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Date : 20050601

Dossier : IMM-5001-04

Référence : 2005 CF 790

ENTRE :

TIMOTHY HEWITT

demandeur

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), qui vise la décision rendue le 1er avril 2004, par le représentant du ministre, de déférer l'affaire pour enquête en application du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[2]                Le demandeur sollicite une ordonnance :

1.          annulant le renvoi, en application du paragraphe 44(2) de la LIPR, à une enquête signé le 1er avril 2004 par le représentant du ministre;

2.          annulant la mesure d'expulsion en date du 20 mai 2004;

3.          enjoignant à Citoyenneté et Immigration Canada de réexaminer l'élaboration du rapport et le renvoi à l'enquête;

4.          à titre subsidiaire, un sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion jusqu'à ce qu'une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire puisse être évaluée;

5.          toute autre ordonnance que la Cour peut rendre.

Contexte

[3]                Le demandeur, Timothy Hewitt (le demandeur), citoyen du Royaume-Uni, a obtenu la résidence permanente en 1964, à l'âge de trois ans.

[4]                Le demandeur a un fils de neuf ans. Avant ses déclarations de culpabilité en 2003, le demandeur avait travaillé pour CP Rail pendant vingt ans, puis pour Ipsco Steel pendant environ 14 mois.

[5]                Le 15 mai 2003, le demandeur a été déclaré coupable de plusieurs infractions criminelles, dont 14 chefs d'accusation de vol qualifié, un chef de trafic de subsistances selon la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, un chef de possession de biens de moins de 5 000 dollars obtenus par la perpétration d'une infraction criminelle selon l'alinéa 354(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, deux chefs d'emploi d'un document contrefait selon l'article 368 du Code criminel, précité, et un chef d'inobservation des promesses selon le paragraphe 145(3) du Code criminel, précité. La peine totale infligée était de quatre ans.

[6]                Les antécédents criminels du demandeur ont été portés à la connaissance des agents d'immigration, qui ont entamé le processus de renvoi en application de l'article 44 de la LIPR, non-admissibilité pour grande criminalité.

[7]                Le 15 août 2003, deux agents de Citoyenneté et Immigration, Louise Collette et Janet Norty, sont allées voir le demandeur à l'établissement de Rockwood pour l'interroger.

[8]                Le 27 août 2003, l'agente d'immigration Louise Collette a établi un rapport sur le demandeur en application du paragraphe 44(1) de la LIPR pour non-admissibilité en vertu de l'alinéa 36(1)a) de la LIPR en raison de ses condamnations pour trafic de substances et vol qualifié.

[9]                Le 24 octobre 2003, dans une note à l'intention du « Directeur, Examen des cas, Direction générale du règlement des cas, AC » , à Citoyenneté et Immigration Canada, l'agente Collette a recommandé le renvoi de l'affaire pour enquête, dont le résultat probable serait la prise d'une mesure de renvoi contre le demandeur. La recommandation a été avalisée par le Directeur du CIC de Winnipeg, John Nychek, le 3 novembre 2002.

[10]            Le 20 novembre 2003, l'agente Collette a fait parvenir au demandeur une lettre l'informant qu'une décision serait prise bientôt quant au fait de lui faire subir une enquête visant la prise d'une mesure de renvoi contre lui, et qu'il pouvait formuler des observations écrites sur la question dans les 15 jours suivant la réception de la lettre. Vers le 11 décembre 2003, ou à cette date, le demandeur a rédigé et envoyé ses observations.

[11]            Le 1er avril 2004, il a été décidé de déférer l'affaire pour enquête. L'enquête a eu lieu le 20 mai 2004, et P. Kyba a conclu que le demandeur était visé par l'alinéa 36(1)a) et a ordonné son expulsion.

[12]            Le demandeur est actuellement en détention au pénitencier de Stony Mountain, au Manitoba.

