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Date : 20041215

Dossier : T-109-97

Référence : 2004 CF 1743

Toronto (Ontario), le 15 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                             DOUGLAS GILLING

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                                 ALLEN COX et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE LE SEPTEMBER (autrement appelé le DESPERADO)

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]                Dans un acte de vente daté du 1er mars 1994, M. Allen Cox (le défendeur), agissant apparemment pour le compte de M. Douglas Gilling (le demandeur), a vendu le navire le September (le navire) à Mme Denise Sheppard, une citoyenne canadienne. Le 15 septembre 1994, la vente a été enregistrée au port de Toronto, Transports Canada, à l'Immatriculation des navires et enregistrement des marins (Registre canadien). Jusqu'à récemment, selon le Registre canadien, Mme Sheppard était la seule propriétaire du navire qui, depuis, a été renommé le « Desperado » .

[2]                Dans la présente action intentée en janvier 1997 et modifiée le 15 novembre 2004, le demandeur sollicite les réparations suivantes :

a)          une déclaration selon laquelle le demandeur est le propriétaire du navire;

b)          une ordonnance exigeant que le défendeur rende le navire au demandeur;

c)          une déclaration selon laquelle le contrat de vente daté du 1er mars 1994 et qui était censé constater la vente du navire à Mme Sheppard est nul et non avenu;

d)          des dommages-intérêts généraux de 500 000 $ payables par le défendeur;

e)          des dommages-intérêts spéciaux de 440 000 $ payables par le défendeur;

f)           des dommages-intérêts punitifs de 20 000 $ payables par le défendeur;

g)          des dommages-intérêts exemplaires de 20 000 $ payables par le défendeur;

h)          toute autre ordonnance que la Cour estime équitable;

i)           les dépens sur la base procureur-client;

j)           les intérêts avant et après jugement en conformité avec la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications (la Loi).

[3]                La déclaration originale du demandeur visait également, à titre de codéfendeurs, Sa Majesté du chef du Canada (Sa Majesté) et Mme Sheppard (collectivement, les autres défenderesses). Les trois défendeurs ont contesté la poursuite et chacun d'eux a déposé une défense distincte. Mme Sheppard a présenté une demande reconventionnelle dans laquelle elle réclamait des dommages-intérêts de 168 975 $ du demandeur, ainsi que des dommages-intérêts punitifs et exemplaires de 20 000 $. Dans une ordonnance datée du 15 décembre 2003, la question a été mise au rôle et le procès devait commencer le 15 novembre 2004, à Ottawa. Entre-temps, le demandeur et les autres défenderesses ont conclu des règlements distincts. Par conséquent, des avis de désistement ont été signifiés et déposés au cours du mois de novembre 2004. Il ne restait plus que la poursuite intentée contre le défendeur en l'espèce, M. Allen Cox. Une semaine avant le procès, le protonotaire Morneau a rejeté la requête qui a été présentée à la dernière minute par le défendeur en vue de différer le procès.


[4]                Le demandeur a comparu le 15 novembre 2004, mais le défendeur n'était pas présent à l'audience (qui, soit dit en passant, s'est terminée le 16 novembre 2004). L'avocat de Sa Majesté, M. Carter, a également comparu à la demande de la Cour. M. Carter a confirmé, pendant l'audience, qu'il était autorisé à s'exprimer au nom de Sa Majesté, ainsi qu'au nom de M. Fortier, avocat de Mme Sheppard, concernant les modalités des récents règlements. Il a également proposé de jouer le rôle d'intervenant désintéressé. Convaincue que l'avis d'audience avait été dûment remis au défendeur, et considérant qu'il n'était pas dans l'intérêt de la justice de différer le procès, la Cour a entendu l'affaire en l'absence du défendeur. Étant également d'avis que tant le demandeur que le défendeur se représentent eux-mêmes, la Cour a désigné M. Carter et son collègue, M. Lester, intervenants désintéressés.

[5]                Le demandeur a longuement témoigné, au procès, concernant les événements qui l'avaient amené à intenter la présente action, ainsi que sur les pertes et dommages qu'il réclame du défendeur. Aucun autre témoin n'a été entendu pendant l'audience. Toutefois, la Cour a accepté l'affidavit d'un certain Tony Stephen Pringle qui, conformément aux instructions préalables au procès, avait été dûment signifié et déposé le 18 juin 2004 par le demandeur, pour les fins du procès.

[6]                Le demandeur est né en 1921. Il est un résident australien et un architecte à la retraite. En 1976, il a confié à une entreprise de constructeurs de Hong Kong, Cheoy Lee Shipyards, le mandat de construire le navire, un Offshore 47. Il s'agit d'un yacht à voiles, connu sous le nom de ketch, qui a été lancé en décembre 1976. Avant de quitter Hong Kong, à bord le navire, le demandeur l'a enregistré au Registre de Hong Kong. Un certificat d'immatriculation britannique contenant tous les détails au sujet du navire le « September » a été émis en faveur au demandeur.


[7]                Avec un équipage de quatre personnes, le demandeur a quitté Hong Kong en décembre 1976 pour naviguer jusqu'en Europe en passant par le canal de Suez. À la fin de ce voyage qui s'est terminé à Rhodes, en Grèce, il a confié la garde du navire à un des membres de l'équipage, Michael Wignall. M. Wignall est demeuré à bord jusqu'à la fin de 1979. Pendant cette période, il a été responsable du navire et il l'a affrété en vertu d'une entente selon laquelle le demandeur lui enverrait des amis d'Australie qui affréteraient le navire. Sur une période d'environ 18 mois, il y a eu trois affrètements semblables. En décembre 1979, M. Wignall avait d'autres soucis, notamment parce qu'il allait bientôt être père. Le navire est demeuré pendant un certain temps à Bodrum, en Turquie, puis il a quitté Bodrum pour mouiller à Kusadasi, également en Turquie.

[8]                Le demandeur a dit qu'il avait été incapable de retourner sur le navire entre la fin de 1981 et juillet 1985, quand il s'est rendu à Kusadasi. Il a constaté que le navire avait besoin d'un grand carénage puisque, pendant plusieurs années, quasi personne ne s'en était occupé. Le navire a été mis à sec et installé sur « cale » . Les espars et le mat ont été démontés. Pendant qu'il était en train de repeindre le bateau, le demandeur a rencontré le défendeur, Allen Cox. Ce dernier s'est présenté en affirmant qu'il était un citoyen britannique également propriétaire d'un navire, un yacht de 36 pieds, le Chaika of Vah, qu'il affrétait depuis plusieurs années. Le défendeur a demandé au demandeur s'il voulait embaucher son fils de 17 ans, Allen Cox Junior, appelé Fred, comme aide supplémentaire, en sus de lui-même et de M. Pringle. Ce dernier, un constructeur et ébéniste, et également futur gendre du demandeur, aidait le demandeur à remettre en état les pièces de bois. Le demandeur avait beaucoup à faire tant pour repeindre le navire que pour vernir les espars. Par conséquent, le demandeur a embauché Fred qui devait les aider. Lorsque Fred a été embauché, le défendeur a choisi, de bon gré, de participer au travail, surtout pour repeindre la coque.



