fréquentes après la promotion de M. Bungay au poste de gestionnaire à la fin d’août 2017.

[74]  L’enquêteuse a conclu que rien n’indiquait que M. Bungay n’avait pas fait preuve d’acceptation à l’égard du demandeur.

[75]  En ce qui concerne l’affirmation E, l’enquêteuse a conclu que M. Bungay avait commis du harcèlement. Elle a conclu que, en tant que gestionnaire de l’équipe du SMGP, M. Bungay devait discuter avec le demandeur des mesures d’adaptation que ce dernier demandait et s’assurer de lui énoncer des attentes et des objectifs en matière de rendement. Cependant, M. Bungay n’a pas donné suite à la demande de mesures d’adaptation permanentes du demandeur et n’a pas discuté avec lui de son rendement, alors qu’il savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’une telle conduite créerait chez le demandeur des sentiments d’isolement, d’anxiété et de non‑engagement. Selon moi, cette conclusion était raisonnable.

[76]  La deuxième allégation est la suivante :

[traduction]

Le plaignant, M. Kevin Haynes, allègue avoir été harcelé par l’intimé, M. Michael Bungay, lorsque ce dernier a miné son rendement et l’a exclu de son équipe, comme suit :

A.  De juillet à décembre 2017, Michael ne m’a pas encouragé. Son attitude à mon égard ne m’a pas aidé à réussir, à m’adapter et à m’intégrer dans l’équipe, et il ne m’a pas non plus donné l’occasion d’acquérir de nouvelles compétences ou de nouvelles aptitudes et d’innover dans mon milieu de travail. Je me sens découragé lorsque je ne discute pas avec mon gestionnaire de mon travail, de mon rendement et de mon milieu de travail.

B.  Lorsque Patrick Norman est devenu mon chef d’équipe à la fin d’août 2017, il ne m’a pas parlé ni donné de travail avant avril 2018. Michael a été son superviseur de la fin août à décembre 2017, ce qui, je crois, a joué un rôle dans la façon dont il m’a traité et harcelé, parce que j’ai eu très peu d’interactions avec Patrick avant août 2017.

[77]  L’enquêteuse a conclu que, selon les éléments de preuve documentaire, M. Bungay avait confié des tâches au demandeur de juillet à septembre 2017. Elle a fait remarquer que M. Bungay a déclaré que, en septembre 2017, l’équipe du SMGP a connu une réduction de sa charge de travail de développement et qu’elle devait plutôt examiner les exigences du système lié à la Stratégie d’amélioration des services de la Sécurité de la vieillesse et formuler des commentaires connexes. Comme il a été mentionné précédemment, l’enquêteuse a conclu que, le 8 septembre 2017, M. Bungay a envoyé un courriel au demandeur et à ses collègues de l’équipe pour décrire la charge de travail de l’équipe du SMGP et offrir aux employés qui voulaient passer au niveau supérieur des occasions d’aider le chef d’équipe. L’enquêteuse a conclu que rien ne donnait à penser que M. Bungay n’avait pas été respectueux et poli dans ses communications par courriel avec le demandeur. Compte tenu du dossier dont je dispose, de telles conclusions étaient raisonnables.

d)  Le rapport Noujaime

[78]  Mme Noujaime a été la gestionnaire du demandeur jusqu’en juillet 2017, soit le moment où elle a été promue directrice intérimaire et est devenue indirectement responsable de 80 employés. En tant que gestionnaire, il lui incombait de mettre en place les mesures d’adaptation permanentes du demandeur, mais, en tant que directrice intérimaire, ce n’était normalement pas à elle de le faire. L’enquêteuse a conclu qu’aucune des affirmations du demandeur contre Mme Noujaime n’était fondée.

[79]  L’enquêteuse a examiné les allégations du demandeur concernant le non‑respect de ses mesures d’adaptation, le fait que Mme Noujaime lui aurait dit qu’il ne pourrait pas obtenir d’affectations intérimaires en raison de sa déficience et les représailles dont il avait fait l’objet après le dépôt de son grief.

(i)  La première allégation

[80]  Selon l’allégation, Mme Noujaime a harcelé le demandeur en ne prenant pas de mesures d’adaptation liées à sa déficience.

[81]  Les affirmations associées à cette allégation sont les suivantes :

[traduction]

A.  De janvier 2017 à mai 2018, Nada n’a pas observé les mesures d’adaptation liées à ma déficience. Le billet de mon médecin prévoit ce qui suit : 1) que je dois avoir du travail pour rester occupé au travail; et 2) que je dois être informé de toute erreur ou de tout problème afin d’y remédier et de corriger la situation.