[13]            Le demandeur a déposé une demande modifiée d'autorisation et de contrôle judiciaire en application de l'ordonnance de la Cour en date du 18 août 2004, qui comprend maintenant une demande d'ordonnance annulant le renvoi à une enquête selon le paragraphe 44(2) de la LIPR signé par le représentant du ministre le 1er avril 2004.

Questions en litige

[14]            Les questions en litige formulées par le demandeur sont les suivantes :

1.          Les erreurs et les omissions de l'agente d'exécution, L. Collette, rendent-elles le rapport visé au paragraphe 44(1) et la décision du représentant du ministre manifestement déraisonnables?

2.          L'omission de transmettre au demandeur la note de service rédigée par l'agente Collette, en date du 24 octobre 2003, constitue-t-elle une violation de l'équité procédurale?

Observations du demandeur

[15]            Le demandeur ne conteste pas le contenu du rapport du 27 août 2003 rédigé par Louise Collette aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR. Toutefois, il a soutenu que les motifs de la recommandation et des conclusions ne tiennent dûment pas compte des faits. Le demandeur a déclaré que les exemples suivants montrent que le rapport était fondé sur des erreurs factuelles :

                                1. À l'entrevue, l'agente Collette a demandé simplement au demandeur [traduction] « Avez-vous de la famille au Canada? » . L'agente a ensuite conclu dans son rapport que le demandeur [traduction] « [...] n'a pas de liens étroits ni de relation significative avec sa famille immédiate, qui réside au Manitoba. Ses frères et soeurs ne participent pas au Programme de visites familiales privées offert à l'établissement » .

                                Le demandeur a soutenu qu'en fait il avait et a toujours une relation significative avec sa famille immédiate.

                                Sa famille ne l'a pas visité au moment de l'entrevue parce qu'il venait d'être transféré à l'établissement de Rockwood et que ses documents de visite étaient en traitement. L'agente d'immigration ne lui a pas demandé pourquoi il avait ou n'avait pas de visites, ni s'il avait d'autres communications avec sa famille. Sa conclusion n'était qu'une spéculation non fondée. De plus, l'agente s'est appuyée sur d'anciens renseignements provenant du pénitencier précédent où était détenu le demandeur.

                                2.              L'agente d'immigration a également noté que, [traduction] « après avoir été questionné sur ses infractions, M. Hewitt a admis avoir été impliqué dans une seule infraction à Regina, en Saskatchewan, et qu'il était le " chauffeur " du véhicule lors de la perpétration de l'infraction. M. Hewitt était peu communicatif quant aux déclarations de culpabilité multiples et n'a admis ni exprimé aucun remords quant à celles-ci » .

                                Le demandeur a soutenu que le vol qualifié était l'infraction qui lui avait valu une peine de quatre ans dans un pénitencier fédéral. Bien que la réponse demandait clarification, elle ne laissait pas croire que le demandeur mentait ni qu'il était évasif. En outre, durant l'entrevue, aucune question n'a donné lieu à une expression de remords de la part du demandeur.

                                3.             L'agente d'immigration a conclu que, [traduction] « avant son incarcération, M. Hewitt avait été autorisé à recevoir la visite surveillée de son fils biologique et que, par la suite, il avait choisi de ne pas participer aux visites. Il semble que M. Hewitt n'a pas une relation significative avec son fils » .

                                Le demandeur a soutenu qu'aucune question ne lui avait été posée durant son entrevue à propos de sa relation avec son fils et des raisons pour lesquelles il n'avait pas communiqué avec lui à ce moment-là. Or, il avait en fait une relation significative avec son fils, et il a laissé son emploi chez CP Rail afin de se rapprocher de lui. Le demandeur n'a pas communiqué avec son fils durant une courte période en raison de son incarcération.

                                4.              L'agente d'immigration a conclu que [traduction] « M. Hewitt, qui a perdu son emploi en raison de la toxicomanie, a de la difficulté à conserver son emploi et commettra probablement un acte criminel pour obtenir de l'argent pour se procurer de la drogue » .

