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Date : 20050125

Dossier : IMM-3755-04

Référence : 2005 CF 102

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                  ABRAHAM OLUFEMI ASASHI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Les connaissances du tribunal spécialisé appellent une grande déférence pour ce qui est des questions d'appréciation de la preuve, sauf si l'appréciation est manifestement déraisonnable.


LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (LIPR) et visant la décision du 25 mars 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la revendication du statut de « réfugié » du demandeur, en vertu de l'article 96 de la LIPR, ainsi que du statut de « personne à protéger » , en vertu du paragraphe 97(1).

LE CONTEXTE


[3]                La Commission a exposé les faits allégués. M. Abraham Olufemi Asashi, le demandeur, est un citoyen du Nigeria originaire de la ville d'Ibeze, de la région d'Ekorodu, dans l'État du Lagos. Il s'est décrit lui-même comme issu d'une famille païenne fortement idolâtre. En mars 2002, le roi asashi est décédé et, conformément à la tradition, son fils aîné devait lui succéder dans les six mois du décès. M. Asashi a allégué être ce fils aîné et se trouver ainsi en situation d'être désigné nouveau chef de la famille Asashi. Il a refusé de devenir chef parce qu'il n'adhérait pas aux pratiques religieuses de sa famille et que, en tant que chrétien, il croit fermement en Dieu. Ce refus de devenir chef, le demandeur soutient-il, a mis sa vie en danger. Craignant ainsi pour sa vie, M. Asashi s'est tenu caché entre mai et novembre 2002. Un intermédiaire l'a aidé à obtenir un faux passeport britannique et à s'enfuir du Nigeria le 2 novembre 2002; il est arrivé au Canada le 3 novembre 2002. D'après les documents d'immigration, M. Asashi a demandé la protection du Canada le 13 novembre 2002.

LA DÉCISION À L'EXAMEN

[4]                La Commission a conclu que M. Asashi n'était pas crédible parce qu'il n'avait pas présenté une preuve acceptable relativement à son identité, à son départ du Nigeria non plus qu'à son voyage à destination du Canada, en regard de l'événement central qui aurait déclenché sa décision de quitter son pays. Ses connaissances sur la foi chrétienne adoptée en 1999, en outre, se sont avérées très lacunaires

LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]                1. Était-il manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n'était pas crédible?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire générale sur le Nigeria?

3. L'audition de la revendication du demandeur a-t-elle été impartiale?


ANALYSE

1. Était-il manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n'était pas crédible?

[6]                En ce qui concerne la question de la crédibilité, l'erreur de la Commission doit être manifestement déraisonnable pour que la Cour intervienne [Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[2], Pissavera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4]].


[7]                La Commission a mentionné de nombreux éléments qui, considérés dans leur ensemble minaient considérablement la crédibilité de M. Asashi. Dans son témoignage, ce dernier a déclaré qu'on lui avait délivré un certificat de naissance mais qu'il ne l'avait pas présenté à la Commission. Il a produit un document délivré le 30 août 2002 par le gouvernement local du Lagos (Lagos Mainland Local Government) et visant à établir sa date de naissance. Il a également produit un permis de conduire délivré le 15 octobre 2002. M. Asashi aurait quitté la cachette où il se trouvait pour aller obtenir de nuit ces documents officiels. Cela ne semble pas vraisemblable dans la mesure où les bureaux gouvernementaux ne sont ouverts que le jour. M. Asashi a également déclaré avoir voyagé muni de deux séries de pièces d'identité (un faux passeport britannique et ses pièces d'identité nigérianes), ce que la Commission a jugé être dangereux et donc improbable. M. Asashi n'a pas soumis à la Commission ses faux passeport et titres de voyage. La Commission a conclu que, si M. Asashi avait réellement craint les personnes responsables d'assurer le remplacement du chef asashi, il aurait quitté son pays plus tôt qu'en novembre 2002 (le roi est décédé en mars 2002 et M. Asashi s'est tenu caché dans son pays de mai à novembre 2002). M. Asashi n'a revendiqué le statut de réfugié que dix jours après son arrivée au Canada. M. Asashi a produit un article censé avoir été publié dans le journal nigérian The Punch; on y faisait état du décès du roi à Ibese et du fait que, conformément à la tradition, M. Asashi devait devenir le nouveau chef. L'original de l'article n'a pas été présenté à la Commission; seule a été présentée une page non datée du journal. La Commission avait également des doutes quant à l'adhésion de M. Asashi à la foi chrétienne. Ce dernier a donné de vagues explications sur le processus suivi pour devenir chrétien alors que, selon la Commission, il « est universellement reconnu que les personnes désirant se convertir à une religion ou à une église chrétienne doivent suivre un enseignement religieux avant d'être acceptées ou baptisées » . La Commission a en outre conclu que M. Asashi aurait dû pouvoir s'identifier à l'une des dénominations ou communautés chrétiennes reconnues (en tant par ex. que catholique romain, orthodoxe grec, baptiste, anglican, épiscopalien). Or, il a uniquement déclaré que sa communauté était « Chérubin et Séraphin » . Finalement, selon la preuve matérielle relative à la situation générale au Nigeria, bien qu'il existe des différends de nature religieuse, les chrétiens peuvent vivre et vivent de fait dans toutes les régions du pays.