[9]                Tant le demandeur que M. Pringle ont été frappés par les talents du défendeur. Il était évident que ce dernier était un excellent artisan. Toutefois, le défendeur et son fils passaient le temps en attendant l'arrivée d'Angleterre de Valerie Cox, qui était alors l'épouse du défendeur, (ainsi que l'arrivée de leur fille et d'une soeur). Ils devaient prendre des vacances sur leur navire, le Chaika of Vah. Quelques jours avant le départ prévu, le demandeur a décidé de présenter l'offre suivante au défendeur (offre qui a été présentée un soir, alors qu'ils dînaient ensemble avec M. Pringle et le fils du défendeur, à Kusadasi). Si le défendeur veillait à ce que le « September » soit en suffisamment bon état pour attirer des clients intéressants et s'il payait les dépenses quotidiennes, le défendeur pourrait conserver toutes les sommes qu'il gagnerait en affrétant le navire. Il semble que le défendeur affrétait son propre navire depuis quelques années en Turquie. Cependant, il avait eu certaines difficultés parce que le navire, qui ne disposait que de 4 ou 5 lits, était réellement trop petit pour que l'entreprise soit rentable. Par conséquent, le demandeur était d'avis que le défendeur pourrait gagner passablement d'argent s'il pouvait disposer à la fois de son navire et du September. Par contre, l'entente permettrait au demandeur de ne plus avoir à payer les frais d'entretien réels du navire. Le demandeur a dit qu'il n'y avait eu aucune entente concernant le paiement d'un salaire de capitaine au défendeur en contrepartie de l'entretien et de l'exploitation du navire. Comme l'a expliqué le demandeur, ce type d'entente en vertu duquel le propriétaire d'un yacht remet ce dernier à un affréteur qui s'en occupe était très fréquente dans l'affrètement de yachts. Il y avait de telles ententes en Floride et dans les Caraïbes et, dans une large mesure, en Europe. Cela dit, le demandeur a également affirmé que [traduction] « s'il fallait engager des dépenses importantes, autres que celles qui découleraient des contrats d'affrètement » , il en assumerait la responsabilité financière. Le défendeur a tout de suite accepté l'offre du demandeur.

[10]            Avant de quitter Kusadasi avec sa famille, le défendeur a dit au demandeur : [traduction] « Quand je reviendrai de vacances, il faudra que je sois autorisé à agir, non seulement en rapport avec les travaux supplémentaires qui doivent être effectués sur le navire, mais aussi à me trouver sur votre navire » . Bien entendu, le demandeur a accepté cette condition. Le demandeur a aussitôt signé un document manuscrit dans lequel il nommait le défendeur capitaine du navire pendant qu'il se trouvait toujours à Kusadasi. En outre, au cours des jours ou des semaines qui ont suivi, le demandeur a continué à effectuer les travaux de radoub avec M. Pringle, qui a dû alors retourner en Australie. Le demandeur a également préparé, pour le défendeur lorsqu'il reviendrait à Kusadasi, un rapport concernant les travaux qui avaient été effectués sur le navire, ainsi qu'un inventaire des biens et de l'équipement. Il a remis le rapport aux personnes qui se trouvaient sur le bateau voisin de celui du défendeur (elles s'étaient engagées à lui remettre le document à son retour). Le demandeur a quitté la Turquie au cours du mois de septembre 1985. En sus de l'engagement qu'il avait déjà donné au défendeur, le demandeur a signé, le 7 mars 1986, en Australie, une procuration et un document attestant que le défendeur était le capitaine du navire (pièces P-7 et P-8).

[11]            Le demandeur a déclaré qu'en Turquie, la saison des affrètements commence à la mi-avril et se termine à la mi-septembre. Elle dure donc presque 20 semaines. Selon l'entente que le défendeur avait en rapport avec son propre navire, le Chaika of Vah, une fois la saison terminée en septembre, il remisait le navire et, en règle générale, il se rendait en Angleterre pour passer Noël avec sa famille et il revenait en Turquie en mars pour préparer le navire en vue de la nouvelle saison. Le demandeur a dit qu'il ne participait pas aux activités d'affrètement. Il disposait de peu de renseignements, sinon aucun, concernant les activités d'affrètement dont s'occupait réellement le défendeur, sauf pour les renseignements obtenus, à l'occasion, du défendeur ou de son épouse. Cela dit, le demandeur a affirmé que l'année 1986 avait été très peu rentable pour le défendeur. Cette année-là, il y avait eu le détournement de l'Achille Lauro en Méditerranée. Par conséquent, les Américains avaient évité l'Europe. En 1987, le défendeur a écrit au demandeur pour lui demander s'il était vrai qu'il avait l'intention de vendre le navire. Dans sa lettre, le défendeur a dit : [traduction] « [...] j'ai tellement travaillé pour que le September devienne un navire quasi de première cote que je serais vraiment poussé à bout si vous le vendiez maintenant. En outre, je me suis fait de nouveaux contacts partout au monde, et j'ai l'impression qu'il me faudra au moins cinq ans pour récupérer les frais que j'ai engagés [...] » . Toutefois, le demandeur n'avait pas du tout l'intention de vendre le navire et il a de nouveau rassuré le défendeur.


[12]            Apparemment, rien de particulier ne s'est produit en 1988 et en 1989. Le 27 février 1990, le demandeur s'est enquis de la possibilité qu'un de ses amis affrète le navire du 25 août au 8 septembre 1990, et il a demandé au défendeur de confirmer la disponibilité du navire, ainsi que les tarifs et modalités d'affrètement. Le 20 mars 1990, Valerie Cox lui a répondu ceci : [traduction] « Oui, le September est disponible du 25 août au 8 septembre; en fait, nous n'avons que deux réservations cette année [...] les frais d'affrètement sont de 2 250 £ par semaine pour le capitaine et l'hôtesse et ces frais comprennent le petit déjeuner et un repas léger, le midi » . D'ailleurs, Valerie Cox a mentionné, dans sa lettre : [traduction] « Les choses vont très mal. Je dis qu'il [le September] est disponible mais, bien entendu, il sera disponible si Allen gagne suffisamment d'argent pour pouvoir y demeurer tout l'été » . Puis, la lettre contient une mise en garde : [traduction] « Bien entendu, nous serons fort heureux que vos amis viennent à bord pour des vacances, pourvu qu'ils ne fassent pas comme Bill Burrows qui a décidé, à la dernière minute, de ne pas se présenter » . Le demandeur a dit que M. Burrows était un ami architecte qui avait décidé de ne pas se présenter, à la dernière minute. Après la nomination du défendeur au poste de capitaine du navire en 1985, ce sont les deux seuls affrètements organisés depuis l'Australie par l'entreprise du demandeur.


[13]            Le demandeur a dit qu'il avait conclu un accord accessoire avec le défendeur selon lequel, si le défendeur organisait un affrètement depuis l'Australie, il toucherait 50 p. 100 des frais demandés. Toutefois, le demandeur n'a jamais réellement cherché à tirer de l'argent des affrètements. Comme il l'a mentionné dans son témoignage : [traduction] « Je n'avais pas du tout l'intention de "faire un battage publicitaire pour trouver des contrats" comme on dit en Australie. J'avais d'autres choses à faire à l'époque » . En outre, le demandeur avait déjà eu ce type d'expérience lors des trois affrètements de la fin des années 1970, au cours des 18 mois de l'entente qu'il avait eue avec M. Wignall. [traduction] « Mais alors, après avoir touché les sommes d'argent provenant des affrètements en Australie, j'ai eu certaines difficultés quand mon comptable m'a dit : " Eh bien, comment allons-nous expliquer ce revenu dans votre déclaration d'impôt? " J'ai répondu : " Il s'agit tout simplement d'un revenu que j'ai gagné personnellement. " Et il a dit : " Eh bien, dans ces circonstances, vous pourrez sans doute réclamer la dépréciation du navire à des fins fiscales " et j'ai dit : " Eh bien, il me semble que cela entraîne d'énormes difficultés" et d'ailleurs, cela était vrai. Le ministère du Revenu s'est montré très méfiant à l'égard de cette entente et je ne voulais pas, cinq ou six ans plus tard, qu'il m'arrive de nouveau la même chose » .