                                Le demandeur a soutenu que la conclusion n'était pas fondée sur des faits. Il a travaillé pour CP Rail, à Winnipeg, pendant vingt ans, à temps plein, puis pour Ipsco Steel, à Regina. Il a reçu de l'aide sociale seulement pendant un mois, en février 2003, et n'a jamais reçu de prestations d'assurance-emploi. Comme il était en prison au moment de l'entrevue, il n'était pas en mesure de travailler à l'extérieur de l'établissement.

[16]            Le demandeur a soutenu que si l'agente rédige un rapport en application du paragraphe 44(1), il lui incombe de fonder ses conclusions sur les faits et non de spéculer sur les faits qui pourraient figurer dans la note de service. L'agente a eu la possibilité de poser d'autres questions pour clarifier les renseignements absents des réponses aux questions qu'elle avait posées.

[17]            L'information présentée par l'agente d'immigration est déterminante pour la décision du ministre de déférer l'affaire pour enquête en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR. La note de service du 24 octobre 2004 de l'agente Collette a servi à influencer la décision de procéder ou non à une enquête. Étant donné que les faits qu'elle contenait étaient erronés et que les conclusions étaient spéculatives et non fondées, il y a eu préjudice envers le demandeur et, en définitive, son cas a été déféré pour enquête. Le demandeur a soutenu qu'étant donné la compétence limitée de la Commission en vertu de l'article 45 de la LIPR, et qu'en l'absence d'un appel interjeté devant la Section d'appel de l'immigration, l'agente d'immigration doit s'assurer que ses conclusions sont fondées sur les faits et qu'elles sont équitables sur le plan de la procédure.

[18]            Le demandeur a ajouté qu'en raison de la gravité du rapport visé au paragraphe 44(1), la divulgation complète et équitable des faits permettant de réfuter les faits dénaturés, l'omission de fournir les renseignements contenus dans la note de service constitue une violation de l'équité procédurale (voir Andino c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CF 70. Si la documentation avait été fournie, il aurait été possible de présenter des observations plus exhaustives concernant la situation du demandeur. Cette règle s'applique peu importe que, comme l'a suggéré le défendeur, la décision de déférer l'affaire pour enquête soit purement administrative.

[19]            Si un demandeur ne peut avoir accès à l'information qu'en présentant une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-20, cette information sera inévitablement reçue après le délai de 15 jours visant les observations écrites, tout comme en vertu de l'article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, sous réserve d'une prolongation, une réponse doit être obtenue dans un délai de 30 jours.

[20]            Le demandeur a soutenu que l'agente Collette avait omis de l'informer de son droit à un avocat. Ce fait est ressorti du contre-interrogatoire de l'agente Collette durant lequel elle a confirmé qu'elles ne l'avaient pas informé de son droit à un avocat au début de l'audience. Le demandeur a été induit en erreur quant à la nature de l'entrevue et à l'utilisation de cette information. Il n'avait pas eu l'occasion d'évaluer clairement s'il avait besoin d'un avocat.

Observations du défendeur

[21]            Le défendeur a soutenu que les décisions visant à déférer l'affaire en vertu de l'article 44 de la LIPR sont purement discrétionnaires et doivent être traitées avec beaucoup de retenue. Le défendeur a ajouté que la Cour d'appel fédérale a déclaré, dans l'arrêt Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.F.), en ce qui concerne l'article 27 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, que la décision de renvoyer une personne à une enquête « a un caractère purement administratif [...] Le sous-ministre a seulement à décider que la tenue d'une enquête s'impose, ce qu'il peut faire sur le fondement d'une preuve prima facie » . La Cour a également déclaré que la décision du sous-ministre de renvoyer une personne à une enquête est une décision prise au sujet de celle-ci, et non contre elle. Par conséquent, il serait ridicule d'exiger même une instruction sur dossier relativement à la décision de tenir ou non une audience.