B.  Je n’ai rien entendu d’autre au sujet de ce processus, et la direction n’a pas communiqué avec moi pour discuter de mes mesures d’adaptation. En date de la rédaction du présent document, soit mai 2018, j’attends toujours que mes mesures d’adaptation soient mises en place de façon permanente.

C.  D’août 2017 à mai 2018, alors qu’elle était ma directrice, Nada a veillé à ce que ma charge de travail soit réduite, au point où on ne me donnait plus de travail du tout. Par conséquent, je ne pouvais plus participer ni contribuer au projet sur lequel j’avais travaillé. En mai 2018, durant une réunion de tout le personnel, Nada a dit qu’il y avait beaucoup de travail à faire et qu’il fallait embaucher plus d’employés.

D.  De janvier 2017 à mai 2018, Nada a […] j’ai été dévalorisé en plus de ne pas être reconnu ni récompensé en étant exclu des activités au travail. Par conséquent, j’étais non engagé, non motivé et très anxieux et je me sentais isolé et inutile chaque fois que je travaillais. Car je regarde le reste de mon équipe travailler, alors qu’on ne m’attribue aucune tâche. Au cours de cette période, j’ai vu de nouveaux employés être embauchés au sein de mon équipe actuelle et se faire attribuer le travail que j’aurais pu faire.

E.  En janvier et février 2018, ma directrice Nada a continué de ne pas avoir recours à mes services, et ce, même si je travaille sur le SMGP depuis le début du projet, période durant laquelle j’ai acquis beaucoup de compétences et de capacités qui sont très utiles dans le cadre du projet des services Web du SMGP. Durant une réunion de tout le personnel en mai 2018, Nada a dit que les équipes sont très occupées et que de nouveaux employés continuent d’être embauchés. Étant donné que je n’avais pas de travail, j’ai été très blessé et déçu d’apprendre qu’il y avait beaucoup de travail à faire, alors qu’on m’empêchait délibérément de participer aux tâches, aux activités et aux responsabilités liées au projet de mon équipe actuelle.

F.  De mai 2017 à mai 2018, Nada n’a pas fait preuve de compréhension ni d’acceptation à mon égard : elle n’a pas discuté de mes mesures d’adaptation au travail et ne m’a pas rencontré pour comprendre les façons de mieux composer avec ma déficience au travail.

[82]  J’ai établi que les conclusions de l’enquêteuse au sujet des affirmations A à F sont raisonnables.

[83]  L’affirmation A soulève deux questions : le niveau adéquat de travail et les discussions sur les erreurs. Le demandeur reconnaît qu’il bénéficiait d’un niveau de travail adéquat lorsque Mme Noujaime était sa gestionnaire et qu’elle était responsable de ses affectations. Son manque de travail n’est devenu problématique qu’en octobre 2017, alors que Mme Noujaime n’était plus sa gestionnaire. Mme Noujaime est devenue sa directrice intérimaire à l’été 2017, poste qu’elle a conservé jusqu’à ce qu’il quitte l’équipe du SMGP en mai 2018. Selon moi, il était raisonnable pour l’enquêteuse de conclure que l’allégation du demandeur selon laquelle Mme Noujaime ne lui avait pas fourni un niveau de travail adéquat n’avait pas été prouvée. L’enquêteuse a également conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve soutenant l’allégation selon laquelle Mme Noujaime n’avait pas informé le demandeur des erreurs qu’il avait commises pendant qu’elle était sa gestionnaire.

[84]  L’affirmation B traite de la mise en place de mesures d’adaptation permanentes.

[85]  L’enquêteuse s’est penchée sur cette question et a conclu à la page 36, au paragraphe 190, que l’affirmation B n’attribuait pas la conduite reprochée à Mme Noujaime et que, par conséquent, il ne pouvait pas s’agir d’un cas de harcèlement de sa part. Il s’agit d’une conclusion raisonnable.

[86]  Les affirmations C, D et E portent sur la charge de travail, et je les ai examinées précédemment. Cependant, les commentaires formulés par Mme Noujaime durant la réunion de tout le personnel en mai 2018 ont causé de la détresse au demandeur, parce qu’il avait l’impression que d’autres personnes étaient occupées et que de nouveaux employés étaient embauchés alors qu’il n’avait pas de travail. Mme Noujaime a expliqué à l’enquêteuse que 80 employés participaient à la réunion et que la plupart d’entre eux ne faisaient pas partie de l’équipe du demandeur. Elle a reconnu avoir dit qu’il fallait s’attendre à des délais serrés et à beaucoup de travail et qu’il était nécessaire d’embaucher de nouveaux employés. Cependant, selon son témoignage, ces commentaires ne visaient pas l’équipe du SMGP, dont le travail était [TRADUCTION] « incroyablement bon ». L’enquêteuse a accepté son témoignage, décision qui, à mon avis, était raisonnable.