[14]            Le demandeur ne serait pas retourné en Turquie de 1985 à 1997. Ces années ont été difficiles sur le plan professionnel, de sorte que le demandeur est demeuré en Australie. Le demandeur a également ajouté que pendant toutes ces années, il a très peu, sinon jamais, communiqué avec le défendeur et il a expliqué : [traduction] « [...] Je continuais en étant profondément convaincu qu'en fait, l'entente que nous avions conclue depuis assez longtemps se passait bien » . Toutefois, la Cour constate à cet égard que la preuve documentaire que le demandeur a lui-même produit au procès soulève un doute important au sujet de la véracité de son affirmation. Quoi qu'il en soit, en novembre 1992, le demandeur a reçu une lettre non datée de trois pages, envoyée sous pli recommandé par le défendeur, dans laquelle ce dernier prétendait que le demandeur lui devait une importante somme d'argent en rapport notamment avec l'entretien, les réparations, les renouvellements, les assurances et les frais de marina et se plaignait en outre du fait que : [traduction] « puisque vous n'avez pas respecté notre entente originale, vous me devez maintenant de l'argent pour le temps, les heures et les heures de travail que j'ai consacrées à faire en sorte que le September, qui n'était qu'une coque vide et pourrie, devienne un yacht navigable. »

[15]            Dans sa lettre de novembre 1992, le défendeur se plaignait du fait que le demandeur n'avait pas, au cours des années précédentes, répondu à ses lettres et qu'il ne s'était jamais intéressé au navire. Le défendeur parlait expressément de sa lettre précédente du 20 mars 1990 (et non de la courte lettre de Valerie Cox datée du même jour; il s'agissait d'une lettre assez longue rédigée par le défendeur lui-même) et de toutes les lettres envoyées en 1991, dont apparemment aucune n'avait reçu de réponse. Le demandeur n'a pas produit cette correspondance, mais il n'a pas non plus dit à l'audience qu'il ne l'avait pas reçue. Plus important encore toutefois, le défendeur annonçait également au demandeur que le navire présentait de nombreux vices de construction et vices cachés. Les problèmes en cause étaient graves et le demandeur devait s'en occuper immédiatement. Le défendeur avait déjà engagé d'importantes sommes d'argent ou allait bientôt les engager. À cet égard, le défendeur était d'avis qu'il n'était pas responsable de ces dépenses en vertu de l'entente qu'il avait conclue avec le demandeur.

[16]            Voici les parties pertinentes de la lettre de novembre 1992 :


[traduction]

En octobre 1991, des fissures sont apparues sur le September, vers le saloon. Je retournais à Marmaris sous des vents très forts. J'ai dû baisser les voiles et recourir au moteur. Deux plaques d'acier s'étaient séparées, c.-à-d. qu'elles s'étaient cassées en morceaux, les photographies sont incluses. (J'ai appuyé de photos tout ce que j'affirme dans la lettre et j'ai expliqué, à l'endos de chaque photo, à titre d'information, ce qu'on y voit). J'ai presque perdu le mât. Un examen plus soutenu a révélé qu'un raccord de la proue était fêlé, que la soudure avait lâché et qu'il fallait le remplacer.

Le hauban s'est abîmé et a dû être remplacé. Il a fallu travailler tout l'hiver pour que le September soit en service avant le 1er mai. J'ai travaillé 14 heures par jour.

Je n'ai jamais eu l'intention de travailler autant sur le September ; les travaux à eux seuls (voir les photos) m'ont coûté plus de 10 000 £ . J'ai remplacé toutes les pièces d'acier du September, de la poupe à la proue, même les accessoires de mâture ont dû être remplacés. Il a fallu enlever les mâts qui menaçaient de tomber. Je ne suis pas certain Doug, mais je pense que vous seriez justifié de présenter une réclamation à Cheoy Lee. Je peux obtenir les services d'un expert d'assurance qui confirmera tous les travaux que j'ai effectués, mais cela coûtera 60 £ . Je ne veux pas payer cette somme, il s'agit de votre responsabilité.

Si vous décidez de contacter Cheoy Lee et qu'ils disent que le September est un cas isolé, vous pouvez leur dire que le yacht Eole, un bateau français qui se trouve ici, avec le September, a les mêmes problèmes et que cela pourra être confirmé.

Je veux être juste dans cette affaire puisque j'ai travaillé sur le September, mais sans le soutien et l'aide financière que vous aviez promis et je n'ai pas gagné suffisamment d'argent pour résoudre tous les problèmes que le navire a eus.

Cette année, les matériaux à eux seuls ont coûté plus de 3 000 £ . J'ai du remplacer les cloisons du saloon et de la cabine arrière.Le système d'échappement a dû être arraché et remplacé. Les mâts ont dû être réparés, vernis et les gréements remplacés. J'ai dû consacrer beaucoup d'heures à effectuer des travaux de fibre de verre, à remplacer les cloisons sous les lits et j'ai dû fournir et installer notamment de nouveaux coulisseaux et supports des tiroirs.

Récemment, en polissant la coque, j'ai découvert de toutes petites fissures dans la cloison avant, c.-à-d. le puits aux chaînes. Cela m'inquiète beaucoup, mais je ne peux rien faire avant la fin de la saison. Cependant, cela veut dire qu'il faudra beaucoup travailler et, par la suite, pour renforcer la proue. À un moment ou l'autre, il y a eu des travaux dans cette partie du September et cela aurait pu causer les fissures, je l'ignore, mais ce que je sais c'est que le September n'a pas été bien construit. J'avais l'impression qu'il avait été construit sous la surveillance de Lloyds, mais cela n'est certainement pas le cas. Les supports du moteur se sont détachés de la coque, le moteur s'est renversé, ce qui a cassé les supports et l'attelage. Maintenant, je constate que le support de la batterie se détache de la coque. Il s'agit d'une tâche sans fin pour que le navire ne tombe pas en ruine.

(Non souligné dans l'original.)


[17]            Dans sa lettre de novembre 1992, le défendeur a conclu : [traduction] « Doug, vous me devez maintenant près de 40 000 £ pour toutes les années pendant lesquelles je me suis occupé du September pour vous. Je serais disposé à accepter la somme de 35 000 £ , mais il faudrait vraiment que vous me présentiez une proposition ferme concernant le règlement de cette dette. À chaque année, j'investis de plus en plus de mon propre argent dans le September et je n'obtiens rien en retour. C'est maintenant que je dois avoir de vos nouvelles. » (Non souligné dans l'original.) Il est important de mentionner que, dans cette lettre, le défendeur a également dit au demandeur : [traduction] « Je veux savoir si vous pouvez me payer la somme que vous me devez en argent comptant ou alors, il faudra me remettre le September en vertu d'un contrat de vente valable, en remplacement des sommes dues et des services rendus [...] Si vous ne répondez pas à la présente lettre, je serai obligé de contacter mon avocat et ensuite, de trouver un acheteur pour le September. » (Non souligné dans l'original.)


[18]            Le demandeur a dit que la réclamation du défendeur lui avait fait l'effet d'un [traduction] « coup de tonnerre » et qu'il avait été [traduction] « très étonné » puisqu'il n'avait rien reçu pendant cette période pouvant justifier une réclamation de 40 000 £ . La Cour estime qu'à cet égard, le témoignage du demandeur n'est pas très convaincant. Dans son témoignage, le demandeur n'a rien dit concernant les nombreuses plaintes dont faisait état la lettre de novembre 1992, sauf pour dire qu'il ne devait aucun salaire au défendeur et que ce dernier était seul responsable de l'entretien du navire. Apparemment, le demandeur ne s'est pas renseigné concernant l'exactitude des déclarations du défendeur dans sa lettre. Il semble également que la lettre de novembre 1992 contenait des photographies. Les photographies n'ont pas été produites à l'audience. En outre, le demandeur a déjà reconnu, dans son témoignage, qu'il était seul responsable des [traduction] « dépenses importantes en immobilisations » . D'ailleurs, il a dit que déjà, en 1985 : [traduction] « il y avait des travaux importants qui devaient être effectués sur le navire et je devais fournir les matériaux selon une liste sur laquelle nous nous étions entendus » . Il s'agissait, en particulier, des couvre-voiles et de l'auvent qui se trouvait au-dessus du cockpit. Le demandeur a également dit qu'en 1985, le défendeur avait attiré son attention sur le fait que le pied en aluminium sur lequel la barre reposait, ainsi que la roue de gouvernail, un montant creux dans lequel sont cachés les filins du gouvernail, était fêlé. Puisqu'il s'agissait de fonte d'aluminium, l'une des pointes était fêlée et le demandeur s'était engagé à la remplacer en déposant une commande auprès de Cheoy Lee Shipyards leur demandant d'envoyer le pied en Turquie. Il semble que, après 1986 ou 1987, le défendeur n'aurait reçu ni avance ni remboursement en rapport avec des dépenses de nature d' « immobilisations » . En prenant pour acquis que les allégations de vices de construction ou de vices cachés soulevées par le défendeur dans sa lettre de novembre 1992 étaient fondées, le défendeur était certainement justifié de prétendre qu'il s'agissait de dépenses en « immobilisations » qui n'étaient pas tout simplement reliées à l'entretien du navire. Par conséquent, le demandeur devrait donner, à l'avance, de l'argent au défendeur et lui rembourser ces sommes.