[22]            Le défendeur a soutenu que l'absence d'appel de la mesure de renvoi en vertu de la LIPR ne permet pas d'apporter une distinction avec l'arrêt Kindler, précité, et n'enrichit pas le contenu procédural des décisions visant à établir un rapport, ainsi que de déférer l'affaire, comme l'a suggéré le demandeur. L'article 64 de la LIPR fait ressortir l'intention du Parlement d'accélérer le processus de renvoi des grands criminels et de restreindre la portée de l'équité procédurale pertinente pour la prise de mesures de renvoi contre ceux-ci. L'emprunt de garanties procédurales comme les obligations de donner un avis et de divulguer des renseignements, et le droit de présenter des observations à l'étape du renvoi de l'affaire est tout simplement contraire à l'intention du Parlement. Il ne tient pas compte non plus du fait que le demandeur a d'autres recours légaux.

[23]            Le défendeur a soutenu que la Cour a conclu, dans la décision Leong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 782, que l'équité procédurale n'a pas été violée du fait que l'avocat n'a pu présenter des observations avant que l'affaire ne soit déférée en vertu du paragraphe 44(2). En l'espèce, l'avocat a eu la possibilité de présenter des observations. Si le droit de présenter des observations avant la prise d'une décision de déférer une affaire n'existe même pas, il est certain que le droit supplémentaire de divulguer des renseignements assorti de la possibilité de présenter des observations sur ces renseignements avant la prise d'une décision en vertu du paragraphe 44(2) n'existe pas.

[24]            Le défendeur a ajouté que, étant donné que, selon le libellé de l'article 44, les critères sont subjectifs, la Cour devrait faire preuve de retenue. Le défendeur a allégué que l'obligation d'équité relativement à une décision de déférer une affaire en application du paragraphe 44(2) de la LIPR est faible et ne vise pas les droits exigés par le demandeur.

Erreurs présumées et conclusions non fondées dans la note de service

[25]            Le défendeur a reconnu que la décision est fondée principalement sur le rapport lui-même. Dans la décision récente Poonawalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 FC 371, qui concerne une contestation de la décision d'une représentante du ministre de renvoyer un rapport au ministre lui recommandant de procéder à une enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, la Cour a déclaré : « Il ne s'agit pas de savoir si la représentante du ministre a bien appliqué les lignes directrices ou a accordé un poids suffisant aux facteurs pertinents, mais si l'on peut établir que Mme Hill n'a pas tenu compte des bons facteurs. »

[26]            Le défendeur a soutenu que, à titre subsidiaire, la note de service n'est pas viciée, comme le prétend le demandeur.

Relation du demandeur avec sa famille

[27]            Le défendeur a soutenu que l'agente Collette n'était pas tenue d'interroger le demandeur, encore moins de lui demander un renseignement particulier. L'entrevue visant à établir la situation du demandeur au Canada. De plus, le demandeur a eu la possibilité de fournir au représentant du ministre des renseignements concernant sa relation avec sa famille, y compris les observations de l'avocat et des lettres de son père, d'un frère et de deux soeurs, ce qu'il a fait. Le représentant du ministre aurait donc examiné la relation du demandeur avec sa famille telle que le demandeur et les membres de sa famille eux-mêmes l'ont présentée.

Attitude du demandeur à l'égard de ses déclarations de culpabilité

[28]            Le défendeur a soutenu que, lorsqu'on avait demandé au demandeur s'il avait été condamné pour un crime au Canada et qu'il avait répondu oui, pour vol à main armée, il n'avait mentionné aucune des quatre autres infractions pour lesquelles il avait été déclaré coupable. Lorsqu'on lui a demandé ce qui s'était passé, il n'a pas expliqué pourquoi il s'était retrouvé dans cette situation; il a plutôt déclaré qu'il avait été accusé de vol à main armée à Regina, qu'il était le conducteur et qu'il avait un complice. Par ailleurs, l'agente Collette a déclaré que les conclusions de sa note de service n'étaient pas fondées que sur son entrevue avec le demandeur, mais dans une grande mesure sur la documentation du pénitencier de la Saskatchewan, dont certains passages concordaient avec la manière dont le demandeur avait expliqué sa situation, c'est-à-dire afin de minimiser ses méfaits.