[87]  En ce qui concerne l’affirmation F, la preuve révèle que, de mai 2017 jusqu’à ce qu’elle devienne directrice en juillet 2017, Mme Noujaime a communiqué activement avec le demandeur au sujet de la lettre à envoyer à son médecin et du fait qu’il devait prendre rendez‑vous avec ce dernier pour examiner le formulaire sur l’aptitude et les capacités. Une fois directrice, Mme Noujaime n’était plus visée par la politique d’EDSC intitulée Processus en cinq étapes de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, selon laquelle ce sont les gestionnaires qui sont responsables des mesures d’adaptation.

(ii)  La deuxième allégation

[88]  La deuxième allégation est libellée ainsi :

[traduction]

Le plaignant, M. Kevin Haynes, allègue avoir été harcelé par l’intimée, Mme Nada Noujaime, durant une réunion, le 20 juillet 2017, au cours de laquelle elle a fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience, de la façon suivante :

[…] Nada a dit qu’elle ne savait pas de quelle façon composer avec moi en raison de ma déficience et qu’elle ne me donnait pas d’affectation intérimaire à cause de ma déficience.

[89]  Le demandeur a affirmé que Mme Noujaime avait formulé une telle déclaration durant une réunion à laquelle quatre autres personnes avaient participé. L’enquêteuse a appris que :

  • Mme Noujaime a nié avoir formulé la déclaration;

  • Mme Chartier a refusé de dire si la déclaration avait été formulée;

  • M. Desilets était présent et a dit que la déclaration n’avait pas été formulée;

  • M. Ladouceur a dit ne pas avoir participé à la réunion.

[90]  Compte tenu des circonstances, il était raisonnable pour l’enquêteuse de conclure que l’allégation n’était pas fondée.

(iii)  La troisième allégation

[91]  La troisième allégation est la suivante :

[traduction]

Le plaignant, M. Kevin Haynes, allègue avoir été harcelé par l’intimée, Mme Nada Noujaime, lorsque cette dernière a exercé des représailles contre lui parce qu’il avait déposé un grief (concernant le rapport d’évaluation du rendement) en veillant à ce que ses supérieurs soient mal prédisposés à son égard et en encourageant ses collègues à ne pas communiquer avec lui, de la façon suivante :

[92]  Les affirmations sont les suivantes :

[traduction]

A.  Depuis que j’ai déposé un grief contre Ben et Nada en mai 2017, Patrick Norman, Eric Nolet et Michael Bungay m’ont évité et ont essayé d’avoir […] de contacts possible avec moi. Je n’ai pas eu non plus d’interactions avec Nada depuis le dépôt de mon grief en mai 2017.

B.  Lorsque Patrick Norman et Michael Bungay sont devenus mon chef d’équipe et mon gestionnaire, ils étaient mal prédisposés à mon égard. De juin à août 2017, j’ai vu Patrick et Michael parler à Ben et à Nada. J’ai été touché négativement par la façon dont ils m’ont traité par la suite.

C.  De mai 2017 à mai 2018, Nada a évité de communiquer avec moi en personne. Les employés de Nada qui m’ont géré ou m’avaient géré m’ont ignoré, ce qui a fait en sorte que j’étais isolé.

[93]  L’enquêteuse a conclu que, après sa promotion à l’été 2017, Mme Noujaime ne jouait plus un rôle de supervision à l’égard du demandeur et elle a accepté son témoignage selon lequel elle avait une charge de travail accrue, elle a pris des vacances et des congés pour suivre des cours de formation et ses quarts étaient différents de ceux du demandeur lorsque ce dernier travaillait au bureau. De plus, le demandeur travaillait souvent à distance. Selon moi, en l’absence de toute preuve du contraire (à l’exception de l’opinion du demandeur), il était raisonnable de la part de l’enquêteuse de conclure que la diminution des interactions entre Mme Noujaime et le demandeur ne découlait pas du dépôt par ce dernier d’un grief lié à son ER de 20162017.

[94]  Dans un même ordre d’idées, il n’y a pas eu de témoignage ni de preuve documentaire à l’appui des affirmations B et C. Mme Noujaime a nié avoir parlé négativement du demandeur à M. Bungay ou à M. Norman, répétant son témoignage antérieur au sujet des raisons pour lesquelles elle avait eu moins d’interactions avec le demandeur.