[19]            Le demandeur a dit qu'après avoir reçu la lettre de novembre 1992, il avait tout de suite demandé conseil à un avocat. Toutefois, contrairement aux conseils que l'avocat lui a donnés, il ne s'est pas empressé d'annuler la procuration, ni la nomination au poste de capitaine qu'il avait données au défendeur. Le demandeur a expliqué : [traduction] « Je n'étais pas en mesure de m'occuper immédiatement du navire puisque, en quelque sorte, mon navire aurait été ballotté sur la mer, en Turquie, sans aucune surveillance. Alors ce que j'ai fait, j'ai tenu compte de la deuxième partie des conseils de mon avocat, qui étaient de négocier une entente avec M. Cox. » Le demandeur n'a pas précisé la nature de cette « entente » à la Cour. Apparemment, le demandeur a envoyé une lettre au défendeur [traduction] « qui malheureusement a été perdue; mais il est reconnu que la lettre a été reçue » . Dans son témoignage, le demandeur a été très évasif au sujet du contenu de la lettre. D'ailleurs, la Cour n'est au courant d'aucune proposition ou offre que le demandeur aurait pu présenter à l'époque afin de régler la réclamation de 40 000 £ du défendeur. En même temps, la Cour constate que le 2 décembre 1992, l'inscription du navire sur le Registre des navires de Hong Kong a été suspendue et qu'un certificat d'annulation d'immatriculation a été émis suivant l'omission, par le demandeur, de payer les droits de tonnage annuels. À cet égard, le demandeur a expliqué que le Registre de Hong Kong avait modifié les règles de sorte qu'ils exigeaient des droits annuels d'immatriculation tellement élevés qu'il s'agissait presque, selon le demandeur, d'une forme d' « extorsion » . Le demandeur n'a pas précisé, dans son témoignage, le montant exact de ces droits annuels.

[20]            À la fin du mois de janvier 1993, le demandeur a eu une conversation téléphonique avec le défendeur. Le demandeur n'a pas dit à la Cour ce qu'il aurait dit ou offert au défendeur à ce moment-là, ni s'il lui avait proposé de l'argent. En outre, il n'a pas non plus dit à la Cour s'il était en mesure, sur le plan financier, de payer les frais de réparation du navire et de rembourser le défendeur les dépenses de la nature d'immobilisations. Ce qui est certain toutefois, c'est que le demandeur voulait connaître les divers éléments des montants réclamés, puisque ceux-ci comprenaient également les gages impayés qui, selon le demandeur, n'étaient pas dus au défendeur. Cependant, le demandeur a déclaré qu'en 1986, il avait versé une somme d'argent au fils du défendeur à titre de « salaire » . Suivant leur conversation téléphonique, en janvier 1993, le demandeur a reçu une lettre d'une page non signée du défendeur, lettre qui était datée du 19 février 1993. Le défendeur n'avait tout simplement plus confiance en le demandeur. Il ne voulait pas traiter directement avec lui et il lui demandait le nom et l'adresse de ses avocats. Il n'y a aucune preuve que les renseignements demandés dans la lettre datée du 19 février 1993 ont réellement été transmis au défendeur, par le demandeur.


[21]            Le 9 mars 1993, le défendeur a de nouveau écrit au demandeur pour l'aviser que son numéro de télécopieur avait changé. Le défendeur voulait également lui dire que : [traduction] « Val et moi avons divorcé (elle s'est remariée) et elle ne s'occupe plus de mes affaires. » Le défendeur mentionnait également dans sa lettre qu'il était [traduction] « toujours en train de préparer la ventilation demandée » , ce qui apparemment lui prenait passablement de temps. Le défendeur a conclu en disant : [traduction] « J'ai complété environ 75 p. 100 du travail et je vous ferai parvenir ces renseignements dès que ce sera terminé » . Le demandeur a dit qu'il s'agissait de la dernière lettre qu'il a reçue du défendeur. Toutefois, le demandeur a omis de dire, dans son témoignage, s'il avait téléphoné au défendeur ou s'il lui avait écrit durant cette période. Les mois ont passé. Apparemment, le demandeur n'a demandé aucun renseignement et il n'a pas approfondi la question avec le défendeur. Le demandeur a expliqué qu'il avait des ennuis de santé. Il a dû subir une intervention chirurgicale au nez, en octobre 1993. En outre, il s'agissait d'une période difficile pour lui, sur le plan professionnel. Son entreprise avait intenté une action en justice de 1,9    million de dollars contre un client en Australie. Le client en cause avait également intenté une poursuite de 5,4 millions de dollars contre son entreprise. En d'autres termes, il ne pensait pas à la Turquie à cette époque.

[22]            Cela nous amène donc à l'objet de la présente poursuite. Dans un contrat de vente daté du 1er mars 1994, le navire a été transféré à Mme Sheppard en considération de la somme de 10 £ et [traduction] « autres contreparties suffisantes » . La somme a apparemment été remise au demandeur, selon la copie du contrat de vente passé et signé par le défendeur [traduction] « pour le compte de Douglas Lawrence Gilling » , le demandeur (pièce P-26). Dans sa plaidoirie, le défendeur a reconnu que suivant la vente, l'ancien marquage a été enlevé et le navire a été renommé le « Desperado » . Le 15 septembre 1994, le navire a été immatriculé au Canada sous le nom de « Desperado » . Jusqu'à récemment, le Registre canadien révélait que Mme Sheppard, une citoyenne canadienne, était l'unique propriétaire du navire.


[23]            Dans sa plaidoirie, le demandeur nie formellement avoir consenti à la vente ou en avoir été informé en 1994. Cela dit, selon le témoignage du demandeur pendant le procès et selon ce qu'il a affirmé dans sa lettre du 13 juin 1996 au secrétaire de l'Ambassade australienne en Turquie (pièce P-20, quatrième paragraphe), le défendeur l'avait déjà informé, par téléphone, au cours de 1994, qu'il avait quitté Kusadasi, et que le navire se trouvait maintenant à Marmaris. On peut s'interroger sur les autres questions que les parties auraient pu aborder puisque le demandeur n'avait apparemment jamais versé les sommes d'argent que le défendeur lui avait réclamées en novembre 1992. En mai 1996, au lieu de communiquer avec le défendeur pour lui demander directement des nouvelles du navire, le demandeur a choisi de demander à des amis qui vivaient à Castlecrag et qui avait affrété un yacht de Marmaris à cette époque de se : [traduction] « renseigner discrètement afin de confirmer que le « September » est toujours à Marmaris et dans quel état il se trouve » . Le demandeur leur a donné une description très précise du navire. Selon le demandeur : [traduction] « lorsqu'ils sont arrivés à Marmaris, environ dix jours plus tard [...] le mari m'a téléphoné pour me dire "nous avons bien trouvé le navire, Doug. Sans aucune difficulté. Il ne s'appelle plus le "September"; il s'appelle le "Desperado" et tu n'en es plus le propriétaire. Selon le bureau de la marina, le propriétaire du navire est Allen Cox" » . Il s'agit de pur ouï-dire. La Cour conclut que la preuve selon laquelle le défendeur lui-même était devenu le propriétaire du navire n'est pas crédible et contredit la preuve documentaire au dossier qui démontre qu'en septembre 1994, le navire était immatriculé au Registre canadien au seul nom de Mme Sheppard. Par conséquent, il ne faut pas tenir compte de cette preuve par ouï-dire sauf pour établir que, du moins à compter de mai 1996, le demandeur savait très bien que le défendeur s'était « approprié » le navire. Malgré cette mauvaise nouvelle et l'apparente « perfidie » de son capitaine, le demandeur n'a pris aucune mesure immédiate contre le défendeur, mais il s'est rendu au bureau d'immatriculation maritime d'Australie pour immatriculer « provisoirement » le navire à son propre nom. Selon la lettre qui a été envoyée par la suite, le 20 janvier 1997, par le registraire adjoint [traduction] « [l]'immatriculation est provisoire et non permanente pour la seule raison que le navire se trouve actuellement à l'extérieur des eaux australiennes et qu'il n'a pas encore sa marque australienne » . Le demandeur a également écrit au secrétaire de l'Ambassade d'Australie à Ankara, au cours du mois de juin 1996, pour lui demander : [traduction] « de me conseiller un avocat ou cabinet d'avocats compétent qui a l'habitude de ce type de problème et dont le bureau serait situé près de Marmaris, de sorte qu'il pourrait prendre rapidement toutes les mesures nécessaires » . Toutefois, le demandeur n'a rien fait pour alerter le défendeur. Les mois ont passé.