Relation du demandeur avec son fils

[29]            Le défendeur a soutenu que le demandeur ne contestait pas le fait qu'il n'avait eu que des visites surveillées avec son fils et qu'il y avait mis fin avant d'être incarcéré, ce qui a corroboré la conclusion de l'agente. En outre, le frère du demandeur a déclaré au personnel du service correctionnel qu'il croyait que le demandeur avait décidé de ne pas revoir son fils avant que ce dernier n'ait atteint l'âge de prendre ses propres décisions. Par conséquent, la déclaration de l'agente était fondée sur la preuve qu'elle avait en mains.

Dépendance, perte d'emploi et propension au crime

[30]            Le défendeur a soutenu que les déclarations de l'agente Collette étaient appuyées et étayées par la documentation provenant du pénitencier de la Saskatchewan.

Autre exposé des arguments du défendeur

[31]            Le défendeur a soutenu que si la Cour conclut qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale, il s'agit alors d'un des rares cas où la réparation doit être refusée malgré ce manquement. Il est tout à fait inutile de répéter un processus pour en arriver au même résultat, ce qui, compte tenu des faits de l'espèce et de la jurisprudence de la Cour, serait inévitable (voir Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 253 F.T.R.).

[32]            Le défendeur a soutenu que les erreurs présumées de la note de service ont trait aux facteurs d'ordre humanitaire. Toutefois, ni l'agente Collette ni le représentant du ministre n'ont la compétence d'examiner les facteurs d'ordre humanitaire en vertu de l'article 44 de la LIPR. À ce titre, les erreurs qui peuvent avoir été commises durant l'évaluation de ces facteurs sont sans importance parce qu'elles n'ont aucune incidence sur la validité de la décision de déférer l'affaire pour enquête (voir Correia, précitée, et Leong, précitée).

[33]            Le défendeur a soutenu que deux des quatre erreurs présumées de la note de service n'ont pas été prises en considération par le représentant du ministre. En particulier, (i) l'opinion de l'agente Collette selon laquelle le demandeur n'avait pas de liens étroits ni de relation significative avec sa famille immédiate qui réside au Manitoba et (ii) l'opinion de l'agente Collette selon laquelle le demandeur [traduction] « qui a perdu son emploi en raison de la toxicomanie, a de la difficulté à conserver son emploi et commettra probablement un acte criminel pour obtenir de l'argent pour se procurer de la drogue » .

[34]            Le défendeur a ajouté que les deux autres erreurs présumées sur lesquelles s'était fondé le représentant du ministre étaient des opinions formulées raisonnablement par l'agente Collette en fonction de l'information dont elle disposait.

Réparation demandée par le demandeur

[35]            Le défendeur a soutenu que la Cour n'a pas la compétence d'accorder [traduction] « un sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion tant qu'une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire ne puisse être évaluée » . L'ordonnance demandée par le demandeur viole l'exigence voulant qu'un sursis d'exécution d'une mesure d'expulsion soit limité par l'existence d'une demande en suspens. Une fois que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, le sursis ne s'applique plus.

[36]            Le défendeur a demandé que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et que la Cour ordonne de modifier l'intitulé afin de nommer le Solliciteur général du Canada comme défendeur, en remplacement du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

Dispositions législatives pertinentes

[37]            Les articles 36, 44 et 45 de la LIPR énoncent en partie ce qui suit :



36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants:

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

. . .

44. (1) S'il estime que le résident permanent ou l'étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l'agent peut établir un rapport circonstancié, qu'il transmet au ministre.

(2) S'il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête, sauf s'il s'agit d'un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu'il n'a pas respecté l'obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d'un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

. . .