[8]                M. Asashi relève des éléments particuliers mentionnés par la Commission (p. ex. la revendication tardive du statut de réfugié au Canada) et soutient que cela est insuffisant pour équivaloir à un manque de crédibilité. Quoique cela puisse être vrai, la Commission peut conclure à juste titre que la crédibilité d'un demandeur est irrémédiablement minée en raison notamment d'une accumulation d'incohérences et de contradictions qu'elle a considérées dans leur ensemble.

[9]                (Bien que cela n'ait pas à soi seul d'effet déterminant, compte tenu du manque de crédibilité clairement démontré dans d'autres domaines, il semblerait convenir que la Commission reconnaisse le fait que de nouveaux convertis ne connaissent pas nécessairement de façon approfondie les doctrines, traditions et structures de leur nouvelle religion. Il est raisonnable de croire, vu le grand nombre de dénominations et de sectes, qu'un nouveau converti puisse ne pas nécessairement s'identifier à une dénomination ou une communauté générale donnée.)

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire générale sur le Nigeria?


[10]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la situation dans le pays pour évaluer sa crédibilité. La Cour n'est pas de cet avis. Une conclusion générale de manque de crédibilité peut valoir pour l'ensemble d'un témoignage, et la preuve documentaire objective sur le pays de nationalité ne peut être présumée s'appliquer au demandeur non crédible, à moins qu'il n'y ait un lien personnel entre celui-ci et la preuve documentaire générale. C'est ce que la Cour d'appel fédérale a déclaré dans Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[5] :

Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.    (Non souligné dans l'original.)

3. L'audition de la revendication du demandeur a-t-elle été impartiale?

[11]            M. Asashi soutient ne pas avoir eu droit à une audience impartiale. Dans son affidavit, il fait part de son sentiment selon lequel la Commission cherchait uniquement à le faire se contredire ou à justifier ses doutes mais non pas à découvrir la vérité. Il déclare également que l'impression qui se dégage de la décision, c'est que la Commission ne connaît rien de l'Afrique et n'est pas intéressée non plus à apprendre quoi que ce soit.


[12]            En ne faisant pas valoir la violation de l'obligation d'impartialité lorsque celle-ci aurait eu lieu, M. Asashi a renoncé à son droit d'invoquer cette violation à l'étape du contrôle judiciaire. M. Asashi affirme qu'il ne pouvait soulever la question devant la Commission puisque c'est uniquement après l'audience qu'il a pu constater combien la Commission était partiale. La Cour peut seulement conclure que, puisqu'on n'a pas même remarqué la prétendue violation à l'audience, elle ne pouvait pas être importante au point que soit justifiée l'intervention de la Cour.

[13]            Quoi qu'il en soit, il est établi en jurisprudence que de simples hypothèses, soupçons ou impressions quant à la partialité ou à l'iniquité ne suffisent pas pour fonder une demande de contrôle judiciaire pour motif d'impartialité [Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie)[6]].

CONCLUSION

[14]            Pour ces motifs, la Cour répond pas la négative aux deux premières questions en litige et par l'affirmative à la dernière. La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n'y a pas de question à certifier.

                                                                                                                          « Michel M.J. Shore »           

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3755-04

INTITULÉ :                                                    ABRAHAM OLUFEMI ASASHI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 20 janvier 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    Monsieur le juge Shore

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                                Le 25 janvier 2005

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Marie Nicole Moreau                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART ISTVANFFY                                                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] L.C. 2001, ch. 27.

[2] (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.), _1993_ A.C.F. no 732 (QL).

[3] (2001) 11 Imm. L.R. (3d) 233 (C.F. 1re inst.), _2000_A.C.F. no 2001 (QL).

[4] (2000) 173 F.T.R. 280 (C.F. 1re inst.), _1999_A.C.F. no 1283 (QL).

[5][1990] 3 C.F. 238, à la page 240 (C.A.F.).

[6][1978] 1 R.C.S. 369.


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