[24]            Le 7 janvier 1997, le demandeur a obtenu confirmation écrite, par télécopieur, du Registre canadien, que le navire le « Desperado » était immatriculé au port de Toronto et que Mme Sheppard (et non le défendeur) en était le gestionnaire propriétaire. Le même jour, le demandeur a annulé la procuration et la nomination du défendeur au poste de capitaine. Pendant les mois de janvier et de février 1997, le demandeur, qui était accompagné de M. Wignall, s'est rendu à quelques reprises en Turquie et au Canada, il a retenu les services d'avocats dans les deux pays et il a intenté la présente poursuite au Canada, ainsi qu'une poursuite en Turquie afin d'obtenir un jugement préventif. La déclaration originale a été déposée le 22 janvier 1997. Une requête ex parte pour signification hors du pays a été présentée au nom du demandeur. La requête a ensuite été signifiée à personne au défendeur et à Mme Sheppard en Turquie et sur le navire, apparemment en la manière établie par le juge Gibson dans son ordonnance du 24 janvier 1997. Cela dit, le 20 février 1997, le demandeur a sollicité un jugement préventif (semblable à une injonction) qu'il a obtenu de la Cour civile de Marmaris, en Turquie. Conformément au jugement, le défendeur et Mme Sheppard devaient abandonner le navire et le délivrer à M. Metin Erkerman, gérant de la marina Netsel, qui en serait le gardien pour le compte de la République turque. Comme l'a dit le demandeur : [traduction] « lorsque le navire a été remis au fiduciaire, tant Mme Sheppard que moi-même n'y n'avions plus accès » . Le jugement préventif serait demeuré en vigueur jusqu'en novembre 2001 quand le navire s'est de nouveau trouvé sous le contrôle de Mme Sheppard lorsque le demandeur s'est lui-même désisté de la procédure qu'il avait introduite en Turquie.

[25]            Après avoir examiné les plaidoiries des parties et la preuve soumise par le demandeur, et après avoir décidé que la question devait être tranchée en conformité avec le droit interne canadien à cet égard, la Cour conclut que le défendeur n'avait pas le pouvoir, en vertu de la loi, de vendre le navire à Mme Sheppard et qu'il s'est illégalement approprié le navire ou les revenus du navire à ses propres fins.


[26]            Premièrement, le demandeur devait démontrer qu'il était le propriétaire légitime du navire ou qu'il avait le droit de possession immédiat. Il a, bien entendu, déposé une preuve concluante à cet égard. L'appropriation illicite est un acte qui viole les droits du propriétaire ou du possesseur. D'ailleurs, le défendeur a reconnu avoir participé à la vente du navire à Mme Sheppard en mars 1994. Par suite de l'action du défendeur, Mme Sheppard a pris possession du navire et l'a fait immatriculer au Registre canadien.

[27]            Deuxièmement, il n'y a aucune preuve au dossier permettant d'étayer la conclusion selon laquelle le demandeur devait réellement au défendeur les sommes d'argent mentionnées par ce dernier dans sa plaidoirie. Les allégations présentées par le défendeur à cet égard ne sont que des allégations. En outre, il n'y a aucune preuve, selon les lois turques, que lesdites dettes étaient garanties en vertu d'un privilège grevant le navire, comme l'allègue le défendeur dans sa plaidoirie. Si le droit étranger n'est pas allégué ou, s'il est allégué, il n'est pas étayé ou mal étayé par une preuve, la Cour appliquera la loi du for. À cet égard, il est reconnu que [traduction] « dans tous les cas où le droit étranger n'est pas établi, la loi du for s'applique puisqu'il s'agit du seul droit disponible » . (J.-G. Castel et Janet Walker, Canadian Conflict of Laws, 5e éd., au paragraphe 7-4). Par conséquent, en l'absence d'une autorisation judiciaire ou du consentement du demandeur, le défendeur n'avait pas le droit, en vertu de la loi, de trouver seul un acheteur et de rembourser les dettes du navire à même le produit de la vente comme l'aurait fait le défendeur en l'espèce.


[28]            Troisièmement, compte tenu de la preuve documentaire au dossier et du témoignage non contredit du demandeur, la Cour conclut que le demandeur n'a pas expressément autorisé le défendeur à vendre le navire à Mme Sheppard ni à une autre personne, et que, contrairement à la déclaration qui se trouve dans le contrat de vente du 1er mars 1994, aucune somme d'argent ou contrepartie n'a été versée au demandeur. En outre, le contrat de vente du 1er mars 1994 ne mentionne pas, en particulier, la procuration du 7 mars 1986 que le demandeur avait accordée au défendeur. Il n'y a aucune preuve au dossier que le défendeur, qui aurait agi à titre de mandataire du demandeur, ait fait état de la vente ou du produit de la vente au demandeur, qu'il ait préparé un inventaire ou présenté un compte final au demandeur. La preuve testimoniale non contredite révèle que la procuration a été accordée en 1986 à la demande du défendeur pour éviter tout ennui possible avec les autorités turques. La procuration n'avait pas pour objet d'autoriser le défendeur à vendre le navire sans le consentement du demandeur. D'ailleurs, la procuration ne mentionne aucunement le pouvoir de vendre le bien du demandeur. Par conséquent, le défendeur ne peut invoquer la procuration qui lui a été accordée le 7 mars 1986 pour justifier son action. (William Bowstead, A Digest of the Law of Agency, 9e éd. (Arthur H. Forbes), (Londres, Sweet & Maxwell, 1938), articles 36 et 37, page 59 et suivantes). Cela dit, l'inaction ou le silence du demandeur ne saurait être interprété de manière à constituer un consentement implicite à la vente du navire ou à la ratification de la vente; toutefois, l'inaction et le silence du demandeur influent certainement, selon la Cour, sur le droit du demandeur d'obtenir des dommages-intérêts de la part du défendeur (laquelle question est analysée plus loin dans les motifs des présentes).


[29]            Quatrièmement, la Cour a été avisée, pendant l'audience, que le navire se trouve toujours en Turquie. Par suite du règlement récemment conclu avec le demandeur, Mme Sheppard a signé un contrat de vente qui transfère le titre du navire au demandeur. La vente a été enregistrée au Canada. Toutefois, à cause des exigences de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C 1985, ch. S-9 et, puisque le demandeur n'est pas un résident, son nom ne peut apparaître au Registre canadien comme propriétaire. Par conséquent, les inscriptions qui démontraient que Mme Sheppard était la propriétaire du navire immatriculé au Canada ont été rayées et une attestation de radiation a été, ou sera, envoyée au demandeur en Australie. En outre, Mme Sheppard a annulé la procuration qu'elle avait donnée au défendeur pour qu'il agisse en qualité de capitaine et qu'il s'occupe du navire.

[30]            Par conséquent, le demandeur a droit aux déclarations suivantes :

a)          une déclaration selon laquelle le demandeur est le propriétaire du navire;

b)          une déclaration selon laquelle le contrat de vente daté du 1er mars 1994 qui était censé constater la vente du navire à Mme Sheppard est nul et non avenu.