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l'immigration rend telle des décisions suivantes:

a) reconnaître le droit d'entrer au Canada au citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, à la personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et au résident permanent;

b) octroyer à l'étranger le statut de résident permanent ou temporaire sur preuve qu'il se conforme à la présente loi;

c) autoriser le résident permanent ou l'étranger à entrer, avec ou sans conditions, au Canada pour contrôle complémentaire;

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l'étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n'est pas prouvé qu'il n'est pas interdit de territoire, ou contre l'étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu'il est interdit de territoire.

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

. . .

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

. . .

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

(a) recognize the right to enter Canada of a Canadian citizen within the meaning of the Citizenship Act, a person registered as an Indian under the Indian Act or a permanent resident;

(b) grant permanent resident status or temporary resident status to a foreign national if it is satisfied that the foreign national meets the requirements of this Act;

(c) authorize a permanent resident or a foreign national, with or without conditions, to enter Canada for further examination; or

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

Analyse et décision

[38]            Première question

            Les erreurs et les omissions de l'agente d'exécution L. Collette rendent-elles le rapport visé au paragraphe 44(1) et la décision du représentant du ministre manifestement déraisonnables?

            Selon le document intitulé Admissibility Hearing for Long-term Permanent Resident B A44(1) utilisé dans la décision de déférer l'affaire pour enquête :

                                [traduction] [...] l'agente chargée du rapport au CIC de Winnipeg mentionne que l'intéressé était peu communicatif quant à ses déclarations de culpabilité multiples et n'a admis ni exprimé aucun remords pour ses infractions. [...]Avant son incarcération, M. Hewitt était autorisé à recevoir la visite surveillée de son fils biologique mais il avait choisi de ne pas participer aux visites. Outre le soutien financier qu'il lui apporte, M. Hewitt n'a pas, semble-t-il, une relation significative avec son fils. Ayant examiné toutes les circonstances de l'espèce, je suis d'avis que la gravité des infractions commises par l'intéressé l'emporte sur les facteurs d'ordre humanitaire.

[39]            Les parties soulignées ci-dessus sont des citations directes des notes de l'agente Collette, datées du 24 octobre 2003, ce qui veut dire que les conclusions de l'agente ont été utilisées dans la recommandation subséquente qui a donné lieu à la décision de déférer l'affaire pour enquête.

[40]            Je suis d'accord avec le demandeur pour dire que certaines constatations et conclusions factuelles tirées par l'agente sont erronées, par exemple, les conclusions de l'agente concernant la relation du demandeur avec son fils et son absence de remords. Ces erreurs ont fait partie de la décision finale de déférer l'affaire.

[41]            À mon sens, étant donné que certaines considérations sur lesquelles le refus était fondé ne sont pas exactes quant aux faits, la décision ne peut être maintenue. Je n'ai aucune façon de savoir quelle aurait été la recommandation si les faits exacts avaient été pris en considération. La décision est manifestement déraisonnable parce qu'elle n'est pas fondée sur des faits exacts.

[42]            Le demandeur a demandé que l'intitulé soit modifié par le remplacement du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration par le Solliciteur général du Canada à titre de défendeur. Cette demande est accordée.

[43]            Étant donné mes conclusions précédentes, je ne statuerai pas sur l'autre question.

[44]            La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie.

[45]            Les parties ont une semaine à partir de la date de la présente décision pour me soumettre toute question sérieuse d'importance générale aux fins de certification et un délai supplémentaire de cinq jours pour toute réponse aux questions soumises.

                                                                                                            « John A. O'Keefe »                 

                                                                                                                        Juge

Ottawa (Ontario)

Le 1er juin 2005

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5001-04

INTITULÉ :                                                    TIMOTHY HEWITT

                                                                        et

                                                           

                                                                        LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 10 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 1ER JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Linda Minuk                                                      POUR LE DEMANDEUR

Sharlene Telles-Langdon                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Minuk Law                                                        POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Manitoba)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

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