[95]  À mon avis, les conclusions de l’enquêteuse étaient raisonnables, parce que la preuve montre que Mme Noujaime interagissait normalement avec le demandeur avant l’été 2017, alors qu’elle était encore son gestionnaire.

e)  Le rapport Shankarnarayan

[96]  Mme Shankarnarayan était directrice générale d’un service d’EDSC et responsable de 800 employés. Elle a rencontré le demandeur une fois après l’audition de son grief le 8 décembre 2017 [la réunion]. Comme il a été mentionné précédemment, le grief portait sur les objections du demandeur relativement à l’évaluation du rendement qu’il avait reçue en 2016—2017. Le demandeur, Mme Shankarnarayan, Nicolas Desilets, conseiller en relations de travail, et Marie‑Claude Chartier, représentante syndicale du demandeur, ont participé à la réunion. L’enquêteuse a conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle Mme Shankarnarayan l’avait harcelé n’était pas fondée.

[97]  L’allégation du demandeur est la suivante :

[traduction]

Le plaignant, M. Kevin Haynes, allègue avoir été harcelé par l’intimée, Mme Vidya Shankarnarayan, lorsque cette dernière n’a pas pris de mesures d’adaptation liées à sa déficience, de la façon suivante :

[98]  Les affirmations connexes sont les suivantes :

[traduction]

A.  Durant une réunion avec Vidya, Nicolas Desilets (représentant des ressources humaines) et Marie‑Claude Chartier (ma représentante syndicale) dans le cadre de l’audition d’un grief lié à mon ER en décembre, j’ai dit à Vidya que j’étais victime de harcèlement et que les mesures d’adaptation liées à ma déficience n’avaient pas été respectées. Au cours de la réunion en question, nous avons examiné les mesures d’adaptation liées à ma déficience, et Vidya a conclu que bon nombre d’entre elles n’avaient pas été respectées par les membres de la direction. Elle a offert de me trouver un autre poste au sein d’une autre équipe, mais j’ai dit à ma représentante syndicale que je ne voulais pas changer d’équipe en raison de problèmes et de préoccupations que j’ai portés à l’attention de Vidya. Par la suite, cette dernière m’a dit qu’elle se pencherait sur la situation. Cela fait plus de trois mois, et elle n’a pas communiqué avec moi pour me dire où est rendue son enquête.

B.  J’ai dit à Vidya que mon chef d’équipe et mon gestionnaire ne me donnaient plus de travail. Je lui ai dit que j’avais essayé en vain d’obtenir de la direction des mesures d’adaptation liées à ma déficience de juillet 2016 à décembre 2018. J’ai ajouté que la direction n’a pas suivi ni mis en œuvre diverses étapes de la politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Je lui ai aussi dit que la direction a refusé d’appliquer les mesures d’adaptation demandées dans le billet de mon médecin que j’avais fourni en décembre 2016. J’ai passé en revue avec elle le billet du médecin pour lui montrer les mesures d’adaptation que la direction n’avait pas respectées. Il a été conclu que la direction n’avait pas appliqué la plupart des mesures d’adaptation mentionnées dans le billet de mon médecin. J’ai dit à Vidya que les membres de la direction m’ont dit que, compte tenu de ma déficience, je ne pouvais pas obtenir d’affectation intérimaire et que, selon eux, c’est la raison pour laquelle je ne pouvais pas composer avec ce genre d’affectation.

[99]  Mme Shankarnarayan a dit que le demandeur n’avait jamais mentionné être victime de harcèlement en milieu de travail en raison d’une charge de travail réduite et qu’elle n’avait pas offert de faire un suivi ou de mener une enquête à ce sujet. M. Desilets a corroboré son témoignage à cet égard. Par conséquent, la conclusion de l’enquêteuse selon laquelle il n’avait pas été question de harcèlement était raisonnable.

[100]  L’enquêteuse a également conclu que Mme Shankarnarayan et le demandeur ont discuté de la liste des mesures d’adaptation qui figurent dans le billet de 2016 et du fait que la plupart des suggestions de son médecin n’avaient pas été prises en compte. En réponse, elle a offert de muter le demandeur à un autre poste, mais il a refusé l’offre. Encore une fois, M. Desilets a fourni un témoignage corroborant. Je suis convaincue que l’enquêteuse a raisonnablement conclu que la conduite en question ne constituait pas du harcèlement.


JUGEMENT dans le dossier T‑792‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision est par les présentes rejetée.

  2. Le défendeur n’ayant pas sollicité de dépens, aucune ordonnance ne sera rendue à cet égard.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21jour de mai 2020

Maxime Deslippes, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑792‑19

 

INTITULÉ :

KEVIN HAYNES c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 20 AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

Kevin Haynes

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Julie Chung

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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