[31]            Le demandeur a également demandé à la Cour de rendre une ordonnance exigeant que le défendeur remette le navire au demandeur. Toutefois, le demandeur n'a produit aucune preuve à l'audience étayant que le défendeur exerçait toujours un contrôle sur le navire. Au contraire, le navire a été vendu en 1994 à Mme Sheppard et il a été dit à l'audience que, par suite du règlement conclu récemment avec cette dernière, elle aurait annulé la procuration qu'elle avait accordée au défendeur pour qu'il agisse en qualité de capitaine et qu'il s'occupe du navire. Puisqu'il n'y a aucune preuve claire au dossier établissant que le défendeur soit actuellement en possession du navire, la Cour refuse donc de rendre l'ordonnance demandée en vue d'obtenir que le défendeur remette le navire au demandeur.

[32]            Cela nous amène à la question des dommages-intérêts. Premièrement, tel qu'il est expliqué dans Clerk & Lindsell on Torts, en common law, les dommages-intérêts auxquels un demandeur a droit pour avoir été privé de ses biens est, en règle générale, leur valeur marchande, ainsi que toute perte spéciale qui découle naturellement et directement du délit. Lorsqu'il s'agit d'une appropriation illicite, c'est au moment de ladite appropriation qu'on établit habituellement la valeur du bien. Lorsqu'il s'agit d'une rétention illicite, la valeur du bien est évaluée à la date du jugement lorsque sa restitution a été ordonnée. En outre, en common law, aucun propriétaire ne peut bénéficier, sans contrepartie, d'un avantage non désiré résultant de l'amélioration non autorisée, faite par une autre personne, d'un bien dont il a la possession ou dont il recouvre la possession, sans intenter une action. En outre, lorsqu'un demandeur sollicite, dans une instance, le retour de son bien approprié, ou des dommages-intérêts à cet égard, il ne peut bénéficier d'une augmentation de la valeur du bien qui résulte de l'amélioration non autorisée du bien par le défendeur (Clerk & Lindsell on Torts, 18e éd. (Londres, Sweet & Maxwell, 2000)). En l'espèce, compte tenu de l'absence de preuve, la Cour n'est pas en mesure d'évaluer la valeur marchande du navire au moment de l'appropriation (ni l'augmentation ou la diminution de la valeur du navire causée par l'amélioration non autorisée ou par la faute du défendeur).

[33]            Deuxièmement, conformément aux explications données dans Clerk & Lindsell on Torts, quand il y a appropriation, le tribunal accorde, en principe, des dommages-intérêts généraux [traduction] « compte tenu des circonstances de l'appropriation » ; cependant, il peut accorder des dommages-intérêts exemplaires [traduction] « compte tenu des circonstances de l'appropriation » . Toutefois, en règle générale, des dommages-intérêts exemplaires ne sont pas accordés, sauf dans la situation décrite par lord Devlin dans Rooks c. Barrard [1964] A.C. 1129, à la page 1227; c'est-à-dire en cas d'abus de pouvoir de la part d'un gouvernement et de délits commis dans l'espoir que le gain qui en résultera sera plus important que les dommages-intérêts payables. Toutefois, le demandeur peut recouvrer toutes les pertes qui sont le résultat direct et naturel de l'appropriation. Par exemple, la perte des profits pouvant être réalisés à même le bien ou la perte d'un acheteur. Mais ces pertes doivent être raisonnablement prévisibles pour ce qui à trait à l'hypothétique appropriation. Il faut produire une preuve convaincante à cet égard. En outre, la simple possibilité d'une utilisation rentable fait partie de la valeur d'un bien et par conséquent, la perte de telle utilisation ne constitue pas un chef de réclamation distinct; s'il en était ainsi, le demandeur pourrait recouvrer ses pertes deux fois (Clerk & Lindsell on Torts, précité, aux paragraphes 14-113 et 14-114). En l'espèce, à cause de l'absence de preuve, la Cour n'est pas en mesure d'évaluer la perte des profits et elle ne peut établir le montant des dommages-intérêts exemplaires compte tenu [traduction] « des circonstances de l'appropriation » . La Cour ne peut pas non plus décider, en l'absence d'une preuve pertinente et crédible, s'il s'agit d'une affaire où il y aurait lieu d'accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.


[34]            Troisièmement, lorsqu'un bien meuble a été pris, enlevé ou autrement approprié, le demandeur jouit d'un droit d'action et sa cause ne peut être rejetée pour la seule raison qu'il a de nouveau possession de son bien avant le jugement. Cependant, lorsque le bien a été restitué, la poursuite ne vise que les pertes indirectes ou la baisse de valeur, s'il y en a. Il en est également ainsi si le demandeur, après avoir intenté sa poursuite, estime qu'il est opportun de reprendre le bien (Clerk & Lindsell on Torts, précité aux paragraphes 14-127). Par suite du règlement conclu avec Mme Sheppard, le droit du demandeur aux dommages-intérêts serait donc limité aux dommages indirects ou à la baisse de valeur du navire causés par la faute du défendeur depuis 1994. En l'espèce, à cause du manque de preuve, la Cour n'est pas en mesure d'évaluer les dommages indirects ou la perte de valeur du navire. Mme Sheppard aurait été la propriétaire du navire de 1994 à 2004. Par conséquent, en conformité avec la loi, seule Mme Sheppard pouvait transmettre la possession du navire. En outre, par suite du jugement préventif obtenu par le demandeur, de 1997 à 2001, le navire n'était plus sous la garde du défendeur et Mme Sheppard, mais sous la garde du fiduciaire nommé par le tribunal turc.



[35]            La Cour va maintenant se pencher sur chaque chef de dommages mentionné dans la nouvelle deuxième déclaration modifiée du demandeur. En sus des motifs généraux déjà mentionnés par la Cour, ces demandes sont rejetées pour les raisons supplémentaires décrites plus loin. Le demandeur exige d'abord « des dommages-intérêts généraux » de 500 000 $. À cet égard, le demandeur a dit qu'il avait été privé de ce qui constituerait une retraite raisonnable pour un architecte en exercice depuis 1951. Il a dit qu'il avait fermé son bureau en 1992, en conservant la raison sociale de son entreprise qu'il exploitait de son domicile, à Castlecrag, en Australie. Il a ensuite expliqué que depuis le début de la présente instance, c'est-à-dire depuis pratiquement le début de 1996, il lui a été tout à fait impossible de prendre sa retraite. Le demandeur a dit qu'il n'a pas pris [traduction] « de vacances pendant toute la période de cette affaire, sauf pour des vacances de trois semaines [...] en Nouvelle-Zélande » ; il a ajouté que sa vie familiale [traduction] « a été très perturbée par suite des événements » . La Cour n'est pas d'avis que, compte tenu des circonstances de la présente affaire, le demandeur puisse demander des dommages-intérêts généraux à cause des inconvénients et du stress qu'il aurait subis du fait d'avoir été privé de son navire. Le demandeur n'avait pas la possession matérielle du navire avant l'appropriation. D'ailleurs, il était tout à fait content de confier la possession matérielle du navire au défendeur tant et aussi longtemps que ce dernier entretenait suffisamment bien le navire pour qu'il puisse être affrété. Même si on prend pour acquis que le navire avait une quelconque valeur pour un agent de recouvrement - question qui n'a pas été suffisamment établie par le demandeur - le demandeur a recouvré le navire et il pourra maintenant le vendre s'il le souhaite. Quant au fait que le demandeur ou sa famille n'a pas pu utiliser le navire à des fins récréatives pendant ses vacances antérieures, la preuve au dossier ne justifie pas une réclamation à cet égard. Même si le demandeur n'a pas pris [traduction] « de vacances pendant toute la période de cette affaire » , cela n'est pas du tout relié à une quelconque faute du défendeur. La Cour constate également qu'avant la présente action, il n'y avait aucune preuve que le demandeur ou sa famille ait même utilisé ou tenté de réserver le navire auprès du défendeur pendant une quelconque période de temps au cours de leurs vacances antérieures.


[36]            Sous « dommages-intérêts spéciaux » , le demandeur prétend également avoir droit à la somme de 200 000 $ parce qu'il a été privé du navire, somme qui correspond à la valeur de remplacement du navire en bon état d'affrètement, avec tout son équipement. La Cour doit également rejeter cette réclamation. Par suite du règlement conclu avec Mme Sheppard, le navire a été ou sera remis au demandeur. Puisque les dommages-intérêts pour détention sont de nature indemnitaire et non punitive, le demandeur peut uniquement recouvrer les dommages indirects ou la perte de valeur, s'il y en a. Le demandeur n'a pas inspecté le navire. Il ne peut témoigner au sujet de son état actuel ou antérieur, sauf pour ce qui concerne l'année 1985, c'est-à-dire 9 ans avant l'appropriation. Le demandeur n'a présenté aucune preuve d'expert, sauf sa propre appréciation de la valeur actuelle du navire, en se fondant sur une recherche qu'il a récemment effectuée sur l'Internet. Cette preuve est inadmissible en l'espèce. Subsidiairement, le demandeur a dit, dans son témoignage, qu'il souhaitait se fonder sur certaines parties du rapport d'expert préparé par M. Ilhan Arican, pour le compte de la Couronne, et plus particulièrement, sur les paragraphes 28 et 34 de son affidavit daté du 24 juin 2004 qui dit que, selon lui, la valeur marchande du navire le 26 mai 2004, à Marmaris, dans son état actuel, est de 25 000 $US et que les coûts de remise en état du navire de manière à ce qu'il puisse être affrété, s'élèveraient à environ 10 000 $US. Que la valeur marchande actuelle du navire soit ou non de 25 000 $US, cela n'a aucune conséquence, sauf si le demandeur peut établir la perte de valeur du navire depuis l'appropriation. Le demandeur n'a présenté aucune preuve digne de foi sur la valeur du navire au moment de l'appropriation. Le rapport de M. Arican n'a aucune utilité à cet égard. Le demandeur n'a pas été en mesure d'établir, d'une manière satisfaisante, quelque perte de valeur que ce soit. Quant aux coûts de remise en état du navire pour qu'il puisse être affrété, coûts qui, selon M. Arican, s'élèveraient à environ 10 000 $US, le demandeur n'a jamais réclamé cette somme dans sa poursuite. En outre, le demandeur a reconnu qu'il n'avait pas effectué une inspection visuelle du navire. Il n'a fourni aucun motif pour lequel il ne pouvait pas lui-même se rendre en Turquie. Les observations pertinentes sous-jacentes de M. Arican constituent de l'ouï-dire et n'ont pas été étayées, en soi, par aucun témoin. Le rapport de M. Arican a été préparé pour le compte de la Couronne qui n'était plus une partie au moment où la Cour a commencé à entendre la preuve des deux autres parties. Le demandeur n'a pas avisé le défendeur, avant l'audience, qu'il avait l'intention de se fonder sur l'affidavit et le rapport de M. Arican. Pour toutes ces raisons, la Cour refuse d'accepter en preuve le rapport et l'affidavit de M. Arican, et plus particulièrement les paragraphes 28 et 34.



[37]            Le demandeur réclame également, à titre de « dommages-intérêts spéciaux » , une somme supplémentaire de 350 000 $ pour avoir été privé de l'utilisation du navire, savoir la perte des revenus d'affrètement pendant plus de sept ans. Le demandeur a très peu expliqué cette demande en particulier, sauf pour dire que : [traduction] « cela débuterait à peu près au moment où j'ai appris que le navire ne m'appartenait plus, donc en mai 1996, lorsqu'il m'aurait été impossible de gagner de l'argent en affrétant le navire si j'avais décidé, à ce moment-là, de me rendre en Turquie et de dire, en donnant le préavis d'un mois que j'étais obligé de donner à M. Cox : "Désolé, c'est terminé. Je vais reprendre le navire et je vais l'affréter" » . Quant à la question de savoir comment le demandeur en est arrivé à cette somme, il a dit qu'il s'était fondé globalement sur le prix 2 250 £ que Valerie Cox lui avait mentionné en 1990, en prenant pour acquis que le défendeur avait affrété le navire au moins 16 semaines chaque année. Ce n'est que pure spéculation. La Cour n'est pas en mesure de préciser les profits réalisés par le défendeur après avoir payé l'entretien et les autres frais associés à l'affrètement. La preuve n'est pas suffisante pour établir une perte de profits de la part du demandeur. Le demandeur n'a pas établi de manière satisfaisante qu'il aurait pu affréter le navire depuis l'Australie. Le demandeur aurait été obligé de se trouver un nouveau capitaine en Turquie. Il aurait dû engager des frais avant de pouvoir tirer un profit. Tel que susmentionné, il semble que la simple possibilité d'utilisation rentable fait partie de la valeur d'un bien meuble et que, par conséquent, la perte d'utilisation n'est pas un chef de dommages distinct. S'il en était ainsi, le demandeur pourrait, pro tanto, recouvrer deux fois son argent (Clerk & Lindsell on Torts, précité, aux paragraphes 14-116); les décisions suivantes sont mentionnées : Reid c. Fairbanks (1853), 13 C.B. 692; cf. The Llanover, [1947] p. 80). Quoi qu'il en soit, il n'y a aucune preuve que le demandeur prévoyait tirer un profit du navire s'il avait pu le récupérer du défendeur dès qu'il a appris que le navire avait été approprié. D'ailleurs, on peut en conclure différemment puisque le demandeur était tout à fait satisfait de l'entente qu'il avait conclue avec le défendeur, tant et aussi longtemps que le navire était bien entretenu de manière à être affrété. Si l'action dont il se plaint ne s'était pas produite, l'entente conclue avec le défendeur aurait continué de s'appliquer; c'est-à-dire que le demandeur n'aurait pas tiré un seul sou de l'entreprise d'affrètement. D'ailleurs, le demandeur a dit qu'il s'était retiré de l'entreprise d'affrètement avec M. Wignall, avec lequel il partageait les bénéfices, à cause d'un problème d'impôt que cela lui créait en Australie. Par conséquent, le demandeur ne peut exiger des dommages-intérêts spéciaux relativement à la perte du revenu d'affrètement.

[38]            Le demandeur demande également des dommages-intérêts spéciaux relatifs aux dépenses de voyage et d'hôtel et relativement aux frais parajuridiques, juridiques, de secrétariat et autres qu'il a engagés en rapport avec la présente action et la procédure accessoire en Turquie. Ces dépenses sont inscrites à l'alinéa 2b) des précisions déposées le 6 juin 2001 (au procès, le demandeur s'est désisté de sa réclamation de 17 000 $US mentionnée au poste D). Ces frais et débours s'élèvent à quelque 60 000 $US. Les reçus ou explications ont été donnés par le demandeur concernant les postes suivants :

Poste A

i)           désigné sous le nom de document 1 : deux billets d'avion pour le demandeur et M. Wignall, la somme de 3 158 $;

ii)          le demandeur a déclaré sous serment que la somme de 3 173 $ était le tarif exact que M. Wignall et lui-même avaient payé pour se rendre d'Istanbul à Ottawa;

iii)         désigné sous le nom de documents 3 et 3A : billet d'avion et reçu visa pour le retour du demandeur à Sidney, la somme de 1 573 $;


iv)         désigné sous le nom de document 4 : coût du traversier, la somme de 125 $;

v)          désigné sous le nom de document 5 : assurance de voyage, la somme de 308 $;

vi)         le demandeur a déclaré sous serment que la somme de 740 $ était la somme exacte qu'il avait payée pour la location d'une voiture;

vii)         le demandeur a déclaré sous serment que la somme de 135 $ était un chiffre prudent relativement au prix réel déboursé pour des taxis.

Poste B

i)          désigné sous le nom de document 6 : séjour à l'hôtel Emphe, à Rhodes, la somme de 48 $;

ii)          désigné sous le nom de document 7 : séjour à l'hôtel Elegance, à Marmaris, la somme de 816,40 $ (dollars australiens);

iii)          désigné sous le nom de document 7A : séjour à l'hôtel Elegance (totalité), la somme de 2 456 $;

iv)        désigné sous le nom de document 8 : séjour à l'hôtel Park, la somme de 113 $;

v)         le demandeur a déclaré sous serment que la somme de 186 $ était le montant précis qu'il avait payé pour son séjour à l'hôtel Armada, à Istanbul;

vi)         désigné sous le nom de document 10 : séjour à l'hôtel Capital Hill, la somme de 1 146 $;

vii)         le demandeur a déclaré sous serment que la somme de 234 $ était le montant précis qu'il a payé pour son séjour à l'hôtel Mercure, à Ankara;


viii)        désigné sous le nom de document 11 : séjour à l'hôtel Class, à Ankara, la somme de 1 315 $;

ix)         vii) et viii) désignés sous le nom de documents 12 et 13 : séjour aux hôtels Olbia et Kibaslar, la somme de 107 $;

x)         désigné sous le nom de document 14 : séjour à l'hôtel Cinar, la somme de 26 $;

Poste C

i)           désigné sous le nom de document 15 : frais parajuridiques à Marmaris, la somme de 4 504 $.

Poste E

i)           désigné sous le nom de document 16 : frais juridiques du demandeur en rapport avec les services fournis par son avocat turc, M. Hasbioglu, la somme de 3 000 $ (US);

ii)          le demandeur a déclaré sous serment que la somme de 1 500 $ était le montant précis qu'il avait versé pour les services juridiques fournis par son avocat turc, M. Hasbioglu, en rapport avec le processus d'appel;

iii)          désigné sous le nom de document 17 : documents en rapport avec une déclaration statutaire du demandeur.


Poste F

i)           désigné sous le nom de document 18 : dépenses diverses, la somme de 1 500 $.

Poste G

i)           Le demandeur a déclaré sous serment que la somme de 1 850 $ était le montant exact qu'il avait versé pour les services de secrétariat.


[39]            La Cour n'est pas convaincue que les frais et débours mentionnés plus haut, qui sont réclamés à titre de dommages-intérêts spéciaux par le demandeur, découlent directement et naturellement de l'appropriation qui s'est produite en 1994. Il n'y a eu aucun avis de défaut ni demande de retour du navire au défendeur à quelque moment que ce soit avant l'introduction de la présente poursuite en 1997. Le demandeur n'a pas agi promptement en révoquant la procuration et la nomination du défendeur en qualité de capitaine, c'est-à -dire lorsqu'il est devenu apparent que le défendeur n'était plus satisfait de l'entente et qu'il continuait de réclamer la somme de 40 000 £ . D'ailleurs, en novembre 1992, le demandeur a pris connaissance des griefs et demandes d'argent du défendeur. Malgré les conseils de son avocat à la fin 1992 ou au début de 1993, le demandeur n'a pas révoqué la procuration et la nomination au poste de capitaine. D'ailleurs, entre mars 1993 et janvier 1997, le demandeur ne s'est jamais rendu en Turquie ni près du navire, ni écrit au défendeur ni à quiconque à bord, que ce soit par la poste, par télex, par messager ou par télécopieur. Il appert également qu'il n'a pas téléphoné au navire ni au défendeur pendant toute cette période. Les explications fournies par le demandeur, qu'elles soient d'ordre médical ou professionnel, lui sont personnelles. Elles ne peuvent être invoquées contre le défendeur pour ensuite justifier une demande de dommages-intérêts exemplaires. Depuis au moins 1994, le demandeur savait que le navire se trouvait à la marina de Marmaris. En mai 1996, le demandeur n'a même pas jugé bon de révoquer la procuration ou de prendre immédiatement des mesures conservatoires. En outre, il n'a soumis aucune preuve digne de foi au procès pouvant étayer que le défendeur avait réellement menacé de détruire le navire ou de disparaître avec celui-ci. Le témoignage du demandeur à cet égard n'est que pure spéculation. Il est clair que le demandeur a introduit la présente action au Canada dans le but notamment de renforcer sa position contre le défendeur en Turquie, si cela s'avérait nécessaire.


[40]            Le demandeur exige également la somme de 40 000 $ du défendeur à titre de dommages-intérêts exemplaires et punitifs. Le demandeur n'a produit aucune preuve de conduite répréhensible en particulier en rapport avec cet élément de sa réclamation. Il n'a pas établi la fraude et la fraude ne saurait être déduite du seul fait que le défendeur aurait apparemment signé le contrat de vente le 1er mars 1994, sans le consentement du demandeur. Certes, le tribunal peut accorder des dommages-intérêts exemplaires en cas d'appropriation (Owen and Smith c. Reo Motors (Britain) Ltd., [1934] All E.R. 734), mais il ne peut accorder des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs (Rookes c. Barnard, [1964] A.C. 1129), sauf [traduction] « si cela s'avère nécessaire pour que la personne fautive apprenne qu'elle ne peut tirer profit de son méfait » . Lord Devlin a exprimé le principe en ces termes : [traduction] « Lorsqu'un défendeur, cyniquement insoucieux des droits d'un demandeur, a déterminé que l'argent que lui rapportera son délit dépassera vraisemblablement le montant des dommages-intérêts qu'il pourra avoir à payer, il faut alors montrer qu'on n'enfreint pas impunément une règle de droit. Mais ce n'est pas que l'argent au sens strict qui tombe dans cette catégorie. Elle comprend aussi les cas où le défendeur cherche à se procurer aux dépens du demandeur un objet quelconque qu'il convoite et qu'il n'aurait pu obtenir d'aucune autre manière ou qu'il n'aurait pu obtenir que moyennant paiement d'un prix qu'il jugeait excessif » (Rookes c. Barnard, précité). Dans sa défense, le défendeur a allégué qu'il avait le droit de vendre le navire parce qu'il avait un privilège garanti et parce que le demandeur lui devait de l'argent pour salaire impayé. En se fondant sur la preuve documentaire produite par le demandeur, quant au défendeur, il avait certainement une réclamation légitime contre le demandeur en novembre 1992 et en février 1993. La Cour n'a pas besoin de décider si le défendeur avait véritablement raison, mais cela suffit pour convaincre la Cour que le demandeur n'a pas satisfait au fardeau d'établir une [traduction] « conduite tyrannique, vindicative ou répréhensible » .


[41]            Enfin, le demandeur voudrait que le défendeur paye les dépens sur une base procureur-client, savoir les honoraires exigés par le cabinet Low, Murchison LLP au cours de la période de neuf mois pendant laquelle ils ont représenté le demandeur dans la présente action, somme qui s'établit à 18 000 $, selon le témoignage du demandeur. À cause des circonstances particulières en l'espèce, il ne serait pas opportun d'accorder les dépens sur une base procureur-client. En outre, à cause du résultat divisé de la présente action et après avoir tenu compte du comportement des deux parties en l'espèce, ainsi que de tous les facteurs pertinents énumérés à l'article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et leurs modifications, aucuns dépens ne seront adjugés.

JUGEMENT

Pour les motifs ci-dessus, la Cour adjuge, déclare et ordonne :

1.          L'action intentée par le demandeur est accueillie en partie.

2.          Le contrat de vente, daté du 1er mars 1994, en vertu duquel le navire, le September, devait être vendu à Mme Sheppard, est nul et non avenu.

3.          Le propriétaire du navire, le September (autrement appelé le Desperado) est le demandeur.

4.          Toutes les autres demandes de dommages-intérêts déposées par le demandeur dans sa nouvelle déclaration modifiée sont rejetées.

5.          Aucuns dépens ne sont adjugés.

                                                                                 « Luc Martineau »              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                    T-109-97

INTITULÉ :                   DOUGLAS GILLING

et

ALLEN COX et LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE LE SEPTEMBER (autrement appelé le DESPERADO)

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :                          LES 15 ET 16 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :          LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS : LE 15 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Douglas Gilling                  POUR SON PROPRE COMPTE

R. Carter

G. Lester                         POUR SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA ET

DENISE SHEPPARD (SUR LA QUESTION DES RÈGLEMENTS)

ET À TITRE D'INTERVENANTS DÉSINTÉRESSÉS

A. Cox                             [n'a pas comparu et n'était pas représenté par un avocat]

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Douglas Gilling                  POUR LE DEMANDEUR

Castlecrag, Australie

Allen V. Cox, Capitaine    POUR LE DÉFENDEUR

10, Marti Marina

Marmaris Orhaniye, Mugla

Turquie 24700


COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20041215

                             Dossier : T-109-97

ENTRE :

DOUGLAS GILLING

                                          demandeur

                             et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE LE SEPTEMBER (autrement appelé le DESPERADO)

                                          défendeurs

                                                                             

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT

                                                                              


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